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BACONISME ou PHILOSOPHIE DE BACON (Page 2:8)
BACONISME ou PHILOSOPHIE DE BACON. Bacon, baron de Verulam & vicomte de S. Alban, naquit en Angleterre l'an 1560. Il donna dans son enfance des marques de ce qu'il devoit être un jour; & la reine Elisabeth eut occasion plusieurs fois d'admirer la sagacité de son esprit. Il étudia la philosophie d'Aristote dans l'université de Cambridge; & quoiqu'il n'eût pas encore seize ans, il apperçut le vuide & les absurdités de ce jargon. Il s'appliqua ensuite à l'étude de la politique & de la jurisprudence, & son mérite l'éleva à la dignité de chancelier sous le roi Jacques premier. Il fut accusé de s'être laissé corrompre par argent; & le roi l'ayant abandonné, il fut condamné par la chambre des pairs à une amende d'environ quatre cents mille livres de notre monnoie; il perdit sa dignité de chancelier, & fut mis en prison. Peu de tems après, le roi le rétablit dans tous ses biens & dans tous les honneurs qu'il avoit perdus: mais ses malheurs le dégoûterent des affaires, & augmenterent sa passion pour l'étude. Enfin il mourut âgé de 66 ans, & si pauvre, qu'on dit que quelques mois avan> sa mort il avoit prié le roi Jacques de lui envoyer quelques secours, pour lui épargner la honte de demander l'aumône dans sa vieillesse. Il falloit qu'il eût été ou bien desintéressé ou bien prodigue, pour être tombé dans une si grande indigence.
Le chancelier Bacon est un de ceux qui ont le plus
contribué à l'avancement des Sciences. Il connut
très - bien l'imperfection de la Philosophie scholastique,
& il enseigna les seuls moyens qu'il y eût pour
y rémédier.
Il composa deux ouvrages pour perfectionner les Sciences. Le premier est intitulé de l'accroissement & de la dignité des Sciences: il y montre l'état où elles se trouvoient alors, & indique ce qui restoit à découvrir pour les rendre parfaites. Mais il ajoûte qu'il ne faut pas espérer qu'on avance beaucoup dans cette découverte, si on ne se sert d'autres moyens que de ceux dont on s'étoit servi jusqu'alors. Il fait voir que la Logique qu'on enseignoit dans les écoles, étoit plus propre à entretenir les disputes qu'à éclaircir la vérité, & qu'elle enseignoit plûtôt à chicaner sur les mots qu'à pénétrer dans le fond des choses. Il dit qu'Aristote, de qui nous tenons cet art, a accommodé sa physique à sa logique, au lieu de faire sa logique pour sa physique, & que renversant l'ordre naturel, il a assujetti la fin aux moyens. C'est aussi dans ce premier ouvrage qu'il propose cette célebre division des Sciences qu'on a suivie en partie dans ce Dictionnaire. Voyez le Discours préliminaire.
C'est pour remédier aux defauts de la Logique ordinaire, que Bacon composa son second ouvrage intitulé Nouvel Organe des Sciences: il y enseigne une Logique nouvelle, dont le principal but est de montrer la maniere de faire une bonne induction, comme la fin principale de la logique d'Aristote est de faire un bon syllogisme. Bacon a toûjours regardé cet ouvrage comme son chef - d'oeuvre, & il fut dix - huit ans à le composer. Voici quelques - uns de ses axiomes qui feront connoître l'étendue des vûes de ce grand génie.
2. La logique scholastique n'est pas plus propre
à g>ider notre esprit dans les Sciences, que les
seiences, dans l'état où elles sont, ne sont proprés
à nous faire produire de bons ouvrages.
3. La logique scholastique n'est bonne qu'à entr>tenir les erreurs qui sont fondées sur les notions
qu'on nous donne ordinairement: mais elle est absolument
inutile pour nous faire trouver la vérité.
4. Le syllogisme est composé de propositions.
Les propositions sont compotées de termes, & les
termes sont les signes des idées. Or si les idees, qui
sont le fondement de tout, sont consuses, il n'y a
rien de solide dans ce qu'on bâtit dessus. Nous n'avons
donc d'espérance que dans de bonnes inductions.
5. Toutes les notions que donnent la Logique
& la Physique, sont ridicu>es Telles sont les notions
de substance, de qualité, de pesanteur, de légereté, &c.
6. Ii n'y a pas moins d'erreur dans les axiomes
qu'on a formés jusqu'ici que dans les notions; desorte
que pour faire des progres dans les Sciences,
il est nécessaire de refaire tant les notions que les
principes: en un mot, il faut, pour ainsi dire, refondre
l'entendement.
7. II y a deux chemins qui peuvent conduire à
la vérité. Par l'un on s'éleve de l'expérience à des
axiomes très - généraux, ce chemin est déjà connu:
par l'autre on s'éleve de l'expérience à des axiomes
qui deviennent généraux par degrés, jusqu'à
ce qu'on parvienne à des choses très - générales. Ce
chemin est encore en friche; parce que les hommes
se dégoûtent de l'expérience, & veulent aller
tout d'un coup aux axiomes généraux, pour se reposer.
8. Ces deux chemins commencent tous les deux
à l'expérience & aux choses particulieres; mais ils
sont d'ailleurs bien différens: par l'un on ne fait
qu'effleurer l'expérience; par l'autre on s'y arrête:
9. Il ne s'est encore trouvé personne, qui ait eu
assez de force & de constance, pour s'imposer la
loi d'effacer entierement de son esprit les théories
& les notions communes qui y étoient entrées avec
le tems; de faire de son ame une table rase, s'il
est permis de parler ainsi; & de revenir sur ses pas
pour examiner de nouveau toutes les connoissances
particulieres qu'on croit avoir acquises. On
peut dire de notre raison, qu'elle est obscurcie &
comme accablée par un amas confus & indigeste
de notions, que nous devons en partie à notre crédulité
pour bien des choses qu'on nous a dites, au
hasard qui nous en a beaucoup appris, & aux préjugés
dont nous avons été imbus dans notre enfance.
...... Il faut se flatter qu'on réussira dans
la découverte de la vérité, & qu'on hâtera les
progrès de l'esprit, pourvû que, quittant les notions
abstraites, les spéculations Métaphysiques,
on ait recours à l'analyse, qu'on décompose les
idées particulieres, qu'on s'aide de l'expérience,
& qu'on apporte à l'étude un jugement mûr, un
esprit droit & libre de tout préjugé. . . . On ne
doit esperer de voir renaître les Arts & les Sciences, qu'autant qu'on refondra entierement ses premieres
idées, & que l'expérience sera le flambeau
qui nous guidera dans les routes obscures de la vérité.
Personne jusqu'ici, que nous sachions, n'a dit
que cette réforme de nos idées eût été entreprise,
ou même qu'on y eût pensé ».
On voit par ces Aphorismes, que Bacon croyoit
que to>tes nos connoissances viennent des sens. Les Péripatéticiens avoient pris cette vérité pour fondement
de leur philosophie: mais ils étoient si éloignés
de la connoître, qu'aucun d'eux n'a sû la développer;
& qu'après plusieurs siecles, c'étoit encore une
découverte à faire. Personne n'a donc mieux connu
que Bacon la cause de nos erreurs: car il a vû que
les idees qui sont l'ouvrage de l'esprit, avoient été
mal faites; & que par conséquent, pour avancer
dans la recherche de la vérité, il falloit les refaire.
C'est un conseil qu'il répete souvent dans son nouvel organe.
Le soin que Bacon prenoit de toutes les Sciences en général, ne l'empêcha pas de s'appliquer à quelques - unes en particulier; & comme il croyoit que la Philosophie naturelle est le fondement de toutes les autres Sciences, il travailla principalement à la perfectionner. Mais, il fit comme ces grands Architectes, qui ne pouvant se résoudre à travailler d'apres les autres, commencent par tout abattre, & élevent ensuite leur édifice sur un dessein tout nouveau. De [p. 10]
Ce précurseur de la Philosophie a été aussi un écrivain élégant, un historien, un bel esprit.
Ses Essais de morale sont très - estimés, mais ils sont faits pour instruire plûtôt que pour plaire. Un esprit facile, un jugement sain, le philosophe sensé, l'homme qui refléchit y brillent tour - à - tour. C'étoit un des fruits de la retraite d'un homme qui avoit quitté le monde, aprés en avoir soûtenu long - tems les prospérités & les disgraces. Il y a aussi de très belles choses dans le livre qu'il a fait de la Sagesse des anciens, dans lequel il a moralisé les fables, qui faisoient toute la théologie des Grecs & des Romains.
Il a fait encore l'histoire de Henri VII. roi d'Angleterre, où il y a quelquefois des traits du mauvais goût de son siecle, mais qui d'ailleurs est pleine d'esprit, & qui fait voir qu'il n'étoit pas moins grand politique que grand philosophe. (C)
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