ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"534"> moins, & ont été invités par lui - même à le tromper. Ainsi ma pensée est qu'on n'a point mis d'abord des oracles dans la Béotie, parce qu'elle est montagneuse; mais que l'oracle de Delphes ayant une fois pris naissance dans la Béotie, les autres, que l'on fit à son imitation dans le même pays, furent mis dans des cavernes, parce que les prêtres en avoient reconnu Ia commodité.

Cet usage ensuite se répandit presque par - tout. Le prétexte des exhalaisons divines rendoit les cavernes nécessaires; & il semble de plus que les cavernes inspirent d'elles - mêmes je ne sais quelle horreur, qui n'est pas inutile à la superstition. Peut être la situation de Delphes a - t - elle bien servi à la faire regarder comme une ville sainte. Elle étoit à moitié chemin de la montagne du Parnasse, bâtie sur un peu de terre plaine, & environnée de précipices, qui la fortifioient sans le secours de l'art. La partie de la montagne qui étoit au - dessus, avoit à - peu - près la figure d'un théâtre, & les cris des hommes, & le son des trompettes se multiplioient dans les rochers.

La commodité des prêtres & la majesté des oracles, demandoient donc également des cavernes; aussi ne voyez - vous pas un si grand nombre de temples prophétiques en plat pays: mais s'il y en avoit quelques - uns, on savoit bien remédier à ce défaut de leur situation. Au lieu de cavernes naturelles, on en faisoit d'artificielles; c'est - à - dire de ces sanctuaires qui étoient des especes d'antres, où résidoit particulierement la divinité, & où d'autres que les prêtres n'entroient jamais.

Dans ces sanctuaires ténébreux étoient cachées toutes les machines des prêtres, & ils y entroient par des conduits souterrains. Rufin nous décrit le temple de Sérapis tout plein de chemins couverts; & pour rapporter un témoignage encore plus fort que le sien, l'Ecriture sainte ne nous apprend - elle pas comment Daniel découvrit l'imposture des prêtres de Belus, qui savoient bien rentrer secrétement dans son temple, pour prendre les viandes qu'on y avoit offertes? Il s'agit là d'un des miracles du paganisme qui étoit cru le plus universellement, de ces victimes que les dieux prenoient la peine de venir manger eux - mêmes. L'Ecriture attribue - t - elle ce prodige aux démons? Point du tout, mais à des prêtres imposteurs; & c'est - là la seule fois où l'Ecriture s'étend un peu sur un prodige du paganisme: & en ne nous avertissant point que tous les autres n'étoient pas de la même nature, elle nous donne à entendre fort clairement qu'ils en étoient. Combien après tout, devoit - il être plus aisé de persuader aux peuples que les dieux descendoient dans des temples pour leur parler, leur donner des instructions utiles, que de leur persuader qu'ils venoient manger des membres de chevres & de moutons? Et si les prêtres mangeoient en la place des dieux, à plus forte raison pouvoient - ils parler aussi en leur place.

Les prêtres pour mieux jouer leur jeu, établirent encore de certains jours malheureux, où il n'étoit point permis de consulter l'oracle. Par ce moyen, ils pouvoient renvoyer les consultans lorsqu'ils avoient des raisons de ne pas répondre; ou bien pendant ce tems de silence, ils prenoient leurs mesures, & faisoient leurs préparatifs.

A l'occasion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus jolis oracles qui ait jamais été. Il étoit allé à Delphes pour consulter le dieu; & la prêtresse qui prétendoit qu'il n'étoit point alors permis de l'interroger, ne vouloit point entrer dans le temple. Alexandre qui étoit impérieux, la prit par le bras pour l'y mener de force; & elle s'écria: Ah, mon fils, on ne peut te résister! Je n'en veux pas davantage, dit Alexandre, cet oracle me suffit.

Les prêtres avoient encore un secret pour gagner du tems, quand il leur plaisoit. A vant que de consulter l'oracle il falloit sacrifier; & si les entrailles des victimes n'étoient point heureuses, le dieu n'étoit point en état de répondre: Et qui jugeoit des entrailles des victimes? Les prêtres. Le plus souvent même, ainsi qu'il paroît par beaucoup d'exemples, ils étoient seuls à les examiner; & tel qu'on obligeoit à recommencer le sacrifice, avoit pourtant immolé un animal dont le coeur & le foie étoient les plus beaux du monde.

Les prêtres firent mieux encore, ils établirent certains mysteres qui engageoient à un secret inviolable ceux qui y étoient initiés: il n'y avoit personne à Delphes qui ne se trouvât dans ce cas. Cette ville n'avoit point d'autre revenu que celui de son temple, & ne vivoit que d'oracles; or les prêtres s'assuroient de tous les habitans, en se les attachant par le double lien de l'intérêt & de la superstition. On eût été bien reçu à parler contre les oracles d'Apollon dans une telle ville!

Ceux qu'on initioit aux mysteres, donnoient des assurances de leur discrétion. Ils étoient obligés à faire aux prêtres une confession de tout ce qu'il y avoit de plus caché dans leur vie; & c'étoit après cela à ces pauvres initiés à prier les prêtres de leur garder le secret.

Ce fut sur cette confession qu'un lacédémonien, qui s'alloit faire initier aux my steres de Samothrace, dit brusquement aux prêtres qui l'interrogeoient: « Si j'ai fait des crimes, les dieux le savent bien ». Un autre répondit à - peu - près de la même façon. « Est - ce à toi, ou au dieu qu'il faut confesser ses crimes? C'est au dieu, dit le prêtre: Et bien retire - toi donc, reprit le lacédémonien, je les confesserai au dieu ». Ces deux lacédémoniens, qui à - coup - sûr, ne furent pas reçus, pensoient précisement sur la confession des crimes qu'exigeoient les prêtres, ce que les Anglois pensent sur la confession des péchés dans le Christianisme.

Mais sans s'étendre davantage sur les artifices des oracles, il vient naturellement dans l'esprit une question difficile à résoudre; savoir, pourquoi les démons ne prédisoient l'avenir que dans des trous, dans des cavernes & dans des lieux obscurs? Et pourquoi ils ne s'avisoient jamais d'animer une statue, ou de faire parler une prêtresse dans un carrefour, exposé de toutes parts aux yeux de tout le monde?

On pourroit imaginer que les oracles qui se rendoient sur des billets cachetés, & plus encore ceux qui se rendoient en songe, avoient besoin de démons; mais il nous seroit aisé de faire voir qu'ils n'avoient rien de plus miraculeux que les autres.

Les prêtres n'étoient pas scrupuleux jusqu'au point de n'oser décacheter les billets qu'on leur apportoit; il falloit qu'on les laissât sur l'autel, après quoi on fermoit le temple, où les prêtres savoient rentrer sans qu'on s'en apperçût; ou bien il falloit mettre ces billets entre les mains des prêtres, afin qu'ils dormissent dessus, & reçussent en songe la réponse. Or dans l'un & l'autre cas, ils avoient le loisir & la liberté de les ouvrir. Ils savoient pour cela plusieurs secrets, dont quelques - uns furent mis en pratique par le faux prophete de Lucien. On peut les voir dans cet auteur même, si l'on est curieux d'apprendre comment on s'y prenoit pour décacheter les billets sans qu'il y parût. C'est à - peu - près la même méthode qui est aujourd'hui en usage dans les bureaux des postes.

Les prêtres qui n'osoient se hasarder à décacheter les billets, tâchoient de savoir adroitement ce qui amenoit les gens à l'oracle. D'ordinaire c'étoit des personnes considérables, méditant quelque [p. 535] dessein, ou animés de quelque passion assez connue. Les prêtres avoient tant de commerce avec eux à l'occasion des sacrifices, avant que l'oracle parlât, qu'il n'étoit pas trop difficile de tirer de leur bouche, ou du moins de conjecturer quel étoit le sujet de leur voyage. On leur faisoit recommencer sacrifices sur sacrifices, jusqu'à ce qu'on se fût éclairci. On les mettoit entre les mains de certains menus officiers du temple, qui sous prétexte de leur en montrer les antiquités, les statues, les peintures, les offrandes, avoient l'art de les faire parler sur leurs affaires. Ces antiquaires, pareils à ceux qui vivent aujourd'hui de ce métier en Italie, se trouvoient dans tous les temples un peu considérables. Ils savoient par coeur tous les miracles qui s'y étoient faits; ils vous faisoient bien valoir la puissance & les merveilles du dieu; ils vous contoient fort au long l'histoire de chaque présent qu'on lui avoit consacré. Sur cela Lacien dit assez plaisamment, que tous ces gens - là ne vivoient & ne subsistoient que de fables; & que dans la Grece on eût été bien fâché d'apprendre des vérités dont il n'eût rien couté. Si ceux qui venoient consulter l'oracle ne parloient point, leurs domestiques se taisoient - ils?

Il faut savoir que dans une ville à oracle, il n'y avoit presque que des officiers de l'oracle. Les uns étoient prophetes & prêtres; les autres poëtes, qui habilloient en vers les oracles rendus en prose; les autres simples interpretes; les autres petits sacrificateurs, qui immoloient les victimes, & en examinoient les entrailles; les autres vendeurs de parfums & d'encens, ou de bêtes pour les sacrifices; les autres antiquaires; les autres enfin n'étoient que des hôtelliers, que le grand abord des étrangers enrichissoit. Tous ces gens - là étoient dans les intérêts de l'oracle & du dieu; & si par le moyen des domestiques des étrangers ils découvroient quelque chose qui fût bon à savoir, vous ne devez pas douter que les prêtres n'en fussent avertis.

Le nombre est fort grand des oracles qui se rendoient par songes; cette maniere n'étoit pas plus difficile que les autres dans la pratique; mais comme le plus fameux de tous ces oracles étoit celui de Trophonius dans la Béotie, voyez Oeacle de Trophonius.

Nous observerons seulement ici qu'entre les oracles qui se rendoient par les songes, il y en avoit auxquels il falloit se préparer par des jeûnes, comme celui d'Amphiaraüs dans l'Attique; si vos songes ne pouvoient pas recevoir quelqu'interprétation apparente, on vous faisoit dormir dans le temple sur nouveaux frais; on ne manquoit jamais de vous remplir l'esprit d'idées propres à vous faire avoir des songes, où il entrât des dieux & des choses extraordinaires. Enfin, on vous faisoit dormir le plus souvent sur des peaux de victimes, qui pouvoient avoir été frottées de quelque drogue propre à étourdir le cerveau.

Quand c'étoit les prêtres, qui en dormant sur les billets cachetés, avoient eux - mêmes les songes prophétiques, il est clair que la chose est encore plus aisée à expliquer. Dès qu'on étoit assez stupide pour se contenter de leurs songes, & pour y ajouter foi, il n'étoit pas besoin qu'ils laissassent aux autres la liberté d'en avoir. Ils pouvoient se réserver ce droit à eux seuls, sans que personne y trouvât à redire.

Un des plus grands secrets des oracles, & une des choses qui marque clairement que les hommes les rendoient, c'est l'ambiguité des réponses, & l'art qu'on avoit de les accommoder à tous les événemens qu'on pouvoit prévoir. Vous en trouverez un exemple dans Arrian, liv. VII. sur la maladie d'Alexandre à Babylone. Macrobe en cite un au<cb-> tre sur Trajan, quand il forma le dessein d'aller attaquer les Parthes. On porta pour réponse à cet empereur une vigne mise en morceaux. Trajan mourut à cette guerre; & ses os reportés à Rome (sur quoi l'on fit tomber l'explication de l'oracle) étoient assurément la seule chose, à quoi l'oracle n'avoit point pensé. Ceux qui recevoient ces oracles ambigus, prenoient volontiers la peine d'y ajuster l'événément, & se chargeoient eux - mêmes de le justifier. Souvent ce qui n'avoit eu qu'un sens dans l'intention de celui qui avoit rendu l'oracle, se trouvoit en avoir deux après l'evénement; & le fourbe pouvoit se reposer sur ceux qu'il dupoit, du soin de sauver son honneur.

Il n'est plus question de deviner les finesses des prêtres, par les moyens qui pourroient eux - mêmes paroître trop fins. Un tems a été qu'on les a découvertes de toutes parts aux yeux de toute la terre; ce fut quand la religion chiétienne triompha hautement du paganisme sous les empereurs chrétiens.

Théodoret dit que Théophile évêque d'Alexandrie fit voir à ceux de cette ville les statues creuses, où les prêtres entroient par des chemins cachés pour y rendre les oracles. Lorsque par l'ordre de Constantin on abattit le temple d'Esculape à Egès en Cilicie; on en chassa, dit Eusebe dans la vie de cet empereur, non pas un dieu ni un démon, mais le fourbe qui avoit si long - tems imposé à la crédulité des peuples. A cela il ajoûte en général que dans les simulacres des dieux abattus, on n'y trouvoit rien moins que des dieux ou des démons, non pas même quelques malheureux spectres obscurs & ténébreux, mais seulement du foin, de la paille, ou des os de morts.

La plus grande difficulté qui regarde les oracles, est surmontée depuis que nous avons reconnu que les démons n'ont point dû y avoir de part. Les oracles étant ainsi devenus indifférens à la religion chrétienne, on ne s'intéressera plus à les faire finir précisément à la venue de Jesus - Christ. D'ailleurs nous avons plusieurs preuves qui font voir que les oracles ont duré plus de 400 ans après Jesus - Christ, & qu'ils ne sont devenus tout - à - fait muets qu'avec l'entiere destruction du paganisme.

Suétone, dans la vie de Néron, dit que l'oracle de Delphes l'avertit qu'il se donnât de garde des 73 ans, que Néron crut qu'il ne devoit mourir qu'à cet âge - là, & ne songea point au vieux Galba qui étant âgé de 73 ans lui ôta l'empire. Cela le persuada si bien de son bonheur, qu'ayant perdu par un naufrage des choses d'un tres - grand prix, il se vanta que les poissons les lui rapporteroient.

Philostrate, dans la vie d'Apollonius de Thyane, qui a vu Domitien, nous apprend qu'Apollonius visita tous les oracles de la Grece, & celui de Dodone, & celui de Delphes, & celui d'Amphiaraüs.

Plutarque qui vivoit sous Trajan, nous dit que l'oracle de Delphes étoit encore sur pié, quoique réduit à une seule prêtresse, après en avoir eu deux ou trois.

Sous Adrien, Dion Chrysostome raconte qu'il consulta l'oracle de Delphes; & il en rapporta une réponse qui lui parut assez embarrassée, & qui l'est effectivement.

Sous les Antonins, Lucien assure qu'un prêtre de Thyane alla demander à ce faux prophete Alexandre, si les oracles qui se rendoient alors à Didyme, à Claros & à Delphes, étoient véritablement des réponses d'Apollon, ou des impostures. Alexandre eut des égards pour ces oracles qui étoient de la nature du sien, & répondit au prêtre, qu'il n'étoit pas permis de savoir cela. Mais quand cet habile prêtre demanda ce qu'il seroit après sa mort, on

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