ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"852"> le salut de l'humanité; Simon en a trouvé un qui le présente comme un suppôt de satan, sincerement converti, & qui vouloit par l'acquisition d'un pouvoir divin, rompre un pacte qu'il avoit avec le diable, & s'attacher à détruire autant son empire qu'il avoit travaillé à l'établir par ses sortiléges; mais S. Pierre n'a pas fourni les matériaux de cette apologie; & le négoce du magicien Simon est si fort décrié dans l'église, qu'il faudroit une éloquence plus que magique pour rétablir aujourd'hui sa réputation des plus délabrée; l'auteur des actes des Apôtres ne s'explique point sur les choses curieuses que renfermoient les livres que brûlerent dévotement les Ephésiens, nouveaux convertis à la foi chrétienne, il se contente de dire que le prix de ces livres supputés fut trouvé monter à cinquante mille pieces d'argent; si ces choses curieuses étoient de la magie, comme il y a tout lieu de le croire, assurément les adorateurs de la grande Diane étoient de très - petits philosophes, qui avoient de l'argent de reste & payoient cherement de mauvaises drogues.

Je reviens aux magiciens de Pharaon: on agite une grande question au sujet des miracles qu'ils ont opérés & que rapporte Moise; bien des interpretes veulent que ces prestiges n'ayent été qu'apparens, qu'ils sont dûs uniquement à leur industrie, à la souplesse de leurs doigts; ensorte que s'ils en imposerent à leurs spectateurs, cela ne vint que de la précipitation du jugement de ceux ci, & non de l'évidence du miracle, à laquelle seule ils auroient dû donner leur consentement.

D'autres veulent que ces miracles ayent été bien réels, & les attribuent aux secrets de l'art magique & à l'action du démon; lequel de ces deux partis est le plus conforme à la raison & à l'analogie de la foi, c'est ce qu'il est également difficile & dangereux de décider, & il faudroit être bien hardi pour s'eriger en juge dans un procès si célebre.

L'illusion des tours de passe - passe, l'habilité des joueurs de gobelets, tout ce que la méchanique peut avoir de plus étonnant & de plus propre à surprendre, & à faire tomber dans l'erreur; les admirables secrets de la chimie, les prodiges sans nombre qu'ont opéré l'étude de la nature, & les belles expériences qui l'ont dévoilée jusques dans les plus secrettes opérations, tout cela nous est connu aujourd'hui jusqu'à un certain point; mais il faut en convenir, nous ne connoissons que peu ou point du tout le démon, & les puissances infernales qui dépendent de lui; il semble même que grace au goût de la Philosophie, qui gagne & prend insensiblement le dessus, l'empire du démon va tous les jours en déclinant.

Quoi qu'il en soit, Moïse nous dit que les magiciens de Pharaon ont opéré des miracles, vrais ou faux, & que lui - même soutenu du pouvoir divin, en a fait de beaucoup plus considérables, & a griévement affligé l'Egypte, parce que le coeur de son roi étoit endurci; nous devons le croire religieusement, & nous applaudir de n'en avoir pas été les spectateurs.

Nous renvoyons ce qu'il nous reste à dire sur cette matiere à l'article Magie.

MAGIE (Page 9:852)

MAGIE, science ou art occulte qui apprend à faire des choses qui paroissent au - dessus du pouvoir humain.

La magie, considérée comme la science des premiers mages, ne fut autre chose que l'étude de la sagesse: pour lors elle se prenoit en bonne part, mais il est rare que l'homme se renferme dans les bornes du vrai, il est trop simple pour lui. Il est presqu'impossible qu'un petit nombre de gens instruits, dans un siecle & dans un pays en proie à une crasse ignorance, ne succombent bien - tôt à la tentation de passer pour extraordinaires & plus qu'humains: ainsi les mages de Chaldée & de tout l'orient, ou plutôt leurs disciples (car c'est de ceuxci que vient d'ordinaire la dépravation dans les idées), les mages, dis - je, s'attacherent à l'astrologie, aux divinations, aux enchantemens, aux maléfices; & bientôt le terme de magie devint odieux, & ne servit plus dans la suite qu'à désigner une science également illusoire & méprisable: fille de l'ignorance & de l'orgueil, cette science a dû être des plus anciennes; il seroit difficile de déterminer le tems de son origine, ayant pour objet d'alleger les peines de l'humanité, elle a pris naissance avec nos miseres. Comme c'est une science ténébreuse, elle est sur son trône dans les pays où regnent la barbarie & la grossiereté. Les Lapons, & en général les peuples sauvages cultivent la magie, & en font grand cas.

Pour faire un traité complet de magie, à la considérer dans le sens le plus étendu, c'est - à - dire dans tout ce qu'elle peut avoir de bon & de mauvais, on devroit la distinguer en magie divine, magie naturelle & magie sutnaturelle.

1°. La magie divine n'est autre chose que cette connoissance particuliere des plans, des vûes de la souveraine sagesse, que Dieu dans sa grace revele aux saints hommes animés de son esprit, ce pouvoir surnaturel qu'il leur accorde de prédire l'avenir, de faire des miracles, & de lire, pour ainsi dire, dans le coeur de ceux à qui ils ont à faire. Il fut de tels dons, nous devons le croire; si même la Philolophie ne s'en fait aucune idée juste, éclairée par la foi, elle les revere dans le silence. Mais en est - il encore? je ne sai, & je croi qu'il est permis d'en douter. Il ne dépend pas de nous d'acquérir cette desirable magie; elle ne vient ni du courant ni du voulant; c'est un don de Dieu.

2°. Par la magie naturelle, on entend l'étude un peu approfondie de la nature, les admirables secrets qu'on y découvre; les avantages inestimables que cette étude a apportés à l'humanité dans presque tous les arts & toutes les sciences; Physique, Astronomie, Médecine, Agriculture, Navigation, Méchanique, je dirai même Éloquence; car c'est à la connoissance de la nature & de l'esprit humain en particulier & des ressorts qui le remuent, que les grands maîtres sont redevables de l'impression qu'ils font sur leurs auditeurs, des passions qu'ils excitent chez eux, des larmes qu'ils leur arrachent, &c. &c. &c.

Cette magie très - louable en elle - même, fut poussée assez loin dans l'antiquité: il paroît même par le feu grégeois, & quelques autres découvertes dont les auteurs nous parlent, qu'à divers égards les anciens nous ont surpassés dans cette espece de magie; mais les invasions des peuples du Nord lui firent éprouver les plus funestes révolutions, & la replongerent dans cet affreux cahos dont les sciences & les beaux arts avoient eu tant de peine à sortir dans notre Europe.

Ainsi, bien des siecles après la sphere de verre d'Archimede, la colombe de bois volante d'Architras, les oiseaux d'or de l'empereur Léon qui chantoient, les oiseaux d'airain de Boëce qui chantoient & qui voloient, les serpens de même matiere qui siffloient, &c. il fut un pays en Europe (mais ce n'étoit ni le siecle ni la patrie de Vaucanson) il fut, dis je, un pays dans lequel on fut sur le point de bruler Brioché & ses marionnettes. Un cavalier françois qui promenoit & faisoit voir dans les foires une jument qu'il avoit eu l'habileté de dresser à répondre exactement à ses signes, comme nous en avons tant vûs dans la suite, eut la douleur en Espagne de voir mettre à l'inquisition un animal qui faisoit toute sa ressource, & eut assez de peine à se tirer [p. 853] lui - même d'affaire. On pourroit multiplier sans nombre les exemples de choses toutes naturelles, que l'ignorance a voulu criminaliser & faire passer pour les actes d'une magie noire & diabolique: à quoi ne furent pas exposés ceux qui les premiers oserent parler d'antipodes & d'un nouveau monde?

Mais nous reprenons insensiblement le dessus, & l'on peut dire qu'aux yeux mêmes de la multitude, les bornes de cette prétendue magie naturelle se rétrécissent tous les jours; parce qu'éclairés du flambeau de la Philosophie, nous faisons tous les jours d'heureuses découvertes dans les secrets de la nature, & que de bons systèmes soutenus par une multitude de belles expériences annoncent à l'humanité dequoi elle peut être capable par elle - même & sans magie. Ainsi la boussole, les thélescopes, les microscopes, &c. & de nos jours, les polypes, l'électricité; dans la Chimie, dans la Méchanique & la Statique, les découvertes les plus belles & les plus utiles, vont immortaliser notre siecle; & si l'Europe retomboit jamais dans la barbarie dont elle est enfin sortie, nous passerons chez de barbares successeurs pour autant de magiciens.

3°. La magie surnaturelle est la magie proprement dite, cette magie noire qui se prend toujours en mauvaise part, que produisent l'orgueil, l'ignorance & le manque de Philosophie: c'est elle qu'Agrippa comprend sous les noms de coelestialis & ceremonialis; elle n'a de science que le nom, & n'est autre chose que l'amas confus de principes obscurs, incertains & non démontrés, de pratiques la plûpart arbitraires, puériles, & dont l'inéfficace se prouve par la nature des choses.

Agrippa aussi peu philosophe que magicien, entend par la magie qu'il appelle coelestialis, l'astrologie judiciaire qui attribue à des esprits une certaine domination sur les planetes, & aux planetes sur les hommes, & qui prétend que les diverses constellations influent sur les inclinations, le sort, la bonne ou mauvaise fortune des humains; & sur ces foibles fondemens bâtit un système ridicule, mais qui n'ose paroître aujourd'hui que dans l'almanach de Liege & autres livres semblables; tristes dépôts des matériaux qui servent à nourrir des préjugés & des erreurs populaires.

La magie ceremonialis, suivant Agrippa, est bien sans contredit ce qu'il y a de plus odieux dans ces vaines sciences: elle consiste dans l'invocation des démons, & s'arroge ensuite d'un pacte exprès ou tacite fait avec les puissances infernales, le prétendu pouvoir de nuire à leurs ennemis, de produire des effets mauvais & pernicieux, que ne sauroient éviter les malheureuses victimes de leur fureur.

Elle se partage en plusieurs branches, suivant ses divers objets & opérations; la cabale, le sortilege, l'enchantement, l'évocation des morts ou des malins esprits; la découverte des trésors cachés, des plus grands secrets; la divination, le don de prophétie, celui de guérir par des pratiques mystérieuses les maladies les plus opiniâtres; la fréquentation du sabbat, &c. De quels travers n'est pas capable l'esprit humain! On a donné dans toutes ces réveries; c'est le dernier effort de la Philosophie d'avoir enfin desabusé l'humanité de ces humiliantes chimeres; elle a eu à combattre la superstition, & même la Théologie qui ne fait que trop souvent cause commune avec elle. Mais enfin dans les pays où l'on sait penser, réfléchir & douter, le démon fait un petit rôle, & la magie diabolique reste sans estime & crédit.

Mais ne tirons pas vanité de notre façon de penser; nous y sommes venus un peu tard; ouvrez les registres de la plus petite cour de Justice, vous y trouverez d'immenses cahiers de procédures contre les sorciers, les magiciens & les enchanteurs. Les seigneurs de jurisdictions se sont enrichis de leurs dépouilles, & la confiscation des biens appartenans aux prétendus sorciers a peut - être allumé plus d'un bucher; du - moins est - il vrai que souvent la passion a su tirer un grand parti de la crédulité du peuple, & faire regarder comme un sorcier & docteur en magie celui qu'elle vouloit perdre, dans le tems même que suivant la judicieuse remarque d'Apulée accusé autrefois de magie, ce crime, dit - il, n'est pas même cru par ceux qui en accusent les autres; car si un homme étoit bien persuadé qu'un autre homme le pût faire mourir par magie, il appréhenderoit de l'irriter en l'accusant de ce crime abominable.

Le fameux maréchal d'Ancre, Léonora Galigaï son épouse, sont des exemples mémorables de ce que peut la funeste accusation d'un crime chimérique, fomentée par une passion secrette & poussée par la dangereuse intrigue de cour. Mais il est peu d'exemples dans ce genre mieux constatés que celui du célebre Urbain Grandier curé & chanoine de Loudun, brûlé vif comme magicien l'an 1629. Qu'un philosophe ou seulement un ami de l'humanité souffre avec peine l'idée d'un malheureux immolé à la simplicité des uns & à la barbarie des autres! Comment le voir de sang - froid condamné comme magicien à périr par les flammes, jugé sur la déposition d'Astaroth diable de l'ordre des séraphins; d'Easas, de Celsus, d'Acaos, de Cédon, d'Asmodée, diables de l'ordre des trônes; d'Alex, de Zabulon, Nephtalim, de Cham, d'Uriel, d'Ahaz, de l'ordre des principautés? comment voir ce malheureux chanoine jugé impitoyablement sur la déposition de quelques religieuses qui disoient qu'il les avoit livrées à ces légions d'esprits infernaux? comment n'est - on pas mal à son aise, lorsqu'on le voit brûlé tout vif, avec des caracteres prétendus magiques, poursuivi & noirci comme magicien jusques sur le bucher même où une mouche noirâtre de l'ordre de celles qu'on appelle des bourdons, & qui rodoit autour de la tête de Grandier, fut prise par un moine qui sans doute avoit lû dans le concile de Quieres, que les diables se trouvoient toujours à la mort des hommes pour les tenter, fut pris, dis - je, pour Béelzebut prince des mouches, qui voloit autour de Grandier pour emporter son ame en enfer? Observation puérile, mais qui dans la bouche de ce moine fut peut être l'un des moins mauvais argumens qu'une barbare politique sut mettre en usage pour justifier ses excès, & en imposer par des contes absurdes à la funeste crédulité des simples. Que d'horreurs! & où ne se porte pas l'esprit humain lorsqu'il est aveuglé par les malheureuses passions de l'envie & de l'esprit de vengeance? L'on doit sans doute tenir compte à Gabriel Naudé, d'avoir pris généreusement la défense des grands hommes accusés de magie; mais je pense qu'ils ont plus d'obligations à ce goût de Philosophie qui a fait sentir toute la vanité de cette accusation, qu'au zele de leur avocat qui a peut - être marqué plus de courage dans son entreprise que d'habileté dans l'exécution & de forces dans les raisonuemens qu'il emploie. Si Naudé a pu justifier bien des grands hommes d'une imputation qui aux yeux du bons sens & de la raison se détruit d'elle - même: malgré tout son zele il eût sans doute échoué, s'il eût entrepris d'innocenter entierement à cet égard les sages de l'antiquité, puisque toute leur philosophie n'a pu les mettre à l'abri de cette grossiere superstition, que la magie tient par la main. Je n'en citairai d'autre exemple que Caton. Il étoit dans l'idée qu'on peut guérir les maladies les plus sérieuses par des paroles enchantées: voici les paroles barbares, au moyen desquelles

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