ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"234"> ture: car toutes ces médailles sont moulées, ou frappées d'un coin & d'un métal qui paroît d'abord ce qu'il est, c'est - à - dire moderne, & qui n'a ni la fierté ni la tendresse de l'antique.

La seconde fourbe est de mouler les médailles antiques, de les jetter en sable, & puis de les réparer si adroitement, qu'elles paroissent frappées. On s'en apperçoit par les grains de sable, qui s'impriment toujours d'une certaine maniere visible sur le champ de la médaille, ou par certaines petites enfonçures, ou par les bords qui ne sont pas assez polis ni arrondis, ni si licés que ceux des médailles frappées, ou par les caracteres qui ne sont point francs, mais pochés & épatés, ou enfin par les traits qui ne sont ni si vifs ni si tranchans. On les reconnoît aussi par le poids qui est toujours moindre; car le métal fondu par le feu se raréfie, au - lieu que lorsqu'il est battu il se condense, & devient par conséquent plus pesant; enfin quand la médaille est jettée en moule, il reste ordinairement la marque du jet, qui ne peut être bien effacée par la lime; & les bords qui ont besoin d'être arrondis, laissent aussi voir les coups de lime, qui sont une marque essentielle de fausseté.

Comme les hommes deviennent de jour en jour plus rafinés, les uns à tromper, les autres à se défendre de la tromperie, on a trouvé le moyen d'empêcher que l'on n'apperçût, dans le champ de la médaille, les enfonçures queles grains de sable y laissent par leur inégalité qui est inévitable. On les couvre d'un certain vernis obscur qui remplit ces petits creux, & l'on pique les bords pour les rendre raboteux. Si l'on parvient, sans le secours du vernis, à polir le champ avec le burin, la fourberie n'en est que plus savante. Il faut donc, pour s'en défendre, piquer le vernis, s'il y en a, & on le trouvera beaucoup plus tendre que le vernis antique; & s'il n'y en a point, il faut étudier avec attention la médaille, dont le champ paroîtra infailliblement plus enfoncé; enfin si on a le toucher un peu délicat, on trouvera le métal trop poli, au lieu que l'antique a quelque chose de plus fort & de plus rude. Ceux qui ne savent point cette finesse, & la différence du poids dont nous avons parlé, admirent que l'on connoisse quelquefois les médailles fausses seulement à les manier.

Il ne faut pas néanmoins rejetter certaines médailles, qui ayant éte enchâssées dans de petites bordures ou de métal, ou de corne, ou de bois, ont les bords limés, parce qu'il a fallu les arrondir, car cela n'empêche pas qu'elles ne soient bonnes & antiques: c'est pour cela que les connoisseurs disent communément que quélquefois les bords justifient le champ de la médaille, & que quelquefois aussi le champ rend témoignage aux bords, qui par accident ont reçu quelque disgrace.

La troisieme ruse, est de réparer finement les médailles antiques, ensorte que de frustes & d'effacées qu'elles étoient, elles paroissent nettes & lisibles. On connoit des gens qui y réussissent parfaitement, & qui savent avec le burin enlever la rouille, rétablir les lettres, polir le champ, & ressusciter des figures qui ne paroissent presque plus.

Quand les figures sont en partie mangées, il y a une sorte de mastic que l'on applique sur le métal, & qu'on retaille fort proprement ensuite: le tout étant couvert de vernis, fait paroître les figures entieres & bien conservées. On découvre ce déguisement avec le burin dont on se sert pour égratigner quelque petit endroit de la médaille; si l'on s'apperçoit qu'il morde plus aisément sur une partie que sur l'autre, c'est la preuve que le morceau est ajouté.

Cependant, quand l'oeil est accoutumé aux mé - dailles, on trouve sur celles - ci de certains coups de burin trop enfoncés, des bords trop élevés, des traits raboteux & mal polis, par lesquels on devine qu'elles ont été retouchées: cela ne dégrade pas absolument une médaille antique, mais le prix en diminue du tout au tout.

Le quatrieme artifice, c'est de frapper des coins exprès sur certaines médailles antiques les plus rares, que l'on restitue de nouveau, & que l'on fait passer pour véritables, avec d'autant plus d'apparence, qu'il est visible qu'elles ne sont ni moulées ni retouchées.

C'est en quoi le Padouan & le Parmésan ont si bien réussi, que leurs fausses médailles sont devenues une partie de la curiosité. Le Padouan a plus de force, le Parmésan plus de douceur: en général on ne peut pas approcher de plus près l'antique que ces deux ouvriers l'ont fait. Cependant leur maniere finie & délicate ne vaut point cet air fier de l'antique, qui tient beaucoup plus du grand. On les reconnoit encore par le trop de conservation, qui les rend suspects; par l'oeil du métal, & principalement par le poids qui est moindre que celui du métal antique. Peut - être encore que si l'on examinoit avec attention les coins du Padouan, on pourroit les distinguer infailliblement des coins antiques. On sait, par exemple, que sur le revers de Tibere gravé par le Padouan, ces mots placés dans l'exergue, Rom. ET Aug. sont ponctués de façon que le T se trouve entre deux points, Rome T. Aug. aussi n'est - il pas possible de s'y méprendre, quand la médaille est bien conservée: l'embarras n'a lieu que lorsque la ponctuation ne se voit pas.

La cinquieme fraude, est de battre sur l'antique même, c'est - à - dire de se servir de coins modernes, pour reformer de vieilles médailles avec le marteau, afin de leur donner ensuite une nouvelle empreinte.

Quoique cette tromperie soit difficile à découvrir, sur - tout par un curieux qui commence, parce qu'il n'a aucune des indications communes; cependant s'il veut bien prendre garde au relief, il le trouvera pour l'ordinaire ou trop fort, ou trop foible, la coupure trop nette & trop neuve, & les bords trop peu conservés, à proportion du champ & des figures.

Le sixieme stratagème consiste à effacer un revers commun pour y en mettre un plus rare, ce qui augmente considérablement le prix de la médaille. Par exemple, on met une Otacille au revers de Philippe; un Tite au revers de Vespasien; c'est ainsi que l'on a gâté un Helvius - Pertinax de grand bronze, en lui mettant au revers un Milon crotoniate chargé de son boeuf; un Domitien, en y mettant une allocution de huit soldats; & un médaillon de Dece, en lui gravant une inscription, Deciana Coesarum, Decennalia feliciter.

On fait plus; car afin que rien ne paroisse réparé, on coupe deux médailles, & puis avec un certain mastic on colle à la tête de l'une le revers de l'autre, pour faire des médailles uniques & qui n'ayent jamais été vûes; on a même l'adresse de réparer si bien les bords, que les moins fins y sont ordinairement trompés. Le P. Jobert dit avoir vû un Domitien de grand bronze d'une conservation merveilleuse, dont on avoit enlevé le revers pour insérer à la place le bel amphithéâtre qu'on avoit aussi enlevé par dessous le grenetis à une médaille de Titus. Morel, dans son Specimen R. Nummar. tom..... p. 77, rapporte un exemple d'une falsification à - peu - près pareille.

On connoît ces faux revers ou par la différence qui se trouve immanquablement dans les traits d'une tête antique, & d'un revers moderne quelque bien travaillé qu'il puisse être; ou lorsque le revers est [p. 235] antique & simplement appliqué, on le découvre en sondant les bords de la médaille, qui ne sont jamais si parfaitement unis que l'on ne s'apperçoive de quelque chose, & que les deux marques ne découvrent la jointure ou la différence du métal. Tel étoit un Vérus, à qui l'on avoit attaché une Lucille, pour en faire une médaille rare, sans avoir considéré que le Vérus étoit de cuivre rouge, & Lucille de cuivre jaune.

La septieme imposture se fait dans les légendes, soit du côté de la tête, soit du côté du revers. Il est plus ordinaire de le tenter du côté de la tête par l'intérêt qu'on a de trouver des têtes rares, ce qui manque communément dans les suites. Or, cela s'exécute en substituant avec adresse un nom à l'autre, sur - tout quand il y a peu de lettres à changer ou à ajouter. C'est ainsi que, dans le cabinet du P. Jobert, il y avoit une Lucille changée en Domitia de grand bronze, & un jeune Gordien d'Afrique, moyennant l'addition d'un peu de barbe, & le changement des lettres P. F. en AFR. C'est encore ainsi que dans le cabinet de M. l'abbé de Rothelin, il y avoit une Coelonia d'or, qui n'étoit autre chose qu'une Agrippine, mere de Caligula.

La huitieme finesse trompeuse est de contrefaire le vernis antique, ce qui sert à empêcher qu'on ne reconnoisse les médailles moulées, & à cacher les défauts des bords & des caracteres, comme nous l'avons déja dit. Il y en a même qui mettent les médailles en terre, afin de leur faire contracter, si ce n'est le vernis, du - moins une certaine rouille qui impose aux connoisseurs moins habiles: d'autres emploient le sel armoniac mêlé avec le vinaigre; d'autres le simple papier brûlé, qui est la maniere la plus facile.

On se défend aisément de cette tromperie, parce qu'on ne peut donner au vernis moderne ni la couleur, ni l'éclat, ni le poli du vernis antique qui dépend de la terre. D'ailleurs on n'a pas la patience de laisser une médaille en terre assez long - tems pour qu'elle puisse y prendre cette belle rouille qu'on estime plus que le plus riche métal. Il faudroit être assûré d'une longue vie, & pouvoir compter sur un princeaussi dupe que l'étoit le pape Paul III. pour tenter ce qui réussit à un fourbe italien. Il fit frapper sur le plomb un buste de S. Pierre, avec ces mots, Petrus Apostolus Jesu Christi: au revers deux clés en pal, Tibi dabo claves regni coelorum. Il enfouit cette piece sort avant en terre, & l'y laissa quelques années: ensuite faisant creuser dans cet endroit comme par hazard, on y trouva cette médaille qu'il décrassa soigneusement, & qu'il montroit à tout le monde comme un monument de la piété des premiers chrétiens. Le bruit s'en répandit bientôt à Rome: le pape voulut avoir cette médaille, il la demanda au possesseur, & la lui paya mille écus. Enfin le vernis moderne est tendre, & se pique aisément, au lieu que l'antique est dur comme le métal même.

La neuvieme supercherie a pour fondement un accident qui arrive quelquefois aux médailles qu'on frappe, ce qui a fait dire aux Antiquaires que toute médaille, dont les bords ont éclaté, est infailliblement frappée. Pour profiter de cette préoccupation, ceux qui font de fausses médailles, tâchent de les faire éclater lorsqu'ils les frappent effectivement, ou même de les fendre tout exprès quand elles sont assez bien moulées.

On n'en sera pas la dupe si l'on examine ces fentes avec un peu de soin; car quand elles ne sont point assez profondes, ou que la coupure n'en est pas franche, ou qu'elles ne finissent pas par certains filamens presque imperceptibles; c'est une preuve que cela n'est point arrivé par l'effort du coin, mais par artifice.

Enfin le moyen général de se précautionner contre toutes les fourberies des brocanteurs, c'est de s'appliquer à la connoissance de l'antique qui comprend le métal, la gravure des coins & le poinçonnement des caracteres; c'est ainsi qu'on acquiert ces yeux, que Cicéron appelle oculos cruditos. Mais exiger d'un homme de lettres qu'il s'attache à démêler la différence de l'antique & du moderne, qu'il descende jusqu'au détail de la gravure & de la fabrique des médailles, n'est - ce point le réduire à la condition d'un simple artiste? n'est - ce point même lui imposer une obligation qu'il sera hors d'état de remplir, puisque le goût qu'il doit avoir pour la lecture, ne peut s'accorder avec la dissipation inséparable de la vie d'un homme qui s'occuperoit à visiter les cabiners.

Nous conviendrions de la force de cette objection, si la connoissance du matériel de la médaille demandoit une occupation longue & sérieuse, ou, si l'on ne supposoit pas un goût né pour les médailles, dans celui qui veut acquérir cette connoissance. En effet, sans ce goût, ce seroit faire trop peu de cas de son tems que de le consacrer à de tels soins. Mais il s'agit ici d'un curieux, en qui l'amour des lettres augmente le penchant naturel qu'il se sent pour déchiffrer ces précieux restes de l'antiquité. Il s'agit d'un curieux qui se propose sans cesse d'étudier le sens, l'esprit des médailles, & pour y parvenir de consacrer ses veilles à la lecture des ouvrages, dans lesquels il peut puiser des lumieres. Nous allons donc lui en indiquer les principaux.

Livres sur les médailles. Je suppose qu'il sait aussi bien que moi qu'on ne fera jamais de progrès dans l'art numismatique sans la connoissance des langues savantes, de l'Histoire greque & romaine, de la Géographie ancienne & moderne, de la Chronologie & de la Mythologie. Si cependant je parlois à un jeune homme qui n'eût pas étudié préalablement toutes ces sciences, je lui conseillerois de commencer à les apprendre par les tables chronologiques du P. Pétau, les paralleles géographiques du P. Briet, la mythologie de l'abbé Banier, ou autres semblables.

Le livre du P. Pétau est connu sous le titre de Dionysii Petavii rationarium temporum; il y en a grand nombre d'éditions. Celui du P. Briet est intitulé: Philippi Brietii parallela geographioe veteris & novoe. Mais attendu qu'il n'est pas complet, il est nécessaire d'y joindre la géographie ancienne de Cellarius, Christoph. Cellarii notitia orbis antiqui, ab ortu rerum publicarum ad Constantinorum tempora; cum tabulis geographicis: on préférera l'édition de Leipsic 1733, in - 4°. deux volumes, avec les observations de M. Schuwartz.

Comme l'Histoire doit être la principale étude d'un curieux en médailles, on conçoit bien que, pour les entendre, il doit lire Hérodote, Dion, Denisd'Halicarnasse, Tite - Live, Tacite, César, Velleius Paterculus, &c. A mesure qu'il fera des progrès dans l'art numismatique, il faudra qu'il ait sous les yeux Suidas, Pausanias, Philostrate, & parmi les modernes Rhodiginus, Giraldus, Rosinus, & autres semblables, qui lui fourniront des lumieres pour l'explication des types & des symboles.

A ces secours, il joindra le livre du P. Hardouin, intitulé: Nummi populerum & urbium illustrati; ce livre où l'on trouve cent choses curieuses, quoique souvent conjecturales, a été réimprimé avec des changemens & des augmentations dans le recueil des oeuvres choisies du même auteur: Joan. Hardouin Opera selecta, Amstelod. 1709, in - fol. mais si notre curieux veut s'animer encore davantage dans la carriere qu'il a choisie, il faut qu'il lise le savant traité de M. Spanheim sur l'usage des mé -

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