ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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PATRIOTE (Page 12:181)

PATRIOTE, s. m. (Gouvern.) c'est celui qui dans un gouvernement libre chérit sa patrie, & met son bonheur & sa gloire à la secourir avec zele, suivant ses moyens & ses facultés. Si vous voulez encore une définition plus noble:

The patrio is one Who makes the welfare of mankind, his care, Tho'still by faction, vice, aud fortune crost, Shall find the generous labour was not lost.

Servir sa patrie n'est point un devoir chimérique, c'est une obligation réelle. Tout homme qui conviendra qu'il y a des devoirs tirés de la constitution de la nature, du bien & du mal moral des choses, reconnoîtra celui qui nous oblige à faire le bien de la patrie, ou sera réduit à la plus absurde inconséquence. Quand il est une fois convenu de ce devoir, il n'est pas difficile de lui justifier que ce devoir est proportionné aux moyens & aux occasions qu'il a de le remplir, & que rien ne peut dispenser de ce qu'on doit à la patrie tant qu'elle a besoin de nous, & que nous pouvons la servir.

Il est bien dur, diront des esclaves ambitieux, de renoncer aux plaisirs de la société pour consacrer ses jours au service de sa patrie. Ames basses, vous n'avez donc point d'idée des nobles & des solides plaisirs! Croyez - moi, il y en a de plus vrais, de plus délicieux dans une vie occupée à procurer le bien de sapatrie, que n'en connut jamais César à détruire la liberté de la sienne; Deseartes, en bâtissant de nouveaux mondes; Burnet, en formant une terre avant le déluge; Newton lui - même, en découvrant les véritables lois de la nature, ne sentirent pas plus de plaisir intellectuels, que n'en goûte un véritable patriote qui tend toutes les forces de son entendement, & dirige toutes ses pensées & toutes ses actions au bien de la patrie.

Quand un ministre d'état forme un plan politique, & qu'il sait réunir pour un grand & bon dessein les parties qui semblent les plus indépendantes, il s'y livre avec autant d'ardeur & de plaisir, que les génies que je viens de nommer, se sont livrés à leurs recherches ingénieuses. La satisfaction qu'un philosophe spéculatif tire de l'importance des objets auxquels il s'applique, est tres - grande, j'en conviens; mais celles de l'homme d'état, animé par le patriotisme, va bien plus loin; en exécutant le plan qu'il a formé, son travail & ses plaisirs s'augmentent & se varient, l'exécution, il est vrai, en est souvent traversée par des circonstances imprévues, par la perfidie de ses faux amis, par le pouvoir de ses ennemis, mais la fidélité de quelques hommes le dédommagent de la fausseté des autres. Les affaires d'état, me dira - t - on, sont pour celui qui s'en mêle une espece de loterie; à la bonne heure, mais c'est une loterie où l'homme vertueux ne sauroit perdre. Si le succès lui est favorable, il jouira d'une satisfaction proportionnée au bien qu'il aura fait; si le succès lui est contraire, & que les partis opprimans viennent à prévaloir, il aura toujours pour consolation le témoignage de sa conscience, & la jouissance de l'honneur qu'il s'est acquis.

Lorsque la fortune eut préparé les événemens pour abattre la république romaine, Caton, par sa vertu, en arrêta pendant quelque tems l'écroulement. S'il ne put sauver la liberté de Rome, il en prolongea la durée. La république auroit été détruite par Catilina, soutenu de César, de Crassus & de leurs semblables, si elle n'avoit été défendue par Ciceron, ap<cb-> puyée par Caton & quelques patriotes. Je crois bien que Gaton marqua trop de sévérité pour les moeurs de Rome qui depuis long - tems étoit abandonnée à la plus grande corruption; il traita peut - être maladroitement un corps usé: mais si ce citoyen patriote & vertueux se trompa dans ses remedes, il a merité la gloire qu'il s'est acquise par la fermeté de sa conduite, en consacrant sa vie au service de sa patrie. Il auroit été plus digne de louanges, s'il avoit persisté jusqu'à la fin à en défendre la liberté; sa mort eût été plus belle à Munda qu'à Utique.

Apres - tout, si ce grand homme presque seul a balancé par son patriotisme le pouvoir de la fortune, à plus forte raison plusieurs bons patriotes dans une action libre, peuvent par leurs courage & leurs travaux défendre la constitution de l'état contre les entreprises de gens mal intentionnés, qui n'ont ni les richesses de Crassus, ni la réputation de Pompée, ni la conduite de César, ni le manege d'Antoine, mais tout - au - plus la fureur d'un Catilina & l'indécence d'un Clodius.

Quant à moi, qui par des événemens particuliers, n'ai jamais eu le bonheur de servir la patrie dans aucun emploi public, j'ai du moins consacré mes jours à tâcher de connoitre les devoirs des patriotes, & peut - être aujourd'hui suis - je en état de les indiquer & de les peindre au fonds: Non is solus reipublicoe prodest qui tuetur reos, & de pace belioque censet; sed qui juventutem exhortatur, qui in tantâ bonorum proeceptorum inopiâ, virtu'e instruit animos; qui ad pecuniam, luxuriamque cursu ruentes, prensat ac reprehendit: is in privato publicum negotium agit. (Le Chevalier dr Jaucourt.)

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