ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"272"> compte Joanna fils de Mésuach, qui mourut l'an de J. C. 819, Haly - Abbas, Rhases, Ezarharagni, Etrabarani, Avicenne, Mésuach ou Mesué, Thograi, Ibnu - Thophail, Ibnu - Zohar, Ibnu - El - Baitar, Avenzoar, Averrhoès & Albucasis. Jean Léon l'africain peut fournir aux curieux l'abrégé historique de leur vie, car je ne dirai qu'un mot de chacun sous l'article Médecins.

Si des régions du monde que les Arabes éclairoient, nous passons à la partie occidentale de l'Asie, nous serons affligés de la barbarie qui s'y trouvoit, & qui y regne sans interruption, depuis que tout ce pays est soumis à l'empire des Tures, avec les îles de l'Archipel autrefois si florissantes.

En effet, que penser de la médecine d'un état, où l'on admet à peine le premier médecin du prince pour traiter des femmes qui sont à l'agonie? Encore ce docteur ne peut - il les voir ni en être vû; il ne lui est permis de tâter de pouls qu'au travers d'une gaze ou d'un crêpe, & bien souvent il ne sauroit distinguer si c'est l'artère qui bat, ou le tendon qui est en contraction: les femmes même qui prennent soin de ces malades ne sauroient lui rendre compte de ce qui est arrivé dans le cours de la maladie, car elles s'enfuient bien vîte, quand il vient, & il ne reste autour du lit que les eunuques pour empêcher le médecin de regarder la malade, & pour lever seulement les coins du pavillon de son lit, autant qu'ils le jugent nécessaire pour laisser passer le bras de cette moribonde. Si le médecin demandoit à voir le bout de la langue ou à tâter quelque partie, il seroit poignardé sur le champ. Hippocrate avec toute sa science eût été bien embarrassé, s'il eut eû à traiter des musulmanes; pour moi qui ai été nourri dans son école, & suivant ses maximes, écrivoit M. de Tournefort, dans le dernier siecle, je ne savois quel parti prendre chez les grands Seigneurs du levant, quand j'y étois appellé, & que je traversois les appartemens de leurs femmes qui sont faits comme les dortoirs de nos religieuses, je trouvois à chaque porte un bras couvert de gaze qui avançoit par un trou fait exprès. Dans les premieres visites, continue - t - il, je croyois que c'étoient des bras de bois ou de cuivre destinés pour éclairer la nuit; mais je fus bien surpris quand on m'avertit qu'il falloit guérir les personnes à qui ces bras appartenoient.

Revenons donc à notre Europe, & voyons si la médecine des Arabes qui vint à s'y introduire sur la fin des siecles d'ignorance, nous a été plus avantageuse. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle a occasionné dans la suite des tems, la plus grande révolution qui soit arrivée, tant dans la théorie, que dans la pratique de cette science.

M. Boerhaave a pensé qu'après que les Arabes eurent goûté la chimie & l'alchimie, ils porterent dans ces sciences leur façon métaphorique de s'exprimer, donnant aux moyens de perfectionner les métaux, les noms de différentes médecines: aux métaux imparfaits des noms de maladies; & à l'or celui d'homme vigoureux & sain. Les ignorans prenant à la lettre ces expressions figurées, supposerent que par des préparations chimiques, on pouvoit changer les métaux en or, & rendre la santé au corps. Ils firent d'autant plus aisément cette supposition, qu'ils s'apperçurent que les scories des plus vils métaux étoient désignées dans les auteurs arabes par le mot de lèpre, une des plus incurables maladies. On appella du nom de pierre philosophale ou de Don - Azoth, cette préparation chimique capable de produire ces merveilleux effets; & ceux qui en possédoient le secret furent nommés adeptes.

Vers le commencement du treizieme siecle, la chimie vint à pénétrer en Europe, soit par le retour des croisés, soit par la traduction que l'empereur Fréderic II. fit faire dans ce tems - là de quelques livres arabes en latin.

Albert le grand, né dans la Souabe, & Roger Bacon né dans la province de Sommerset, en Angleterre en 1214, goûterent cette science, tenterent de l'introduire en Europe, & ils y réussirent; mais ce ne sut que sur la fin du même siecle, qu'Arnauld de Villeneuve, né, dit - on, dans l'île de Maiorque en 1235, fit servir la Chimie à la Médecine. Il trouva l'esprit de vin, l'huile de térébenthine, & quelqu'autres compositions. Il s'apperçut que son esprit - devin étoit susceptible du goût & de l'odeur des végétaux; & de - là vinrent toutes les eaux composées dont les boutiques de nos Apothicaires sont pleines, & dont on peut dire en général, qu'elles sont plus lucratives pour les distillateurs, que salutaires aux malades.

Basile Valentin, moine bénédictin, qui fleurissoit au commencement du quinzieme siecle, établit le premier comme principe chimique des mixtes, le sel, le mercure & le soufre. Il a décrit le sel volatil huileux dont Sylvius Dele - Boë a parlé avec tant d'éloges, & dont il s'est fait honneur, ainsi que de quelqu'autres découvertes moins anciennes. Le même Basile Valentin est le premier qui ait donne l'antimoine intérieurement, & qui ait trouvé le secret de le préparer.

Sur la fin du même siecle, parut en Europe ce fatal présent qui naît de la communication des amours de gens gâtés. Au retour de Christophe Colomb, dont les soldats & les matelots apporterent cette maladie d'Hispaniola en 1492, elle sit en Europe des progrès si rapides, qu'elle devint en peu d'années la plus commune parmi les peuples, & la plus lucrative pour les médecins.

Cependant cette maladie si remarquable dans l'histoire de la médecine par sa naissance, l'est encore par la multitude des remedes nouveaux ou préparés d'une façon nouvelle, dont l'art s'est enrichi à son occasion. Tels sont le gayac, dont on commença à se servir en 1517; la squine, qu'on ne connut en Europe qu'en 1535, & la salsepareille: mais le remede le plus important & qui changea, pour ainsi dire, la face des choses, ce fut le mercure.

Ce minéral fut connu dans toute l'Europe en 1498, & fut employé presque aussi - tôt dans la cure des maux vénériens. On l'appliqua extérieurement a l'exemple des Arabes, qui avoient prescrit l'usage du vis - argent dans les maladies cutanées, long - tems avant qu'il fût question de la maladie d'Amérique. Comme cette maladie attaquoit aussi la peau cruellement, on conjectura qu'on pourroit employer contr'elle le mercure avec quelques succès. Paracelse fut un des premiers qui ait eu le secret de l'administrer intérieurement, & d'opérer des cures surprenantes avec ce seul remede.

Tous les Médecins connoissent plus ou moins Paracelse, il naquit près de Zurich en 1493, & se fit pendant sa vie la plus haute réputation dans l'exercice de son art. On le comprendra d'autant plus aifement, que le langage de la médecine étoit encore en Europe un composé barbare, de latin, de grec & d'arabe. Galien commandoit aussi despotiquement dans les écoles médicinales, qu'Aristote sur les bancs de la Philosophie. La théorie de l'art étoit uniquement fondée sur les qualités, leurs degrés, & les tempéramens. Toute la pratique se bornoit à saigner, purger, faire vomir, & donner des clysleres; c'est tout ce qu'on sut adopter des écrits du médecin de Pergame.

Paracelse, éclairé sur les propriétés du mercure & de l'opium, guérissoit avec ces deux arcanes, les maux vénériens, ceux de la peau, la lèpre, la gale, [p. 273] les hydropisies légeres, les diarrhées invétérées, & d'autres maladies incurables pour ses contemporains qui ne connoissoient point le premier de ces remedes, & qui regardoient l'autre comme un réfrigérant du quatriéme degré.

D'ailleurs, il avoit voyagé par toute l'Europe, en Russie, dans le levant, avoit assisté à des siéges & à des combats, & avoit suivi des armées en qualité de médecin: il professa pendant deux ans la médecine à Bâle, & composa plusieurs ouvrages qu'on vanta d'autant plus qu'ils étoient intelligibles. Il est vrai que les écrits qui portent son nom, sont en si grand nombre & d'un caractere si différent entr'eux, qu'on ne peut s'empêcher d'en attribuer la plus grande partie à ses disciples. Mais on regarde généralement comme originaux, le traité des minéraux, celui de la peste, celui de longâ vitâ & l'Archidoxa medicinoe. Le dernier de ces livres contient quelques découvertes, dont les Chimistes qui lui succéderent immédiatement se firent honneur. Le lithontriptique & l'alcahest de Van - Helmant en sont visiblement tirés. On met encore au nombre des écrits de Paracelse, les livres de arte rerum naturalium.

Je me garderai bien de faire l'analyse des ouvrages de cet homme extraordinaire. Ceux qui auront la patience de les parcourir, s'appercevront bientôt qu'il avoit l'imagination déréglée, & la tête remplie d'idées chimériques. Il donna dans les réveries de l'astrologie, de la géomancie, de la chiromancie, & de la cabale, tous arts dont l'ignorance des tems où il vivoit, entretenoit la vogue. Il n'a rien obmis de tout ce qui pouvoit le faire passer pour un magicien, un sorcier; mais il a joue de malheur, on ne l'a pris que pour un fourbe. Il se vantoit d'un remede universel, & malgré la promesse qu'il avoit faite de prolonger sa vie à une durée égale à celle de Mathusalem, par le moyen de son élixir, il mourut au cabaret, dans la quarante - huitieme année de son âge, au bout d'une maladie de quelques jours.

Cependant entre les absurdités dont ses ouvrages sont remplis, on trouve quelques bonnes choses, & qui ont servi aux progrès de la Médecine. On ne peut disconvenir qu'il n'ait attaqué avec succès les qualités premieres, le chaud; le sec, le froid, & l'humide; c'est lui qui a commencé à détromper les Médecins, & à leur ouvrir les yeux sur le faux d'un système qu'on suivoit depuis le tems de Galien. Il osa le premier traiter la philosophie d'Aristote, de fondement de bois; & l'on peut dire qu'en découvrant le peu de solidité de cette base, il donna lieu à ses successeurs d'en poser une plus solide.

Son opinion touchant les semences qu'il suppose avoir toutes existé dès le commencement, est adopté aujourd'hui par de très - habiles gens, qui n'ont que le mérite de l'avoir exposée d'une maniere plus vraisemblable. Ce qu'il a avancé sur les principes chimiques, le sel, le souffre, & le mercure, a ses usages dans la physique & dans la Médecine. On ne peut encore disconvenir qu'il n'eût une grande connoissance de la matiere médicale, & qu'il n'eût travaillé sur les végétaux & les minéraux. Il avoit fait un grand nombre d'expériences; mais il eut la vanité ridicule de cacher les découvertes auxquelles elles l'avoient conduit, & de se vanter de secrets qu'il ne posseda jamais.

La censure que le chancelier Bacon a portée de ce personnage singulier & de ses sectateurs, est très juste. Si les Paracelsistes, dit - il, s'accorderent à l'exemple de leur maître, dans les promesses qu'ils firent au monde, c'est qu'ils étoient unis ensemble par un même esprit de vertige qui les dominoit. Cependant en errant en aveugle, à - travers les dédales de l'expérience, ils tomberent quelquefois sur des dé<cb-> couvertes utiles; ils cherchoient en tâtonnant (car la raison n'avoit aucune part dans leurs opérations), & le hasard leur mit sous la main des choses précieuses. Ils ne s'en tinrent pas là: tous couverts de la cendre & de la fumée de leurs laboratoires, ils se mirent à former des théories. Ils tenterent d'élever sur leurs fourneaux un systême de philosophie; ils s'imaginerent que quelques expériences de distillations leur suffisoient pour cet édifice immense; ils crurent que des séparations & des mélanges, la plûpart du tems impossibles, étoient les seuls matériaux dont ils avoient besoin; plus imbécilles que des enfans qui s'amusent à construire des châtcaux de cartes.

Le fameux Van - Helmont parut 90 ans après Paracelse, & marcha sur ses traces, mais en homme savant, qui d'ailleurs avoit employé sa vie à examiner par la chimie les fossiles & les végétaux. Ses opinions se répandirent promptement dans toute l'Europe. La Médecine ne connut d'autres remedes que ceux que la Chimie préparoit; & les productions de cet art passerent pour les seuls moyens qu'on pût employer avec succès à conserver la vie & la santé. Ce qui acheva de mettre les préparations chimiques en réputation, furent les leçons que Sylvius de le Boë dicta peu de tems après à Leyde à un auditoire fort nombreux. Ce professeur prenant à tâche d'accréditer cet art, ne cessoit de vanter ses merveilles; son éloquence, son exemple, & son autorité, firent toute l'impression qu'il en pouvoit attendre. Otho Tachénius, partisan enthousiaste du mérite de la Chimie, défendit sa gloire par trois traités aussi travaillés que profonds, & la Chimie n'eut plus d'adversaires.

Tout le monde se tint pour convaincu que la nature opere en chimiste; que la vie de l'homme est son ouvrage; que les parties du corps sont ses instrumens; en un mot qu'elle produit par des voies purement chimiques tout ce que la variété infinie des mouvemens fait éclore dans le corps humain. Les écoles des universités ne retentissoient que de ces propositions, & les écrits des Médecins en étoient remplis.

C'est, disoient - ils, par leur acidité que de certaines liqueurs corrodent les métaux; c'est donc un acide qui dissout les alimens dans l'estomac. Les acides sont extraits par le feu, & si on les mêle avec les huiles des aromates qui sont extrèmement âcres, il se fait une violente effervescence; l'acidité du chyle produira donc la chaleur naturelle, en se mêlant avec le baume du sang; s'il arrive que le chyle & le sang soient l'un & l'autre fort âcres, alors il y aura sievre ardente.

On sait que le nitre, le sel marin, & particulierement le sel ammoniac, refroidissent l'eau; c'est donc ajoutoit - on, à ces matieres qu'il faut attribuer le frisson de la fievre. Les exhalaisons du vin en ébullition, en se portant dans un vaisseau placé au - dessus d'elles, nous offrent, continuoient - ils, une image de la génération des esprits dans notre corps. Les acides mêiés avec les alkalis, produisent une fermentation d'une vioience capable de briser les vaisseaux qui les contionnent; c'est ainsi que le chyle occasionne par son mêlange avec le sang des effervescences dans les ventricules du coeur, & produit toutes les maladies aiguës & chroniques. Ce systême extravagant qui devint le fondement de plusieurs pratiques fatales au genre humain, regnoit encore dans les écoles françoises il n'y a pas long - tems; on craignoit pour sa vie le duel des acides & des alkalis dans le corps, autant qu'un combat sur mer contre les Anglois.

Comme un beau soleil dissipe les brouillards qui sont tombés sur l'horison, de même au commence<pb->

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