ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"143"> la Géométrie & des sciences abstraites, qui sans cela n'auroient rien que de rebutant. C'est cette sorte de beauté qui fait naître mille plaisirs de la découverte des lois générales que toute la nature observe avec une fidélité inviolable, de la contemplation des causes secondes qui se diversifient à l'infini dans leurs effets, & qui toutes sont soumises à une unique & premiere cause.

L'on peut étendre ce principe de nos plaisirs, & sa privation, source de nos peines, sur tous les objets qui sont du ressort de l'esprit. On le trouvera partout; & s'il est quelques exceptions, elles ne sont dans le fond qu'apparentes, & peuvent venir ou de préventions arbitraires, sur lesquelles même il ne seroit pas difficile de faire voir que le principe n'est point altéré, ou de ce que notre vûe est trop bornée sur des objets fins & délicats.

3°. Un troisieme ordre de plaisirs & de peines sont ceux qui en affectant le coeur font naître en nous tant d'inclinations ou de passions si différentes. La source en est dans le sentiment de notre perfection ou de notre imperfection, de nos vertus ou de nos vices. De toutes les beautés, il en est peu qui nous touche plus que celle de la vertu qui constitue notre perfection; & de toutes les laideurs, il n'en est point à laquelle nous soyons ou nous devions être plus sensibles qu'à celle du vice. L'amour de nous - mêmes, cette passion si naturelle, si universelle, & qui est, on peut le dire, la base de toutes nos affections, nous fait chercher sans cesse en nous & hors de nous, des preuves de ce que nous sommes à l'égard de la perfection; mais où les trouver? Seroit - ce dans l'usage de nos facultés convenable à notre nature? ou dans un usage conforme à l'intention de Créateur? ou au but que nous nous proposons, qui est la selicité? Réunissons ces trois différentes façons d'envisager la felicité, & nous y trouverons la regle que nous prescrit ce troisieme principe de nos plaisirs & de nos peines. C'est que notre perfection & la selicité consistent à posséder & à faire usage des facultés propres à nous procurer un solide bonheur, conforme aux intentions de notre auteur, manifestées dans la nature qu'il nous a donnée.

Dès - lors nous ne pouvons appercevoir en nous - mêmes ces facultés, & sentir que nous en faisons un usage convenable à notre nature, à leur destination & à notre but, sans éprouver une joie secrete & une satisfaction interieure, qui est le plus agréable de tous les sentimens. Celui - là au contraire qui regardant en lui - même n'y voit qu'imperfection & qu'un abus continuel des talens dont Dieu l'a doué, a beau s'applaudir tout haut d'être parvenu par ses désordres au comble de la fortune, son ame est en secret déchirée par de cuisans remords qui lui mettent sans cesse devant les yeux sa honte, & qui lui rendent son existence haîssable En vain pour étouffer ce sentiment douloureux, ou pour en détourner son attention, il se livre aux plaisirs des sens, il s'occupe, il se distrait, il cherche à se suir lui - même; il ne peut se dérober à ce juge terrible qu'il porte en lui & partout avec lui.

C'est donc encore un usage modéré de nos facultés, soit du coeur, soit de l'esprit, qui en fait la perfection; & cet usage fait naître chez nous des sentimens agréables, d'où se produisent des inclinations & des passions convenables à notre nature.

4°. J'ai dit que l'amour de nous - mêmes nous faisoit chercher hors de nous des preuves de notre perfection: cela même nous fait découvrir une quatrieme source de plaisirs & de peines dans le bonheur & le malheur d'autrui. Seroit - ce que la perception que nous en avons quand nons en sommes les témoins, ou que nous y pensons fortement, fait une image assez semblable à son objet pour nous toucher à - peu - près comme si nous éprouvions actuellement le sen<cb-> timent même qu'elle représente? Ou y a - t - il quelque opération secrete de la nature qui nous ayant tous formés d'un même sang, nous a voulu lier les uns aux autres en nous rendant sensibles aux biens & aux maux de nos semblables? Quoi qu'il en soit, la chose est certaine; ce sentiment peut être suspendu par l'amour - propre, ou par des intérêts particuliers, mais il se manifeste infailliblement dans toutes les occasions où rien ne l'empeche de se developper: il se trouve chez tous les hommes à la vérité en différens degrés. La dureté même part quelquefois d'un principe d'humanité; on est dur pour le méchant ou pour ceux qu'on regarde comme tels dans le monde, dans la vûe de les rendre bons, ou pour les mettre hors d'état de nuire aux autres. Cette sensibilité n'est pas égale pour tous les hommes; ceux qui ont gagné notre amitié & notre estime par de bons offices, par des qualités estimables, par des sentimens réciproques; ceux qui nous sont attachés par les liens du sang, de l'habitude, d'une commune patrie, d'un même parti, d'une même prosession, d'une même religion, tous ceux - là ont differens droits sur notre sentiment. Il s'étend jusqu'aux caracteres de roman ou de tragédie; nous prenons part au bien & au mal qui leur arrive, plus encore si nous sommes convaincus que ces caracteres sont vrais. De - là les charmes de l'Histoire, qui en nous mettant sous les yeux des tableaux de l'humanité, nous touche & nous émeut à ce point précis de vivacité qui fait naître les sentimens agréables. De - là en un mot toutes les inclinations & les passions qui nous affectent si aisément par une suite de notre sensibilité pour le genre humain.

Telles sont les sources de nos sentimens variés suivant les différentes sortes d'objets qui nous plaisent par eux - mêmes & que l'on peut appeller les biens agréables; mais il en est d'autres qui nous portent vers les biens utiles, c'est - à - dire vers des objets qui sans produire immédiatement en nous ces biens agréables, servent à nous en procurer ou à nous en assurer la jouissance. On peut les réduire sous trois chefs: le desir de la gloire, le pouvoir, les richesses. Nous avons vû déjà que tout ce qui semble nous prouver que nous avons quelque perfection, ne peut manquer de nous plaire: de - là le cas que nous faisons de l'approbation, de l'amour, de l'estime des éloges des autres: de - là les sentimens d'honneur ou de confusion: de - là l'idée que nous nous formons du pouvoir, du crédit qui flattent la vanité de l'ambitieux, & qui, ainsi que les richesses, ne sont envisagés par l'homme sage que comme un moyen de parvenir à quelque chose de mieux.

Mais il n'arrive que trop souvent que l'on desire ces biens utiles pour eux - mêmes, en confondant ainsi le moyen avec la fin. L'on veut à tout prix se faire une réputation bonne ou mauvaise; l'on ne voit dans les honneurs rien au - delà des honneurs mêmes; l'on desire les richesses pour les posséder & non pour en jouir. Se livrer ainsi à des passions aussi inutiles qu'elles sont dangereuses, c'est se rendre semblable à ces malheureux qui passent leur triste vie à fouiller les entrailles de la terre pour en tirer des richesses dont la jouissance est reservée à d'autres. Il faut en convenir, cet abus des biens utiles vient souvent de l'éducation, de la coutume, des habitudes, des sociétés qu'on fréquente qui sont dans l'ame d'étranges associations d'idées, d'où naissent des plaisirs & des peines, des goûts ou des aversions, des inclinations, des passions pour des objets par eux - mêmes très - indifférens. A l'imitation de ceux avec qui nous vivons, nous attachons notre bonheur à l'idée de la possession d'un bien frivole qui nous enleve par - là toute notre tranquillité; nous le chérissons avec une passion qui étonne ceux qui ne font pas attention que la sphere de nos pensées & de nos desirs est bornée - là. [p. 144]

En indiquant ainsi l'abus que nous faisons de ces biens utiles, nous croyons montrer le remede, & assurer à ceux qui voudront bien ne pas s'y arrêter, la jouissance des biens & des plaisirs agréables par eux - mêmes.

(Jusqu'ici nous avons fait trop d'usage d'un petit mais excellent ouvrage sur la théorie des sentimens agréables, pour ne pas lui rendre toute la justice qu'il mérite).

II. Quand nous réfléchissons sur ce qui se passe en nous à la vûe des objets propres à nous donner du plaisir ou à nous causer de la peine, nous sentons naître un penchant, une détermination de la volonté, qui est quelque chose de différent du sentiment même du bien & du mal. Il le touche de près, mais c'est une maniere d'être plus active, c'est une volonté naissante que nous pouvons suivre ou abandonner, au lieu que nous n'avons aucun empire sur cette premiere modification de l'ame qui est le sentiment. C'est ce penchant, ce goût qui nous détermine au bien ou à ce qui nous paroît l'être, & que nous nommons attachement ou desir, suivant qu'on possede le bien ou qu'on le souhaite; c'est lui qui nous retire du mal ou de ce que nous jugeons être tel, & qui, si ce mal est present, s'appelle aversion, s'il est absent, éloignement. C'est ainsi que le beau ou ce qui nous plaît, nous affecte d'un sentiment qui à son tour excite le desir & fait naître la passion. Le contraire suit la même marche.

L'admiration est la premiere & la plus simple de nos passions: elle mérite à peine ce nom; c'est ce sentiment vif & subit de plaisir qui s'excite chez nous à la vûe d'un objet dont la perfection nous frappe. On pourroit lui opposer l'étonnement, si ce mot n'étoit restreint à exprimer un pareil sentiment de peine qui nait à la vûe d'une difformité peu commune, & l'horreur en particulier que cause la vûe d'un vice ou d'un crime extraordinaire. Ces passions sont pour l'ordinaire excitées par la nouveauté; mais si c'est par un mérite plus réel, alors l'admiration peut être utile. Aussi un observateur attentif trouve souvent dans les objets les plus communs autant & plus de choses dignes de son admiration, que dans les objets les plus rares & les plus nouveaux.

L'admiration ou l'étonnement produisent la curiosité ou le desir de connoître mieux ce que nous ne connoissons qu'imparfaitement; passion raisonnable & qui tourne à notre profit, si elle se porte sur des recherches vraiment utiles & non frivoles ou simplement curieuses; si elle est assez discrette pour ne pas nous porter à vouloir connoitre ce que nous devons ignorer; & si elle est assez constante pour ne pas nous faire voltiger d'objets en objets, sans en approfondir aucun.

Après ce qui a été dit sur les plaisirs & les peines, je ne sais si l'on peut mettre la joie & la trislesse au rang des passions, ou si l'on ne doit pas plûtôt regarder ces deux sentimens comme la base & le fond de toutes les passions. La joie n'est proprement qu'une réflexion continue, vive & animée sur le bien dont nous jouissons; & la tristesse une réflexion soutenue & profonde sur le mal qui nous arrive. On prend souvent la joie pour une disposition à sentir vivement le bien, comme la tristesse pour la disposition à être sensible au mal. Les passions qui tiennent à la joie semblent être douces & agréables: celles qui se rapportent à la tristesse sont fâcheuses & sombres. La joie ouvre le coeur & l'esprit, mais elle dissipe. La tristesse resserre, accable, & fixe sur son objet.

L'espérance & la crainte précedent pour l'ordinaire la joie & la tristesse. Elles se portent sur le bien ou le mal qui doit probablement nous arriver. Si nous le regardons comme fort assuré, nous sentons de la confiance; ou au contraire si c'est le mal, nous tom<cb-> bons dans le desespoir. La crainte vajusqu'à la peur ou à l'épouvante quand nous appercevons tout - à - coup un mal imprévû prêt à fondre sur nous, & jusqu'à la terreur si outre cela le mal est affreux. Il n'y a point de nom pour exprimer les nuances de la joie en des circonstances paralleles.

Le combat entre la crainte & l'espérance fait l'inquiétude; disposition tumultueuse, passion mixte, qui nous fait souvent prévenir le mal & perdre le bien. Quand la crainte & l'espérance se succedent tour à tour, c'est irrésolution. Si l'espérance l'emporte, nous sentons naître le courage; si c'est la crainte, nous tombons dans l'abattement. Quand un bien que nous espérons se fait trop attendre, nous avons de l'impatience ou de l'ennui. Quelquefois même, en nous persuadant que la crainte d'un mal est pire que le mal même, nous sommes impatiens qu'il arrive. L'ennni vient aussi de l'absence de tout bien, mais plus souvent encore du défaut d'occupations qui nous attachent. La joie d'avoir évité un mal que nous avions un juste sujet de craindre, ou d'avoir obtenu un bien long tems attendu, se change en allegresse. Mais si ce bien ne répond pas à notre attente, s'il est au - dessous de l'idée que nous en avions, le dégoût succede à la joie, & souvent il est suivi de l'aversion.

Toute bonne action porte avec elle sa récompense, en ce qu'elle est suivie d'un sentiment de joie pure qui se nomme satisfaction ou contentement intérieur. Au contraire, la repentance, les regrets, les remords, sont les sentimens qui s'élevent dans notre coeur, à la vue de nos fautes.

La joie & la tristesse ne s'en tiennent pas là; elles produisent encore bien d'autres passions. Telle est cette satisfaction que nous ressentons en obtenant l'approbation des autres, & sur - tout de ceux que nous croyons être les meilleurs juges de nos actions, & que nous désignons sous le nom de la gloire. La tristesse au contraire, que nous éprouvons quand nous sommes blâmés ou désapprouvés, s'appelle honte. Ces affections de l'ame sont si naturelles & si nécessaires au bien de la société, qu'on a donné le nom d'impudence à leur privation; mais poussées à l'excès, elles peuvent être aussi pernicieuses qu'elles étoient utiles, renfermées dans de justes bornes. On en peut dire autant du desir des honneurs, qui est une noble émulation quand il est dirigé par la justice & la sagesse, & une ambition dangereuse quand on lui lâche la bride. Il en est de même de l'amour modéré des richesses, passion légitime si on les recherche par des voies honorables, & dans l'intention d'en faire un bon usage, mais qui poussée trop loin, est avarice, mot qui exprime deux passions différentes, suivant qu'on désire avec ardeur les richesses, ou pour les amasser sans en jouir, ou pour les dissiper.

Comme l'on n'a point de nom propre pour désigner cet amour modéré des richesses, l'on n'en a pas non plus pour marquer un amour modéré des plaisirs des sens. Le mot de volupté est en quelque sorte affecté à cette sorte de plaisirs. Le voluptueux est celui qui y est trop attaché; & si le goût que l'on a pour eux va trop loin, on appelle cette passion sensualité.

Il en est encore de même du desir raisonnable ou excessif des plaisirs de l'esprit; il n'y a pas de terme fixe pour les désigner. Celui qui les aime & qui s'y connoît, est un homme de goût; celui qui sait les procurer est un homme à talent.

Toutes ces passions se terminent à nous - mêmes, & portent sur l'amour de soi même. Cet état de l'ame qui l'occupe & l'affecte si vivement pour tout ce qu'il croit être relatif à son bonheur & à sa perfection. le le distingue de l'amour propre en ce que celui - ci subordonne tout à son bien particulier, se fait le centre

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