ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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MORAVES ou FRERES UNIS (Page 10:704)

MORAVES ou FRERES UNIS, Moraves, Moravites ou Freres unis, secte particuliere & reste de Hussites, répandus en bon nombre sur les frontieres de Pologne, de Bohème & de Moravie; d'où, selon toute apparence, ils ont pris le nom de Moraves: on les appelle encore Hernheutes, du nom de leur principale résidence en Lusace, contrée d'Allemagne.

Ils subsistent de nos jours en plusieurs maisons ou communautés, qui n'ont d'autre liaison entr'elles, que la conformité de vie & d'institut. Ces maisons sont proprement des agrégations de séculiers, gens mariés & autres, mais qui tous ne sont retenus que par le lien d'une société douce & toujours libre; agrégation où tous les sujets en société de biens & de talens, exercent différens arts & professions au profit général de la communauté; de façon néanmoins que chacun y trouve aussi quelque intérêt qui lui est propre. Leurs enfans sont elevés en commun aux dépens de la maison, & on les y occupe de bonne heure, d'une maniere édisiante & fructueuse; ensorte que les parens n'en sont point embarrassés.

Les Moraves font profession du christianisme, ils ont même beaucoup de conformité avec les premiers chrétiens, dont ils nous retracent le désintéressement & les moeurs. Cependant ils n'admettent guere que les principes de la théologie naturelle, un grand respect pour la Divinité, une exacte justice jointe à beaucoup d'humanité pour tous les hommes; & plus outrés à quelques égards que les protestans mêmes, ils ont élagué dans la religion tout ce qui leur a paru sentir l'institution humaine. Du reste, ils sont plus que personne dans le principe de la tolérance; les gens sages & modérés de quelque communion qu'ils soient, sont bien reçus parmi eux, & chacun trouve dans leur société toute la facilité possible pour les pratiques extérieures de sa religion. Un des principaux articles de leur morale, c'est qu'ils regardent la mort comme un bien, & qu'ils tâchent d'inculquer cette doctrine à leurs enfans, aussi ne les voit - on point s'atrister à la mort de leurs proches. Le comte de Zintkendorf patriarche ou chef des freres unis, étant décédé au mois de Mai 1760, fut inhumé à Erngut en Lusace avec assez de pompe, mais sans aucun appareil lugubre; au contraire, avec des chants mélodieux & une religieuse allégresse. Le comte de Zintkendorf étoit un seigneur allemand des plus distingués & qui ne trouvant dans le monde rien de plus grand ni de plus digne de son estime, que l'institut des Moraves, s'étoit fait membre & protecteur zélé de cette société, avant lui opprimée & presque éteinte, mais société qu'il a soutenue de sa fortune & de son crédit, & qui en conséquence reparoît aujourd'hui avec un nouvel éclat.

Jamais l'égalité ne fut plus entiere que chez les Moraves; si les biens y sont communs entre les freres, l'estime & les égards ne le sont pas moins, je veux dire que tel qui remplit une profession plus distinguée, suivant l'opinion, n'y est pas réellement plus considéré qu'un autre qui exerce un métier vulgaire. Leur vie douce & innocente leur attire des prosélites, & les fait généralement estimer de tous les gens qui jugent des choses sans préoccupation. On sait que plusieurs familles Moravites ayant passé les mers pour habiter un canton de la Géorgie américaine sous la protection des Anglois; les sauvages en guerre contre ceux - ci, ont parfaitement distingué ces nouveaux habitans sages & pacifiques. Ces prétendus barbares, malgré leur extrème supériorité n'ont voulu faire aucun butin sur les fieres unis, dont ils respectent le caractere paisible & désintéressé. Les Moraves ont une maison à Utrecht; ils en ont aussi en Angleterre & en Suisse.

Nous sommes si peu attentifs aux avantages des communautés, si dominés d'ailleurs par l'intérêt particulier, si peu disposés à nous secourir les uns les autres & à vivre en bonne intelligence, que nous regardons comme chimérique tout ce qu'on nous dit d'une société assez raisonnable pour mettre ses biens & ses travaux en commun. Cependant l'histoire ancienne & moderne nous fournit plusieurs faits semblables. Les Lacédémoniens, si célébres parmi les Grecs, formerent au sens propre une république, puisque ce qu'on appelle propriété y étoit presque entierement inconnu. On en peut dire autant des Esséniens chez les Juifs, des Gymnosophistes dans les Indes; enfin, de grandes peuplades au paraguay réalisent de nos jours tout ce qu'il y a de plus étonnant & de plus louable dans la conduite des Moraves. Nous avons même parmi nous quelque chose d'approchant dans l'établissement des freres cordonniers & tailleurs, qui se mirent en communauté vers le milieu du dix - septieme siecle. Leur institut consiste à vivre dans la continence, dans le travail & dans la piété, le tout sans faire aucune sorte de voeux.

Mais nous avons sur - tout en Auvergne d'anciennes familles de laboureurs, qui vivent de tems immémorial dans une parfaìte société, & qu'on peut regarder à bon droit comme les Moraves de la France; on nous annonce encore une société semblable à quelques lieues d'Orléans, laquelle commence à s'établir depuis vingt à trente ans. A l'égard des communautés d'Auvergne beaucoup plus anciennes & plus connues, on nomme en tête les Quitard - Pinou comme ceux qui du tems de plus loin & qui prouvent cinq cens ans d'association, on nomme encore les Arnaud, les Pradel, les Bonnemoy, le Tournel & les Anglade, anciens & sages roturiers, dont l'origine se perd dans l'obscurité des tems, & dont les biens & les habitations sont situés dans la baronnie de Thiers en Auvergne, ou ils s'occupent uniquement à cultiver leurs propres domaines.

Chacune de ces familles forme différentes branches qui habitent une maison commune, & dont les enfans se marient ensemble, de façon pourtant que chacun des consorts n'établit guere qu'un fils dans la communauté pour entretenir la branche que ce fils doit représenter un jour après la mort de son pere; branches au reste dont ils ont fixé le nombre par une loi de famille qu'ils se sont imposée, en conséquence de laquelle ils marient au - dehors les enfans surnuméraires des deux sexes. De quelque valeur que soit la portion du pere dans les biens communs, ces enfans s'en croient exclus de droit, moyennant une somme fixée différemment dans chaque communauté, & qui est chez les Pinou de 500 liv. pour les garçons, & de 200 liv. pour les filles.

Au reste, cet usage tout consacré qu'il est par son ancienneté & par l'exactitude avec laquelle il s'observe, ne paroit guere digne de ces respectables associés. Pourquoi priver des enfans de leur patrimoine, & les chasser malgré eux du sein de leur famille? N'ont - ils pas un droit naturel aux biens de la maison, & sur - tout à l'inestimable avantage d'y vivre dans une société douce & paisible, à l'abri des miseres & des sollicitudes qui empoisonnent les jours des autres hommes? D'ailleurs l'association dont il s'agit étant essentiellement utile, ne convientil pas pour l'honneur & pour le bien de l'humanité, de lui donner le plus d'étendue qu'il est possible? Supposez donc que les terres actuelles de la communauté ne suffisent pas pour occuper tous ses enfans, il seroit aisé ayec le prix de leur légitime, de faire [p. 705] de nouvelles acquisitions; & si la providence accroît le nombre des sujets, il n'est pas difficile à des gens unis & laborieux d'accroître un domaine & des bâtimens.

Quoi qu'il en soit, le gouvernement intérieur est à - peu - près le même dans toutes ces communautés, chacune se choisit un chef qu'on appelle maître; il est chargé de l'inspection générale & du détail des affaires; il vend, il achete, & la confiance qu'on a dans son intégrité lui epargne l'embarras de rendre des comptes détaillés de son administration; mais sa femme n'a parmi les autres personnes de son sexe que le dernier emploi de la maison, tandis que l'épouse de celui des consorts qui a le dernier emploi parmi les hommes, a le premier rang parmi les femmes, avec toutes les fonctions & le titre de maîtresse. C'est elle qui veille à la boulangerie, à la cuisine, &c. qui fait faire les toiles, les étoffes & les habits & qui les distribue à tous les consorts.

Les hommes, à l'exception du maître qui a toujours quelque affaire en ville, s'occupent tous également aux travaux ordinaires. Il y en a cependant qui sont particulierement chargés l'un du foin des bestiaux & du labourage; d'autres de la culture des vignes ou des prés, & de l'entretien des futailles. Les enfans sont soigneusement élevés, une femme de la maison les conduit à l'école, au catéchisme, à la messe de paroisse, & les ramene. Du reste, chacun des consorts reçoit tous les huit jours une légere distribution d'argent dont il dispose à son gré, pour ses amusemens ou ses menus plaisirs.

Ces laboureurs fortunés sont reglés dans leurs moeurs, vivent fort à l'aise & sont sur - tout fort charitables; ils le sont même au point qu'on leur fait un reproche de ce qu'ils logent & donnent à souper à tous les mendians qui s'écartent dans la campagne, & qui par cette facilité s'entretiennent dans une fénéantise habituelle, & font métier d'être gueux & vagabons; ce qui est un apprentissage de vols & de mille autres désordres.

Sur le modèle de ces communautés, ne pourroiton pas en former d'autres pour employer utilement tant de sujets embarrassés, qui saute de conduite & de talens, & conséquemment faute de travail & d'emploi, ne sont jamais aussi occupés ni aussi heureux qu'ils pourroient l'être, & qui par - là souvent deviennent à charge au public & à eux - mêmes?

On n'a guere vû jusqu'ici, que des célibataires, des ecclésiastiques & des religieux qui se soient procuré les avantages des associations; il ne s'en trouve presque aucune en faveur des gens mariés. Ceuxci néanmoins obligés de pourvoir à l'entretien de leur famille, auroient plus besoin que les célibataires, des secours que fournissent toutes les sociétés.

Ces considérations ont fait imaginer une association de bons citoyens, lesquels unis entr'eux par les liens de l'honneur & de la religion, pussent les mettre à couvert des sollicitudes & des chagrins que le défaut de talens & d'emploi rend presque inévitable; association de gens laborieux, qui sans renoncer au mariage pussent remplir tous les devoirs du christianisme, & travailler de concert à diminuer leurs peines & à se procurer les douceurs de la vie; établissement comme l'on voit, très - désirable & qui ne paroît pas impossible; on en jugera par le projet suivant.

1°. Les nouveaux associés ne seront jamais liés par des voeux, & ils auront toujours une entiere liberté de vivre dans le mariage ou dans le célibat, fans être assujettis à aucune observance monastique; mais sur tout ils ne seront point retenus malgré eux, & ils pourront toujours se retirer dès qu'ils le jugeront expédient pour le bien de leurs affaires. En un mot, cette société sera véritablement une commu<cb-> nauté séculiere & libre dont tous les membres exerceront différentes professions, arts ou métiers, sous la direction d'un chef & de son conseil; & par conséquent ils ne différeront point des autres laïcs, si ce n'est par une conduite plus reglée & par un grand amour du bien public; du reste, on s'en tiendra pour les pratiques de religion à ce que l'église prescrit à tous les fidéles.

2°. Les nouveaux associés s'appliqueront constamment & par état, à toutes sortes d'exercices & de travaux, sur les sciences & sur les arts; en quoi ils préféreront toujours le nécessaire & le commode à ce qui n'est que de pur agrément ou de pure curiosité. Dans les Sciences, par excmple, on cultivera toutes les parties de la Médecine & de la Physique utile; dans les métiers, on s'attachera spécialement aux arts les plus vulgaires & même au labourage, si l'on s'établit à la campagne: d'ailleurs, on n'exigera pas un sou des postulans, des qu'ils pourront contribuer de quelque maniere au bien de la communauté. On apprendra des métiers à ceux qui n'en sauront point encore; & en un mot, on tâchera de mettre en oeuvre les sujets les plus ineptes, pourvû qu'on leur trouvè un catactere sociable, & surtout l'esprit de modération joint à l'amour du travail.

3°. On arrangera les affaires d'intérêt de maniere, que les associés en travaillant pour la maison puissent travailler aussi pour eux - mêmes; je veux dire, que chaque associé aura, par exemple, un tiers, un quart, un cinquieme ou telle autre quotité de ce que les travaux pourront produire, toute dépense prélevée; c'est pourquoi on évaluera tous les mois les exercices ou les ouvrages de tous les sujets, & on leur en payera sur le champ la quotité convenue; ce qui fera une espece d'appointement ou de pécule que chacun pourra angmenter à proportion de son travail & de ses talens.

L'un des grands usages du pécule, c'est que chacun se fournira sur ce fonds le vin, le tabac & les autres besoins arbitraires, si ce n'est en certains jours de réjouissance qui seront plus ou moins frequens, & dans lesquels la communaute fera tous les frais d'un repas honnête; au surplus, comme le vin, le caffé, le tabac, font plus que doubler la dépense du nécessaire, & que dans une communauté qui aura des femmes, des enfans, des sujets ineptes à soutenir; la parcimonie devient absolument indispenpensable; on exhortera les membres en général & en particulier, à mépriser toutes ces vaines délicatesses qui absorbent l'aisance des familles, & pour les y engager plus puissamment, on donnera une gratification annuelle à ceux qui auront le courage de s'en abstenir.

4°. Ceux qui voudront quitter l'association, emporteront non seulement leur pécule, mais encore l'argent qu'ils auront mis en societé, avec les intérêts usités dans le commerce. A l'égard des mourans, la maison en héritera toujours; de sorte qu'à la mort d'un associé, tout ce qui se trouvera lui appartenir dans la communauté, sans en excepter son pécule, tout cela, dis - je, sera pour lors acquis à la congrégation; mais tout ce qu'il possédera au delors appartiendra de droit à ses héritiers.

5°. Tous les associés, dès qu'ils auront fait leur noviciat, seront regardés comme membres de la maison, & chacun sera toujours sûr d'y demeurer en cette qualité, tant qu'il ne fera pas de faute considerable & notoire contre la religion, la probité, les bonnes moeurs. Mais dans ce cas, le conseil assemblé aura droit d'exclure un sujet vicieux, supposé qu'il ait contre lui au - moins les trois quarts des voix; bien entendu qu'on lui rendra pour lors tout [p. 706] ce qui pourra lui appartenir dans la maison, suivant les dispositions marquées ci - dessus.

6°. Les enfans des associés seront élevés en commun, & suivant les vues d'une éducation chrétienne; je veux dire, qu'on les accoutumera de bonne heure à la frugalité, à mépriser le plaisir présent, lorsqu'il entraine de grands maux & de grands déplaisirs; mais sur - tout on les élevera dans l'esprit de fraternité, d'union, de concorde, & dans la pratique habituelle des arts & des sciences les plus utiles, le tout avec les précautions, l'ordre & la décence qu'il convient d'observer entre les enfans des deux sexes.

7°. Les garçons demeureront dans la communauté jusqu'à l'âge de seize ans faits; après quoi, si sa majesté l'agrée, on enverra les plus robustes dans les villes frontieres, pour y faire un cours militaire de dix ans. Là ils seront formés aux exercices de la guerre, & du reste occupés aux divers arts & métiers qu'ils auront pratiqués dès l'enfance; & par conséquent ils ne seront point à charge au roi, ni au public dans les tems de paix; ils feront la campagne au tems de guerre, après avoir fait quelqu'apprentissage des armes dans les garnisons. Ce cours militaire leur acquerra tout droit de maîtrise pour les arts & pour le commerce; de façon qu'après leurs dix années de service, ils pourront s'établir à leur choix dans la communauté séculiere ou ailleurs, libres d'exercer partout les différentes professions des arts & du négoce.

8°. Lorsqu'il s'agira de marier ces jeunes gens, ce qu'on ne manquera pas de fixer à un âge convenable pour les deux sexes, leur établissement ne sera pas difficile, & tous les sujets auront pour cela des moyens suffisans; car outre leur pécule plus ou moins considérable, la communauté fournira une honnête légitime à chaque enfant, laquelle consistera tant en argent, qu'en habillemens en & meubles; légitime proportionnée aux facultés de la maison, & du reste égale à tous, avec cette différence pourtant qu'elle sera double au - moins pour ceux qui auront fait le service militaire. Après cette espece d'héritage, les enfans ne tireront plus de leurs parens que ce que ceux - ci voudront bien leur donner de leur propre pécule; si ce n'est qu'ils eussent des biens hors la maison, auquel cas les enfans en hériteront sans difficulté.

Il ne faut aucune donation, aucun privilége, aucun legs pour commencer une telle entreprite; il est visible que tous les membres opérant en commun, on n'aura pas besoin de ces secours étrangers. Il ne faut de même aucune exemption d'impôts, de corvées, de milices, &c. Il n'est ici question que d'une communauté laïque, dépendante à tous égards de l'autorité du roi & de l'état, & par conséquent sujette aux impositions & aux charges ordinaires. On peut donc esperer que les puissances protégeront cette nouvelle association, puisqu'elle doit être plus utile que tant de sociétés qu'on a autorisées en divers tems, & qui se sont multipliées à l'infini, bien qu'elles soient presque toujours onéreuses au public.

Au reste on ne donne ici que le plan général de la congrégation proposée, sans s'arrêter à déveloper les avantages sensibles que l'état & les particuliers en pourtoient tirer, & sans détailler tous les réglemens qui seroient nécessaires pour conduire un tel corps. Mais on propose en question; savoir, si suivant les loix établies dans le royaume pour les entreprises & sociétés de commerce, les premiers auteurs d'un pareil établissement pourroient s'obliger les uns envers les autres, & se donner mutuellement leurs biens & leurs travaux, tant pour eux que pour leurs successeurs, sans y être expressement autorisés par la cour.

Ce qui pourroit faire croire qu'il n'est pas besoin d'une approbation formelle, c'est que plusieurs sociétés assez semblables, actuellement existantes, n'ont point été autorisées par le gouvernement; & pour commencer par les freres cordonniers & les freres tailleurs, on sait qu'ils n'ont point cu de lettres patentes. De même les communautés d'Auvergne subsistent depuis des siecles, sans qu'il y ait eu aucune intervention de la cour pour leur établissement.

Objections & réponse. On ne manquera pas de dire qu'une association de gens maries est absolument impossible; que ce seroit une occasion perpétuelle de trouble, & qu'infailliblement les femmes mettroient la désunion parmi les consorts; mais ce sont là des objections vagues, & qui n'ont aucun fondement solide. Car pourquoi les femmes causeroient elles plutôt du désordre dans une communauté conduite avec de la sagesse, qu'elles n'en causent tous les jours dans la position actuelle, où chaque famille, plus libre & plus isolée, plus exposée aux mauvaises suites de la misere & du chagrin, n'est pas contenue, comme elle le seroit là, par une police domestique & bien suivie? D'ailleurs, si quelqu'un s'y trouvoit déplacé, s'il y paroissoit inquiet, ou qu'il y mît la division; dans ce cas, s'il ne se retiroit de lui - même, ou s'il ne se corrigeoit, on ne manqueroit pas de le congédier.

Mais on n'empêcheroit pas, dit - on, les amours furtives, & bien - tôt ces amours causeroient du trouble & du scandale.

A cela je réponds, que l'on ne prétend par refondre le genre humain; le cas dont il s'agit arrive déja fréquemment, & sans doute qu'il arriveroit ici quelquefois; néanmoins on sent que ce desordre seroit beaucoup plus rare. En effet, comme l'on seroit moins corrompu par le luxe, moins amolli par les délices, & qu'on seroit plus occupé, plus en vue, & plus veillé, on auroit moins d'occasion de mal faire, & de se livrer à des penchans illicites. D'ailleurs les vûes d'intérêt étant alors presque nulles dans les mariages, les seules convenances d'âge & de goût en décideroient; conséquemment il y auroit plus d'union entre les conjoinis, & par une suite nécessaire moins d'amours réprehensibles. J'ajoute que le cas arrivant, malgré la police la plus attentive, un enfant de plus ou de moins n'embarrasseroit personne, au lieu qu'il embarrasse beaucoup dans la position actuelle. Observons enfin, que les mariages mieux assortis dans ces maisons, une vie plus douce & plus reglée, l'aisance constamment assurée à tous les membres, seroient le moyen le plus efficacè pour effectuer le perfectionnement physique de notre espece, laquelle, au contraire, ne peut aller qu'en dépérissant dans toute autre position.

Au surplus, l'ordre & les bonnes moeurs qui regnent dans les communautés d'Auvergne, l'ancienneté de ces maisons, & l'estime générale qu'on en fait dans le pays, prouvent également la bonté de leur police & la possibilité de l'association proposée. Des peuples entiers, à peine civilisés, & qui pourtant suivent le même usage, donnent à cette preuve une nouvelle solidité. En un mot, une institution qui a subsisté jadis pendant des siecles, & qui subsiste encore presque sous nos yeux, n'est constamment ni impossible, ni chimérique. J'ajoute que c'est l'unique moyen d'assurer le bonheur des hommes, parce c'est le seul moyen d'occuper utilement tous les sujets; le seul moyen de les contenir dans les bornes d'une sage économie, & de leur épargner une infinité de soilicitudes & de chagrins, qu'il est moralement impossible d'éviter dans l'état de désolation où les hommes ont vécu jusqu'à présent. Article de M. Faiguet, trésorier de France. [p. 707]

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