ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"866"> ges, que le vainqueur de Darius avoit respectée; car il ne toucha jamais au culte des peuples vaincus.

Tandis qu'un lieutenant d'Omar subjugue la Perse, un autre enleve l'Egypte entiere aux Romains, & une grande partie de la Lybie. C'est dans cette conquête qu'est brûlée la fameuse bibliotheque d'Alexandrie, monument des connoissances & des erreurs des hommes, commencée par Ptolomée Philadelphe, & augmentée par tant de rois. Alors les Sarrasins ne vouloient de science que l'alcoran; mais ils faisoient déjà voir que leur génie pouvoit s'étendre à tout. L'entreprise de renouveller en Egypte l'ancien canal creusé par les rois, & rétabli ensuite par Trajan, & de rejoindre ainsi le Nil à la mer Rouge, est digne des siecles les plus éclairés. Un gouverneur d'Egypte entreprend ce grand travail sous le califat d'Omar, & en vint à bout. Quelle différence entre le génie des Arabes & celui des Turcs! ceux - ci ont laissé périr un ouvrage, dont la conservation valoit mieux que la possession d'une grande province.

Les succès de ce peuple conquérant semblent dûs plûtôt à l'enthousiasme qui les animoit & à l'esprit de la nation, qu'à ses conducteurs: car Omar est assassiné par un esclave perse en 603. Otman, son successeur, l'est en 655 dans une émeute. Aly, ce fameux gendre de Mahomet, n'est élu & ne gouverne qu'au milieu des troubles; il meurt assassiné au bout de cinq ans comme ses prédécesseurs, & cependant les armes musulmanes sont toujours victorieuses. Cet Aly que les Persans réverent aujourd'hui, & dont ils suivent les principes en opposition de ceux d'Omar, obtint enfin le califat, & transféra le siége des califes de la ville de Médine où Mahomet est enseveli, dans la ville de Couffa, sur les bords de l'Euphrate: à peine en reste - t - il aujourd'hui des ruines! C'est le sort de Babylone, de Séleucie, & de toutes les anciennes villes de la Chaldée, qui n'étoient bâties que de briques.

Il est évident que le génie du peuple arabe, mis en mouvement par Mahomet, fit tout de lui - même pendant près de trois siecles, & ressembla en cela au génie des anciens Romains. C'est en effet sous Valid, le moins guerrier des califes, que se font les plus grandes conquêtes. Un de ses généraux étend son empire jusqu'à Samarkande en 707. Un autre attaque en même tems l'empire des Grecs vers la mer Noire. Un autre, en 711, passe d'Egypte en Espagne, soumise aisément tour à tour par les Carthaginois, par les Romains, par les Goths & Vandales, & enfin par ces Arabes qu'on nomme Maures. Ils y établirent d'abord le royaume de Cordoue. Le sultan d'Egypte secoue à la vérité le joug du grand calife de Bagdat, & Abdérame, gouverneur de l'Espagne conquise, ne reconnoît plus le sultan d'Egypte: cependant tout plie encore sous les armes musulmanes.

Cet Abdérame, petit - fils du calife Hésham, prend les royaumes de Castille, de Navarre, de Portugal, d'Arragon. Il s'établit en Languedoc; il s'empare de la Guienne & du Poitou; & sans Charles Martel qui lui ôta la victoire & la vie, la France étoit une province mahométane.

Après le regne de dix - neuf califes de la maison des Ommiades, commence la dynastie des califes abassides vers l'an.752 de notre ere. Abougiafar Almanzor, second calife abasside, fixa le siége de ce grand empire à Bagdat, au - delà de l'Euphrate, dans la Chaldée. Les Turcs disent qu'il en jetta les fondemens. Les Persans assurent qu'elle étoit très ancienne, & qu'il ne fit que la réparer. C'est cette ville qu'on appelle quelquefois Babylone, & qui a été le sujet de tant de guerres entre la Perse & la Turquie.

La domination des califes dura 655 ans: despotiques dans la religion, comme dans le gouvernement, ils n'étoient point adorés ainsi que le grandlama, mais ils avoient une autorité plus réelle; & dans les tems même de leur décadence, ils furent respectés des princes qui les persécutoient. Tous ces sultans turcs, arabes, tartares, reçurent l'investiture des califes, avec bien moins de contestation que plusieurs princes chrétiens n'en ont reçu des papes. On ne baisoit point les piés du calife, mais on se prosternoit sur le seuil de son palais.

Si jamais puissance a menacé toute la terre, c'est celle de ces califes; car ils avoient le droit du trône & de l'autel, du glaive & de l'enthousiasme. Leurs ordres étoient autant d'oracles, & leurs soldats autant de fanatiques.

Dès l'an 671, ils assiégerent Constantinople qui devoit un jour devenir mahométane; les divisions, presque inévitables parmi tant de chefs féroces, n'arrêterent pas leurs conquêtes. Ils ressemblerent en ce point aux anciens Romains qui, parmi leurs guerres civiles, avoient subjugué l'Asie mineure.

A mesure que les Mahométans devinrent puissans, ils se polirent. Ces califes, toujours reconnus pour souverains de la religion, & en apparence de l'Empire, par ceux qui ne reçoivent plus leurs ordres de si loin, tranquilles dans leur nouvelle Babylone, y font bien - tôt renaître les arts. Aaron Rachild, contemporain de Charlemagne, plus respecté que ses prédécesseurs, & qui sut se faire obéir jusqu'en Espagne & aux Indes, ranima les sciences, fit fleurir les arts agréables & utiles, attira les gens de lettres, composa des vers, & fit succéder dans ses états la politesse à la barbarie. Sous lui les Arabes, qui adoptoient déjà les chiffres indiens, les apporterent en Europe. Nous ne connumes en Allemagne & en France le cours des astres, que par le moyen de ces mêmes Arabes. Le seul mot d'almanach en est encore un témoignage.

L'almageste de Ptolomée fut alors traduit du grec en arabe par l'astronome Benhonaïn. Le calife Almamon fit mesurer géométriquement un degré du méridien pour déterminer la grandeur de la terre: opération qui n'a été faite en France que plus de 900 ans après sous Louis XIV. Ce même astronome Benhonaïn poussa ses observations assez loin, reconnut, ou que Ptolomée avoit fixé la plus grande déclinaison du soleil trop au septentrion, ou que l'obliquité de l'écliptique avoit changé. Il vit même que la période de trente - six mille ans, qu'on avoit assignée au mouvement prétendu des étoiles fixes d'occident en orient, devoit être beaucoup raccourcie.

La Chimie & la Medecine étoient cultivées par les Arabes. La Chimie, perfectionnée aujourd'hui par nous, ne nous fut connue que par eux. Nous leur devons de nouveaux remedes, qu'on nomme les minoratifs, plus doux & plus salutaires que ceux qui étoient auparavant en usage dans l'école d'Hippocrate & de Galien. Enfin, dès le second siecle de Mahomet, il fallut que les Chrétiens d'occident s'instruisissent chez les Musulmans.

Une preuve infaillible de la supériorité d'une nation dans les arts de l'esprit, c'est la culture perfectionnée de la Poésie. Il ne s'agit pas de cette poésie enflée & gigantesque, de ce ramas de lieux communs insipides sur le soleil, la lune & les étoiles, les montagnes & les mers: mais de cette poésie sage & hardie, telle qu'elle fleurit du tems d'Auguste, telle qu'on l'a vûe renaître sous Louis XIV. Cette poésie d'image & de sentiment fut connue du tems d'Aaron Rachild. En voici un exemple, entre plusieurs autres, qui a frappé M. de Voltaire, & qu'il rapporte parce qu'il est court. Il s'agit de la célebre disgrace de Giafar le Barmécide: [p. 867]

Mortel, foible mortel, à qui le sort prospere Fait goûter de ses dons les charmes dangereux, Connois quelle est des rois la faveur possagere; Contemple Barmécide, & tremble d'être heureux. Ce dernier vers est d'une grande beauté. La langue arabe avoit l'avantage d'etre perfectionnée depuis long - tems; elle étoit fixée avant Mahomet, & ne s'est point altérée depuis. Aucun des jargons qu'on parloit alors en Europe, n'a pas seulement laissé la moindre trace. De quelque côté que nous nous tournions, il faut avouer que nous n'existons que d'hier. Nous allons plus loin que les autres peuples en plus d'un genre, & c'est peut - être parce que nous sommes venus les derniers.

Si l'on envisage à présent la religion musulmane, on la voit embrassée par toutes les Indes, & par les côtes orientales de l'Afrique où ils trafiquoient. Si on regarde leurs conquêtes, d'abord le calife Aaron Rachild impose un tribut de soixante - dix mille écus d'or par an à l'impératrice Irene. L'empereur Nicéphore ayant ensuite refusé de payer le tribut, Aaron prend l'île de Chypre, & vient ravager la Grèce. Almamon son peut - fils, prince d'ailleurs si recommandable pour son amour pour les sciences & par son savoir, s'empare par ses lieutenans de l'île de Crete en 826. Les Musulmans bâtirent Candie, qu'ils ont reprise de nos jours.

En 828, les mêmes Africains qui avoient subjugué l'Espagne, & fait des incursions en Sicile, reviennent encore désoler cette île fertile, encouragés par un sicilien nommé Ephémius, qui ayant, à l'exemple de son empereur Michel, épousé une religieuse, poursuivi par les lois que l'empereur s'étoit rendues favorables, fit à peu - près en Sicile ce que le comte Julien avoit fait en Espagne.

Ni les empereurs grecs, ni ceux d'occident, ne purent alors chasser de Sicile les Musulmans, tant l'orient & l'occcident étoient mal - gouvernés! Ces conquérans alloient se rendre maîtres de l'Italie, s'ils avoient été unis; mais leurs fautes sauverent Rome, comme celles des Carthaginois la sauverent autrefois. Ils partent de Sicile en 846 avec une flotte nombreuse. Ils entrent par l'embouchure du Tibre; & ne trouvant qu'un pays presque desert, ils vont assiéger Rome. Ils prirent les dehors; & ayant pillé la riche église de S. Pierre hors les murs, ils leverent le siege pour aller combattre une armée de François, qui venoit secourir Rome, sous un général de l'empereur Lothaire. L'armée françoise fut battue; mais la ville rafraîchie fut manquée, & cette expédition, qui devoit être une conquête, ne devint par leur mésintelligence qu'une incursion de barbares.

Ils revinrent bien - tôt avec une armée formidable, qui sembloit devoir détruire l'Italie, & faire une bourgade mahométane de la capitale du Christianisme. Le pape Leon IV. prenant dans ce danger une autorité que les généraux de l'empereur Lothaire sembloient abandonner, se montra digne, en défendant Rome, d'y commander en souverain.

Il avoit employé les richesses de l'Eglise à réparer les murailles, à élever des tours, à tendre des chaînes sur le Tibre. Il arma les milices à ses dépens, éngaea les habitans de Naples & de Gayette à venir défendre les côtes & le port d'Ostie, sans manquer à la sage précaution de prendre d'eux des ôtages, sachant bien que ceux qui sont assez puissans pour nous secourir, le sont assez pour nous nuire. Il visita lui - même tous les postes, & reçut les Sarrasins à leur descente, non pas en équipage de guerrier, ainsi qu'en avoit usé Goslin évêque de Paris, dans une occasion encore plus pressante, mais comme un pontife qui exhortoit un peuple chrétien, & comme un roi qui veilloit à la sur ete de ses sujets.

Il étoit né romain; le courage des premiers âges de la république revivoit en lui dans un tems de lâcheté & de corruption, tel qu'un des beaux monumens de l'anciene Rome, qu'on trouve quelquefois dans les ruines de la nouvelle. Son courage & ses soins furent secondés. On reçut vaillamment les Sarrasins à leur descente; & la tempête ayant dissipé la moitié de leurs vaisseaux, une partie de ces conquérans, échapés au naufrage, fut mise à la chaîne.

Le pape rendit sa victoire utile, en faisant travailler aux fortifications de Rome, & à ses embellissemens, les mêmes mains qui devoient les détruire. Les Mahométans resterent cependant maîtres du Garillan, entre Capoue & Gayette; mais plutôt comme une colonie de corsaires indépendans, que comme des conquérans disciplinés.

Voilà donc au neuvieme siecle, les Musulmans à la fois à Rome & à Constantinople, maîtres de la Perse, de la Syrie, de l'Arabie, de toutes les côtes d'Afrique jusqu'au Mont - Atlas, & des trois quarts de l'Espagne: mais ces conquerans ne formerent pas une nation comme les Romains, qui étendus presque autant qu'eux, n'avoient fait qu'un seul peuple.

Sous le fameux calife Almamon vers l'an 815, un peu après la mort de Charlemagne, l'Egypte étoit indépendante, & le grand Caire fut la résidence d'un autre calife. Le prince de la Mauritanie Tangitane, sous le titre de miramolin, étoit maître absolu de l'empire de Maroc. La Nubie & la Lybie obéissoient à un autre calife. Les Abdérames qui avoient fondé le royaume de Cordoue, ne purent empêcher d'autres Mahométans de fonder celui de Toléde. Toutes ces nouvelles dynasties révéroient dans le calife, le successeur de leur prophete. Ainsi que les chrétiens, alloient en foule en pélerinage à Rome, les Mahométans de toutes les parties du monde, alloient à la Mecque, gouvernée par un chérif que nommoit le calife; & c'étoit principalement par ce pélerinage, que le calife, maître de la Mecque, étoit vénérable à tous les princes de sa croyance; mais ces princes distinguant la religion de leurs intérêts, dépouilloient le calife en lui rendant hommage.

Cependant les arts fleurissoient à Cordoue; les plaisirs recherchés, la magnificence, la galanterie régnoient à la cour des rois Maures. Les tournois, les combats à la barriere, sont peut - être de l'invention de ces Arabes. Ils avoient des spectacles, des théatres, qui tout grossiers qu'ils étoient, montroient encore que les autres peuples étoient moins polis que ces Mahométans: Cordoue étoit le seul pays de l'occident, où la Géométrie, l'Astronomie, la Chimie, la Médecine, fussent cultivées. Sanche le gros, roi de Léon, fut obligé de s'aller mettre à Cordoue en 956, entre les mains d'un médecin arabe, qui, invité par le roi, voulut que le roi vînt à lui.

Cordoue est un pays de délices, arrosé par le Guadalquivir, où des forêts de citronniers, d'orangers, de grenadiers, parfument l'air, & où tout invite à la mollesse. Le luxe & le plaisir corrompirent enfin les rois musulmans; leur domination fut au dixieme siecle comme celle de presque tous les princes chrétiens, partagée en petits états. Toléde, Murcie, Valence, Huesca même eurent leurs rois; c'étoit le tems d'accabler cette puissance divisée, mais ce tems n'arriva qu'au bout d'un siecle;d'abord en 1085 les Maures perdirent Toléde, & toute la Castille neuve se rendit au Cid. Alphonse, dit le batailleur, prit sur eux Sarragoce en 1114; Alphonse de Portugal leur ravit Lisbonne en 1147; Ferdinand III. leur enleva la ville délicieuse de Cordoue en 1236, & les chassa de Murcie & de Séville: Jac<pb->

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