ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Tout ballet suppose la danse, & le concours de deux ou de plusieurs personnes pour l'exécuter. Une personne feule, qui en dansant représenteroit une action, ne formeroit pas proprement un ballet; ce ne seroit alors qu'une sorte de pantomime. Voyez Pantomime. Et plusieurs personnes qui représenteroient quelque action sans danse, formeroient une comédie, & jamais un ballet.

La danse, le concours de plusieurs personnes, & la représentation d'une action par les gestes, les pas, & les mouvemens du corps, sont donc ce qui constitue le ballet. Il est une espece de poësie muette qui parle, selon l'expression de Plutarque; parce que sans rien dire, elle s'exprime par les gestes, les mouvemens & les pas. Clausis faucibus, dit Sidoine Apollinaire, & loquente gestu, nutu, crure, genu, manu, rotatu, toto in schemate, vel semel latebit. Sans danse il ne peut point exister de ballet: mais sans ballet il peut y avoir des danses. Voyez Danse.

Le ballet est un amusement très - ancien. Son origine se perd dans l'antiquité la plus reculée. On dansa dans les commencemens pour exprimer la joie; & ces mouvemens réglés du corps, firent imaginer bientôt après un divertissement plus complique. Les Egyptiens firent les premiers de leurs danses des hiéroglyphes d'action, comme ils en avoient de figurés en peinture, pour exprimer tous les mysteres de leur culte. Sur une musique de caractere, ils composerent des danses sublimes, qui exprimoient & qui peignoient le mouvement reglé des astres, l'ordre immuable, & l'harmonie constante de l'univers.

Les Grecs dans leurs tragédies introduisirent des danses, & suivirent les notions des Egyptiens. Les choeurs qui servoient d'intermedes, dansoient d'abord on rond de droite à gauche, & exprimoient ainsi les mouvemens du ciel qui se font du levant au couchant. Ils appelloient cette danse strophes ou tours.

Ils se tournoient ensuite de gauche à droite pour représenter le cours des planetes, & ils nommoient ces mouvemens antistrophes ou retours; après ces deux danses, ils s'arrêtoient pour chanter: ils nommoient ces chants épodes. Par - là ils représentoient l'immobilité de la terre qu'ils croyoient fixe. Voyez Choeur.

Thésée changea ce premier objet de la danse des Grecs; leurs choeurs ne furent plus que l'image des évolutions & des détours du fameux labyriuthe de Crete. Cette danse inventée & exécutée par le vainqueur du Minotaure & la jeunesse de Delos, étoit composée de strophes & d'antistrophes, comme la premiere, & on la nomma la danse de la grue, parce qu'on s'y suivoit à la file, en faisant les diverses évolutions dont elle étoit composée, comme font les grues lorsqu'elles volent en troupe. Voyez Grue.

Les ballets furent constamment attachés aux tragédies & aux comédies des Grecs; Athenée les appelle danses philosophiques; parce que tout y étoit réglé, & qu'elles étoient des allegories ingénieuses, & des représentations d'actions, ou des choses naturelles qui renfermoient un sens moral.

Le mot ballet vient de ce qu'originairement on dansoit en joüant à la paume. Les anciens, attentifs à tout ce qui pouvoit former le corps, le rendre agile ou robuste, & donner des graces à ses mouvemens, avoient uni ces deux exercices; ensorte que le mot ballet est venu de celui de balle: on en a fait bal, ballet, ballade, & baladin; le ballar & ballo des Italiens, & le bailar des Espagnols, comme les Latins en avoient fait ceux de ballare, & de ballator, &c.

Deux célebres danseurs furent en Grece les inventeurs véritables des ballets, & les unirent à la tragédie & à la comédie.

Batile d'Alexandrie inventa ceux qui représentoient les actions gaies, & Pilade introduisit ceux qui feprésentoient les actions graves, touchantes, & pathétiques.

Leurs danses étoient un tableau fidele de tous les mouvemens du corps, & une invention ingénieuse qui servoit à les régler, comme la tragédie en représentant les passions, servoit à rectifier lesmouvemens de l'ame.

Les Grecs avoient d'abord quatre especes de danseurs qu'on nommoit hylarodes, simodes, magodes, & lysiodes; ils s'en servoient pour composer les danses de leurs intermedes. V. ces mots disser. articles.

Ces danseurs n'étoient proprement que des bouffons; & ce fut pour purger la scene de cette indécence, que les Grecs inventerent les ballets reglés, & les choeurs graves que la tragédie reçut à sa place.

Les anciens avoient une grande quantité de ballets, dont les sujets sont rapportés dans Athenée; mais on ne trouve point qu'ils s'en soient servis autrement que comme de simples intermedes. Voyez Intermede. Aristote, Platon, &c. en parlent avec éloge, & le premier est entré, dans sa Poëtique, dans un très - grand détail au sujet de cette brillante partie des spectacles des Grecs.

Quelques auteurs ont prétendu que c'étoit à la cruauté d'Hyeron tyran de Syracuse, que les ballets devoient leur origine. Ils disent que ce prince soupçonneux ayant défendu aux Siciliens de se parler, de peur qu'ils ne conspirassent contre lui; la haine & la nécessité, deux sources fertiles d'invention, leur suggérerent les gestes, les mouvemens du corps & les figures, pour se faire entendre les uns aux autres: mais nous trouvons des ballets, & en grand nombre, antérieurs à cette époque; & l'opinion la plus certaine de l'origine des danses figurées, est celle que nous avons rapportée ci - dessus.

Le ballet passa des Grecs chez les Romains, & il y servit aux mêmes usages; les Italiens & tous les peuples de l'Europe en embellirent successivement leurs théatres, & on l'employa enfin pour célébrer dans les cours les plus galantes & les plus magnifiques, les mariages des rois, les naissances des princes, & tous les évenemens heureux qui intéressoient la gloire & le repos des nations. Il forma seul alors un tres - grand spectacle, & d'une dépense immense, que dans les deux derniers siecles on a porté au plus haut point de perfection & de grandeur.

Lucien qui a fait un traité de la danse, entre dans un détail fort grand des sujets qui sont propres à ce genre de spectacle: il semble que cet auteur ait prévû l'usage qu'on en feroit un jour dans les cours les plus polies de l'Europe.

On va donner une notion exacte de ces grands ballets, aujourd'hui tout - à - fait hors de mode; on a vû quelle a été leur origine, & leur succès; on verra dans la suite leurs changemens, leur décadence, & le genre nouveau qu'elle a produit: des yeux philosophes trouvent par - tout ces commencemens, ces progrès, ces diminutions, ces modifications différentes, en un mot, qui sont dans la nature: mais elles se manifestent d'une maniere encore plus sensible dans l'histoire des Arts.

Comme dans son principe, le ballet est la représentation d'une chose naturelle ou merveilleute, il n'est rien dans ia nature, & l'imagination brillante des Poëtes n'a pù rien inventer, qui ne fùt de son ressort.

On peut diviser ces grands ballets en historiques, fabuleux, & poëtiques.

Les sujets historiques sont les actions connues dans l'histoire, comme le siége de Troie, les victoires d'Alexandre, &c.

Les sujets fabuleux sont pris de la fable, comme le jugement de Paris, les noces de Thétis & Pelée, la naissance de Vénus, &c.

Les poëtiques, qui sont les plus ingénieux, sont de [p. 44] plusieurs especes, & tiennent pour la plûpart de l'histoire & de la fable.

On exprime par les uns les choses naturelles, comme les ballets de la nuit, des saisons, des tems, des âges, &c. d'autres sont des allégories qui renferment un sens moral, comme le ballet des proverbes, celui des plaisirs troublés, celui de la mode, des aveugles, de la curiosité, &c.

Il y en a eu quelques - uns de pur caprice, comme le ballet des postures, & celui de bicêtre; quelques autres n'ont été que des expressions naïves de certains évenemens communs, ou de certainés choses ordinaires. De ce nombre étoient les ballets des cris de Paris, de la foire S. Germain, des passe - tems, du carnaval, &c. Enfin l'histoire, la fable, l'allégorie, les romans, le caprice, l'imagination, sont les sources dans lesquelles on a puisé les sujets des grands ballets. On en a vû de tous ces genres différens réussir, & faire honneur à leurs différens inventeurs.

Ce spectacle avoit des regles particulieres, & des parties essentielles & intégrantes, comme le poëme épique & dramatique.

La premiere regle est l'unité de dessein. En faveur de la difficulté infinie qu'il y avoit à s'assujettir à une contrainte pareille, dans un ouvrage de ce genre, il fut toûjours dispensé de l'unité de tems & de l'unité de lieu. L'invention ou la forme du ballet est la premiere de ses parties essentielles: les figures sont la seconde: les mouvemens la troisieme: la Musique qui comprend les chants, les ritournelles, & les symphonies, est la quatrieme: la décoration & les machines sont la cinquieme: la Poësie est la derniere; elle n'étoit chargée que de donner par quelques récits les premieres notions de l'action qu'on représentoit.

Leur division ordinaire étoit en cinq actes, & chaque acte étoit divisé en 3, 6, 9, & quelquefois 12 entrées.

On appelle entrée une ou plusieurs quadrilles de danseurs, qui par leur danse représentent la partie de l'action dont ils sont chargés. Voyez Entrée.

On entend par quadrille, 4, 6, 8, & jusqu'à 12 danseurs vêtus uniformément, ou de caracteres différens, suivant l'exigence des cas. Voyez Quadrille. Chaque entrée étoit composée d'une ou plusieurs quadrilles, selon que l'exigeoit le sujet.

Il n'est point de genre de danse, de sorte d'instrumens, ni de caractere de symphonie, qu'on n'ait fait entrer dans les ballets. Les anciens avoient une singuliere attention à employer des instrumens différens à mesure qu'ils introduisoient sur la scene de nouveaux caracteres; ils prenoient un soin extrème à peindre les âges, les moeurs, les passions des person<-> ages qu'ils mettoient devant les yeux.

A leur exemple dans les grands ballets exécutés dans les différentes cours de l'Europe, on a eu l'attention de mêler dans les orchestres, les instrumens convenables aux divers caracteres qu'on a voulu pçindre; & on s'est attaché plus ou moins à cette partie, selon le plus ou le moins de goût de ceux qui en ont été les inventeurs, ou des souverains pour lesquels on les a exécutés.

On croit devoir rapporter ici en abrégé deux de ces grands ballets, l'un pour faire connoître les fonds, l'autre pour faire appercevoir la marche théatrale de ces sortes de spectacles. C'est du savant traité du P. Ménétrier Jésuite, qu'on a extrait le peu de mots qu'on va lire.

Le gris de lin étoit le sujet du premier; c'étoit la couleur de Madame Chrétienne de France, duchesse de Savoie, à laquelle la fête étoit donnée.

Au lever de la toile l'Amour déchire son bandeau; il appelle la lumiere, & l'engage par ses chants à se répandre sur les astres, le ciel, l'air, la terre, & l'eau, afin qu'en leur donnant par la variété des cou<cb-> leurs mille beautés différentes, il puisse choisir la plus agréable.

Junon entend les voeux de l'Amour, & les remplit; Iris vole par ses ordres dans les airs, elle y étale l'éclat des plus vives couleurs. L'Amour frappé de ce brillant spectacle, après l'avoir consideré, se décide pour le gris de lin, comme la couleur la plus douce & la plus parfaite; il veut qu'à l'avenir il soit le symbole de l'amour sans fin. Il ordonne que les campagnes en ornent les fleurs, qu'elle brille dans les pierres les plus précieuses, que les oiseaux les plus beaux en parent leur plumage, & qu'elle serve d'ornement aux habits les plus galans des mortels.

Toutes ces choses différentes animées par la danse, embellies par les plus éclatantes décorations, soûtenues d'un nombre fort considérable de machines surprenantes, formerent le fonds de ce ballet, un des plus ingénieux & des plus galans qui ayent été représentés en Europe.

On donna le second à la même cour en 1634, pour la naissance du cardinal de Savoie. Le sujet de ce ballet étoit la Verita nemica della apparenza sollevata dal tempo.

Au lever de la toile on voyoit un choeur de Faux Bruits & de Soupçons, qui précedoient l'Apparence & le Mensonge.

Le fond du théatre s'ouvrit. Sur un grand nuage porté par les vents, on vit l'Apparence vêtue d'un habit de couleurs changeantes, & parsemé de glaces de miroir, avec des aîles, & une queue de paon; elle paroissoit comme dans une espece de nid d'où sortirent en foule les Mensonges pernicieux, les Fraudes, les Tromperies, les Mensonges agréables, les Flatteries, les Intrigues, les Mensonges bouffons, les Plaisanteries, les jolis petits Contes.

Ces personnages formerent les différentes entrées, après lesquelles le Tems parut. Il chassa l'Apparence, il fit ouvrir le nuage sur lequel elle s'étoit montrée. On vit alors une grande horloge à sable, de laquelle sortirent la Vérité, & les Heures. Ces derniers personnages, après différens récits analogues au sujet, formerent les dernieres entrées, qu'on nomme le grand ballet.

Par ce court détail, on voit que ce genre de spectacle réunissoit toutes les parties qui peuvent faire éclater la magnificence & le goût d'un souverain; il exigeoit beaucoup de richesse dans les habits, & un grand soin pour qu'ils fussent toûjours du caractere convenable. Il falloit des décorations en grand nombre, & des machines surprenantes. Voyez Décoration, & Machine

Les personnages d'ailleurs du chant & de la danse en étoient presque toûjours remplis par les souverains eux - mêmes, les seigneurs & les dames les plus aimables de leur cour; & souvent à tout ce qu'on vient d'expliquer, les princes qui donnoient ces sortes de fêtes ajoûtoient des présens magnifiques pour toutes les personnes qui y représentoient des rôles; ces présens étoient donnés d'une maniere d'autant plus galante, qu'ils paroissoient faire partie de l'action du ballet. Voyez Sapate.

En France, en Italie, en Angleterre, on a représenté une très - grande quantité de ballets de ce genre: mais la cour de Savoie semble l'avoir emporté dans ces grands spectacles sur toutes les cours de l'Europe. Elle avoit le fameux comte d'Aglié, le génie du monde le plus fécond en inventions théatrales & galantes. Le grand art des souverains en toutes choses est de savoir choisir; la gloire d'un regne dépend presque toûjours d'un homme mis à sa place, ou d'un homme oublié.

Les ballets représentés en France jusqu'en l'année 1671, furent tous de ce grand genre. Louis XIV. en fit exécuter plusieurs pendant sa jeunesse, dans lesquels

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