ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"375"> poserent des biens, de l'honneur & de la vie des hommes, comme ils avoient déja disposé de leur raison & de leur esprit. Les tems qui nous ont dérobé l'histoire de cet ancien gouvernement, parce qu'il n'a été qu'un âge d'ignorance profonde & de mensonge, ont à - la - vérité jetté un voile épais sur les excès de ses officiers: mais la théocratie judaïque, quoique réformée dans sa religion, n'ayant pas été exempte des abus politiques peut nous servir à en dévoiler une partie; l'Ecriture nous expose elle - même quelle a été l'abominable conduite des enfans d'Héli & de Samuel, & nous apprend quels ont été les crimes qui ont mis sin à cette théocratie particuliere où régnoit le vrai Dieu. Ces indignes descendans d'Aaron & de Lévi ne rendoient plus la justice aux peuples, l'argent rachetoit auprès d'eux les coupables, on ne pouvoit les aborder sans présens, leurs passions seules étoient & leur loi & leur guide, leur vie n'étoit qu'un brigandage, ils enlevoient de force & dévoroient les victimes qu'on destinoit au Dieu monarque qui n'étoit plus qu'un prête - nom; & leur incontinence égalant leur avarice & leur voracité, ils dormoient, dit la Bible, avec les femmes qui veilloient à l'entrée du tabernacle. I. liv. Reg. ch. ij.

L'Ecriture passe modestement sur cette derniere anecdote que l'esprit de vérité n'a pû cependant cacher. Mais si les ministres du vrai Dieu se sont livrés à un tel excès, les ministres théocratiques des anciennes nations l'avoient en cela emporté sur ceux des Hébreux par l'imposture avec laquelle ils pallierent leurs desordres. Ils en vinrent par tout à ce comble d'impiété & d'insolence de couvrir jusqu'à leurs débauches da manteau de la divinité. C'est d'eux que sortit un nouvel ordre de créatures, qui, dans l'esprit des peuples imbécilles, fut regardé comme une race particuliere & divine. Toutes les nations virent alors paroître les demi dieux & les héros dont la naissance illustre & les exploits porterent enfin les hommes à altérer leur premier gouvernement, & à passer du regne de ces dieux qu'ils n'avoient jamais pû voir, sous celui de leurs prétendus enfans qu'ils voyoient au milieu d'eux; c'est ainsi que l'incontinente théocratie commença à se donner des maîtres, & que ce gouvernement fut conduit à sa ruine par le crime & l'abus du pouvoir.

L'âge des demi - dieux a été un âge aussi réel que celui des dieux, mais presque aussi obscur il a été nécessairement rejetté de l'Histoire, qui ne reconnoît que les faits & les tems transmis par des annales constantes & continues. A en juger seulement par les ombres de cette Mythologie universelle qu'on retrouve chez tous les peuples, il paroît que le regne des demi - dieux n'a point été aussi saivi ni aussi long que l'avoit été le regne des dieux, & que le fut ensuite le regne des rois; & que les nations n'ont point toûjours été assez heureuses pour avoir de ces hommes extraordinaires. Comme ces enfans théocratiques ne pouvoient point naître tous avec des vertus héroïques qui répondissent à ce préjugé de leur naissance, le plus grand nombre s'en perdoit sans doute dans la foule, & ce n'étoit que de tems en tems que le génie, la naissance & le courage réciproquement secondés, donnoient à l'univers languissant des protecteurs & des maîtres utiles. A en juger encore par les traditions mythologiques, ces enfans illustres firent la guerre aux tyrans, exterminerent les brigands, purgerent la terre des monstres qui l'infestoient, & furent des preux incomparables qui, comme les paladins de nos antiquités gauloises, couroient le monde pour l'amour du genre humain, afin d'y rétablir par tout le bon ordre, la police & la sûreté. Jamais mission sans doute n'a été plus belle & plus utile, sur - tout dans ces tems où la théocratie primitive n'avoit produit dans le monde que ces maux ex<cb-> trèmes, l'anarchie & la servitude.

La naissance de ces demi - dieux & leurs exploits concourent ainsi à nous montrer quel étoit de leur tems l'affreux desordre de la police & de la religion parmi le genre humain: chaque fois qu'il s'élevoit un héros, le sort des sociétés paroissoit se réaliser & se fixer vers l'unité; mais aussi - tôt que ces personnages illustres n'étoient plus, les sociétés retournoient vers leur premiere théocratie, & retomboient dans de nouvelles miseres jusqu'à ce qu'un nouveau libérateur vînt cncore les en retirer.

Instruites cependant par leurs fréquentes rechûtes, & par les biens qu'elles avoient éprouvés toutes les fois qu'elles avoient eu un chef visible dans la personne de quelque demi - dieu, les sociétés commencerent enfin à ouvrir les yeux sur le vice essentiel d'un gouvernement qui n'avoit jamais pu avoir de consistance & de solidité, parce que rien de constant ni de réel n'y avoit représenté l'unité, ni réuni les hommes vers un centre sensible & commun. Le regne des demi - dieux commença donc à humaniser les préjugés primitifs, & c'est cet état moyen qui conduisit les nations à desirer les regnes des rois, elles se dégoûterent insensiblement du joug des ministres théocratiques qui n'avoient cessé d'abuser du pouvoir des dieux qu'on leur avoit mis en main, & lorsque l'indignation publique fut montée à son comble, elles se souleverent contre eux, & placerent enfin un mortel sur le trône du dieu monarque, qui jusqu'alors n'avoit été représenté que par des symboles muets & stupides.

Le passage de la théocratie à la royauté se cache, ainsi que tous les faits précédens, dans la nuit la plus sombre; mais nous avons encore les Hébreux dont nous pouvons examiner la conduite particuliere dans une révolution semblable, pour en faire ensuite l'application à ce qui s'étoit fait antérieurement chez toutes les autres nations, dont les usages & les prejugés nous tiendront lieu d'annales & de monumens.

Nous avons déjà remarqué une des causes de la ruine de la théocratie judaique dans les desordres de ses ministres, nous devons y en ajouter une seconde, c'est le malheur arrivé dans le même tems à l'arche d'alliance qui fut prise par les Philistins. Un gouvernement sans police & sans maître ne peut subsister sans doute; or tel étoit dans ces derniers instans le gouvernement des Hébreux, l'arche d'alliance représentoit le siege de leur suprême souverain, en paix comme en guerre.

Elle étoit son organe & son bras, elle marchoit à la tête des armées comme le char du dieu des combats, on la suivoit comme un général invincible, & jamais à sa suite on n'avoit douté de la victoire. Il n'en fut plus de même après sa défaite & sa prise; quoiqu'elle fût rendue à son peuple, la confiance d'lsraël s'étoit affoiblie, & les desordres des ministres ayant encore aliené l'esprit des peuples, ils se souleverent & contraignirent Samuel de leur donner un roi qui pût marcher à la tête de leurs armées, & leur rendre la justice. A cette demande du peuple on sait quelle fut alors la réponse de Samuel, & le tableau effrayant qu'il fit au peuple de l'énorme pouvoir & des droits de la souveraine puissance. La flatterie & la bassesse y ont trouvé un vaste champ pour faire leur cour aux tyrans; la superstition y a vû des objets dignes de ses rêveries mystiques, mais aucun n'a peut - être reconnu l'esprit théocratique qui le dicta dans le dessein d'effrayer les peuples & les détourner de leur projet. Comme le gouvernement qui avoit précédé avoit été un regne où il n'y avoit point eu de milieu entre le dieu monarque & le peuple, où le monarque étoit tout, & où le sujet n'étoit rien; ces dogmes [p. 376] religieux, changés avec le tems en préjugés politiques, firent qu'on appliqua à l'homme monarque toutes les idées qu'on avoit eues de la puissance & de l'autorité suprème du dieu monarque. D'ailleurs comme le peuple cherchoit moins à changer la théocratie qu'à se dérober aux vexations des ministres théocratiques qui avoient abusé des oracles & des emblèmes muets de la divinité, il fit peu d'attention à l'odieux tableau qui n'étoit fait que pour l'effrayer, & content d'avoir à l'avenir un emblème vivant de la divinité, il s'écria: n'importe, il nous faut un roi qui marche devant nous, qui commande nos armées, & qui nous protege contre tous nos ennemis.

Cette étrange conduite sembleroit ici nous montrer qu'il y auroit eu des nations qui se seroient volontairement soumises à l'esclavage par des actes authentiques, si ce détail ne nous prouvoit évidemment que dans cet instant les nations encore animées de toutes les préventions religieuses qu'elles avoient toujours eues pour la théocratie, furent de nouveau aveuglées & trompées par ses faux principes. Quoique dégoûté du ministere sacerdotal, l'homme en demandant un roi n'eut aucun dessein d'abroger son ancien gouvernement; il crut en cela ne faire qu'une réforme dans l'image & dans l'organe du dieu monarque, qui fut toujours regardé comme l'unique & véritable maître, ainsi que le prouve le regne même des rois hébreux, qui ne fut qu'un regne précaire, où les prophetes élevoient ceux que Dieu leur désignoit, & comme le confirme sans peine ce titre auguste qu'ont conservé les rois de la terre, d'image de la divinité.

La premiere élection des souverains n'a donc point été une véritable élection, ni le gouvernement d'un seul, un nouveau gouvernement. Les principes primitifs ne firent que se renouveller sous un autre aspect, & les nations n'ont cru voir dans cette révolution qu'un changement & qu'une réforme dans l'image théocratique de la divinité. Le premier homme dont on fit cette image n'y entra pour rien, ce ne fut pas lui que l'on considéra directement; on en agit d'abord vis - à - vis de lui comme on en avoit agi originairement avec les premiers symboles de fonte ou de métal, qui n'avoient été que des signes relatifs, & l'esprit & l'imagination des peuples resterent toujours fixes sur le monarque invisible & suprème; mais ce nouvel appareil ayant porté les hommes à faire une nouvelle application de leurs faux principes, & de leurs anciens préjugés, les conduisit à de nouveaux abus & au despotisme absolu. Le premier âge de la théocratie avoit rendu la terre idolâtre, parce qu'on y traita Dieu comme un homme; le second la rendit esclave, parce qu'on y traita l'homme comme un dieu. La même imbécillité qui avoit donné autrefois une maison, une table, & des femmes à la divinité, en donna les attributs, les rayons, & le foudre à un simple mortel; contraste bisarre, & conduite toujours déplorable, qui firent la honte & le malheur de ces sociétés, qui continuerent toujours à chercher les principes de la police humaine ailleurs que dans la nature & dans la raison.

La seule précaution dont les hommes s'aviserent, lorsqu'ils commencerent à représenter leur dieu monarque par un de leur semblables, fut de chercher l'homme le plus beau & le plus grand, c'est ce que l'on voit par l'histoire de toutes les anciennes nations; elles prenoient bien plus garde à la taille & aux qualités du corps qu'à celles de l'esprit, parce qu'il ne s'agissoit uniquement dans ces primitives élections que de représenter la divinité sous une apparence qui répondît à l'idée qu'on se formoit d'elle, & qu'à l'égard de la conduite du gouverne<cb-> ment, ce n'étoit point sur l'esprit du représentant, mais sur l'esprit de l'inspiration du dieu monarque que l'on comptoit toujours, ces nations s'imaginerent qu'il se révéleroit à ces nouveaux symboles, ainsi qu'elles pensoient qu'il s'étoit révélé aux anciens. Elles ne furent cependant pas assez stupides pour croire qu'un mortel ordinaire pût avoir par lui - même le grand privilege d'être en relation avec la divinité; mais comme elles avoient ci - devant inventé des usages pour faire descendre sur les symboles de pierre ou de métal une vertu particuliere & surnaturelle, elles crurent aussi devoir les pratiquer vis - à - vis des symboles humains, & ce ne fut qu'après ces formalités que tout leur paroissant égal & dans l'ordre, elles ne virent plus dans le nouveau représentant qu'un mortel changé, & qu'un homme extraordinaire dont on exigea des oracles, & qui devint l'objet de l'adoration publique.

Si nous voulions donc fouiller dans les titres de ces superbes despotes de l'Asie qui ont si souvent fait gémir la nature humaine, nous ne pourrions en trouver que de honteux & de deshonorans pour eux. Nous verrions dans les monumens de l'ancienne Ethiopie, que ces souverains qui, selon Strabon, ne se montroient à leurs peuples que derriere un voile, avoient eu pour prédécesseurs des chiens auxquels on avoit donné des hommes pour officiers & pour ministres; ces chiens pendant de longs âges avoient été les rois théocratiques de cette contrée, c'est - à - dire les représentans du dieu monarque, & c'étoit dans leurs cris, leurs allures, & leurs divers mouvemens qu'on cherchoit les ordres & les volontés de la suprème puissance dont on les avoit fait le symbole & l'image provisoire. Telle a sans doute été la source de ce culte absurde que l'Egypte a rendu à certains animaux; il n'a pû être qu'une suite de cet antique & stupide gouvernement, & l'idolâtrie d'Israël dans le désert semble nous en donner une preuve évidente. Comme ce peuple ne voyoit point revenir son conducteur qui faisoit une longue retraite sur le mont Sina, il le crut perdu tout - à - fait, & courant vers Aaron il lui dit: faites-nous un veau qui marche devant nous, car nous ne savons ce qu'est devenu ce Moïse qui nous a tiré d'Egypte; raisonnement bisarre, dont le véritable esprit n'a point encore été connu, mais qui justifie, ce semble, pleinement l'origine que nous donnons à l'idolâtrie & au despotisme; c'est qu'il y a eu des tems où un chien, un veau, ou un homme piacés à la tête d'une société, n'ont été pour cette société qu'une seule & même chose, & où l'on se portoit vers l'un ou vers l'autre symbole, suivant que les circonstances le demandoient, sans que l'on crût pour cela rien innover dans le système du gouvernement. C'est dans le même esprit que ces Hébreux retournerent si constamment aux idoles pendant leur théocratie, toutes les fois qu'ils ne voyoient plus au milieu d'eux quelque juge inspiré ou quelque homme suscité de Dieu. Il falloit alors retourner vers Moloch ou vers Chamos pour y chercher un autre représentant, comme on avoit autrefois couru au veau d'or pendant la disparition de Moïse.

Présentement arrivés où commence l'histoire des tems connus, il nous sera plus facile de suivre le despotisme & d'en vérifier l'origine par sa conduite & par ses usages. L'homme élevé à ce comble de grandeur & de gloire d'être regardé sur la terre comme l'organe du dieu monarque, & à cet excès de puissance de pouvoir agir, vouloir & commander souverainement en son nom, succomba presque aussi - tôt sous un fardeau qui n'est point fait pour l'homme. L'illusion de sa dignité lui fit méconnoître ce qu'il y avoit en elle de réellement grand & de réellement vrai, & les rayons de l'Etre

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.