ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"762"> tence sous l'attribut de ce sentiment: voilà ce qui constitue l'idée principale de la signification formelle de ces trois mots. Mais les inflexions & les terminaisons qui les différencient, indiquent des points de vûe différens ajoutés à l'idée principale de la signification formelle: dans amare, on remarque que cette signification doit être entendue d'un sujet quelconque, parce que le mode est infinitif; que l'existence en est envisagée comme simultanée avec une époque, parce que le tems est présent; que cette époque est une époque quelconque, parce que ce présent est indéfini: dans amabam & amavissent, on voit que la signification doit être entendue d'un sujet déterminé, parce que les modes sont personnels; que ce sujet déterminé doit être de la premiere personne & au nombre singulier pour amabam, de la troisieme personne & du nombre pluriel pour amavissent; que l'existence du sujet est envisagée relativement à une époque antérieure au moment de la parole dans chacun de ces deux mots, parce que les tems en sont antérieurs, mais qu'elle est simultanée dans amabam qui est un présent, & antérieure dans amavissent qui est un prétérit, &c.

C'est sur la distinction des idées principales & accessoires de la signification formelle, que porte la diversité des formes dont les mots se revêtent selon les vûes de l'énonciation; formes spécifiques, qui, dans chaque idiôme, caractérisent à - peu - pres l'espece du mot; & formes accidentelles, que l'usage de chaque langue a fixées relativement aux vûes de la syntaxe, & dont le choix bien entendu est le fondement de ce que l'on nomme la correction du style, qui est l'un des signes les plus certains d'une education cultivée.

Je finirai cet article par une définition du mot la plus exacte qu'il me sera possible. L'auteur de la Grammaire genérale (part. II. ch. j.) dit que « l'on peut définir les mots, des sons distincts & articulés dont les hommes ont fait des signes pour signifier leurs pensées ». Mais il manque beaucoup à l'exactitude de cette définition. Chaque syllabe est un son distinct & souvent articulé, qui quelquefois signifie quelque chose de nos pensêes: dans amaveramus, sa syllabe am est le signe de l'attribut sous lequel existe le sujet; av indique que le tems est prétérit (voyez Tems. ); er marque que c'est un prétérit défini; am final désigne qu'il est antérieur; us marque qu'il est de la premiere personne du pluriel; y artil cinq mots dans amaveramus? La préposition françoise ou latine à, la conjonction ou, l'adverbe y, le verbe latin co, sont des sons non - articulés, & ce sont pourtant des mots. Quand on dit que ce sont des signes pour signifier les pensées, on s'exprime d'une maniere incertaine; car une proposition entiere, composée même de plusieurs mots, n'exprime qu'une pensée; n'est - elle donc qu'un mot? Ajoutez qu'il est peu correct de dire que les hommes ont fait des signes pour signifier; c'est un pléonasme.

Je crois donc qu'il faut dire qu'un mot est une totalité de sons, devenue par usage pour ceux qui l'entendent, le signe d'une idée totale.

1°. Je dis qu'un mot est une totalité de sons; parce que, dans toutes les langues, il y a des mots d'une & de plusieurs syllabes, & que l'unité est une totalité aussi - bien que la pluralité. D'ailleurs, j'exclus par - là les syllabes qui ne sont que des sons partiels, & qui ne sont pas des mots, quoiqu'elles désignent quelquefois des idées, même complexes.

2°. Je n'ajoute rien de ce qui regarde l'articulation ou la non articulation des sons; parce qu'il me semble qu'il ne doit être question d'un état déterminé du son, qu'autant qu'il seroit exclusivement nécessaire à la notion que l'on veut donner: or, il est indifferent à la nature du mot d'être une totalité de sons articulés ou de sons non - articulés; & l'idée seule du son, faisant également abstraction de ces deux états opposés, n'exclut ni l'un ni l'autre de la notion du mot: son simple, son articulé, son aigu, son grave, son bref, son alongé, tout y est admislible.

3°. Je dis qu'un mot est le signe d'une idée totale; & il y a plusieurs raisons pour m'exprimer ainsi. La premiere, c'est qu'on ne peut pas disconvenir que souvent une seule syllabe, ou même une simple articulation, ne soit le signe d'une idée, puisqu'il n'y a ni inflexion ni terminaison qui n'ait sa signification propre: mais les objets de cette signification ne sont que des idées partielles, & le mot entier est nécessaire à l'exprestion de l'idée totale. La seconde raison, c'est que si l'on n'attachoit pas à la signification du mot une idée totale, on pourroit dire que le mot, diversement terminé, demeure le même, sous prétexte qu'il exprime toûjours la même idée principale; mais l'idée principale & les idées accessoires sont également partielles, & le moindre changement qui arrive dans l'une ou dans l'autre est un changement réel pour la totalité; le mot alors n'est plus le même, c'en est un autre, parce qu'il est le signe d'une autre idée totale. Une troisieme raison, c'est que la notion du mot ainsi entendue est vraie, de ceux même qui équivalent à des propositions entieres, comme oui, non, allez, morieris, &c. car toute une proposition ne sert qu'à faire naître dans l'esprit de ceux qui l'entendent une idée plus precise & plus développée du sujet.

4°. J'ajoute qu'un mot est signe pour ceux qui l'entendent. C'est que l'on ne parle en effet que pour être entendu; que ce qui se passe dans l'esprit d'un homme, n'a aucun besoin d'être représenté par des signes extérieurs, qu'autant qu'on veut le communiquer au - dehors; & que les signes sont pour ceux à qui ils manifestent les objets signifiés. Ce n'est d'ailleurs que pour ceux qui entendent que les interjections sont des signes d'idées totales, puisqu'elles n'indiquent dans celui qui les prononce naturellement que des sentimens.

5°. Enfin, je dis qu'un mot devient par usage le signe d'une idée totale, afin d'assigner le vrai & unique fondement de la signification des mots. « Les mots, dit le pere Lami (Rhét. liv. I. ch. iv.), ne signifient rien par eux - mêmes, ils n'ont aucun rapport naturel avec les idées dont ils sont les signes; & c'est ce qui cause cette diversité prodigieuse de langues: s'il y avoit un langage naturel, il seroit connu de toute la terre & en usage par - tout ». C'est une vérité que j'ai exposée en détail & que je crois avoir bien établie à l'article Langue (art. I. sub fin.). Mais si les mots ne signifient pas par nature, ils signifient donc par institution; quel en est l'auteur? Tous les hommes, ou du - moins tous les sages d'une nation, se sont - ils assemblés pour régler dans une délibération commune la signification de chaque mot, pour en choisir le matériel, pour en fixer les dérivations & les déclinaisons? Personne n'ignore que les langues ne se sont pas formées ainsi. La premiere a été inspirée, en tout ou en partie, aux premiers auteurs du genre humain: & c'est probablement la même langue que nous parlons tous, & que l'on parlera toûjours & par - tout, mais altérée par les changemens qui y survinrent d'abord à Babel en vertu de l'operation miraculeuse du Tout - Puissant, puis par tous les autres qui naissent insensiblement de la diversité des tems, des climats, des lumieres, & de mille autres circonstances diversement combinées. « Il dépend de nous, dit encore le pere Lami (ibid. ch. vij.), de comparer les choses comme nous voulons »; (ce choix des comparaisons n'est peut - être pas toûjours si arbitraire [p. 763] qu'il l'assure, & il tient souvent à des causes dont l'influence est irrésistible pour les nations, quoiqu'elle pût être nulle pour quelques individus; mais du moins est - il certain que nous comparons très différemment, & cela suffit ici: car c'est) « ce qui fait, ajoute - t - il, cette grande différence qui est entre les langues. Ce que les Latins appellent fenestra, les Espagnols l'appellent ventana, les Portugais janella; nous nous servons aussi de ce nom croisée pour marquer la même chose. Fenestra, ventus, janua, crux, sont des mots latins. Le françois, l'espagnol, le portugais viennent du latin », (c'est - à - dire, que ces trois idiômes ont emprunté beaucoup de mots dans la langue latine, & c'est tout:) « mais les Espagnols considérant que les fenêtres donnent passage aux vents, les appellent ventana de ventus: les Portugais ayant regardé les fenêtres comme de petites portes, ils les ont appellées janella de janua: nos senêtres étoient autrefois partagées en quatre parties avec des croix de pierre; on les appelloit pour cela des croisées de crux: les Latins ont considéré que l'usage des fenêtres est de recevoir la lumiere; le nom fenestra vient du grec FAI/NEIN qui signifie reluire. C'est ainsi que les différentes manreres de voir les choses portent a leur donner différens noms ». Et c'est ainsi, puis - je ajouter, que la diversité des vûes introduit en divers lieux des mots tres - différens pour exprimer les mêmesidées totales; ce qui diversifie les idiômes, quoiqu'ils viennent tous originairement d'une même source. Mais ces différens mots, risqués d'abord par un particulier qui n'en connoît point d'autre pour exprimer ses idées telles qu'elles sont dans son esprit, n'en deviennent les signes universels pour toute la nation, qu'après qu'ils ont passé de bouche en bouche dans le même sens; & ce n'est qu'alors qu'ils appartiennent à l'idiôme national. Ainsi c'est l'usage qui autorise les mots, qui en détermine le sens & l'emploi, qui en est l'instituteur véritable & l'unique approbateur.

Mais d'où nous vient le terme de mot? On trouve dans Lucilius, non audet dicere muttum (il n'ose dire un mot); & Cornutus, qui enseigna la Philosophie à Perse, & qui fut depuis son commentateur, remarque sur la premiere satyre de son disciple, que les Romains disoient proverbialement, mutum nullum emiseris (ne dites pas un seul mot). Festus témoigne que mutire, qu'il rend par loqui, se trouve dans Ennius; ainsi mutum & mutire, qui paroissent venir de la même racine, ont un fondement ancien dans la langue latine.

Les Grecs ont fait usage de la même racine, & ils ont MU\QOS2, discours; MUQHTHS2: parleur; & MUSEI=H, parler.

D'après ces observations, Ménage dérive mot du latin mutum; & croit que Périon s'est trompé d'un degré, en le dérivant immédiatement du grec MUQEI=N.

Il se peut que nous l'ayons emprunté des Latins, & les Latins des Grecs; mais il n'est pas moins possible que nous le tenions directement des Grecs, de qui, après tout, nous en avons reçu bien d'autres: & la décision tranchante de Ménage me paroît trop hasardée, n'ayant d'autre fondement que la priorité de la langue grecque sur la latine.

J'ajoute qu'il pourroit bien se faire que les Grecs, les Latins, & les Celtes de qui nous descendons, eussent également trouvé ce radical dans leur propre fonds, & que l'onomatopée l'eût consacré chez tous au même usage, par un tour d'imagination qui est universel parce qu'il est naturel. Ma, mê, mé, mi, meu, mo, mu, mou, sont dans toutes les langues les premieres syllabes ar iculées, parce que m est la plus facile de toutes les articulations (voyez Langue, art. III. S. ij. n. 1.); ces syllabes doi<cb-> vent donc se prendre assez naturellement pour signifier les premieres idées qui se présentent; & l'on peut dire que l'idée de la parole est l'une des plus frappantes pour des êtres qui parlent. On trouve encore dans le poëte Lucilius, non laudare hominem quemquam, nec mu facere unquàm; où l'on voit ce mu indéclinable, montré comme l'un des premiers élémens de la parole. Il est vraissemblable que les premiers instituteurs de la langue allemande l'envisagerent à - peu - près de même, puisqu'ils appellerent mut, la pensée, par une métonymie sans doute du signe pour la chose signifiée: & ils donnerent ensuite le même nom à la substance de l'ame, par une autre métonymie de l'effet pour la cause. Voyez Métonymie. (B. E. R. M.)

Mot, Terme, Expression (Page 10:763)

Mot, Terme, Expression, (Synon.) Le mot, dit l'abbé Girard, est de la langue; l'usage en décide. Le terme est du sujet; la convenance en fait la bonté. L'expression est de la pensée; le tour en fait le mérite.

La pureté du langage dépend des mots; sa précision dépend des termes; & son brillant dépend des expressions.

Tout discours travaillé demande que les mots soient françois; que les termes soient propres; & que les expressions soient nobles.

Un mot hasardé choque moins qu'un mot qui a vieilli. Les termes d'art sont aujourd'hui moins ignorés dans le grand monde; il en est pourtant qui n'ont de grace que dans la bouche de ceux qui font profession de ces arts. Les expressions trop recherchées font à l'égard du discours, ce que le fard fait à l'égard de la beauté du sexe; employées pour embellir, elles enlaidissent. (D. J.)

Mot consacré (Page 10:763)

Mot consacré, (Gramm.) On appelle mots consacrés certains mots particuliers qui ne sont bons qu'en certains endroits ou occasions; & on leur a peut - être donné ce nom, parce que ces mots ont commencé par la religion, dont les mysteres n'ont pû être exprimés que par des mots faits exprès. Trinité, incarnation, nativité, transfiguration, annonciation, visitation, assomption, fils de perdition, portes de l'enfer, vase d'élection, homme de péché, &c. sont des mots consacrés, aussi - bien que cène, cénacle, fraction de pain, actes des Apôtres, &c.

De la religion on a étendu ce mot de consacré aux Sciences & aux Arts; desorte que les mots propres des Sciences & des Arts s'appellent des mots consacrés, comme gravitation, raréfaction, condensation, & mille autres, en matiere de Physique; allegro, adagio, aria, arpeggio, en Musique, &c.

Il faut se servir sans difficulté des mots consacrés dans les matieres de religion, Sciences & Arts; & qui voudroit dire, par exemple, la fête de la naissance de Notre - Seigneur, la fête de la visite de la Vierge, ne diroit rien qui vaille: l'usage veut qu'on dise la nativité & la visitation, en parlant de ces deux mysteres, &c. Ce n'est pas qu'on ne puisse dire la naissance de Notre - Seigneur, & la visite de la Vierge: par exemple, la naissance de Notre - Seigneur est bien différente de celle des princes; la visite que rendit la Vierge à sa cousine n'avoit rien des visites profanes du monde. L'usage veut aussi qu'on dise la cène & le cénacle; & ceux qui diroient une chambre haute pour le cénacle, & le souper pour la cène, s'exprimeroient fort mal. (D. J.)

Mot bon (Page 10:763)

Mot bon, (Opérat. de l'esprit.) un bon mot, est un sentiment vivement & finement exprimé; il faut que le bon mot naisse naturellement & sur le champ; qu'il soit ingénieux, plaisant, agréable; enfin, qu'il ne renferme point de raillerie grossiere, injurieuse, & piquante.

La plûpart des bons mots, consistent dans des tours d'expressions, qui sans gêner, offrent à l'esprit deux

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