RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
ORACLE (Page 11:531)
ORACLE, s. m. (Théolog. payenne.) Séneque définit les oracles la volonté des dieux annoncée par la bouche des hommes. Quoique cette définition soit fort différente de celle que je donnerois, il est toujours constant que la plus auguste & la plus réligieuse espece de prédiction dans l'antiquité payenne étoit les oracles. Le desir si vif & si inutile de connoître l'avenir leur donna naissance, l'imposture les accrédita, & le fanatisme y mit le sceau.
On ne se contenta pas de faire rendre des oracles à tous les dieux, ce privilege passa jusqu'aux héros, tant on avoit besoin de mettre à profit l'insatiable curiosité des hommes. Outre les oracles de Delphes & de Claros que rendoit Apollon, & ceux de Dodone & d'Ammon en l'honneur de Jupiter, Mars eut un oracle dans la Thrace, Mercure à Patras, Vénus à Paphos & à Aphaca, Minerve à Micènes, Diane dans la Colchide, Pan en Arcadie, Esculape à Epidaure & à Rome, Hercule à Athènes & à Cadès, Sérapis à Alexandrie, Trophonius dans la Béotie, &c.
Ils ne se rendoient pas tous de la même maniere. Ici c'étoit la prêtresse ou le prêtre qui répondoit pour le dieu que l'on consultoit; là c'étoit le dieu qui parloit lui - même. Dans un autre endroit on obtenoit la réponse du dieu par des songes. Ailleurs, l'oracle se rendoit sur des billets cachetés, ou par les sorts, comme à Préneste. Enfin, il falloit quelquefois, pour se rendre digne de l'oracle, beaucoup de jeûnes, de sacrifices, de lustrations, des mysteres, &c.
Mon dessein n'est pas de traiter ici directement l'histoire des oracles, on pourra consulter leurs articles particuliers; mais je me propose principalement de combattre l'opinion qui les attribue aux démons, & l'effet cessé à la venue de J. C. L'Ecriture - sainte ne nous apprend en aucune maniere que les oracles aient été rendus par les démons, & dès - lors c'est un de ces sujets que la sagesse divine a jugé assez indifférens pour l'abandonner à nos petites recherches. Celles de M. de Fontenelle, sans être originales, sont si judicieusement écrites, que je les ai choisies pour en donner le précis dans ce [p. 532]
Les anciens chrétiens ont pensé que les oracles étoient rendus par les démons, à cause de quelques histoires surprenantes d'oracles qu'on croyoit ne pouvoir attribuer qu'à des génies. Telle étoit l'histoire du pilote Thamus au sujet du grand Pan, rapportée dans Plutarque; telle étoit encore celle du roi Thulis, celle de l'enfant hébreu à qui tous les dieux obéissent; & quelques autres qu'Eusebe a tirées des écrits même de Porphire. Sur de pareilles histoires, on s'est persuadé que les démons se mêloient des oracles.
Les démons étant une fois constans par le Christianisme, il a été assez naturel de leur donner le plus d'emploi qu'on pouvoit, & de ne les pas épargner pour les oracles, & les autres miracles payens qui sembloient en avoir besoin. Par - là on se dispensoit d'entrer dans la discussion des faits, qui eût été longue & difficile; & tout ce qu'ils avoient de surprenant & d'extraordinaire, on l'attribuoit à ces démons, que l'on avoit en main. Il sembloit qu'en leur rapportant ces événemens, on confirmât leur existence, & la religion même qui nous la revele.
Cependant les histoires surprenantes qu'on débitoit sur les oracles doivent être fort suspectes. Celle de Thamus, à laquelle Eusebe donne sa croyance, & que Plutarque seul rapporte, est suivie dans le même historien d'un autre conte si ridicule, qu'il suffiroit pour la décréditer entierement; mais de plus, elle ne peut recevoir un sens raisonnable. Si ce grand Pan étoit un démon, les démons ne pouvoient - ils se faire savoir sa mort les uns aux autres sans y employer Thamus? Si ce grand Pan étoit J. C. comment personne ne fut - il désabusé dans le paganisme, & comment personne ne vint - il à penser que le grand Pan fût J. C. mort en Judée, si c'étoit Dieu lui - même qui forçoit les démons à annoncer cette mort aux payens?
L'histoire de Thulis, dont l'oracle, dit - on, est positif sur la Trinité, n'est rapporté que par Suidas, auteur qui ramasse beaucoup de choses, mais qui ne les choisit guere. Son oracle de Sérapis péche de la même maniere que les livres des sibylles par le trop de clarté sur nos mysteres; de plus ce Thulis, roi d'Egypte, n'étoit pas assurément un des Ptolomées. Enfin, que deviendra tout l'oracle, s'il faut que Sérapis soit un dieu qui n'ait été amené en Egypte que par un Ptolomée qui le fit venir de Pont, comme beaucoup de savans le prétendent sur des apparences très - fortes. Du moins il est certain qu'Hérodote, qui aime tant à discourir sur l'ancienne Egypte, ne parle point de Sérapis, & que Tacite conte tout au long comment & pourquoi un des Ptolomées fit venir de Pont le dieu Sérapis, qui n'étoit alors connu que là.
L'oracle rendu à Auguste sur l'enfant hébreu, n'est point du tout recevable. Cedrenus le cite d'Eusebe, & aujourd'hui il ne s'y trouve plus. Il ne seroit pas impossible que Cédrenus citât à faux ou citât quelque ouvrage faussement attribué à Eusebe. Mais quand Eusebe dans quelque ouvrage, qui ne seroit pas venu jusqu'à nous, auroit effectivement parlé de l'oracle d'Auguste, Eusebe lui - même se trompoit quelquefois, & on en a des preuves constantes. Les premiers défenseurs du Christianisme, Justin, Tertullien, Théophile, Tatien auroient - ils gardé le silence sur un oracle si favorable à la religion? Etoient - ils assez peu peu zélés pour négliger cet avantage? Mais ceux même qui nous donnent cet oracle, le gâtent, en y ajoutant qu'Auguste, de retour à Rome, fit élever dans le capitole un autel avec cette inscription: C'est ici l'autel du fils unique de Dieu. Où
Enfin, ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'Auguste, depuis le voyage qu'il fit en Grece, dix - neuf ans avant la naissance de J. C. n'y retourna jamais; & même lorsqu'il en revint, il n'étoit gueres dans la disposition d'élever des autels à d'autres dieux qu'à lui; car il souffrit non - seulement que les villes d'Asie lui en élevassent, & lui célebrassent des jeux sacrés, mais même qu'à Rome on consacrât un autel à la fortune, qui étoit de retour, fortunoe reduci, c'est - à - dire, à lui - même, & que l'on mît le jour d'un retour si heureux entre les jours de fêtes.
Les oracles qu'Eusebe rapporte de Porphire attaché au paganisme, ne sont pas plus embarrassans que les autres. Il nous les donne dépouillés de tout ce qui les accompagnoit dans les écrits de Porphire. Que savons - nous si ce payen ne les refutoit pas? Selon l'intérêt de sa cause il le devoit faire, & s'il ne l'a pas fait, assurément il avoit quelque intention cachée, comme de les présenter aux chrétiens à dessein de se mocquer de leur crédulité, s'ils les recevoient pour vrais, & s'ils appuyoient leur religion sur de pareils fondemens.
L'opinion autrefois commune sur les oracles opérés par les démons, décharge le paganisme d'une bonne partie de l'extravagance, & même de l'abomination que les saints peres y ont toujours trouvée. Les Payens devoient dire, pour se justifier, que ce n'étoit pas merveille qu'ils eussent obéi à des génies qui animoient des statues, & faisoient tous les jours cent choses extraordinaires; & les Chrétiens, pour leur ôter toute excuse, ne devoient jamais leur accorder ce point. Si toute la religion payenne n'avoit été qu'une imposture des prêtres, le Christ anisme profitoit de l'excès du ridicule où elle tomboit.
Aussi y a - t - il bien de l'apparence que les disputes des Chrétiens & des Payens étoient en cet état, lorsque Porphire avouoit si volontiers que les oracles étoient rendus par de mauvais démons. Ces mauvais démons lui étoient d'un double usage. Il s'en servoit à rendre inutiles, & même désavantageux à la religion chrétienne les oracles dont les Chrétiens prétendoient se parer; mais de plus, il rejettoit sur ces gens cruels & artificieux toute la folie, & toute la barbarie d'une infinité de sacrifices, que l'on reprochoit sans cesse aux Payens. C'est donc prendre les vrais intérêts du Christianisme, que de soutenir que les démons n'ont point été les auteurs des oracles.
Si au milieu de la Grece même, où tout retentissoit d'oracles, nous avions soutenu que ce n'étoit que des impostures, nous n'aurions étonné personne par la hardiesse de ce paradoxe, & nous n'aurions point eu besoin de prendre des mesures pour le débiter secrétement. La Philosophie s'étoit partagée sur le fait des aracles; les Platoniciens & les Stoiciens tenoient leur parti, mais les Cyniques, les Péripatéticiens, les Epicuriens s'en moquoient hautement. Ce qu'il y avoit de miraculeux dans les oracles; ne l'étoit pas tant que la moitié des savans de la Grece ne fussent encore en liberté de n'en rien croire, & cela malgré le préjugé commun à tous les Grecs, qui mérite d'être compté pour quelque chose. Eusebe nous dit que six cent personnes d'entre les payens avoient écrit contre les oracles, & nomme entre autres un certain OEnomaüs, dont il nous a conservé quelques fragmens, dans lesquels on voit cet OEnomaüs argumenter sur chaque oracle, contre le dieu qui l'a rendu, & le prendre lui - même à partie.
Ce ne sont pas les Philosophes seuls qui dans le paganisme, ont fait souvent assez peu de cas des [p. 533]
Les anciens chrétiens n'ont pas tous oru que les
oracles fussent rendus par les démons. Plusieurs d'entr'eux ont souvent reproché aux payens qu'ils
étoient joués par leurs prêtres. Voici comme en
parle Clément d'Alexandrie; & les écrivains polis
trouveront même que c'est d'un ton bien dur.
Eusebe étale à son tour d'excellentes raisons pour prouver que les oracles ont pu n'être que des impostures; & si néanmoins il vient à les attribuer au démon, c'est par l'effet d'un préjugé pitoyable, ou pour s'accommoder au tems, & par un respect forcé pour l'opinion commune. Les payens n'avoient garde de consentir que leurs oracles ne fussent qu'un artifice de leurs prêtres. On crut donc, par une mauvaise maniere de raisonner, gagner quelque chose dans la dispute, en leur accordant que quand même il y auroit eu du surnaturel dans leurs oracles, cet ouvrage n'étoit pas celui de la divinité, mais des démons.
Si les démons rendoient les oracles, les démons ne manquoient pas de complaisance pour les princes qui étoient une fois devenus redoutables. La Pythie philippise, disoit plaisamment Démosthene, lorsqu'il se plaignoit que les oracles de Delphes étoient toujours conformes aux intérêts de Philippe. On sait aussi que l'enfer avoit bien des égards pour Alexandre & pour Auguste. Quelques historiens disent nettement qu'Alexandre voulut être fils de Jupiter ammon, & pour l'intérêt de sa vanité, & pour l'honneur de sa mere qui étoit soupçonnée d'avoir eu quelques amans moins considérables que Jupiter. Ainsi avant que d'aller au temple, il fit avertir le dieu de sa volonté, & le dieu le fit de fort bonne grace.
Auguste éperdument amoureux de Livie, l'enleva à son mari toute grosse qu'elle étoit, & ne se donna pas le loisir d'attendre qu'elle fût accouchée pour l'épouser. Comme l'action étoit un peu extraordinaire, on en consulta l'oracle; l'oracle qui savoit faire sa cour, ne se contenta pas d'approuver Auguste, il assura que jamais un mariage ne réussissoit mieux, que quand on épousoit une femme dejà grosse.
Les oracles qu'on établissoit quelquefois de nou<cb->
Adrien fit les mêmes folies pour son mignon Antinoüs. Il bâtit en mémoire de lui la ville d'Antinopolis, lui donna des temples & des prophetes, dit S. Jérôme. Or il n'y avoit des prophetes que dans les temples à oracles. Nous avons encore une inscription greque qui porte: A Antinous, le compagnon des dieux d'Egypte, M. Ulpius Apollinius son prophete.
Après cela, on ne sera pas surpris qu'Auguste ait aussi rendu des oracles, ainsi que nous l'apprenons dé Prudence. Assurément Auguste valoit bien Antinoüs & Ephestion, qui selon toutes les apparences, ne dûrent leur divinité qu'à leur beauté.
Mais qui doute du prodigieux succès qu'auroient aujourd'hui quelques rois qui se mettroient en tête de fonder des oracles dans leurs états, & de les accréditer? Il faudroit avoir mal étudié l'esprit humain, pour ne pas connoître la force que le merveilleux a sur lui. La croyance aux miracles de certaines reliques, dont plusieurs villes se disputent la possession, vaut bien la confiance que le peuple payen avoit aux oracles. Etablissez ici l'existence d'une rélique, il s'en établira cent dans l'étendue de la chrétienté. Si les dieux prédisoient à Delphes, pourquoi n'auroient - ils pas prédit à Athènes? Les peuples avides de l'utilité qu'ils esperoient des oracles, ne demandoient qu'à les voir multipliés en tous lieux.
Ajoutez à ces réflexions que dans le tems de la premiere institution des oracles, l'ignorance étoit beaucoup plus grande qu'elle ne fut dans la suite. La Philosophie n'étoit pas encoré née, & les superstitions les plus extravagantes n'avoient aucune contradiction à essuyer de sa part. Il est vrai que ce qu'on appelle le peuple, n'est jamais fort éclairé; cependant la grossiereté dont il est toujours, reçoit encore quelques différences selon les siecles; du moins il y en a où tout le monde est peuple, & ceux - là sont sans comparaison les plus favorables à l'établissement des erreurs.
On pourroit prouver invinciblement que les oracles n'etoient rendus que par des prêtres, en dévoilant leurs artifices, & le détail n'en seroit pas ennuyeux; mais il faut pour abréger nous restraindre à des généralités sur cet article.
Remarquez d'abord que les pays montagneux, & par conséquent pleins d'antres & de cavernes, se trouvoient les plus abondans en oracles. Telle étoit la Béotie qui anciennement, dit Plutarque, en avoit une très - grande quantité. On sait d'un autre côté, que les Béotiens passoient pour être les plus sottes gens du monde; c'étoit là un bon pays pour les oracles, des sots & des cavernes.
Je n'imagine pas cependant que le premier établissement des oracles, ait été une imposture méditée; mais le peuple tomba dans quelque superstition qui donna lieu à des gens un peu plus rafinés d'en profiter: car les sotises du peuple sont telles, assez souvent, qu'elles n'ont pu être prévues, & quelquefois ceux qui le trompoient, ne songeoient à rien [p. 534]
Cet usage ensuite se répandit presque par - tout. Le prétexte des exhalaisons divines rendoit les cavernes nécessaires; & il semble de plus que les cavernes inspirent d'elles - mêmes je ne sais quelle horreur, qui n'est pas inutile à la superstition. Peut être la situation de Delphes a - t - elle bien servi à la faire regarder comme une ville sainte. Elle étoit à moitié chemin de la montagne du Parnasse, bâtie sur un peu de terre plaine, & environnée de précipices, qui la fortifioient sans le secours de l'art. La partie de la montagne qui étoit au - dessus, avoit à - peu - près la figure d'un théâtre, & les cris des hommes, & le son des trompettes se multiplioient dans les rochers.
La commodité des prêtres & la majesté des oracles, demandoient donc également des cavernes; aussi ne voyez - vous pas un si grand nombre de temples prophétiques en plat pays: mais s'il y en avoit quelques - uns, on savoit bien remédier à ce défaut de leur situation. Au lieu de cavernes naturelles, on en faisoit d'artificielles; c'est - à - dire de ces sanctuaires qui étoient des especes d'antres, où résidoit particulierement la divinité, & où d'autres que les prêtres n'entroient jamais.
Dans ces sanctuaires ténébreux étoient cachées toutes les machines des prêtres, & ils y entroient par des conduits souterrains. Rufin nous décrit le temple de Sérapis tout plein de chemins couverts; & pour rapporter un témoignage encore plus fort que le sien, l'Ecriture sainte ne nous apprend - elle pas comment Daniel découvrit l'imposture des prêtres de Belus, qui savoient bien rentrer secrétement dans son temple, pour prendre les viandes qu'on y avoit offertes? Il s'agit là d'un des miracles du paganisme qui étoit cru le plus universellement, de ces victimes que les dieux prenoient la peine de venir manger eux - mêmes. L'Ecriture attribue - t - elle ce prodige aux démons? Point du tout, mais à des prêtres imposteurs; & c'est - là la seule fois où l'Ecriture s'étend un peu sur un prodige du paganisme: & en ne nous avertissant point que tous les autres n'étoient pas de la même nature, elle nous donne à entendre fort clairement qu'ils en étoient. Combien après tout, devoit - il être plus aisé de persuader aux peuples que les dieux descendoient dans des temples pour leur parler, leur donner des instructions utiles, que de leur persuader qu'ils venoient manger des membres de chevres & de moutons? Et si les prêtres mangeoient en la place des dieux, à plus forte raison pouvoient - ils parler aussi en leur place.
Les prêtres pour mieux jouer leur jeu, établirent encore de certains jours malheureux, où il n'étoit point permis de consulter l'oracle. Par ce moyen, ils pouvoient renvoyer les consultans lorsqu'ils avoient des raisons de ne pas répondre; ou bien pendant ce tems de silence, ils prenoient leurs mesures, & faisoient leurs préparatifs.
A l'occasion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus jolis oracles qui ait jamais été. Il étoit allé à Delphes pour consulter le dieu; & la prêtresse qui prétendoit qu'il n'étoit point alors permis de l'interroger, ne vouloit point entrer dans le temple. Alexandre qui étoit impérieux, la prit par le bras pour l'y mener de force; & elle s'écria: Ah, mon fils, on ne peut te résister! Je n'en veux pas davantage, dit Alexandre, cet oracle me suffit.
Les prêtres avoient encore un secret pour gagner du tems, quand il leur plaisoit. A vant que de consulter l'oracle il falloit sacrifier; & si les entrailles des victimes n'étoient point heureuses, le dieu n'étoit point en état de répondre: Et qui jugeoit des entrailles des victimes? Les prêtres. Le plus souvent même, ainsi qu'il paroît par beaucoup d'exemples, ils étoient seuls à les examiner; & tel qu'on obligeoit à recommencer le sacrifice, avoit pourtant immolé un animal dont le coeur & le foie étoient les plus beaux du monde.
Les prêtres firent mieux encore, ils établirent certains mysteres qui engageoient à un secret inviolable ceux qui y étoient initiés: il n'y avoit personne à Delphes qui ne se trouvât dans ce cas. Cette ville n'avoit point d'autre revenu que celui de son temple, & ne vivoit que d'oracles; or les prêtres s'assuroient de tous les habitans, en se les attachant par le double lien de l'intérêt & de la superstition. On eût été bien reçu à parler contre les oracles d'Apollon dans une telle ville!
Ceux qu'on initioit aux mysteres, donnoient des assurances de leur discrétion. Ils étoient obligés à faire aux prêtres une confession de tout ce qu'il y avoit de plus caché dans leur vie; & c'étoit après cela à ces pauvres initiés à prier les prêtres de leur garder le secret.
Ce fut sur cette confession qu'un lacédémonien,
qui s'alloit faire initier aux my steres de Samothrace,
dit brusquement aux prêtres qui l'interrogeoient:
Mais sans s'étendre davantage sur les artifices des oracles, il vient naturellement dans l'esprit une question difficile à résoudre; savoir, pourquoi les démons ne prédisoient l'avenir que dans des trous, dans des cavernes & dans des lieux obscurs? Et pourquoi ils ne s'avisoient jamais d'animer une statue, ou de faire parler une prêtresse dans un carrefour, exposé de toutes parts aux yeux de tout le monde?
On pourroit imaginer que les oracles qui se rendoient sur des billets cachetés, & plus encore ceux qui se rendoient en songe, avoient besoin de démons; mais il nous seroit aisé de faire voir qu'ils n'avoient rien de plus miraculeux que les autres.
Les prêtres n'étoient pas scrupuleux jusqu'au point de n'oser décacheter les billets qu'on leur apportoit; il falloit qu'on les laissât sur l'autel, après quoi on fermoit le temple, où les prêtres savoient rentrer sans qu'on s'en apperçût; ou bien il falloit mettre ces billets entre les mains des prêtres, afin qu'ils dormissent dessus, & reçussent en songe la réponse. Or dans l'un & l'autre cas, ils avoient le loisir & la liberté de les ouvrir. Ils savoient pour cela plusieurs secrets, dont quelques - uns furent mis en pratique par le faux prophete de Lucien. On peut les voir dans cet auteur même, si l'on est curieux d'apprendre comment on s'y prenoit pour décacheter les billets sans qu'il y parût. C'est à - peu - près la même méthode qui est aujourd'hui en usage dans les bureaux des postes.
Les prêtres qui n'osoient se hasarder à décacheter les billets, tâchoient de savoir adroitement ce qui amenoit les gens à l'oracle. D'ordinaire c'étoit des personnes considérables, méditant quelque [p. 535]
Il faut savoir que dans une ville à oracle, il n'y avoit presque que des officiers de l'oracle. Les uns étoient prophetes & prêtres; les autres poëtes, qui habilloient en vers les oracles rendus en prose; les autres simples interpretes; les autres petits sacrificateurs, qui immoloient les victimes, & en examinoient les entrailles; les autres vendeurs de parfums & d'encens, ou de bêtes pour les sacrifices; les autres antiquaires; les autres enfin n'étoient que des hôtelliers, que le grand abord des étrangers enrichissoit. Tous ces gens - là étoient dans les intérêts de l'oracle & du dieu; & si par le moyen des domestiques des étrangers ils découvroient quelque chose qui fût bon à savoir, vous ne devez pas douter que les prêtres n'en fussent avertis.
Le nombre est fort grand des oracles qui se rendoient
par songes; cette maniere n'étoit pas plus
difficile que les autres dans la pratique; mais comme
le plus fameux de tous ces oracles étoit celui de
Trophonius dans la Béotie, voyez
Nous observerons seulement ici qu'entre les oracles qui se rendoient par les songes, il y en avoit auxquels il falloit se préparer par des jeûnes, comme celui d'Amphiaraüs dans l'Attique; si vos songes ne pouvoient pas recevoir quelqu'interprétation apparente, on vous faisoit dormir dans le temple sur nouveaux frais; on ne manquoit jamais de vous remplir l'esprit d'idées propres à vous faire avoir des songes, où il entrât des dieux & des choses extraordinaires. Enfin, on vous faisoit dormir le plus souvent sur des peaux de victimes, qui pouvoient avoir été frottées de quelque drogue propre à étourdir le cerveau.
Quand c'étoit les prêtres, qui en dormant sur les billets cachetés, avoient eux - mêmes les songes prophétiques, il est clair que la chose est encore plus aisée à expliquer. Dès qu'on étoit assez stupide pour se contenter de leurs songes, & pour y ajouter foi, il n'étoit pas besoin qu'ils laissassent aux autres la liberté d'en avoir. Ils pouvoient se réserver ce droit à eux seuls, sans que personne y trouvât à redire.
Un des plus grands secrets des oracles, & une des choses qui marque clairement que les hommes les rendoient, c'est l'ambiguité des réponses, & l'art qu'on avoit de les accommoder à tous les événemens qu'on pouvoit prévoir. Vous en trouverez un exemple dans Arrian, liv. VII. sur la maladie d'Alexandre à Babylone. Macrobe en cite un au<cb->
Il n'est plus question de deviner les finesses des prêtres, par les moyens qui pourroient eux - mêmes paroître trop fins. Un tems a été qu'on les a découvertes de toutes parts aux yeux de toute la terre; ce fut quand la religion chiétienne triompha hautement du paganisme sous les empereurs chrétiens.
Théodoret dit que Théophile évêque d'Alexandrie fit voir à ceux de cette ville les statues creuses, où les prêtres entroient par des chemins cachés pour y rendre les oracles. Lorsque par l'ordre de Constantin on abattit le temple d'Esculape à Egès en Cilicie; on en chassa, dit Eusebe dans la vie de cet empereur, non pas un dieu ni un démon, mais le fourbe qui avoit si long - tems imposé à la crédulité des peuples. A cela il ajoûte en général que dans les simulacres des dieux abattus, on n'y trouvoit rien moins que des dieux ou des démons, non pas même quelques malheureux spectres obscurs & ténébreux, mais seulement du foin, de la paille, ou des os de morts.
La plus grande difficulté qui regarde les oracles, est surmontée depuis que nous avons reconnu que les démons n'ont point dû y avoir de part. Les oracles étant ainsi devenus indifférens à la religion chrétienne, on ne s'intéressera plus à les faire finir précisément à la venue de Jesus - Christ. D'ailleurs nous avons plusieurs preuves qui font voir que les oracles ont duré plus de 400 ans après Jesus - Christ, & qu'ils ne sont devenus tout - à - fait muets qu'avec l'entiere destruction du paganisme.
Suétone, dans la vie de Néron, dit que l'oracle de Delphes l'avertit qu'il se donnât de garde des 73 ans, que Néron crut qu'il ne devoit mourir qu'à cet âge - là, & ne songea point au vieux Galba qui étant âgé de 73 ans lui ôta l'empire. Cela le persuada si bien de son bonheur, qu'ayant perdu par un naufrage des choses d'un tres - grand prix, il se vanta que les poissons les lui rapporteroient.
Philostrate, dans la vie d'Apollonius de Thyane, qui a vu Domitien, nous apprend qu'Apollonius visita tous les oracles de la Grece, & celui de Dodone, & celui de Delphes, & celui d'Amphiaraüs.
Plutarque qui vivoit sous Trajan, nous dit que l'oracle de Delphes étoit encore sur pié, quoique réduit à une seule prêtresse, après en avoir eu deux ou trois.
Sous Adrien, Dion Chrysostome raconte qu'il consulta l'oracle de Delphes; & il en rapporta une réponse qui lui parut assez embarrassée, & qui l'est effectivement.
Sous les Antonins, Lucien assure qu'un prêtre de Thyane alla demander à ce faux prophete Alexandre, si les oracles qui se rendoient alors à Didyme, à Claros & à Delphes, étoient véritablement des réponses d'Apollon, ou des impostures. Alexandre eut des égards pour ces oracles qui étoient de la nature du sien, & répondit au prêtre, qu'il n'étoit pas permis de savoir cela. Mais quand cet habile prêtre demanda ce qu'il seroit après sa mort, on [p. 536]
Après les Antonins, trois empereurs se disputerent
l'empire; Severus Septimus, Pescennius Niger, Clodius Albinus. On consulta Delphes, dit
Spartien, pour savoir lequel des trois la république
devoit souhaiter? Et l'oracle répondit en un vers:
Dion qui ne finit son histoire qu'à la huitieme année d'Alexandre Severe, c'est - à - dire, l'an 230 de Jesus - Chtist, rapporte que de son tems Amphilochus rendoit encore des oracles en songe. Il nous apprend aussi qu'il y avoit dans la ville d'Apollonie un oracle, où l'avenir se déclaroit par la maniere dont le feu prenoit à l'encens qu'on jettoit sur un autel. Il n'étoit permis de faire à cet oracle des questions ni de mort ni de mariage. Ces restrictions bizarres étoient quelquefois fondées sur l'histoire particuliere du dieu qui avoit eu sujet pendant sa vie, de prendre de certaines choses en aversion; ou, si vous l'aimez mieux, sur les mauvais succès qu'avoient eu les réponses de l'oracle en certaines matieres.
Sous Aurélien, vers l'an de Jesus - Christ 272, les Palmiréniens révoltés consulterent un oracle d'Apollon sarpédonien en Cilicie; ils consulterent encore celui de Vénus aphacite.
Licinius, au rapport de Sozomene, ayant dessein
de recommencer la guerre contre Constantin, consulta
l'oracle d'Apollon de Didyme, & en eut pour
réponse deux vers d'Homere, dont le sens est:
Un dieu assez inconnu, nommé Besa, selon Ammian Marcellin, rendoit encore des oracles sur des billets à Abide, dans l'extrémité de la Thébaïde, sous l'empire de Constantius; car on envoya à cet empereur des billets qui avoient été laissés dans le temple de Besa, sur lesquels il commença à faire des informations très - rigoureuses, mit en prison, exila, ou fit tourmenter un assez grand nombre de personnes; c'est que par ces billets on consultoit ce dieu sur la destinée de l'empire, ou sur la durée que devoit avoir le regne de Constantius, ou même sur le succès de quelque dessein que l'on formoit contre lui.
Enfin, Macrobe qui vivoit sous Arcadius & Honorius fils de Théodose, parle du Dieu d'Héliopolis de Syrie & de son oracle, & des fortunes d'Antium, en des termes qui marquent positivement que tout cela subsistoit encore de son tems.
Remarquez qu'il n'importe que toutes ces histoires soient vraies, ni que ces oracles aient effectivement reudu les réponses qu'on leur attribue. Il suffit qu'on n'a pu attribuer de fausses réponses qu'à des oracles que l'on savoit qui subsistoient encore effectivement; & les histoires que tant d'auteurs en ont débitées, prouvent assez qu'ils n'avoient pas cessé.
En général, les oracles n'ont cessé qu'avec le paganisme; & le paganisme ne cessa pas à la venue de Jesus - Christ. Constantin abattit peu de temples; encore n'osa - t - il les abattre qu'en prenant le prétexte des crimes qui s'y commettoient. C'est ainsi qu'il fit renverser celui de Vénus aphacite, & celui d'Esculape qui étoit à Egès en Cilicie, tous deux, temples à oracles: mais il défendit que l'on sacrifiât aux dieux, & commença à rendre par cet édit les temples inutiles.
On sait qu'il restoit encore beaucoup d'oracles, lorsque Julien se vit empereur; & que de ceux qui étoient ruinés, il s'appliqua à en rétablir quelques-uns. Il fit plus; il voulut être prophete de l'oracle de Didyme. C'étoit le moyen de remettre en honneur la prophétie qui tomboit en discrédit. Il étoit souverain pontife, puisqu'il étoit empereur; mais les empereurs n'avoient pas coutume de faire grand usage de cette dignité sacerdotale. Pour lui, il prit la chose bien plus sérieusement; & nous voyons dans une de ses lettres qui sont venues jusqu'à nous, qu'en qualité de souverain pontife, il défend à un prêtre payen de faire pendant trois mois aucune fonction de prêtre.
Jovien, son successeur, commençoit à se porter avec zele à la destruction du paganisme; mais en sept mois qu'il régna, il ne put pas faire de grands progrès. Théodoie, pour y parvenir, ordonna de fermer tous les temples des Payens. Enfin l'exercice de cette religion fut défendu sous peine de la vie, par une constitution des empereurs Valentinien & Marcien, l'an 451 de Jesus - Christ.
Le paganisme enveloppa nécessairement les oracles dans sa ruine, lorsqu'il sut aboli|par le Christianisme. D'ailleurs il est certain que le Christianisme, avant même qu'il fût encore la religion dominante, fit extrèmement tort aux oracles, parce que les chrétiens s'étudierent à en desabuser les peuples, & à en découvrir l'imposture. Mais indépendamment du christianisme, les oracles ne laissoient pas de décheoir beaucoup par d'autres causes, & à la fin ils eussent entierement tombé.
On commença à s'appercevoir qu'ils dégénérerent, dès qu'ils ne se rendirent plus en vers. Plutarque a fait un traité exprès pour rechercher la cause de ce changement; & à la maniere des Grecs, il dit sur ce sujet tout ce qu'on peut dire de vrai & de faux. Entr'autres raisous vraissemblables, il prétend que les vers prophétiques se décrierent par l'usage qu'en faisoient de certains charsatans, que le menu peuple consultoit le plus souvent dans les carrefours. Les prêtres des temples ne voulurent avoir rien de commun avec eux; parce qu'ils étoient des charlatans plus nobles & plus sérieux, ce qui fait une grande différence dans ce métier - là. Mais ce qui contribua le plus à ruiner les oracles, fut la soumission des Grecs sous la domination des Romains, qui, calmant toutes les divisions qui agitoient auparavant la Grece; l'esclavage produisant la paix, ne fournit plus de matiere aux oracles.
Si les Romains nuisirent beaucoup aux oracles par la paix qu'ils établirent dans la Grece, ils leur nuisirent encore plus par le peu d'estime qu'ils en faisoient. Ce n'étoit point là leur folie; ils ne s'attachoient qu'à leurs livres sibyllins & à leurs divinations étrusques, c'est - à - dire aux aruspices & aux augures. Les maximes & les sentimens d'un peuple qui domine, passent aisément dans les autres peuples, & il n'est pas surprenant que les oracles étant une invention grecque aient suivi la destinée de la Grece, qu'ils aient été florissans avec elle, & qu'ils aient perdu avec elle leur premier éclat.
La fourberie des oracles étoit trop grossiere, pour n'être pas enfin découverte par mille différentes avantures, & même par quelques avantures scandaleuses qui dessillerent les yeux de bien du monde. Il arriva que les dieux devenoient quelquefois amoureux des belles femmes qui venoient consulter leurs oracles. Alors on envoyoit ces belles femmes passer des nuits dans les temples de la divinité; parées de la main même de leurs maris, & chargées de présens pour payer le dieu de ses peines. A la vérité, on fermoit bien les temples à la vûe de tout le mon<pb-> [p. 537]
Nous avons peine à concevoir que de pareilles choses aient pû être faites seulement une fois. Cependant Hérodote nous assure qu'au huitieme & dernier étage de cette superbe tour du temple de Bélus à Babylone, étoit un lit magnifique où couchoit toutes les nuits une femme choisie par le dieu. Il s'en faisoit autant à Thèbes en Egypte; & quand la prêtresse de l'oracle de Patare en Lycie devoit prophétiser, il falloit auparavant qu'elle couchât seule dans le temple où Apollon venoit l'inspirer.
Tout cela s'étoit pratiqué dans les plus épaisses ténebres du paganisme, & dans un tems où les cérémonies payennes n'étoient pas sujettes à être contredites; mais à la vûe des chrétiens, le Saturne d'Alexandrie ne laissoit pas de faire venir les nuits dans son temple, telle femme qu'il lui plaisoit de nommer par la bouche de Tyrannus son prêtre. Beaucoup de femmes avoient reçu cet honneur avec grand respect, & on ne se plaignoit point de Saturne, quoiqu'il soit le plus âgé & le moins galant des dieux. Il s'en trouva une à la fin, qui ayant couché dans le temple, fit réfléxion qu'il ne s'y étoit rien passé que de fort humain, & dont Tyrannus n'eut été assez capable; elle en avertit son mari qui sit faire le procès à Tyrannus. Le malheureux avoua tout, & dieu sait quel scandale dans Alexandrie.
Le crime des prêtres, leur insolence, divers évé nemens qui avoient fait paroître au jour leurs fourberies, l'obscurité, l'incertitude, & la fausseté de leurs réponses auroient donc enfin décrédité les oracles. & en auroient causé la ruine entiere, quand même le paganisme n'auroit pas dû finir; mais il s'est joint à cela des causes étrangeres. D'abord de grandes sectes de philosophes grecs qui se sont mocqués des oracles; ensuite les Romains qui n'en faisoient point d'usage; enfin les Chrétiens qui les détestoient & qui les ont abolis avec le paganisme.
Tout ce qui étoit dispersé sur les oracles dans les auteurs anciens, méritoit d'être recueilli en un corps; c'est ce qu'a exécuté avec beaucoup de gloire M. Van - Dale (Antoine), habile critique du dernier siecle par son ouvrage plein d'érudition>, de oraculis Ethnicorum, Amstoel. 1700. in - 4°. Il y prouve également qu'on ne doit attribuer les oracles qu'aux tromperies des prêtres, & qu'ils n'ont cessé qu'avec le paganisme. Il a épuisé tout ce qu'on peut dire sur cette matiere.
M. de Fontenelle, l'homme le plus propre à ôter d'un livre écrit pour les savans, toute la sécheresse qui le rend de peu d'usage, & y répandre des ornemens dont tout le monde profite, en a formé son traité des oracles, qui est sans contredit un de ses meilleurs ouvrages.
Le pere Balthus, jésuite, se proposa vingt ans après de le refuter. L'historien de l'académie des Sciences crut qu'il étoit sage de ne pas répondre: il trouva dans M. du Marsais un défenseur éclairé qui le justifioit sans réplique contre les imputations du P. jésuite, mais il eut lui - même une défense expresse de faire paroître son livre; cependant M. Dalembert s'est donné la peine d'en faire l'analyse, d'après des fragmens qui lui en ont été remis. Cette analyse intéressante est à la tête du tome VII. de l'Encyclopedie dans l'éloge de M. du Marsais.
Pour laisser de mon côté peu de chose à desirer sur cette matiere, je vais joindre ici des articles séparès de quelques - uns des principaux oracles du paganisme. Il y en avoit tant qu'un savant littérateur qui en a fait la liste dans les anciens, en indique plus de trois cens, dont le plus grand nombre étoit dans la Grece: mais il ne les a pas sans doute tous nommés; car il y avoit peu de temples où il n'y
Il y en avoit de toutes sortes de dates, depuis
celui de Dodone qu'on croit le plus ancien, jusqu'à
celui d'Antinoüs, qu'on peut regarder comme le
dernier. Quelquefois même le crédit de quelques-uns
des anciens se perdoit, ou par la découverte
des impostures de leurs ministres ou par les guerres,
ou par d'autres accidens qu'on ignore. A la
perte de ceux - là en succédoient de nouveaux qu'on
avoit soin d'établir, & ceux - ci de même faisoient
place à d'autres; mais le tems de la décadence de
plusieurs de ces oracles & de l'institution des nouveaux,
ne nous est point connu. (Le chevalier
Oracle d'Ammon (Page 11:537)
Nous apprenons de Quinte - Curce & d'autres auteurs
anciens, que la statue de Jupiter Ammon avoit
la tête d'un bélier avec ses cornes; & de Diodore
de Sicile, la maniere dont ce dieu rendoit ses oracles, iorsque quelqu'un venoit le consulter. Quatrevingt prêtres de ce dieu portoient sur leurs épaules
dans un navire doré sa statue, qui étoit couverte
de pierres précieuses; & alloient ainsi sans tenir de
route certaine, où ils croyoient que le dieu les
poussoit. Une troupe de dames & de filles accompagnoient
cette procession, chantant des hymnes
en l'honneur de Jupiter. Quinte - Curce qui dit la
même chose, ajoute que le navire ou la niche sur
laquelle on portoit la statue de ce dieu, étoit ornée
d'un grand nombre de pateres d'argent qui pendoient
des deux côtés. C'étoit apparemment sur
quelque signe ou sur quelque mouvement de la statue,
que les prêtres annonçoient les décisions de
leur Ammon: car comme le remarque Strabon, sur
l'autorité de Callisthène, les réponses de ce dieu
n'étoient point des paroles, comme à Delphes &
chez les Branchides, mais un signe; & il cite à cette
occasion, les vers d'Homere où le poëte dit:
Jupiter fut le même qu'Ammon des Egyptiens; & comme Ammon étoit en possession de l'oracle pour lequel les Egyptiens avoient le plus de vénération; on consacra à Jupiter le seul oracle qu'il y eût alors parmi les Pélasges.
Thomas Gale, dans ses notes sur Jamblique, a prouvé qu'Ammon, Amoun, Amon, Amos, Amosus, Amasis, Amosis, Thémous, Thamus, ne sont qu'un même nom. (D. J.)
Oracle de Claros (Page 11:537)
Oracle de Clitumne (Page 11:538)
Oracle de Delphes (Page 11:538)
Oracle de Dodone (Page 11:538)
Deux colombes, disoit - on, s'étant envolées de Thèbes en Egypte, il y en eut une qui alla dans la Lybie, & l'autre ayant volé jusqu à la forêt de Dodone dans la Chaonie, province de l'Epire, s'y arrêta; & apprit aux habitans du pays, que l'inten tion de Jupiter étoit, qu'il y eût un oracle en ce lieu là. Ce prodige étonna ceux qui en furent les témoins, & l'oracle étant établi, il y eut bien - tôt un grand nombre de consultans. Servius ajoute que c'étoit Jupiter qui avoit donné à sa fille Thébé ces deux colombes, & qu'elles avoient le don de la parole. Hérodote qui a bien jugé que cette fiction renfermoit l'événement qui donna lieu à l'établissement de cet oracle, en a recherché le fondement historique.
Deux prêtresses de Thèbes, dit cet auteur, furent autrefois enlevées par des marchands Phéniciens: celle qui fut vendue en Grece, établit sa demeure dans la forêt de Dodone, où l'on alloit alors cueillir le gland qui servoit de nourriture aux anciens Grecs, & elle fit construire une petite chapelle au pié d'un chêne en l'honneur de Jupiter, dont elle avoit été prêtresse à Thèbes; & ce fut - là que s'établit cet ancien oracle, si fameux dans la suite. Ce même auteur ajoute, qu'on nomma cette femme la colombe, parce qu'on n'entendoit pas son langage; mais comme on vint à le comprendre quelque tems après, on publia que la colombe avoit parlé.
Souvent pour expliquer les anciennes fables, les Grecs qui n'entendoient pas la langue des peuples de l'Orient, d'où elle leur étoient venues, en ont
Quelque vraissemblable que soit la conjecture de
ce savant homme, M. l'abbé Sallier en a proposé
une qui paroît l'être davantage; il prétend que cette
fable est fondée sur la double signification du mot
Si l'oracle de Dodone se manifesta d'abord par le murmure d'une fontaine, il paroît qu'avec le tems on y chercha plus de façons; mais comme personne ne pénetrou dans le sanctuaire de l'oracle, on ne s'accorde point sur la maniere dont celui ci se rendit dans la suite. Aristote, au rapport de Suidas, dit qu'à Dodone il y a deux colonnes, sur l'une desquelles est un bassin d'airain, & sur l'autre, la statue d'un enfant qui tient un fouet, dont les cordes étant aussi d'airain, font du bruit contre le bassin, lorsqu'elles y sont poussées par le vent.
Démon, selon le meme Suidas, prétend que l'oracle de Jupiter Dodonéen est tout environné de bassins, qui aussi tôt que l'un est poussé contre l'autre, se communiquent ce mouvement en rond, & font un bruit qui dure assez de tems. D'autres disent que c'étoit un chêne raisonnant, qui secouoit ses branches & ses feuilles, lorsqu'il étoit consulté, & qui déclaroit ses volontés par des prêtresses. Il paroît bien de ce détail qu'il n'y avoit que le bruit de constant, parce qu'on l'entendoit de dehors; mais comme on ne voyoit point le dedans du lieu où se rendoit l'oracle, on ne savoit que par conjectures, ou par un rapport infidele, ce qui causoit le bruit.
On nommoit Dodonides les prêtresses du temple de Dodone; on ignore si elles rendoient leurs oracles en vers, comme le témoigne le recueil qui en a été fait, ou par les sorts, comme semble le croire Ciceron dans ses livres de la divination.
Strabon nous a conservé une réponse de cet oracle, qui fut bien funeste à la prêtresse de Dodone qui l'avoit rendue. Pendant la guerre des Thraces contre les Béotiens, ces derniers allerent consulter l'oracle de Dodone, & la prêtresse leur répondit qu'ils auroient un heureux succès, s'ils en agissoient en impies. Les envoyés des Béotiens, persuadés que la prêtresse vouloit les tromper, pour favoriser les Pélasges dont elle descendoit, & qui étoient alliés des Thraces, prirent cette femme & la firent brûler vive, disant que de quelque maniere qu'on tournât cette action, elle ne pouvoit qu'être trouvée juste. En effet, si la prêtresse avoit eu dessein de les tromper, elle étoit punie de sa fourberie: si elle avoit parlé sincérement, ils n'avoient fait qu'exécuter l'oracle à la lettre. On ne se paya pas de cette raison, on se saisit des envoyés; mais comme on n'osoit pas les punir sans les avoir jugés auparavant, on les conduisit devant les deux prêtresses qui restoient; car il devoit y en avoir trois alors à cet oracle, selon le récit de Strabon. Les députés ayant reclamé contre cette conduite, on leur accorda deux [p. 539]
Tite - Live, lib. VIII. c. xxjv. cite la réponse ambiguë
de l'oracle de Dodone, qui fit périr Aléxandre,
roi d'Epire. Ce prince méditant de faire une descente
en Italie, se berça des plus grandes espérances
de succès, lorsque sur sa consultation, l'oracle
lui recommanda seulement d'éviter la ville de Pandosie & le fleuve Achéron. Il crut que Jupiter lui
ordonnoit de quitter ses terres, & qu'il lui promettoit
des conquetes sans bornes, des qu'il passeroit
sur des rivages étrangers; ce fut apparemment dans
cette occasion qu'il fit frapper une médaille, où l'on
voit d'un côté la tête de Jupiter Dodonéen, au revers
un foudre surmonté d'une étoile, & au dessous
une espece de lance, avec ces mots:
Nous savons aussi quelle fut la fin de l'oracle de Dodone. Dorimaque, au rapport de Polybe, brûla les portiques du temple, renversa de fond en comble le lieu sacré de l'oracle, & ruina ou plutôt pilla toutes les offrandes. L'oracle de Dodone étoit de l'institution des Pélasges, & nous pouvons placer la véritable époque de son commencement, environ 1400 ans avant J. C. (D. J.)
Oracle d'Esculape (Page 11:539)
Ces inscriptions, pour être grecques, n'en ont pas moins été faites à Rome: la forme des lettres & l'ortographe ne paroissent pas être de la main d'un sculpteur grec. De plus, quoiqu'il soit vrai que les Romains faisoient leurs inscriptions en latin, ils ne laissoient pas d'en faire quelques - unes en grec, principalement lorsqu'il y avoit pour cela quelque raison particuliere. Or il est assez vraissemblable qu'on ne se servit que de la langue grecque dans le temple d'Esculape, parce que c'étoit un dieu grec, & qu'on avoit fait venir de Grece pendant cette grande peste, dont tout le monde sait l'histoire.
Oracle d'Héliopolis (Page 11:539)
Oracle de Mercure (Page 11:539)
Oracle de Mopsus (Page 11:539)
Ce gouverneur ne savoit que croire du dieu,
il étoit obsedé d'épicuriens qui lui avoient jetté
beaucoup de doute dans l'esprit; il se résolut, comme
dit agréablement Plutarque, d'envoyer un espion
chez les dieux pour apprendre ce qui en étoit. Il
lui donna un billet bien cacheté pour le porter à
l'oracle de Mopsus. Cet envoyé dormit dans le temple,
& vit en songe un homme fort bien fait qui lui
dit noir. Il porta cette réponse au gouverneur. Elle
parut très - ridicule à tous les épicuriens de sa cour,
mais il en fut frappé d'étonnement & d'admiration,
& en leur ouvrant son billet il leur montra ces mots
qu'il y avoit écrit:
Oracle de Sérapis (Page 11:539)
Selon Strabon, il n'y avoit rien de plus gai dans
toute la religion payenne que les pelerinages qui se
faisoient en l'honneur de Sérapis.
Le sophiste Eunapius, payen, paroît avoir grand regret à la démolition qui fut faite de ce temple, & nous en décrit la fin malheureuse avec assez de bile. Il dit que des gens qui n'avoient jamais entendu parler de la guerre, se trouverent pourtant fort vaillans contre les pierres de ce temple, & principalement contre les riches offrandes dont il étoit plein; que dans ces lieux saints on y plaça des moines, gens infames & inutiles, qui pourvû qu'ils eussent un habit noir & malpropre, prenoient une autorisé tyrannique sur l'esprit des peuples, & que ces moines, au - lieu des dieux que l'on voyoit par les lumieres de la raison, donnoient à adorer des têtes de bri<pb-> [p. 540]
Ruffin ne manque pas de nous rapporter qu'on trouva le temple de Sérapis tout plein de chemins couverts, & des machines disposées pour les fourberies des prêtres. Il nous apprend entre autres choses, qu'il y avoit à l'orient du temple une petite fenêtre par où entroit à certains jours un rayon du soleil qui alloit donner sur la bouche de Sérapis. Dans le même tems on apportoit un simulacre du soleil qui étoit de fer, & qui étant attiré par de l'aimant caché dans la voûte, s'élevoit vers Serapis. Alors on disoit que le soleil saluoit ce dieu; mais quand le simulacre de fer retomboit, & que le rayon se retiroit de dessus la bouche de Sérapis, le soleil lui avoit assez fait sa cour, & il alloit à ses affaires.
L'oracle de Sérapis à Babylone, rendoit ses réponses en songe. Lorsqu'Alexandre tomba malade toutd'un - coup à Babylone, quelques - uns des princlpaux de sa cour allerent passer une nuit dans le temple de Sérapis, pour demander à ce dieu s'il ne seroit point à propos de lui faire apporter le roi afin qu'il le guérît. Le dieu répondit qu'il valoit mieux pour Alexandre qu'il demeurât où il étoit. Sérapis avoit raison; car s'il se le fût fait apporter, & qu'Alexandre fût mort en chemin, ou même dans le temple, que n'eût - on pas dit? Mais si le roi recouvroit sa santé à Babylone, quelle gloire pour l'oracle? S'il mouroit, c'est qu'il lui étoit avantageux de mourir après des conquêtes qu'il ne pouvoit augmenter ni conserver. Il s'en fallut tenir à cette derniere interprétation, qui ne manqua pas d'être tóurnée à l'avantage de Sérapis, sitôt qu'Alexandre fut mort. (D. J.)
Oracle de Trophonius (Page 11:540)
Avant que de descendre dans l'antre de Trophonius, il falloit passer un certain nombre de jours dans une espece de petite chapelle qu'on appelle de la bonne fortune & du bon génie. Pendant ce tems on recevoit des expiations de toutes les sortes; on s'abstenoit d'eaux chaudes; on se lavoit souvent dans le fleuve Hircinas; on sacrifioit à Trophonius & à toute sa famille, à Apollon, à Jupiter surnommé Roi, à Saturne, à Junon, à une Cérès Europe qui
L'oracle étoit sur une montagne dans une enceinte faite de pierre blanche, sur laquelle s'élevoient des obélisques d'airain. Dans cette enceinte étoit une caverne de la figure d'un four, taillée de main d'homme. Là s'ouvroit un trou où l'on descendoit par de petites échelles. Quand on y étoit descendu on trouvoit une autre petite caverne dont l'entrée étoit assez étroite. On se couchoit à terie; on prenoit dans chaque main de certaines compositions de miel; on passoit les piés dans l'ouverture de la petite caverne, & pour - lors on se sentoit emporté au - dedans avec beaucoup de vîtesse.
C'étoit là que l'avenir se déclaroit, mais non pas à tous d'une même maniere. Les uns voyoient, les autres entendoient, vous sortiez de l'antre couché par terre comme vous y étiez entré, & les piés les premiers. Aussi - tôt on vous menoit dans la chaise de Mnémosine où l'on vous demandoit ce que vous aviez vû ou entendu. De - là on vous ramenoit dans cette chapelle du bon génie, encore tout étourdi & tout hors de vous, vous repreniez vos sens peu - à - peu, & vous commenciez à pouvoir rire; car jusques - là, la grandeur des mysteres, & la divinité dont vous étiez rempli, vous en avoient empêché: pour moi il me semble qu'on n'eut pas dû attendre si tard à rire.
Pausanias nous dit qu'il n'y a jamais eu qu'un homme qui soit entré dans l'antre de Trophonius & qui n'en soit pas sorti. C'étoit un certain espion que Démétrius y envoya pour voir s'il n'y avoit pas dans ce lieu saint quelque chose qui fût bon à piller: on trouva loin de - là le corps de ce malheureux, qui n'avoit point été jetté dehors par l'ouverture sacrée de l'antre.
Voici les réflexions sensées dont M. de Fontenelle
accompagne ce récit.
Oracle de Vénus Aphacite (Page 11:541)
Oracles des Hébreux (Page 11:541)
Oracle se prend aussi pour le sanctuaire ou pour le lieu où étoit l'arche d'alliance. Ce mot désigne encore dans l'Ecriture les oracles des faux dieux. Ezéchiel, xxj. 23. dit que le roi de Babylone s'avançant vers la Judée, & se trouvant sur un chemin fourchu, consulta ses théréphins, pour savoir s'il marcheroit contre Jérusalem, & que les Juifs s'en moquoient, le regardant comme un homme qui consulte inutilement l'oracle. Mais le plus fameux de tous les faux - oracles de la Palestine étoit celui de Béelzébuth, dieu d'Accaron, que les Juifs alloient eux - mêmes consulter assez souvent. (D. J.)
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.