ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"42"> vés ou non cultivés, qu'on appelle ornes; arbres qui croissent en abondance dans la Calabre, en Sicile, & dans la Pouille, près du mont Saint - Ange, le Garganus des anciens.

Par la définition que nous venons de donner, on voit bien qu'il s'agit ici de ce suc mielleux, dont on fait grand usage en medecine, & qu'il ne s'agit point ni de la manne d'encens, ni de la manne céleste, ni de la graine que l'on appelle manne, & qui vient d'une espece de chiendent bon à manger, nommé par C. B.P.8. Gramen Dactyloïdes, esculentum.

Les Grecs anciens, les Latins & les Arabes, semblent avoir fait mention de la manne, mais très - obscurément, & comme d'un miel de rosée, qu'on cueilloit, dit assez bien Amyntas, sur des feuilles d'arbres. Pline parle de ce suc mielleux avec peu de vérité, quoiqu'agréablement. Les Arabes n'ont guere été plus heureux dans leurs écrits sur les miels de rosée.

Enfin Angelo Palea, & Barthélemi de la Vieuville, franciscains, qui ont donné un commentaire sur Mesué, l'an 1543, sont les premiers qui ont écrit que la manne étoit un suc épaissi du frêne, soit de l'ordinaire, soit de celui qu'on appelle sauvage.

Donat - Antoine Altomarus, medecin & philosophe de Naples, qui a été fort célebre vers l'an 1558, a confirmé ce sentiment par les observations suivantes. La manne est donc proprement, dit - il, le suc & l'humeur des frênes & de quelques autres arbres, que l'on recueille tous les ans pendant plusieurs jours de suite dans la canicule; car ayant fait couvrir les frênes de toiles, ou d'étoffes de laine, pendant plusieurs jours & plusieurs nuits, ensorte que la rosée ne pouvoit tomber dessus, on ne laissa pas d'y trouver & d'y recueillir de la manne pendant ce tems - là; or cela n'auroit pû être, si elle ne provenoit pas des arbres mêmes.

2°. Tous ceux qui recueillent la manne reconnoissent qu'après l'avoir ramassée, il en sort encore des mêmes endroits, d'où elle découle peu - à - peu, & s'épaissit ensuite par la chaleur du soleil.

3°. On rapporte qu'aux troncs des frênes il s'éleve souvent sur l'écorce comme de petites vésicules, ou tubercules remplis d'une liqueur blanche, douce & épaisse, qui se change en une excellente manne.

4°. Si on fait des incisions dans ces arbres, & que dans l'endroit où elles ont été faites on y trouve le même suc épaissi & coagulé, qui osera douter que ce ne soit le suc de ces arbres qui a été porté à leurs branches & à leurs tiges?

5°. Cette vérité est encore confirmée par le rapport de ceux du pays, qui assurent avoir vû de leurs propres yeux, des cigales, ou d'autres animaux qui avoient percé l'écorce de ces arbres, & en suçoient les larmes qui en découloient; & que les ayant chassés, il étoit sorti une nouvelle manne par ces trous & ces ouvertures.

6°. J'ai connu (c'est toûjours Altomarus qui parle) des hommes dignes de créance, qui m'ont assuré qu'ils avoient coupé plusieurs fois des frênes sauvages pour en faire des cerceaux; & qu'après les avoir fendus & les avoir exposés au soleil, ils avoient trouvé dans le bois même, une assez grande quantité de manne.

7°. Ceux qui font du charbon ont souvent remarqué que la chaleur du feu fait sortir de la manne des frênes voisins.

Le même auteur observe que quoiqu'il vienne beaucoup de manne sur le frêne, il ne s'en trouve jamais sur les feuilles du frêne sauvage; qu'il ne s'en trouve que très - rarement sur ses branches ou sur ses rejettons, & que l'on n'en recueille que sur le tronc même, ou sur les branches un peu grosses. La cause de cela est peut - être, que comme le frêne sauvage ne croît que sur des pierres, & dans des lieux arides & montueux, il est plus sec de sa nature; c'est pourquoi il ne contient pas une si grande quantité de suc, & le suc qu'il a n'est point assez foible ni assez délié pour arriver jusqu'aux feuilles & aux petites branches; de plus, cet arbre est raboteux & plein de noeuds, de sorte qu'avant que le suc arrive jusqu'à ses feuilles & à ses petits rejettons, il est totalement absorbé entre l'écorce du tronc & les grosses branches.

Altomarus ajoute que l'on recueille encore de la manne tous les ans, des frénes qui en ont donné pendant trente ou quarante ans; de sorte qu'il se trouve toûjours des gens qui en achetent dans l'espérance d'en tirer ce revenu annuel. Il y a aussi quelques arbres qui croissent dans le même lieu, & qui sont de la même espece, sur lesquels cependant on ne trouve point de manne.

Ces observations d'Altomarus ont été confirmées par Goropius dans son livre qui a pour titre Niloscopium, par Lobel, Pena, la Coste, Consentin, Paul Boccone, & plusieurs autres, qui s'en sont plus rapportés à leurs yeux qu'à l'autorité des auteurs.

La manne est donc une espece de gomme, qui d'abord est fluide lorsqu'elle sort des différentes plantes, & qui ensuite s'épaissit, & se met en grumeaux sous la forme de sel essentiel huileux.

On la trouve non - seulement sur les frênes, mais quelquefois aussi sur le mélèse, le pin, le sapin, le chêne, le genèvrier, l'érabe, le saule, l'olivier, le figuier & plusieurs autres arbres.

Elle est de différente espece, selon sa consistance, sa forme, le lieu où on la recueille, & les arbres d'où elle sort: car l'une est liquide & de consistence de miel; l'autre est dure & en grains; on l'appelle manne en grains. Celle - ci est en grumeaux ou par petites masses, & on l'appelle manne en marons. Celle - là est en larmes, ou ressemble à des gouttes d'eau pendantes, ou à des stalactites, elle s'appelle alors vermiculaire, ou bombycine. On distingue encore la manne orientale, qui vient de la Perse & de l'Arabie; la manne européenne, qui croît dans la Calabre & à Briançon; la manne de cédre, de frêne, du méièse, &c. la manne alhagine, & plusieurs autres.

A l'égard du lieu d'où on apporte la manne, on la divise en orientale & européenne: la premiere nous est apportée de l'Inde, de la Perse & de l'Arabie, & elle est de deux sortes, la manne liquide, qui a la consistence de miel, & la manne dure. Plusieurs ont fait mention de la manne liquide. Robert Consentin & Belon rapportent qu'on l'appelle en Arabie tereniabin, qui est un nom fort ancien. Ils croient que c'est le KE/DRONON MELI d'Hippocrate, ou le miel cédrin, & la rosée du mont Liban, dont Galien fait mention.

Belon dans ses observations, remarque que les moines ou les caloyers du mont Sina, ont une manne liquide qu'ils recueillent sur leurs montagnes, & qu'ils appellent aussi tereniabin, pour la distinguer de la manne dure. Garcias & Césalpin disent que l'on trouve aussi cette manne chez les Indiens, & même en Italie sur le mont Apennin; qu'elle est semblable au miel blanc purifié, & se corrompt facilement. Cette manne liquide ne differe de la manne dure que par sa fluidité; car celle qui est solide a d'abord été fluide, elle ne s'épaissit point si le tems est humide; on ne nous en fournit plus à présent.

Avicenne, Garcias & Acosta parlent encore de plusieurs especes de mannes dures, qu'ils n'ont pas distinguées avec assez de soin. Cependant on en compte particulierement trois especes; savoir, celle que l'on appelle manne en grains, manna mastichina, parce qu'elle est par grains très - durs, comme les grains de mastic; celle que l'on appelle bom<pb-> [p. 43] bycine, manna bombycina, qui s'est durcie en larmes, ou en grumeaux longs & cylindriques, semblables à des vers à soie, & qui est par petites masses, telle qu'étoit la manne d'Athénée, ou le miel céleste des anciens, que l'on apportoit en masses. Telle est aujourd'hui la manne que l'on apporte par grumeaux, appellée communément manne en marons.

La manne européenne est de plusieurs sortes; savoir, celle d'Italie ou de Calabre, celle de Sicile, & celle de France ou de Briançon. Ces especes de mannes ne sont point liquides.

Si on considere les arbres sur lesquels on recueille la manne, elle a encore différens noms. L'une s'appelle cédrine; c'est celle d'Hippocrate: Galien & Belon en font mention. L'autre est nommée manne de chêne, dont parle Théophraste. Celle ci manne de frêne, qui est fort en usage parmi nous. Celle - là manne du mélèse, que l'on trouve dans le territoire de Briançon. Une autre manne alhagine, dont ont parlé quelques arabes & Rauwolfius.

De toutes ces especes de mannes, nous ne faisons usage que de celle de Calabre ou de Sicile, que l'on recueille dans ces pays - là sur quelques especes de frêne.

La manne de Calabre, manna Calabra, est un suc mielleux, qui est tantôt en grains, tantôt en larmes, par grumeaux, & de figure de stalactites, friable & blanc, lorsqu'il est récent; il devient rousâtre à la longue, se liquéfie, & acquiert la consistance de miel par l'humidité de l'air; il a le goût du sucre avec un peu d'âcreté.

La meilleure manne est celle qui est blanche ou jaunâtre, légere, en grains, ou par grumeaux creux, douce, agréable au goût, & la moins mal - propre. On rejette celle qui est grasse, mielleuse, noirâtre & sale. C'est mal - à - propos que quelques personnes préferent celle dont la substance est grasse & mielleuse, & que l'on appelle pour cela manne grasse, puisque ce n'est le plus souvent qu'une manne gâtée par l'humidité de l'air, ou bien parce que les caisses où elle a été apportée, ont été mouillées par l'eau de la mer ou par l'eau de la pluie, ou de quelque autre maniere. Souvent même cette manne grasse n'est autre chose qu'un suc épais mélé avec le miei & un peu de scammonée; c'est ce qui fait que cette manne est mielleuse & purge fortement.

On rejette aussi certaines masses blanches, mais opaques, dures, pesantes, qui ne sont point en stalactites. Ce n'est que du sucre & de la manne que l'on a fait cuire ensemble, jusqu'à la consistance d'un électuaire solide; mais il est aisé de distinguer cette manne artificielle de celle qui est naturelle, car elle est compacte, pesante, d'un blanc opaque, & d'un goût tout différent de celui de la manne.

Dans la Calabre & la Sicile, pendant les chaleurs de l'été, la manne coule d'elle - même, ou par incision, des branches & des feuilles du tronc ordinaire, & elle se durcit par la chaleur du soleil, en grains ou en grumeaux. Celle qui coule d'elle - même s'appelle spontanée: celle qui ne sort que par incision est appellée par les habitans de la Calabre, sorzata ou sorzatella, parce qu'on ne peut l'avoir qu'en faisant une incision à l'écorce de l'arbre. On appelle manna di fronde, c'est - à - dire manne des feuilles, celle que l'on recueille sur les feuilles; & manna di corpo, celle que l'on tire du tronc de l'arbre.

En Calabre, la manne coule d'elle - même dans un tems serein, depuis le 20 de Juin jusqu'à la fin de Juillet, du tronc & des grosses branches des arbres. Elle commence à couler sur le midi, & elle continue jusqu'au soir sous la forme d'une liqueur très - claire; elle s'épaissit ensuite peu - à - peu, & se forme en grumeaux, qui durcissent & deviennent blancs. On ne les ramasse que le matin du lendemain, en les déta<cb-> chant avec des couteaux de bois, pourvû que le tems ait été sérain pendant la nuit; car s'il survient de la pluie ou du brouillard, la manne se sond, & se perd entierement. Après que l'on a ramassé les grumeaux on les met dans des vases de terre non vernissés; ensuite on les étend sur du papïer blanc, & on les expose au soleil jusqu'à ce qu'ils ne s'attachent plus aux mains. C'est là ce qu'on appelle la manne choisie du tronc de l'arbre.

Sur la fin de Juillet, lorsque cette liqueur cesse de couler, les paysans font des incisions dans l'écorce des deux sortes de frêne jusqu'au corps de l'arbre; alors la même liqueur découle encore depuis midi jusqu'au soir, & se transforme en grumeaux plus gros. Quelquefois ce suc est si abondant, qu'il coule jusqu'au pié de l'arbre, & y forme de grandes masses qui ressemblent à de la cire ou à de la résine. On les y laisse pendant un ou deux jours, afin qu'elles se durcissent; ensuite on les coupe par petits morceaux, & on les fait sécher au soleil. C'est là ce qu'on appelle la manne tirée par incision, forzata & forzatella. Sa couleur n'est pas si blanche; elle devient rousse, & souvent même noire, à cause des ordures & de la terre qui y sont mélées.

La troisieme espece de manne est celle que l'on recueille sur les feuilles du frêne, & que l'on appelle manna di fronde. Au mois de Juillet & au mois d'Août, vers le midi, on la voit paroître d'elle même, comme de petites goutes d'une liqueur très claire, sur les fibres nerveuses des grandes feuilles, & sur les veines des petites. La chaleur fait sécher ces gouttes, & elles se changent en petits grains blancs de la grosseur du millet, ou du froment. Quoique l'on ait fait autrefois un grand usage de cette manne recueillie sur les feuilles, cependant on en trouve très - rarement dans les boutiques d'Italie, à cause de la difficulté de la ramasser.

Les habitans de la Calabre mettent de la différence entre la manne tirée parincision, des arbres qui en ont déja donné d'eux - mêmes, & de la manne tirée par incision des frênes sauvages, qui n'en donnent jamais d'eux - mêmes. On croit que cette derniere est bien meilleure que la premiere; de même que la manne qui coule d'elle - même du tronc est bien meilleure que les autres. Quelquefois après que l'on a fait l'incision dans l'écorce des frênes, on y insere des pailles, des chalumeaux, des fétus, ou de petites branches. Le suc qui coule le long de ces corps s'épaissit, & forme de grosses gouttes pendantes ou stalactites, que l'on ôte quand elles sont assez grandes; on en retire la paille, & on les fait sécher au soleil: il s'en forme des larmes très - belles, longues, creuses, légeres, comme cannelées en - dedans, blanchâtres, & tirant quelquefois sur le rouge. Quand elles sont seches, on les renferme bien précieusement dans des caisses. On estime beaucoup cette manne stalactite, & avec raison; car elle ne contient aucune ordure. On l'appelle communément chez nous, manne en larmes.

Après la manne en larmes, on fait plus de cas dans nos boutiques de la manne de Calabre, & de celle qu'on recueille dans la Pouille près du mont Saint - Ange, quoiqu'elle ne soit pas fort seche, & qu'elle soit un peu jaune. On place après celle - là, la manne de Sicile, qui est plus blanche & plus seche. Enfin, la mbins estimée est celle qui vient dans le territoire de Rome, appellée la tolpha, près de Civita - vecchia, qui est seche, plus opaque, plus pesante, & moins chere.

Nous avons ci - dessus nommé en passant, la manne de Briançon: on l'appelle ainsi parce qu'elle découle près de Briançon en Dauphiné. Cette manne est blanche, & divisée en grumeaux, tantôt de figure sphérique, tantôt de la grosseur de la coriandre,

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