ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"802"> de ses articles. Dans l'article même il dit que l'idolatrie est pour le moins aussi abominable que l'athéisme. C'est ainsi qu'il s'explique d'abord: mais les contradictions qu'il essuya, lui firent proposer sa these avec les rectrictions suivantes. « L'idolatrie des anciens payens n'est pas un mal plus affreux que l'ignorancé de Dieu dans laquelle on tomberoit, ou par stupidité, ou par défaut d'attention, sans une malice preméditée, fondée sur le dessein de ne sentir nuls remords, en s'adonnant à toutes sortes de crimes ». Enfin dans sa continuation des pensées diverses, il changea encore la question. Il supposa deux anciens philosophes, qui s'étant mis en tête d'examiner l'ancienne religion de leur pays, eussent observé dans cet examen les lois les plus rigoureuses de la recherche de la vérité. « Ni l'un ni l'autre de ces deux examinateurs ne se proposent de se procurer un système favorable à leurs intérêts; ils mettent à part leurs passions, les commodités de la vie, toute la morale; en un mot ils ne cherchent qu'à éclairer leur esprit. L'un d'eux ayant comparé autant qu'il a pû & sans aucun préjugé les preuves & les objections, les réponses, les répliques, conclut que la nature divine n'est autre chose que la vertu qui ment tous les corps par des lois nécessaires & immuables; qu'elle n'a pas plus d'égard à l'homme qu'aux autres parties de l'univers; qu'elle n'entend point nos prieres; que nous ne pouvons lui faire ni plaisir ni chagrin », c'est - à - dire en un mot, que ce premier philosophe deviendroit athée. Le second philosophe, après le même examen, tombe dans les erreurs les plus grossieres du Paganisme. M. Bayle soûtient que le péché du premier ne seroit pas plus énorme que le péché du dernier, & que même ce dernier auroit l'esprit plus faux que le premier. On voit par ces échantillons, combien M. Bayle s'est plu à embarrasser cette question; divers savans l'ont réfuté, & sur - tout M. Bernard dans différens endroits de ses nouvelles de la république des lettres, & M. Warburton dans ses dissertations sur l'union de la religion, de la morale & de la politique. C'est une chose tout - à - fait indifférente à la vraie Religion, de savoir lequel de l'athéisme ou de l'idolatrie est un plus grand mal. Les intérêts du Christianisme sont tellement séparés de ceux de l'idolatrie payenne, qu'il n'a rien à perdre ni à gagner, soit qu'elle passe pour moins mauvaise ou pour plus mauvaise que l'irreligion. Mais quand on examine le parallele de l'athéisme & du polythéisme par rapport à la société, ce n'est plus un problème indifférent. Il paroît que le but de M. Bayle étoit de prouver que l'athéisme ne tend pas à la destruction de la société; & c'est - là le point qu'il importe de bien développer: mais avant de toucher à cette partie de son système, examinons la premiere; & pour le faire avec ordre, n'oublions pas la distinction qu'on fait des athées de théorie & des athées de pratique. Cette distinction une fois établie, on peut dire que l'athéisme pratique renferme un degré de malice, qui ne se trouve pas dans le polithéisme: on en peut donner plusieurs raisons.

La premiere est qu'un payen qui ôtoit à Dieu la sainteté & la justice, lui laissoit non - seulement l'existence, mais aussi la connoissance & la puissance; au lieu qu'un athée pratique lui ôte tout. Les Payens pouvoient être regardés comme des calomniateurs qui flétrissoient la gloire de Dieu; les athées pratiques l'outragent & l'assassinent à la fois. Ils ressemblent à ces peuples qui maudissoient le soleil, dont la chaleur les incommodoit, & qui l'eussent détruit, si cela eût été possible. Ils étouffent, autant qu'il est en eux, la persuasion de l'existence de Dieu; & ils ne se portent à cet excès de malice, qu'afin de se délivrer des remords de leur conscience.

La seconde est que la malice est le caractere de l'athéisme pratique, mais que l'idolatrie payenne étoit un péché d'ignorance; d'où l'on conclut que Dieu est plus offensé par les athées pratiques que par les Payens, & que leurs crimes de lese - majest divine sont plus injurieux au vrai Dieu que ceux des Payens. En effet ils attaquent malicieusement la notion de Dieu qu'ils trouvent & dans leur coeur, & dans leur esprit; ils s'efforcent de l'étouffer; ils agissent en cela contre leur conscience, & seulement par le motif de se délivrer d'un joug qui les empêche de s'abandonner à toutes sortes de crimes. Ils font donc directement la guerre à Dieu; & ainsi l'injure qu'ils font au souverain Etre est plus offensante que l'injure qu'il recevroit des adorateurs des idoles. Du moins ceux - ci étoient bien intentionnés pour la divinité en général, ils la che choient dans le dessein de la servir & de l'adorer; & croyant l'avoir trouvée dans des objets qui n'étoient pas Dieu, ils l'honoroient selon leurs faux préjugés, autant qu'il leur étoit possible. Il faut déplorer leur ignorance: mais en même tems il faut reconnoitre que la plûpart n'ont point su qu'ils erroient. Il est vrai que leur conscience étoit erronée: mais du moins ils s'y conformoient, parce qu'ils la croyoient bonne.

Pour l'athéisme spéculatif, il est moins injurieux à Dieu, & par conséquent un moindre mal que le polythéisme. Je pourrois alléguer grand nombre de passages d'auteurs, tant anciens que modernes, qui reconnoissent tous unanimement, qu'il y a plus d'extravagance, plus de brutalité, plus de fureur, plus d'aveuglement dans l'opinion d'un homme qui admet tous les dieux des Grecs & des Romains, que dans l'opinion de celui qui n'en admet point du tout. « Quoi, dit Plutarque (traité de la Superst.) celui qui ne croit point qu'il y ait des dieux, est impie; & celui qui croit qu'ils sont tels que les superstitieux se les figurent, ne le sera pas? Pour moi, j'aimerois mieux que tous les hommes du monde dissent, que jamais Plutarque n'a été, que s'ils disoient, Plutarque est un homme inconstant, léger, colere, qui se venge des moindres offenses ». M. Bossuet ayant donné le précis de la théologie que Wiclef a débitée dans son trialogue, ajoûte ceci: « Voilà un extrait fidele de ses blasphèmes: ils se réduisent à deux chefs; à faire un dieu dominé par la nécessité; & ce qui en est une suite, un dieu auteur & approbateur de tous les crimes, c'est - à - dire un dieu que les athées auroient raison de nier: de sorte que la religion d'un si grand réformateur est pire que l'athéisme ». Un des beaux endroits de M. de la Bruyere est celui - ci: « Si ma religion étoit fausse, je l'avoue, voilà le piége le mieux dressé qu'il soit possible d'imaginer; il étoit inévitable de ne pas donner tout au travers, & de n'y être pas pris. Quelle majesté! quel éclat des mysteres! quelle suite & quel enchaînement de toute la doctrine! quelle raison éminente! quelle candeur! quelle innocence de moeurs! quelle force invincible & accablante de témoignages rendus successivement & pendant trois siecles entiers par des millions de personnes les plus sages, les plus modérées qui fussent alors sur la terre. Dieu même pouvoit il jamais mieux rencontrer pour me séduire? par où échapper, où aller, où me jetter, je ne dis pas pour trouver rien de meilleur, mais quelque chose qui en approche? S'il faut périr, c'est par - là que je veux périr; il m'est plus doux de nier Dieu, que de l'accorder avec une tromperie si spécieuse & si entiere ». Voyez la continuation des pensées diverses de M. Bayle.

La comparaison de Richeome nous fera mieux sentir que tous les raisonnemens du monde, que c'est un sentiment moins outrageant pour la divinité, de ne la [p. 803] point croire du tout, que de croire ce qu'elle n'est pas, & ce qu'elle ne doit pas être. Voilà deux portiers à l'entrée d'une maison: on leur demande, peut - on parler à votre maître? Il n'y est pas, répond l'un: il y est, répond l'autre, mais fort occupé à faire de la fausse monnoie, de faux contrats, des poignards & des poisons, pour perdre ceux qui ont exécuté ses desseins: l'athée ressemble au premier de ces portiers, le payen à l'autre. Il est donc visible que le payen offense plus grievement la divinité que ne fait l'athée. On ne peut comprendre que des gens qui auroient été attentifs à cette comparaison, eussent balancé à dire que la superstition payenne valoit moins que l'irreligion.

S'il est vrai, 1°. que l'on offense beaucoup plus celui que l'on nomme fripon, scélérat, infame, que celui auquel on ne songe pas, ou de qui on ne dit ni bien ni mal: 2°. qu'il n'y a point d'honnête femme, qui n'aimât mieux qu'on la fit passer pour morte, que pour prostituée: 3°. qu'il n'y a point de mari jaloux qui n'aime mieux que sa femme fasse voeu de continence, ou en général qu'elle ne veuille plus entendre parler de commerce avec un homme, que si elle se prostituoit à tout venant: 4°. qu'un roi chassé de son throne s'estime plus offensé, lorsque ses sujets rébelles sont ensuite tres - fideles à un autre roi, que s'ils n'en mettoient aucun à sa place: 5°. qu'un roi qui a une forte guerre sur les bras, est plus irrité contre ceux qui embrassent avec chaleur le parti de ses ennemis, que contre ceux qui se tiennent neutres. Si, dis - je, ces cinq propositions sont vraies, il faut de toute nécessité, que l'offense que les Payens faisoient à Dieu soit plus atroce que celle que lui font les athées spéculatifs, s'il y en a: ils ne songent point à Dieu; ils n'en disent ni bien ni mal; & s'ils nient son existence, c'est qu'ils la regardent non pas comme une chose réelle, mais comme une fiction de l'entendement humain. C'est un grand crime, je l'avoue: mais s'ils attribuoient à Dieu tous les crimes les plus infames, comme les Payens les attribuoient à leur Jupiter & à leur Vénus; si après l'avoir chassé de son throne, ils lui substituoient une infinité de faux dieux, leur offense ne seroit - elle pas beaucoup plus grande? Ou toutes les idées que nous avons des divers degrés de péchés sont fausses, ou ce sentiment est véritable. La perfection qui est la plus chere à Dieu est la sainteté; par conséquent le crime qui l'offense le plus est de le faire méchant: ne point croire son existence, ne lui point rendre de culte, c'est le dégrader; mais de rendre le culte qui lui est dû à une infinité d'autres êtres, c'est tout - à - la - fois le dégrader & se déclarer pour le démon dans la guerre qu'il fait à Dieu. L'Ecriture nous apprend que c'est au diable que se terminoit l'honneur rendu aux idoles, dii gentium doemonia. Si au jugement des personnes les plus raisonnables & les plus justes, un attentat à l'honneur est une injure plus atroce qu'un attentat à la vie; si tout ce qu'il y a d'honnêtes gens conviennent qu'un meurtrier fait moins de tort qu'un calomniateur qui flétrit la réputation, ou qu'un juge corrompu qui déclare infame un innocent: en un mot, si tous les hommes qui ont du sentiment, regardent comme une action très - criminelle de préférer la vie à l'honneur, l'infamie à la mort; que devons - nous penser de Dieu, qui verse lui - même dans les ames ces sentimens nobles & généreux? Ne devons - nous pas croire que la sainteté, la probité, la justice, sont ses attributs les plus essentiels, & dont il est le plus jaloux: donc la calomnie des Payens, qui le chargeant de toutes sortes de crimes, détruit ses perfections les plus précieuses, lui est une offense plus injurieuse que l'impiété des athées, qui lui ôte la connoissance & la direction des évenemens.

C'est un grand défaut d'esprit de n'avoir pas re<cb-> connu dans les ouvrages de la nature un Dieu souverainement parfait: mais c'est un plus grand défaut d'esprit encore, de croire qu'une nature sujette aux passions les plus injustes & les plus sales, soit un Dieu, & mérite nos adorations: le premier défaut est celui des athées, & le second celui des Payens.

C'est une injure sans doute bien grande d'effacer de nos coeurs l'image de la Divinité qui s'y trouve naturellement empreinte: mais cette injure devient beaucoup plus atroce, lorsqu'on défigure cette image, & qu'on l'expose au mépris de tout le monde. Les athées ont effacé l'image de Dieu, & les Payens l'ont rendue méconnoissable; jugez de quel côté l'offense a été plus grande.

Le grand crime des athées parmi les Payens, est de n'avoir pas mis le véritable Dieu sur le throne, après en avoir si justement & si raisonnablement précipité tous les faux dieux: mais ce crime, quelque criant qu'il puisse être, est - il une injure aussi sanglante pour le vrai Dieu que celle qu'il a reçûe des Idolatres, qui, après l'avoir déthroné, ont mis sur son throne les plus infâmes divinités qu'il fût possible d'imaginer? Si la reine Elisabeth, chassée de ses états, avoit appris que ses sujets révoltés lui eussent fait succéder la plus infame prostituée qu'ils eussent pû déterrer dans Londres, elle eût été plus indignée de leur conduite, que s'ils eussent pris une autre forme de gouvernement, ou que pour le moins ils eussent donné la couronne à une illustre princesse. Non - seulement la personne de la reine Elisabeth eût été tout de nouveau insultée par le choix qu'on auroit fait d'une infame courtisane, mais aussi le caractere royal eût été deshonoré, profané; voilà l'image de la conduite des Payens a l'égard de Dieu. Ils se sont révoltés contre lui; & après l'avoir chassé du ciel, ils ont substitué à sa place une infinité de dieux chargés de crimes, & ils leur ont donné pour chef un Jupiter, fils d'un usurpateur & usurpateur lui - même. N'étoit - ce pas flétrir & deshonorer le caractere divin, exposer au dernier mépris la nature & la majesté divine?

A toutes ces raisons, M. Bayle en ajoûte une autre, qui est que rien n'éloigne davantage les hommes de se convertir à la vraie religion, que l'idolatrie: en effet, parlez à un Cartésien ou à un Péripatéticien, d'une proposition qui ne s'accorde pas avec les principes dont il est préoccupé, vous trouvez qu'il songe bien moins à pénétrer ce que vous lui dites, qu'à imaginer des raisons pour le combattre: parlez - en à un homme qui ne soit d'aucune secte, vous le trouvez docile, & prêt à se rendre sans chicaner. La raison en est, qu'il est bien plus mal - aisé d'introduire quelque habitude dans une ame qui a déjà contracté l'habitude contraire, que dans une ame qui est encore toute nue. Qui ne sait, par exemple, qu'il est plus difficile de rendre libéral un homme qui a été avare toute sa vie, qu'un enfant qui n'est encore ni avare ni libéral? De même il est beaucoup plus aisé de plier d'un certain sens un corps qui n'a jamais été plié, qu'un autre qui a été plié d'un sens contraire. Il est donc très - raisonnable de penser que les apôtres eussent convertis plus de gens à J. C. s'ils l'eussent prêché à des peuples sans religion, qu'ils n'en ont converti, annonçant l'Evangile à des nations engagées par un zele aveugle & entêté aux cultes superstitieux du Paganisme. On m'avouera, que si Julien l'apostat eût été athée, du caractere dont il étoit d'ailleurs, il eût laissé en paix les Chrétiens; au lieu qu'il leur faisoit des injures continuelles, infatué qu'il étoit des superstitions du paganisme, & tellement infatué, qu'un historien de sa religion n'a pû s'empêcher d'en faire une espece de raillerie; disant que s'il fût retourné victorieux de son expédition contre les Perses, il eût dépeuplé la terre de boeufs à force de sacrifices. Tant il est vrai, qu'un homme

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