ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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tence sous l'attribut de ce sentiment: voilà ce qui
constitue l'idée principale de la signification formelle
de ces trois mots. Mais les inflexions & les terminaisons
qui les différencient, indiquent des points de
vûe différens ajoutés à l'idée principale de la signification
formelle: dans amare, on remarque que cette
signification doit être entendue d'un sujet quelconque,
parce que le mode est infinitif; que l'existence
en est envisagée comme simultanée avec une époque, parce que le tems est présent; que cette époque est une époque quelconque, parce que ce présent
est indéfini: dans amabam & amavissent, on
voit que la signification doit être entendue d'un sujet
déterminé, parce que les modes sont personnels; que
ce sujet déterminé doit être de la premiere personne
& au nombre singulier pour amabam, de la troisieme
personne & du nombre pluriel pour amavissent;
que l'existence du sujet est envisagée relativement à
une époque antérieure au moment de la parole dans
chacun de ces deux mots, parce que les tems en sont
antérieurs, mais qu'elle est simultanée dans amabam
qui est un présent, & antérieure dans amavissent qui
est un prétérit, &c.
C'est sur la distinction des idées principales & accessoires
de la signification formelle, que porte la
diversité des formes dont les mots se revêtent selon
les vûes de l'énonciation; formes spécifiques, qui,
dans chaque idiôme, caractérisent à - peu - pres l'espece
du mot; & formes accidentelles, que l'usage
de chaque langue a fixées relativement aux vûes de
la syntaxe, & dont le choix bien entendu est le fondement
de ce que l'on nomme la correction du style,
qui est l'un des signes les plus certains d'une education
cultivée.
Je finirai cet article par une définition du mot la
plus exacte qu'il me sera possible. L'auteur de la
Grammaire genérale (part. II. ch. j.) dit que
« l'on
peut définir les mots, des sons distincts & articulés
dont les hommes ont fait des signes pour signifier
leurs pensées ».
Mais il manque beaucoup à l'exactitude
de cette définition. Chaque syllabe est un son
distinct & souvent articulé, qui quelquefois signifie
quelque chose de nos pensêes: dans amaveramus,
sa syllabe am est le signe de l'attribut sous lequel
existe le sujet; av indique que le tems est prétérit
(voyez Tems. ); er marque que c'est un prétérit
défini; am final désigne qu'il est antérieur; us marque
qu'il est de la premiere personne du pluriel; y
artil cinq mots dans amaveramus? La préposition
françoise ou latine à, la conjonction ou, l'adverbe
y, le verbe latin co, sont des sons non - articulés,
& ce sont pourtant des mots. Quand on dit que ce
sont des signes pour signifier les pensées, on s'exprime
d'une maniere incertaine; car une proposition entiere,
composée même de plusieurs mots, n'exprime
qu'une pensée; n'est - elle donc qu'un mot? Ajoutez
qu'il est peu correct de dire que les hommes ont fait
des signes pour signifier; c'est un pléonasme.
Je crois donc qu'il faut dire qu'un mot est une totalité
de sons, devenue par usage pour ceux qui l'entendent,
le signe d'une idée totale.
1°. Je dis qu'un mot est une totalité de sons; parce
que, dans toutes les langues, il y a des mots d'une
& de plusieurs syllabes, & que l'unité est une totalité
aussi - bien que la pluralité. D'ailleurs, j'exclus
par - là les syllabes qui ne sont que des sons partiels,
& qui ne sont pas des mots, quoiqu'elles désignent
quelquefois des idées, même complexes.
2°. Je n'ajoute rien de ce qui regarde l'articulation
ou la non articulation des sons; parce qu'il me
semble qu'il ne doit être question d'un état déterminé
du son, qu'autant qu'il seroit exclusivement nécessaire
à la notion que l'on veut donner: or, il est
indifferent à la nature du mot d'être une totalité de
sons articulés ou de sons non - articulés; & l'idée
seule du son, faisant également abstraction de ces
deux états opposés, n'exclut ni l'un ni l'autre de la
notion du mot: son simple, son articulé, son aigu,
son grave, son bref, son alongé, tout y est admislible.
3°. Je dis qu'un mot est le signe d'une idée totale;
& il y a plusieurs raisons pour m'exprimer ainsi. La
premiere, c'est qu'on ne peut pas disconvenir que
souvent une seule syllabe, ou même une simple articulation,
ne soit le signe d'une idée, puisqu'il n'y a
ni inflexion ni terminaison qui n'ait sa signification
propre: mais les objets de cette signification ne sont
que des idées partielles, & le mot entier est nécessaire
à l'exprestion de l'idée totale. La seconde raison,
c'est que si l'on n'attachoit pas à la signification
du mot une idée totale, on pourroit dire que le mot,
diversement terminé, demeure le même, sous prétexte
qu'il exprime toûjours la même idée principale;
mais l'idée principale & les idées accessoires
sont également partielles, & le moindre changement
qui arrive dans l'une ou dans l'autre est un
changement réel pour la totalité; le mot alors n'est
plus le même, c'en est un autre, parce qu'il est le
signe d'une autre idée totale. Une troisieme raison,
c'est que la notion du mot ainsi entendue est vraie,
de ceux même qui équivalent à des propositions entieres,
comme oui, non, allez, morieris, &c. car
toute une proposition ne sert qu'à faire naître dans
l'esprit de ceux qui l'entendent une idée plus precise
& plus développée du sujet.
4°. J'ajoute qu'un mot est signe pour ceux qui
l'entendent. C'est que l'on ne parle en effet que pour
être entendu; que ce qui se passe dans l'esprit d'un
homme, n'a aucun besoin d'être représenté par des
signes extérieurs, qu'autant qu'on veut le communiquer
au - dehors; & que les signes sont pour ceux
à qui ils manifestent les objets signifiés. Ce n'est d'ailleurs
que pour ceux qui entendent que les interjections
sont des signes d'idées totales, puisqu'elles
n'indiquent dans celui qui les prononce naturellement
que des sentimens.
5°. Enfin, je dis qu'un mot devient par usage le
signe d'une idée totale, afin d'assigner le vrai &
unique fondement de la signification des mots.
« Les
mots, dit le pere Lami (Rhét. liv. I. ch. iv.), ne
signifient rien par eux - mêmes, ils n'ont aucun
rapport naturel avec les idées dont ils sont les signes;
& c'est ce qui cause cette diversité prodigieuse
de langues: s'il y avoit un langage naturel,
il seroit connu de toute la terre & en usage
par - tout ».
C'est une vérité que j'ai exposée en détail
& que je crois avoir bien établie à l'article Langue (art. I. sub fin.). Mais si les mots ne signifient
pas par nature, ils signifient donc par institution;
quel en est l'auteur? Tous les hommes, ou du - moins
tous les sages d'une nation, se sont - ils assemblés pour
régler dans une délibération commune la signification
de chaque mot, pour en choisir le matériel,
pour en fixer les dérivations & les déclinaisons?
Personne n'ignore que les langues ne se sont pas formées
ainsi. La premiere a été inspirée, en tout ou en
partie, aux premiers auteurs du genre humain: &
c'est probablement la même langue que nous parlons
tous, & que l'on parlera toûjours & par - tout,
mais altérée par les changemens qui y survinrent d'abord
à Babel en vertu de l'operation miraculeuse du
Tout - Puissant, puis par tous les autres qui naissent
insensiblement de la diversité des tems, des climats,
des lumieres, & de mille autres circonstances diversement
combinées.
« Il dépend de nous, dit encore
le pere Lami (ibid. ch. vij.), de comparer
les choses comme nous voulons »;
(ce choix des
comparaisons n'est peut - être pas toûjours si arbitraire
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qu'il l'assure, & il tient souvent à des causes dont
l'influence est irrésistible pour les nations, quoiqu'elle pût être nulle pour quelques individus; mais
du moins est - il certain que nous comparons très différemment,
& cela suffit ici: car c'est)
« ce qui
fait, ajoute - t - il, cette grande différence qui est
entre les langues. Ce que les Latins appellent fenestra, les Espagnols l'appellent ventana, les
Portugais janella; nous nous servons aussi de ce
nom croisée pour marquer la même chose. Fenestra, ventus, janua, crux, sont des mots latins.
Le françois, l'espagnol, le portugais viennent
du latin »,
(c'est - à - dire, que ces trois idiômes
ont emprunté beaucoup de mots dans la langue latine,
& c'est tout:)
« mais les Espagnols considérant
que les fenêtres donnent passage aux vents,
les appellent ventana de ventus: les Portugais
ayant regardé les fenêtres comme de petites portes,
ils les ont appellées janella de janua: nos senêtres
étoient autrefois partagées en quatre parties
avec des croix de pierre; on les appelloit pour
cela des croisées de crux: les Latins ont considéré
que l'usage des fenêtres est de recevoir la lumiere;
le nom fenestra vient du grec FAI/NEIN qui signifie reluire. C'est ainsi que les différentes manreres de
voir les choses portent a leur donner différens
noms ».
Et c'est ainsi, puis - je ajouter, que la diversité
des vûes introduit en divers lieux des mots
tres - différens pour exprimer les mêmesidées totales;
ce qui diversifie les idiômes, quoiqu'ils viennent
tous originairement d'une même source. Mais ces
différens mots, risqués d'abord par un particulier
qui n'en connoît point d'autre pour exprimer ses
idées telles qu'elles sont dans son esprit, n'en deviennent
les signes universels pour toute la nation, qu'après
qu'ils ont passé de bouche en bouche dans le
même sens; & ce n'est qu'alors qu'ils appartiennent
à l'idiôme national. Ainsi c'est l'usage qui autorise les
mots, qui en détermine le sens & l'emploi, qui en
est l'instituteur véritable & l'unique approbateur.
Mais d'où nous vient le terme de mot? On trouve
dans Lucilius, non audet dicere muttum (il n'ose dire
un mot); & Cornutus, qui enseigna la Philosophie
à Perse, & qui fut depuis son commentateur, remarque
sur la premiere satyre de son disciple, que
les Romains disoient proverbialement, mutum nullum
emiseris (ne dites pas un seul mot). Festus témoigne
que mutire, qu'il rend par loqui, se trouve
dans Ennius; ainsi mutum & mutire, qui paroissent
venir de la même racine, ont un fondement ancien
dans la langue latine.
Les Grecs ont fait usage de la même racine, & ils
ont MU\QOS2, discours; MUQHTHS2: parleur; & MUSEI=H,
parler.
D'après ces observations, Ménage dérive mot du
latin mutum; & croit que Périon s'est trompé d'un
degré, en le dérivant immédiatement du grec MUQEI=N.
Il se peut que nous l'ayons emprunté des Latins,
& les Latins des Grecs; mais il n'est pas moins possible
que nous le tenions directement des Grecs, de
qui, après tout, nous en avons reçu bien d'autres:
& la décision tranchante de Ménage me paroît trop
hasardée, n'ayant d'autre fondement que la priorité
de la langue grecque sur la latine.
J'ajoute qu'il pourroit bien se faire que les Grecs,
les Latins, & les Celtes de qui nous descendons,
eussent également trouvé ce radical dans leur propre
fonds, & que l'onomatopée l'eût consacré chez
tous au même usage, par un tour d'imagination qui
est universel parce qu'il est naturel. Ma, mê, mé,
mi, meu, mo, mu, mou, sont dans toutes les langues
les premieres syllabes ar iculées, parce que m
est la plus facile de toutes les articulations (voyez
Langue, art. III. S. ij. n. 1.); ces syllabes doi<cb->
vent donc se prendre assez naturellement pour signifier
les premieres idées qui se présentent; & l'on
peut dire que l'idée de la parole est l'une des plus
frappantes pour des êtres qui parlent. On trouve encore
dans le poëte Lucilius, non laudare hominem
quemquam, nec mu facere unquàm; où l'on voit ce
mu indéclinable, montré comme l'un des premiers
élémens de la parole. Il est vraissemblable que les
premiers instituteurs de la langue allemande l'envisagerent
à - peu - près de même, puisqu'ils appellerent
mut, la pensée, par une métonymie sans doute du
signe pour la chose signifiée: & ils donnerent ensuite
le même nom à la substance de l'ame, par une autre
métonymie de l'effet pour la cause. Voyez Métonymie. (B. E. R. M.)
Mot, Terme, Expression
(Page 10:763)
Mot, Terme, Expression, (Synon.) Le
mot, dit l'abbé Girard, est de la langue; l'usage en
décide. Le terme est du sujet; la convenance en fait
la bonté. L'expression est de la pensée; le tour en
fait le mérite.
La pureté du langage dépend des mots; sa précision
dépend des termes; & son brillant dépend des
expressions.
Tout discours travaillé demande que les mots soient
françois; que les termes soient propres; & que les expressions soient nobles.
Un mot hasardé choque moins qu'un mot qui a
vieilli. Les termes d'art sont aujourd'hui moins ignorés
dans le grand monde; il en est pourtant qui n'ont
de grace que dans la bouche de ceux qui font profession
de ces arts. Les expressions trop recherchées
font à l'égard du discours, ce que le fard fait à l'égard
de la beauté du sexe; employées pour embellir, elles
enlaidissent. (D. J.)
Mot consacré
(Page 10:763)
Mot consacré, (Gramm.) On appelle mots
consacrés certains mots particuliers qui ne sont bons
qu'en certains endroits ou occasions; & on leur a
peut - être donné ce nom, parce que ces mots ont
commencé par la religion, dont les mysteres n'ont
pû être exprimés que par des mots faits exprès. Trinité, incarnation, nativité, transfiguration, annonciation,
visitation, assomption, fils de perdition,
portes de l'enfer, vase d'élection, homme de péché,
&c. sont des mots consacrés, aussi - bien que cène,
cénacle, fraction de pain, actes des Apôtres, &c.
De la religion on a étendu ce mot de consacré aux
Sciences & aux Arts; desorte que les mots propres
des Sciences & des Arts s'appellent des mots consacrés, comme gravitation, raréfaction, condensation,
& mille autres, en matiere de Physique; allegro,
adagio, aria, arpeggio, en Musique, &c.
Il faut se servir sans difficulté des mots consacrés
dans les matieres de religion, Sciences & Arts; &
qui voudroit dire, par exemple, la fête de la naissance
de Notre - Seigneur, la fête de la visite de la
Vierge, ne diroit rien qui vaille: l'usage veut qu'on
dise la nativité & la visitation, en parlant de ces
deux mysteres, &c. Ce n'est pas qu'on ne puisse
dire la naissance de Notre - Seigneur, & la visite de la
Vierge: par exemple, la naissance de Notre - Seigneur est bien différente de celle des princes; la visite
que rendit la Vierge à sa cousine n'avoit rien des
visites profanes du monde. L'usage veut aussi qu'on
dise la cène & le cénacle; & ceux qui diroient une
chambre haute pour le cénacle, & le souper pour la
cène, s'exprimeroient fort mal. (D. J.)
Mot bon
(Page 10:763)
Mot bon, (Opérat. de l'esprit.) un bon mot, est
un sentiment vivement & finement exprimé; il faut
que le bon mot naisse naturellement & sur le champ;
qu'il soit ingénieux, plaisant, agréable; enfin, qu'il
ne renferme point de raillerie grossiere, injurieuse,
& piquante.
La plûpart des bons mots, consistent dans des tours
d'expressions, qui sans gêner, offrent à l'esprit deux
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