ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"848"> constant & plus étendu, & par la même raison le plomb doit avoir eu la préférence sur les autres métaux. Quelques auteurs ont admis sur ces faits un merveilleux que les hommes ont aimé de tous les tems à se persuader. Tel est celui qui a rapporté que l'iliade & l'odyssée avoient été écrites en lettres d'or sur le boyau d'un dragon, long de cent vingt piés. Mais comme les romans conservent toujours des parties d'usage & de vérité; on voit par - là que les anciens ont écrit sur des boyaux, ce qui, dans le fond est fort naturel. On peut avoir écrit des ouvrages sur l'ivoire, mais indépendamment de la rareté dont cette matiere étoit autrefois, les feuilles d'une épaisseur aussi médiocre que la chose est possible, auroient encore produit un poids excessif; dans la portée des feuilles ordinaires, elles se seroient rompues. Cependant il est certain que les Romains écrivoient sur des tablettes d'ivoire les lettres missives, & souvent leurs affaires domestiques, usage qui s'est même conservé jusqu'à nous.

On ne convient pas du tems où l'on a commencé à se servir du papyrus pour en faire du papier. Varron place cette découverte dans le tems des victoires d'Alexandre le Grand, lorsque ce prince eut fondé la ville d'Alexandrie en Egypte; mais Pline lui - même réfute le sentiment de Varron, & se fonde sur le témoignage de Cassius Hemina, ancien annaliste, qui dit que Cn. Terentius Scribe, travaillant à un fonds de terre qu'il avoit sur le Janicule, trouva dans une caisse de pierre les livres du roi Numa, écrits sur ce papier; & qu'ils s'étoient conservés jusqu'à ce temslà, sans pourriture, parce qu'ils étoient frottés d'huile de cedre, quoiqu'il y eût 535 ans qu'ils avoient été mis sous terre. Il rapporte encore que Mucien qui avoit été trois fois consul, assuroit qu'étant préfet de Lycie, il avoit vu dans un temple une lettre sur du papier d'Egypte, écrite de Troye par Sarpedon, roi de Lycie. Mais on a des autorités plus sûres, quoique moins anciennes, qui prouvent que le papier d'Egypte étoit en usage long - tems avant Alexandre le Grand; Guilandin cite Homere, Hérodote, Eschile, Platon, Anacréon, Alcée, &c.

Pline, liv. XIII. ch. xj. a décrit amplement la maniere dont les Egyptiens faisoient leur papier. Voici ce qu'il en rapporte. On sépare, dit - il, avec une éguille la tige du papyrus en lames ou feuillets fort minces, & aussi larges qu'il est possible, dont on compose les feuilles de papier. Les lames du milieu sont préférées, & ensuite selon l'ordre de la division. On étend les meilleures sur une table, en leur laissant toute la longueur qu'elles peuvent avoir, & coupant seulement ce qui déborde aux extrémités sur cette premiere feuille déliée, on en étend un autre en travers, & d'un autre sens. L'eau du Nil, dont on les humecte, sert de colle pour les joindre ensemble. On y emploie aussi quelquefois la colle même; ces feuilles ainsi colées sont mises à la presse, d'où on les retire pour les faire secher au soleil. Après cela, on les joint ensemble, les meilleures d'abord, ainsi à mesure, selon qu'elles diminuent de bonté; enfin les plus mauvaises; il n'y en a jamais plus de vingt dans une tige.

Ce papier, avant que d'être lavé, étoit anciennement appellé hiératique, sacré, & ne servoit que pour les livres de la religion. Ce même papier étant lavé prit le nom d'Auguste, & porta celui de Livie sa femme, après avoir été lavé une seconde fois; ainsi, le papier hiératique descendit du premier rang au troisieme; un autre, fort semblable, avoit été appellé amphithéatrique, du lieu où on le faisoit: porté à Rome dans la boutique de Fannius, dont les ouvriers étoient fort habiles, il fit de ce papier commun, rendu plus fin par une manoeuvre particuliere, un papier qui surpassoit les autres, & auquel on donna son nom: l'amphithéatrique, qui n'avoit pas été préparé de la même façon, conserva le sien.

La largeur du papier, continue Pline, varie extrémement; elle est de treize doigts dans le plus beau, de onze dans le hiératique, de dix dans celui de Fannius, de neuf dans le papier d'amphithéatre, & de moins encore dans celui de Saïs, qui a peine de soutenir le marteau; la largeur du papier des marchands ne passe pas six doigts. Ce qu'on regarde le plus dans le papier, c'est qu'il ait de la finesse, du corps, de la blancheur & du poli.

L'empereur Claude a privé du premier rang le papier d'Auguste, qui, beaucoup trop sin, ne soutenoit pas la plume du roseau: de plus, sa transparente faisoit craindre que les caracteres ne s'effaçassent les uns les autres, sans compter l'oeil désagréable d'une écriture qui s'apperçoit à - travers la feuille. Il augmenta aussi la largeur de la feuille, qui n'étoit auparavant que d'un pié: les feuilles les plus larges, appellées macrocolla, avoient une coudée de largeur; mais l'expérience découvrit l'inconvénient, lorsqu'en ôtant de la presse une seule de ces feuilles, un grand nombre de pages se trouverent gâtées; c'est pourquoi le papier d'Auguste continua d'être en usage pour les lettres particulieres, & le papier livien s'est maintenu dans l'usage où il étoit auparavant; mais le papier claudien fut préféré à tous les autres dans l'usage général, parce que, sans avoir les défauts du papier auguste, il avoit la solidité du papier livien.

On donne le poli au papier par le moyen de l'ivoire ou de la coquille; mais les caracteres sont sujets à se détacher. Le papier poli boit moins l'encre; mais il a plus d'éclat. Quand le papier, dès la premiere opération, n'a pas été trempé avec précaution, il se refuse souvent au trait de celui qui écrit. Ce défaut de soin se fait sentir sous le marteau, & même à l'odeur du papier. Lorsqu'il y a des taches, on les découvre à la simple vue; mais quand on a rapporté des morceaux pour boucher les trous, les fautes ou les déchirures; cette opération fait boire le papier, & l'on ne s'en apperçoit que dans le moment qu'on écrit. Telle est la mauvaise foi des ouvriers. Aussi prend - on la peine de donner une nouvelle façon à ce papier.

La colle ordinaire se prépare avec la fleur de farine détrempée dans de l'eau bouillante, sur laquelle on a jetté quelques goutes de vinaigre. Car la colle des menuisiers & la gomme sont cassantes; mais une meilleure préparation est celle qui se fait avec de la mie de pain levé, détrempé dans de l'eau bouillante, & passée par l'étamine; le papier devient par ce moyen le plus uni qu'il se peut faire & même plus lisse que la toile de lin. Au reste cette cole doit être employée un jour aprèsavoir été faite, ni plutôt, ni plus tard; ensuite on bat ce papier avec le marteau; on y passe une seconde fois de la colle, on le remet en presse pour le rendre plus lisse & uni, & on l'étend à coups de marteau. C'est ce papier qui donne une si longue durée aux ouvrages écrits de la propre main des Gracques, Tibérius & Caïus; je les ai vu chez Pomponius secundus, poëte & citoyen du premier mérite, près de deux cens ans après qu'ils avoient été écrits. Nous voyons communément ceux de Ciceron, Auguste, & de Virgile.

Les savans voudroient bien avoir à leur disposition cette bibliotheque de Pomponius secundus. Mais que diroit Pline, s'il voyoit, comme nous, des feuilles de papier d'Egypte, qui ont mille & douze cens ans d'antiquité?

On a vu dans ce détail de la traduction de Pline que pour les différentes especes de bon papier qui se fabriquoient en Egypte les lames du papyrus trempées dans l'eau du Nil, étoient tissues sur une table ou planche; mais il faut retrancher le mérite de cette eau comme étant du Nil; car toute eau de riviere eût [p. 849] été également bonne pour cette premiere préparation, qui consistoit à détremper les lames du papyrus, & à faciliter l'expression du suc qu'elles renfermoient; mais l'ivoire, la coquille, la dent de loup, l'opération du marteau, &c. étoient dus à la préparation donnée au papier par les marchands de Rome. Pour ce qui est de la colle, comme les Egyptiens en connoissoient l'usage, il est vraissemblable qu'ils l'ont appliqué à celui du papier, dont l'emploi étoit également varié & étendu.

Les papiers d'Auguste, de Livie, de Faunius, d'amphithéatre, en fin tous ceux qui portoient les dénominations romaines, étoient constamment faits avec le papyrus d'Egypte; mais préparés & travaillés de nouveau à Rome. Le plus grand avantage de ces papiers ne consistoit que dans la façon dont ils étoient battus, lavés, &c. On apperçoit par le récit de Pline, une grande différence dans les grandeurs de chaque feuille, en les comparant au papier fabriqué en Egypte; on voit même que les papiers travaillés à Rome, sont de mesures variées; mais en général plus petites. Enfin il ne faut pas douter que la manufacture du papier d'Egypte n'ait été beaucoup perfectionnée en Europe. Cassiodore fait l'éloge des feuilles de papyrus employées de son tems. Il dit qu'elles étoient blanches comme la neige, & composées d'un grand nombre de petites pieces, sans qu'il parût aucune jointure. On avoit perfectionné l'art dont parle Ovide dans le I. liv. des tristes, de polir le papier avec la pierre - ponce

Mais comme malgré tous ces soins on ne pouvoit éviter que les feuilles de papier trop fragiles pour se soutenir, ne vînssent à dépérir en peu de tems, sur - tout quand on les employoit à faire des livres; on s'avisa de les entremêler de feuilles de parchemin sur lesquels l'écriture étoit continuée, de sorte qu'après quatre, cinq, six, ou quelquefois sept feuilles de papier d'Egypte, on mettoit deux feuilles de parchemin. On conserve à l'abbaye de S. Germain des près une partie des épitres de S. Augustin, écrites de cette maniere sur du papier d'Egypte, entre - mêlés de feuilles de parchemin. C'est un vieux manuscrit, auquei on donne environ 1100 - ans. Les lettres y sont encore en bon état, & l'encre sans s'éteindre a conservé sa noirceur.

Les Egyptiens faisoient dans tout le monde un grand commerce de leur papier; ce commerce augmenta sur la fin de la république, & devint encore plus florissant sous le regne d'Auguste; aussi comme le débit de ce papier étoit prodigieux pour les nations étrangeres, on en manquoit quelquefois à Rome; c'est ce ce qu'on vit arriver du tems de Tibere; comme on ne reçut à Rome qu'une petite quantité de papier d'Egypte; cet événement causa du tumulte, & le sénat nomma des commissaires, pour en distribuer à chacun selon ses besoins, autant que la disette le permettoit. Plutarque fait voir combien le trafic de ce papier étoit grand, quand il dit dans son traité Colotès: « Ne faudroit - il pas que le Nil manquât de papyrus avant que ces gens - là cessassent d'écrire »? L'empereur Hadrien, dans sa lettre à Servien, consul, que Vopisque nous a conservée, met entre les principaux arts qu'on exerçoit à Alexandrie, celui de faire des feuilles à écrire. C'est une ville riche & & opulente, dit - il, où personne ne vit dans l'oisiveté. Les uns travaillent en verre, les autres font des feuilles à écrire; d'autres de la toile: on les voit tous vacquer à toutes sortes de métiers. Il y a là de l'ouvrage pour les goutteux, & pour les aveugles; ceux mêmes qui ont la chiragre ou la goutte aux mains, n'y manquent pas d'exercice. Sous les Antonins ce commerce continua dans la même forme. Apulée dit au commencement de ses métamorphoses, qu'il écrit sur du papier d'Egypte, avec une canne du Nil; car c'étoient le Nil & Memphis qui fournissoient la plûpart des cannes dont on se servoit, comme on se sert aujour d'hui de plumes.

Les empereurs se servoient des feuilles de papiet d'Egypte pour écrire leurs lettres & leurs mémoires. Domitien, dit Dion, écrivit les noms de ceux qu'il vouloit faire mourir sur une feuille double de philyre; car, selon Hérodien, ces sortes de feuilles simples étoient fort minces. Le commerce de ce papier étoit si grand vers la fin du iij. siecle, que le tyran Firmus s'étant emparé de l'Egypte, se vantoit qu'il avoit assez de papier & de colle pour nourrir son armée; c'étoit apparemment du prix qu'il retireroit de la vente de ce papier que Firmus prétendoit être en état de nourrir son armée.

S. Jerome nous apprend que l'usage de ce papier d'Egypte étoit toujours le même dans le v. siecle où il vivoit: Le papier ne vous a pas manqué, dit - il, dans sa lettre à Chromace, puisque l'Egypte continue son commerce ordinaire. Les impôts sur le papier étant trop grands sur la fin du même siecle, ou au commencement du suivant, Théodoric, roi d'Italie, prince modéré & équitable, en déchargea le public. Ce fut sur cela que Cassiodore écrivit la 38 lettre de son XI. liv. où il semble féliciter toute la terre de la décharge de cet impôt, sur une marchandise si nécessaire à tout le genre humain.

Le vj. slecle, selon les PP. Monfaucon & Mabillon, fournit aussi des monumens écrits sur le papier d'Egypte. Ils citent une charte appellée charta plenarioe securitatis de l'empereur Justinien; le P. Mabillon l'a fait imprimer peu de tems avant sa mort avec la forme des caracteres; ce monument singulier est à la bibliotheque du roi de France.

Le P. Montfaucon dit aussi avoir vu, en 1698, à Venise dans la bibliotheque du procurateur Julio Justiniani, trois ou quatre fragmens de papier d'Egypte, dont l'écriture étoit du même siecle; mais dont on ne pouvoit rien tirer, parce que c'étoit des morceaux rompus où l'on ne trouvoit aucune suite. Le P. Mabillon parle dans sa diplomatique d'un autre manuscrit, qu'il croit être du même siecle, & qui étoit autrefois de la bibliotheque de M. Petau. Mais le P. Montsaucon n'a jamais pu voir ce manuscrit. Il cite en échange un manuscrit en papier d'Egypte qu'on conserve à la bibliotheque de S. Ambroise de Milan, & qui contient quelques livres des antiquités judaïques de Josephe en latin. Il donne à ce manuscrit àpeu - près la même antiquité; mais il l'a trouvé en assez mauvais état.

Le même pere dit avoir vu dans la bibliotheque de S. Martin de Tours les restes d'un vieux livre grec écrit sur du papier d'Egypte, & qui lui parut être du vij. siecle. Ce manuscrit n'avoit ni accent, ni esprit.

Il croit encore que l'évangile de S. Marc, qu'on garde dans le trésor de Venise, est écrit sur des feuilles de papier d'Egypte, qui lui ont paru cependant beauçoup plus délicates qu'aucune autre. Il pense que c'est le plus ancien de tous les manuscrits, & qu'on ne hasarde guere en disant qu'il est au plus tard du iv siecle. Ce manuscrit est presque tout effacé, & si pourri, que les feuilles étant toutes collées l'une contre l'autre, on ne peut tenter de tourner un feuillet sans que tout s'en aille en pieces; enfin, ajoute - t - il, on n'y sauroit lire deux mots de suite.

On se servoit, selon le même pere, en France, en Italie, & dans d'autres pays de l'Europe, du papier d'Egypte pour des lettres ou des actes publics. Il en reste encore, dit - il, un assez grand nombre dans les abbayes & dans les archives des églises, comme à S. Denis, à Corbie, à l'abbaye de Grasse, & en d'autres endroits.

Il est vraissemblable que l'invention du papier de coton, dont nous parlerons séparement, a fait tom<pb->

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