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La premiere est qu'un payen qui ôtoit à Dieu la sainteté & la justice, lui laissoit non - seulement l'existence, mais aussi la connoissance & la puissance; au lieu qu'un athée pratique lui ôte tout. Les Payens pouvoient être regardés comme des calomniateurs qui flétrissoient la gloire de Dieu; les athées pratiques l'outragent & l'assassinent à la fois. Ils ressemblent à ces peuples qui maudissoient le soleil, dont la chaleur les incommodoit, & qui l'eussent détruit, si cela eût été possible. Ils étouffent, autant qu'il est en eux, la persuasion de l'existence de Dieu; & ils ne se portent à cet excès de malice, qu'afin de se délivrer des remords de leur conscience.
La seconde est que la malice est le caractere de l'athéisme pratique, mais que l'idolatrie payenne étoit un péché d'ignorance; d'où l'on conclut que Dieu est plus offensé par les athées pratiques que par les Payens, & que leurs crimes de lese - majest> divine sont plus injurieux au vrai Dieu que ceux des Payens. En effet ils attaquent malicieusement la notion de Dieu qu'ils trouvent & dans leur coeur, & dans leur esprit; ils s'efforcent de l'étouffer; ils agissent en cela contre leur conscience, & seulement par le motif de se délivrer d'un joug qui les empêche de s'abandonner à toutes sortes de crimes. Ils font donc directement la guerre à Dieu; & ainsi l'injure qu'ils font au souverain Etre est plus offensante que l'injure qu'il recevroit des adorateurs des idoles. Du moins ceux - ci étoient bien intentionnés pour la divinité en général, ils la che> choient dans le dessein de la servir & de l'adorer; & croyant l'avoir trouvée dans des objets qui n'étoient pas Dieu, ils l'honoroient selon leurs faux préjugés, autant qu'il leur étoit possible. Il faut déplorer leur ignorance: mais en même tems il faut reconnoitre que la plûpart n'ont point su qu'ils erroient. Il est vrai que leur conscience étoit erronée: mais du moins ils s'y conformoient, parce qu'ils la croyoient bonne.
Pour l'athéisme spéculatif, il est moins injurieux
à Dieu, & par conséquent un moindre mal que le
polythéisme. Je pourrois alléguer grand nombre de
passages d'auteurs, tant anciens que modernes, qui
reconnoissent tous unanimement, qu'il y a plus d'extravagance,
plus de brutalité, plus de fureur, plus
d'aveuglement dans l'opinion d'un homme qui admet
tous les dieux des Grecs & des Romains, que dans
l'opinion de celui qui n'en admet point du tout.
La comparaison de Richeome nous fera mieux sentir que tous les raisonnemens du monde, que c'est un sentiment moins outrageant pour la divinité, de ne la [p. 803]
S'il est vrai, 1°. que l'on offense beaucoup plus celui que l'on nomme fripon, scélérat, infame, que celui auquel on ne songe pas, ou de qui on ne dit ni bien ni mal: 2°. qu'il n'y a point d'honnête femme, qui n'aimât mieux qu'on la fit passer pour morte, que pour prostituée: 3°. qu'il n'y a point de mari jaloux qui n'aime mieux que sa femme fasse voeu de continence, ou en général qu'elle ne veuille plus entendre parler de commerce avec un homme, que si elle se prostituoit à tout venant: 4°. qu'un roi chassé de son throne s'estime plus offensé, lorsque ses sujets rébelles sont ensuite tres - fideles à un autre roi, que s'ils n'en mettoient aucun à sa place: 5°. qu'un roi qui a une forte guerre sur les bras, est plus irrité contre ceux qui embrassent avec chaleur le parti de ses ennemis, que contre ceux qui se tiennent neutres. Si, dis - je, ces cinq propositions sont vraies, il faut de toute nécessité, que l'offense que les Payens faisoient à Dieu soit plus atroce que celle que lui font les athées spéculatifs, s'il y en a: ils ne songent point à Dieu; ils n'en disent ni bien ni mal; & s'ils nient son existence, c'est qu'ils la regardent non pas comme une chose réelle, mais comme une fiction de l'entendement humain. C'est un grand crime, je l'avoue: mais s'ils attribuoient à Dieu tous les crimes les plus infames, comme les Payens les attribuoient à leur Jupiter & à leur Vénus; si après l'avoir chassé de son throne, ils lui substituoient une infinité de faux dieux, leur offense ne seroit - elle pas beaucoup plus grande? Ou toutes les idées que nous avons des divers degrés de péchés sont fausses, ou ce sentiment est véritable. La perfection qui est la plus chere à Dieu est la sainteté; par conséquent le crime qui l'offense le plus est de le faire méchant: ne point croire son existence, ne lui point rendre de culte, c'est le dégrader; mais de rendre le culte qui lui est dû à une infinité d'autres êtres, c'est tout - à - la - fois le dégrader & se déclarer pour le démon dans la guerre qu'il fait à Dieu. L'Ecriture nous apprend que c'est au diable que se terminoit l'honneur rendu aux idoles, dii gentium doemonia. Si au jugement des personnes les plus raisonnables & les plus justes, un attentat à l'honneur est une injure plus atroce qu'un attentat à la vie; si tout ce qu'il y a d'honnêtes gens conviennent qu'un meurtrier fait moins de tort qu'un calomniateur qui flétrit la réputation, ou qu'un juge corrompu qui déclare infame un innocent: en un mot, si tous les hommes qui ont du sentiment, regardent comme une action très - criminelle de préférer la vie à l'honneur, l'infamie à la mort; que devons - nous penser de Dieu, qui verse lui - même dans les ames ces sentimens nobles & généreux? Ne devons - nous pas croire que la sainteté, la probité, la justice, sont ses attributs les plus essentiels, & dont il est le plus jaloux: donc la calomnie des Payens, qui le chargeant de toutes sortes de crimes, détruit ses perfections les plus précieuses, lui est une offense plus injurieuse que l'impiété des athées, qui lui ôte la connoissance & la direction des évenemens.
C'est un grand défaut d'esprit de n'avoir pas re<cb->
C'est une injure sans doute bien grande d'effacer de nos coeurs l'image de la Divinité qui s'y trouve naturellement empreinte: mais cette injure devient beaucoup plus atroce, lorsqu'on défigure cette image, & qu'on l'expose au mépris de tout le monde. Les athées ont effacé l'image de Dieu, & les Payens l'ont rendue méconnoissable; jugez de quel côté l'offense a été plus grande.
Le grand crime des athées parmi les Payens, est de n'avoir pas mis le véritable Dieu sur le throne, après en avoir si justement & si raisonnablement précipité tous les faux dieux: mais ce crime, quelque criant qu'il puisse être, est - il une injure aussi sanglante pour le vrai Dieu que celle qu'il a reçûe des Idolatres, qui, après l'avoir déthroné, ont mis sur son throne les plus infâmes divinités qu'il fût possible d'imaginer? Si la reine Elisabeth, chassée de ses états, avoit appris que ses sujets révoltés lui eussent fait succéder la plus infame prostituée qu'ils eussent pû déterrer dans Londres, elle eût été plus indignée de leur conduite, que s'ils eussent pris une autre forme de gouvernement, ou que pour le moins ils eussent donné la couronne à une illustre princesse. Non - seulement la personne de la reine Elisabeth eût été tout de nouveau insultée par le choix qu'on auroit fait d'une infame courtisane, mais aussi le caractere royal eût été deshonoré, profané; voilà l'image de la conduite des Payens a l'égard de Dieu. Ils se sont révoltés contre lui; & après l'avoir chassé du ciel, ils ont substitué à sa place une infinité de dieux chargés de crimes, & ils leur ont donné pour chef un Jupiter, fils d'un usurpateur & usurpateur lui - même. N'étoit - ce pas flétrir & deshonorer le caractere divin, exposer au dernier mépris la nature & la majesté divine?
A toutes ces raisons, M. Bayle en ajoûte une autre,
qui est que rien n'éloigne davantage les hommes
de se convertir à la vraie religion, que l'idolatrie: en effet, parlez à un Cartésien ou à un Péripatéticien, d'une proposition qui ne s'accorde pas avec
les principes dont il est préoccupé, vous trouvez
qu'il songe bien moins à pénétrer ce que vous lui
dites, qu'à imaginer des raisons pour le combattre:
parlez - en à un homme qui ne soit d'aucune secte,
vous le trouvez docile, & prêt à se rendre sans chicaner.
La raison en est, qu'il est bien plus mal - aisé
d'introduire quelque habitude dans une ame qui a
déjà contracté l'habitude contraire, que dans une
ame qui est encore toute nue. Qui ne sait, par exemple,
qu'il est plus difficile de rendre libéral un homme
qui a été avare toute sa vie, qu'un enfant qui n'est
encore ni avare ni libéral? De même il est beaucoup
plus aisé de plier d'un certain sens un corps qui
n'a jamais été plié, qu'un autre qui a été plié d'un
sens contraire. Il est donc très - raisonnable de penser
que les apôtres eussent convertis plus de gens à J. C.
s'ils l'eussent prêché à des peuples sans religion, qu'ils
n'en ont converti, annonçant l'Evangile à des nations
engagées par un zele aveugle & entêté aux cultes superstitieux
du Paganisme. On m'avouera, que si Julien l'apostat eût été athée, du caractere dont il étoit
d'ailleurs, il eût laissé en paix les Chrétiens; au lieu
qu'il leur faisoit des injures continuelles, infatué
qu'il étoit des superstitions du paganisme, & tellement
infatué, qu'un historien de sa religion n'a pû
s'empêcher d'en faire une espece de raillerie; disant
que s'il fût retourné victorieux de son expédition
contre les Perses, il eût dépeuplé la terre de boeufs à
force de sacrifices. Tant il est vrai, qu'un homme
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