ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"854"> cipe le plus connu & le moins contesté du mouvement des corps, il est clair que la premiere idée d'un philosophe doit être d'attribuer cette force à l'impulsion d'un fluide. C'est à cette idée que les tourbillons de Descartes doivent leur naissance; & elle paroissoit d'autant plus heureuse, qu'elle expliquoit à la fois le mouvement de translation des planetes par le mouvement circulaire de la matiere du tourbillon, & leur tendance vers le soleil par la force centrifuge de cette matiere. Mais ce n'est pas assez pour une hypothese de satisfaire aux phénomenes en gros, pour ainsi dire, & d'une maniere vague: les détails en sont la pierre de touche, & ces détails ont été la ruine du système Cartésien. Voyez Pesanteur, Tourbillons, Cartésianisme , &c.

Il faut donc renoncer aux tourbillons, quelque agréable que le spectacle en paroisse. Il y a plus; on est presque forcé de convenir que les planetes ne se meuvent point en vertu de l'action d'un fluide: car de quelque maniere qu'on suppose que ce fluide agisse, on se trouve exposé de tous côtés à des difficultés insurmontables: le seul moyen de s'en tirer, seroit de supposer un fluide qui fût capable de pousser dans un sens, & qui ne résistât pas dans un autre: mais le remede, comme on voit, seroit pire que le mal. On est donc réduit à dire, que la force qui fait tendre les planetes vers le soleil vient d'un principe inconnu, & si l'on veut d'une qualité occulte; pourvû qu'on n'attache point à ce mot d'autre idée que celle qu'il présente naturellement, c'est - à - dire d'une cause qui nous est cachée. C'est vraissemblablement le sens qu'Aristote y attachoit, en quoi il a été plus sage que ses sectateurs, & que bien des philosophes modernes.

Nous ne dirons donc point si l'on veut que l'attraction est une propriété primordiale de la matiere, mais nous nous garderons bien aussi d'affirmer, que l'impulsion soit le principe nécessaire des mouyemens des planetes. Nous avoüons même que si nous étions forcés de prendre un parti, nous pencherions bien plûtôt pour le premier que pour le second; puisqu'il n'a pas encore été possible d'expliquer par le principe de l'impulsion les phénomenes célestes; & que l'impossibilité même de les expliquer par ce principe, est appuyée sur des preuves très - fortes, pour ne pas dire sur des démonstrations. Si M. Newton paroît indécis en quelques endroits de ses ouvrages sur la nature de la force attractive; s'il avoue même qu'elle peut venir d'une impulsion, il y a lieu de croire que c'étoit une espece de tribut qu'il vouloit bien payer au préjugé, ou, si l'on veut, à l'opinion générale de fon siecle; & on peut croire qu'il avoit pour l'autre sentiment une sorte de prédilection; puisqu'il a souffert que M. Côtes son disciple adoptât ce sentiment sans aucune réserve, dans la préface qu'il a mise à la tête de la seconde édition des Principes; préface faite sous les yeux de l'auteur, & qu'il paroît avoir approuvée. D'ailleurs M. Newton admet entre les corps célestes une attraction réciproque; & cette opinion semble supposer que l'attraction est une vertu inhérente aux corps. Quoi qu'il en soit, la force attractive, selon M. Newton, décroît en raison inverse des quarrés des distances: ce grand philosophe a expliqué par ce seul principe une grande partie des phénomenes célestes; & tous ceux qu'on a tenté d'expliquer depuis par ce même principe, l'ont été avec une facilité & une exactitude qui tiennent du prodige. Le seul mouvement des apsides de la lune a paru durant quelque tems se refuser à ce système: mais ce point n'est pas encore décidé au moment que nous écrivons ceci; & je crois pouvoir assûrer que le système Newtonien en sortira à son honneur. Voyez Lune. Toutes les autres inégalités du mouvement de la lune qui, comme l'on sait, sont très - considérables, & en grand nombre, s'expliquent très - heureusement dans le système de l'attraction. Je m'en suis aussi assûré par le calcul, & je publierai bientôt mon travail.

Tous les phénomenes nous démontrent donc qu'il y a une force qui fait tendre les planetes les unes vers les autres. Ainsi nous ne pouvons nous dispenser de l'admettre; & quand nous serions forcés de la reconnoître comme primordiale & inhérente à la matiere, j'ose dire que la difficulté de concevoir une pareille cause seroit un argument bien foible contre son existence. Personne ne doute qu'un corps qui en rencontre un autre ne lui communique du mouvement: mais avons - nous une idée de la vertu par laquelle se fait cette communication? Les Philosophes ont avec le vulgaire bien plus de ressemblance qu'ils ne s'imaginent. Le peuple ne s'étonne point de voir une pierre tomber, parce qu'il l'a toûjours vû; de même les Philosophes, parce qu'ils ont vû dès l'enfance les effets de l'impulsion, n'ont aucune inquiétude sur la cause qui les produit. Cependant si tous les corps qui en rencontrent un autre s'arrêtoient sans leur communiquer du mouvement, un philosophe qui verroit pour la premiere fois un corps en pousser un autre seroit aussi surpris qu'un homme qui verroit un corps pesant se soûtenir en l'air sans retomber. Quand nous saurions en quoi consiste l'impénétrabilité des corps, nous n'en serions peut - être guere plus éclairés sut la nature de la force impulsive. Nous voyons seulement, qu'en conséquence de cette impénétrabilité, le choc d'un corps contre un autre doit être suivi de quelque changement, ou dans l'état des deux corps, ou dans l'état de l'un des deux: mais nous ignorons, & apparemment nous ignorerons toûjours, par quelle vertu ce changement s'exécute, & pourquoi par exemple un corps qui en choque un autrè ne reste pas toûjours en repos après le choc, sans communiquer une partie de son mouvement au corps choqué. Nous croyons que l'attraction répugne à l'idée que nous avons de la matiere: mais approfondissons cette idée, nous serons effrayés de voir combien peu elle est distincte, & combien nous devons être réservés dans les conséquences que nous en tirons. L'univers est caché pour nous derriere un espece de voile à travers lequel nous entrevoyons confusément quelques points. Si ce voile se déchiroit tout - à - coup, peut - être serions nous bien surpris de ce qui se passe derriere. D'ailleurs la prétendue incompatibilité de l'attraction avec la matiere n'a plus lieu dès qu'on admet un être intelligent & ordonnateur de tout, à qui il a été aussi libre de vouloir que les corps agissent les uns sur les autres à distance que dans le contact.

Mais autant que nous devons être portés à croire l'existence de la force d'attraction dans les corps célestes, autant, ce me semble, nous devons être réservés à aller plus avant. 1°. Nous ne dirons point que l'attraction est une propriété essentielle de la matiere, c'est beaucoup de la regarder comme une propriété primordiale; & il y a une grande différence entre une propriété primordiale & une propriété essentielle. L'impénétrabilité, la divisibilité, la mobilité, sont du dernier genre; la vertu impulsive est du second. Dès que nous concevons un corps, nous le concevons nécessairement divisible, étendu, impénétrable: mais nous ne concevons pas nécessairement qu'il mette en mouvement un autre corps. 2°. Si on croit que l'attraction soit une propriété inhérente à la matiere, on pourroit en conclurre que la loi du quarré s'observe dans toutes ses parties. Peut - être néanmoins seroit - il plus sage de n'admettre l'attraction qu'entre les parties des planetes, sans prendre notre parti sur la nature ni sur la cause de cette force, jusqu'à ce que de nouveaux phénomenes nous éclairent sur ce sujet. Mais du - moins faut - il bien nous garder d'assûrer que quelques parties de la matiere s'attirent suivant d'autres lois que celles du quarré. Cette proposition ne [p. 855] paroît point suffisamment démontrée. Les faits sont l'unique boussole qui doit nous guider ici, & je ne crois pas que nous en ayons encore un assez grand nombre pour nous élever à une assertion si hardie: on peut en juger par les différens théorèmes que nous venons de rapporter d'après M. Keil & d'autres philosophes. Le systeme du monde est en droit de nous faire soupçonner que les mouvemens des corps n'ont peut - être pas l'impulsion seule pour cause; que ce soupçon nous rende sages, & ne nous pressons pas de conclurre que l'attraction soit un principe universel, jusqu'à ce que nous y soyons forcés par les phénomenes. Nous aimons, il est vrai, à généraliser nos découvertes; l'analogie nous plaît, parce qu'elle flatte notre vanité & soulage notre paresse: mais la nature n'est pas obligée de se conformer à nos idées. Nous voyons si peu avant dans ses ouvrages, & nous les voyons par de si petites parties, que les principaux ressorts nous en échappent. Tâchons de bien appercevoir ce qui est autour de nous; & si nous voulons nous élever plus haut, que ce soit avec beaucoup de circonspection: autrement nous n'en verrions que plus mal, en croyant voir plus loin; les objets éloignés seroient toûjours confus, & ceux qui étoient à nos piés nous échapperoient.

Après ces refléxions, je crois qu'on pourroit se dispenser de prendre aucun parti sur la dispute qui a partagé deux académiciens célebres, savoir si la loi d'attraction doit nécessairement être comme une puissance de la distance, ou si elle peut être en généal comme une fonction de cette même distance, voyez Puissance & Fonction; question purement métaphysique, & sur laquelle il est peut - être bien hardi de prononcer, apres ce que nous venons de dire; aussi n'avons - nous pas cette prétention, surtout dans un ouvrage de la nature de celui - ci. Nous croyons cependant que si on regarde l'attraction comme une propriété de la matiere ou une loi primitive de la nature, il est assez naturel de ne faire dépendre cette attraction que de la seule distance, & en ce cas sa loi ne pourra être représentée que par une puissance; car toute autre fonction contiendroit un parametre ou quantité constante qui ne dépendroit point de la distance, & qui paroîtroit se trouver là sans aucune raison suffisante. Il est du - moins certain qu'une loi exprimée par une telle fonction, seroit moins simple qu'une loi exprimée par une seule puissance.

Nous ne voyons pas d'ailleurs quel avantage il y auroit à exprimer l'attraction par une fonction. On prétend qu'on pourroit expliquer par - là, comment l'attraction à de grandes distances est en raison inverse du quarré, & suit une autre loi à de petites distances: mais il n'est pas encore bien certain que cette loi d'attraction à de petites distances, soit aussi générale qu'on veut le supposer. D'ailleurs, si on veut saire de cette fonction une loi générale qui devienne sort différente du quarré à de très - petites distances, & qui puisse servir à rendre raison des attractions qu'on observe ou qu'on suppose dans les corps terrestres, il nous paroît difficile d'expliquer dans cette hypothese comment la pesanteur des corps qui sont immédiatement contigus à la terre, est à la pesanteur de la lune à peu près en raison inverse du quarré de la distance. Ajoûtons qu'on devroit être fort circonspect à changer la loi du quarré des distances, quand même, ce qui n'est pas encore arrivé, on trouveroit quelque phénomene céleste, pour l'explication duquel cette loi du quarré ne suffiroit pas. Les différens points du système du monde, au moins ceux que nous avons examinés jusqu'ici, s'accordent avec la loi du quarré des distances: cependant comme cet accord n'est qu'un à peu près, il est clair qu'ils s'accorderoient de même avec une loi qui seroit un peu différente de celle du quarré des distances: mais on sent bien qu'il seroit ridicule d'admettre une pareille loi par ce seul motif.

Reste donc à savoir si un seul phénomene qui ne s'accorderoit point avec la loi du quarré, seroit une raison suffisante pour nous obliger à changer cette loi dans tous les autres; & s'il ne seroit pas plus sage d'attribuer ce phénomene à quelque cause ou loi particuliere. M. Newton a reconnu lui - même d'autres forces que celle - là, puisqu'il paroît supposer que la force magnétique de la terre agit sur la lune, & on sait combien cette force est différente de la force générale d'attraction, tant par son intensité, que par les lois suivant lesquelles elle agit.

M. de Maupertuis, un des plus célebres partisans du Newtonianisme, a donné dans son discours sur les figures des astres une idée du systeme de l'attraction & des refléxions sur ce système, auxquelles nous croyons devoir renvoyer nos lecteurs, comme au milleur précis que nous connoissions de tout ce qu'on peut dire sur cett matiere. Le même auteur observe dans les Mém. acad. 1734, que Mrs de Roberval, de Fermat & Pascal ont crû long tems avant M. Newton, que la pesanteur étoit une vertu attractive & inhérente aux corps, en quoi on voit qu'ils se sont expliqués d'une maniere bien plus choquante pour les Cartésiens, que M. Newton ne l'a fait. Nous ajoûterons que M. Hook avoit eu la même idée, & avoit prédit qu'on expliqueroit un jour très - heureusement par ce principe les mouvemens des planetes. Ces refléxions, en augmentant le nombre des partisans de M. Newton, ne diminuent rien de sa gloire, puisqu'étant le premier qui ait fait voir l'usage du principe, il en est proprement l'auteur & le créateur. (O)

Attraction des montagnes (Page 1:855)

Attraction des montagnes. Il est certain que si on admet l'attraction de toutes les parties de la terre, il peut y avoir des montagnes dont la masse soit assez considérable pour que leur attraction soit sensible. En effet, supposons pour un moment que la terre soit un globe d'une densité uniforme, & dont le rayon ait 1500 lieues, & imaginons sur quelque endroit de la surface du globe une montagne de la même densité que le globe, laquelle soit faite en demi - sphere & ait une lieue de hauteur; il est aisé de prouver qu'un poids placé au bas de cette montagne sera attiré dans le sens horisontal par la montagne, avec une force qui sera la 3000e partie de la pesanteur, de maniere qu'un pendule ou fil à plomb placé au bas de cette montagne, doit s'écarter d'environ une minute de la situation verticale; le calcul n'en est pas difficile à faire & on peut le supposer.

Il peut donc arriver que quand on observe la hauteur d'un astre au pié d'une fort grosse montagné, le fil à plomb, dont la direction sert à faire connoître cette hauteur, ne soit point vertical; & si l'on faisoit un jour cette observation, elle fourniroit, ce semble, une preuve considérable en faveur du système de l'attraction. Mais comment s'assûrer qu'un fil à plomb n'est pas exactement vertical, puisque la direction même de ce fil est le seul moyen qu'on puisse employer pour déterminer la situation verticale? Voici le moyen de résoudre cette difficulté.

Imaginons une étoile au nord de la montagne, & que l'observateur soit placé au sud. Si l'attraction de la montagne agit sensiblement sur le fil à plomb, il sera écarté de la situation verticale vers le nord, & par conséquent le zénith apparent reculera, pour ainsi dire, d'autant vers le sud: ainsi la distance observée de l'étoile au zénith, doit être plus grande que s'il n'y avoit point d'attraction.

Donc si après avoir observé au pié de la montagne la distance de cette étoile au zénith, on se transporte loin de la montagne sur la même ligne à l'est

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