ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Mais les adjectifs & les verbes ne se revêtent des terminaisons numériques que par imitation; ils ont donc un rapport nécessaire aux noms ou aux pronoms leurs corélatifs: c'est le rapport d'identité qui suppose que les adjectifs & les verbes ne présentent à l'esprit que des êtres quelconques & indéterminés, voyez Identité, & c'est - là le point de vûe commun qui est propre à ces deux especes, & qui les distingue des deux autres.

2°. La même doctrine que nous venons d'établir sur la théorie des nombres, se déduit de même de celle des cas. Les cas en général sont des terminaisons différentes qui ajoûtent à l'idée principale du mot l'idée accessoire d'un rapport déterminé à l'ordre analytique de l'énonciation. Voyez Cas, & les articles des differens cas. La distinction des cas n'est pas d'un usage universel dans toutes les langues, mais elle est possible dans toutes, puisqu'elle existe dans quelqus - unes, & cela suffit pour en faire le fondement d'une théorie générale.

La premiere observation qu'elle fournit, c'est que les quatre especes de mots déclinables reçoivent les inflex ons des cas dans les langues qui les admettent, ce qui indique dans les quatre especes une signification fondamentale commune: nous avons déja vû qu'elle consiste à présenter à l'esprit les idées des êtres réels ou abstraits qui peuvent être les objets de nos pensées; & l'on déduiroit la même conséquence de la nature des cas, par la raison qu'il n'y a que des êtres qui soient susceptibles de rapports, & qui puissent en être les termes.

La seconde observation qui naît de l'usage des cas, c'est que deux sortes de principes en reglent le choix, comme celui des nombres: ce sont les besoins de l'énonciation, d'après ce qui existe dans l'esprit de celui qui parle, qui fixent le choix des cas pour les noms & pour les pronoms; c'est une raison d'imitation & de concordance qui est décidée pour les adjectifs & pour les verbes.

Ainsi le nom rivum, dans la phrase de Phedre, est à l'accusatif, parce qu'il est le complément de la préposition ad, & que le complément de cette préposition est assujetti par l'usage de la langue latine à se revêtir de cette terminaison; les noms lupus & agnus sont au nominatif, parce que chacun d'eux exprime une partie grammaticale du sujet logique du verbe venerant, & que le nominatif est le cas destiné par l'usage de la langue latine à designer ce rapport à l'ordre analytique. Voilà des raisons de nécessité; en voici d'imitation: l'adjectif eundem est à l'accusatif, pour s'accorder en cas avec son corrélatif rivum; l'adjectif - verbe, ou le participe compulsi, est au nominatif, pour s'accorder aussi en cas avec les noms lupus & agnus auxquels il est appliqué.

Ceci nous fournit encore les mêmes consequences déja établies à l'occasion des nombres. La diversité des motifs qui décident les cas, divise pareillement en deux ordres les quatre especes de mots déclinables; & ces deux ordres sont précisément les mêmes qui ont été dislingués par la diversité des principes qui reglent le choix des nombres. Les noms & les pronoms sont du premier ordre, les adjectifs & les verbes sont du second.

Les cas désignent des rapports déterminés, & les cas des noms & des pronoms se décident d'après ce qui existe dans l'esprit de celui qui parle: or on ne peut siver dans son esprit que les rapports des êtres déterminés, parce que des êtres indéterminés ne peuvent avoir des rapports fixes. Il suit donc encore de ceci que les noms & les pronoms présentent à l'esprit des étres déterminés.

Au contraire les cas des adjectifs & des verbes ne servent qu'à mettre ces especes de mots en concordance avec leurs corrélatifs: nous pouvons donc en conclure encore que les adjectifs & les verbes ne présentent à l'esprit que des êtres indéterminés, puisqu'ils ont besoin d'une déterminaison accidentelle pour pouvoir prendre tel ou tel cas.

3°. Le système des nombres & celui des cas sont les mêmes pour les noms & pour les pronoms; & l'on en conclut également que les uns & les autres présentent à l'esprit des êtres déterminés, ce qui constitue l'idée commune ou générique de leur essence. Mais par rapport aux genres, ces deux parties d'oraison se séparent & suivent des lois différentes.

Chaque nom a un genre fixe & déterminé par l'usage, ou par la nature de l'objet nommé, ou par le choix libre de celui qui parle: ainsi pater (pere) est du masculin, mater (mere) est du féminin, par nature; baculus (bâton) est du masculin, mensa (table) est du féminin, par usage; finis en latin, duché en françois, sont du masculin ou du féminin, au gré de celui qui parle. Voyez Genre. Les pronoms au contraire n'ont point de genre fixe; desorte que sous la même terminaison ou sous des terminaisons différentes, ils sont tantôt d'un genre & tantôt d'un autre, non au gré de celui qui parle, mais selon le genre même du nom auquel le pronom a rapport: ainsi E/GW en grec, ego en latin, ich en allemand, io en italien, je en françois, sont masculins dans la bouche d'un homme, & féminins dans celle d'une femme; au contraire il est toujours masculin, & elle toujours féminin, quoique ces deux mots, au genre près, aient le même sens, ou plûtôt ne soient que le même mot, avec différentes inflexions & terminaisons.

Voilà donc entre le nom & le pronom un rapport d'identité fondé sur le genre; mais l'identité suppose un même être présente dans l'une des deux especes de mots d'une maniere précise & déterminée, & dans l'autre, d'une maniere vague & indéfinie. Ce qui précede prouve que les noms & les pronoms présentenr également à l'esprit des êtres déterminés: il faut donc conclure ici que ces deux especes different entr'elles par l'idée déterminative: l'idée précise qui détermine dans les noms, est vague & indéfinie dans les pronoms; & cette idée est sans doute le fondement de la distinction des genres, puisque les genres appartiennent exclusivement aux noms, & ne se trouvent dans les pronoms que comme la livrée des noms auxquels ils se rapportent.

Les genres ne sont, par rapport aux noms, que différentes classes dans lesquelles on les a distribués assez arbitrairement; mais à - travers la bisarrerie de cette distribution, la distinction même des genres & dénominations qu'on leur a données dans toutes les langues qui les ont reçus, indiquent assez clairement que dans cette distribution on a prétendu avoir égard à la nature des êtres exprimés par les noms. Voyez Genre. C'est précisément l'idée déterminative qui les caractérise, l'idée spécifique qui les distingue des autres especes: les noms sont donc une espece de mots déclinables, qui présentent à l'esprit des êtres déterminés par l'idée de leur nature.

Cette conclusion acquiert un nouveau degré dè certitude, si l'on fait attention à la premiere division des noms en appellatifs & en propres, & à la soudivision des appellatifs en génériques & en spécisiques. L'idée déterminante dans les noms appellatifs, est celle d'une nature commune à plusieurs; dans les noms propres, c'est l'idée d'une nature individuelle; dans les noms génériques, l'idée déterminante est celle d'une nature commune à toutes les especes comprises sous un même genre & à tous les individus de chacune de ces especes; dans les noms spécifiques, l'idée déterminante est celle d'une nature qui n'est commune qu'aux individus d'une seule [p. 755] espece. Animal, homme, brute, chien, cheval, &c. sont des noms appellatits; animal est générique à l'égard des noms homme & brute, qui sont spécinques par rapport à animal; brute est générique à l'égard des noms chien, cheval, &c. & ceux - ci sont specifiques à l'égard de brute: Ciceron, Médor, Bucephale, sont des noms propres compris sous les spécifiques homme, chien, cheval.

Il en est encore des adjectifs & des verbes, par rapport aux genres, comme par rapport aux nombres & aux cas: ce sont des terminaisons différentes qu'ils prennent successivement selon le genre propre du nom auquel ils ont rapport, qu'ils imitent en quelque maniere, & avec lequel ils s'accordent. Ainsi dans la même phrase de Phedre, l'adjectif eumdem a une inflexion masculine pour s'accorder en genre avec le nom rivum, auquel il se rapporte; & l'adjectif verbe ou participe compulse, a de même la terminaison masculine pour s'accorder en genre avec les deux noms lupus & agnus, ses corrélatifs. Il en résulte donc encore que ces deux especes de mots présentent à l'esprit des êtres indétérminés.

4°. La distribution physique des noms en différentes classes que l'on nomme genres, & leur division métaphysique en appellatifs génériques, spécifiques & propres, sont également tondées sur l'idee déterminative qui caractérise cette espece. La division des pronoms doit avoir un fondement pareil, si l'analogie qui regle tout d'une maniere plus ou moins marquée, ne nous manque pas ici. Or on divise les pronoms par les personnes, & l'on distingue ceux de la premiere, ceux de la seconde, & ceux de la troisieme.

Les personnes sont les relations des êtres à l'acte même de la parole; & il y en a trois, puisqu'on peut distinguer le sujet qui parle, celui à q'u on adresie la parole, & enfin l'être, qui est simplement l'objet du discours, sans le prononcer & sans être apostrophé. Voyez Personne. Or les usages de toutes les langues déposent unanimement que l'une de ces trois relations à l'acte de la parele, est déterminément attachée à chaque pronom: ainsi E/GW en grec, ego en latin, ich en allemand, io en italien; je en françois, expriment déterminément le sujet qui produit ou qui esl censé produire l'acte de la parole, de quelque natute que soit ce sujet, mâle ou femelle, animé même ou inanimé, réel ou abstrait; SU/ en grec, tu en latin, du ou ihr en allemand, tu, que l'on prononcera tou en italien, tu ou vous en françois, marquent déterminément le sujet auquel on adresse la parole, &c. Les noms au contraire n'ont point de relation fixe à la parole, c'est - à dire point de personne fixe; sous la même terminaison, ou sous des terminaisons différentes, ils sont tantôt d'une personne & tantôt d'une autre, selon l'occurrence. Ainsi dans cette phrase, ego Joannes vidi, le nom Joannes est de la premiere petsonne par concordance avec ego, comme ego est du masculin par concordance avec Joannes; le pronom ego détermine la personne qui est essentiellement vague dans Joannes, comme le nom Joannes détermine la nature qui est essentiellement indéterminée dans ego: dans Joannes vidisti, le même nom Joannes est de la seconde personne, parce qu'il exprime le sujet à qui on parle, & en cette occurrence on change quelquefois la terminaison, domine pour dominus: dans Joannes vidit, le nom Joannes est de la troisieme personne, parce qu'il exprime l'être dont on parle sans lui adresser la parole.

De même donc que sous le nom de génres on a tapporté les noms à différentes classes qui ont leur fondement commun dans la nature des êtres; on a pareillement, sous le nom de personne, rapporté les pronoms à des classes différenciées par les diver<cb-> ses relations des êtres à l'acte de la parole. Les personnes sont à l'égard des pronoms, ce que les genres sont à l'égard des noms, parce que l'idée de la relation à l'acte de la parole, est l'idée caractéristique des pronoms, comme l'idée de la nature est celle des noms. L'idée de la relation à l'acte de la parole, qui est essentielle & précise dans les pronoms, demeure vague & indéterminée dans les noms; comme l'idée de la nature, qui est essentielle & précise dans les noms, demeure vague & indéterminée dans les pronoms. Ainsi les êtres déterminés dans les noms par l'idée précise de leur nature, sont susceptibles de toutes les relations possibles à la parole; & réciproquement, les êtres déterminés dans les pronoms par l'idée précise de leur relation à l'acte de la parole, peuvent être rapportés à toutes les natures.

Les adjectifs & les verbes sont toujours des mots qui présentent à l'esprit des êtres indéterminés, puisqu à tous égards ils ont besoin d'être appliqués à quelque nom ou à quelque pronom, pour pouvoir prendre quelque terminaison déterminative. Les personnes, par exemple, qui ne sont dans les verbes que des terminaisons, suivent la relation du sujet à l'acte de la parole, & les verbes prennent telle ou telle terminaison personnelle, selon cette relation de leurs sujets à l'acte de la parole, ego Joannes vidi, tu Joannes vidisti, Joannes vidit.

5°. Le fil de notre analyse nous a menés jusqu'ici à la véritable notion des noms & des pronoms.

Les noms sont des mots qui présentent à l'esprit des êtres déterminés par l'idée précise de leur nature; & de - là la division des noms en appellatifs & en propres, & celle des appellatifs en génériques & en spécifiques; de - là encore une autre division des noms en substantifs & abstractifs, selon qu'ils présentent à l'esprit des êtres réels ou purement abstraits. Voyez Nom.

Les pronoms sont des mots qui présentent à l'esprit des êtres déterminés par l'idée précise de leur relation à l'acte de la parole; & de là la division des pronoms par la premiere, la seconde & la troisieme personne. Voyez Pronom.

Mais nous ne connoissons encore de la nature des adjectifs & des verbes, qu'un caractere générique, savoir que les uns & les autres présentent à l'esprit des êtres indéterminés; & il nous reite à trouver la différence caractéristique de ces deux especes. Cependant les deux especes de variations accidentelles qui nous restent à examiner, savoir les tems & les modes, appartiennent au verbe exclusivement. Par quel moyen pourrons - nous donc fixer les caracteres spécifiques de ces deux especes? Revenons sur nos pas.

Quoique les uns & les autres ne présentent à l'esprit que des êtres indéterminés, les uns & les autres renferment pourtant dans leur signification une idée très - précise: par exemple, l'idée de la bonté est tièsprécise dans l'adjectif bon, & l'idée de l'amour ne l'est pas moins dans le verbe aimer, quoique l'être en qui se trouve ou la bonté ou l'amour y soit très - indéterminé. Cette idée précise de la signification des adjectifs & des verbes, doit être notre ressource, si nous saisissons quelques observations des usages connus.

Une singularité frappante, unanimement admise dans toutes les langues, c'est que l'adjectif n'a reçu aucune variation relative aux personnes qui caractérisent les pronoms. Les adjectifs mêmes dérivés des verbes qui sous le nom de participe réunissent en esset la double nature des deux parties d'oraison, n'ont reçu nulle part les inflexions personnelles, quoiqu'on en ait accordé à d'autres modes du verbe. Au contraire tous les adjectifs, tant ceux qui ne sont qu'adjectifs, que les participes, ont reçu, du - moins dans les langues qui les comportent, des inflexions relatives aux genres, dont on a vu que la distinction

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