ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"732"> adresse la parole: on les voit ces êtres, puisqu'on leur parle; ils sont présens, au moins à l'imagination: on n'a donc pas besoin d'article pour les tirer de la généralité de leur espece, & en faire des individus.

Coulez, ruisseau, coulez, fuyez nous: Hélas, petits moutons, que vous êtes heureux! Fille des plaisirs, triste goutte. Deshoulieres.

Cependant quand on veut appeller un homme ou une femme du peuple qui passe, on dit communément, l'homme, la femme; écoûtez, la belle fille, la belle enfant, &c. je crois qu'alors il y a ellipse; écoûtez, vous qui êtes la belle fille, &c. vous qui êtes l'homme à qui je veux parler, &c. C'est ainsi qu'en Latin, un adjectif qui paroît devoir se rapporter à un vocatif, est pourtant quelquefois au nominatif: nous disons fort bien en Latin, dit Sanctius, deffende me, amice mi, & deffende me, amicus meus, en sousentendant tu qui es amicus meus (Sanct. Min. l. II. c. vj.) Terence, (Phorm. act. II. sc. 1.) dit, ô vir fortis, atque amicus; c'est - à - dire, ô quam tu es vir fortis, atque amicus! ce que Donat trouve plus énergique que si Térence avoit dit amice. M. Dacier traduit ô le brave homme, & le bon ami! on sousentend que tu es. Mais revenons aux vrais noms propres.

Les Grecs mettent souvent l'article devant les noms propres, sur - tout dans les cas obliques, & quand le nom ne commence pas la phrase; ce qu'on peut remarquer dans l'énumération des ancêtres de J. C. au premier chapitre de S. Matthieu. Cet usage des Grecs fait bien voir que l'article leur servoit à marquer l'action de l'esprit qui se tourne vers un objet. N importe que cet objet soit un nom propre ou un nom appellatif; pour nous, nous ne mettons pas l'article, surtout devant les noms propres personnels: Pierre, Marie, Alexandre, César, &c. Voici quelques remarques à ce sujet.

I. Si par figure on donne à un nom propre une signification de nom d'espece, & qu'on applique ensuite cette signification, alors on aura besoin de l'article. Par exemple, si vous donnez au nom d'Alexandre la signification de conquérant ou de héros, vous direz que Charles XII. a été l'Alexandre de notre siecle; c'est ainsi qu'on dit, les Cicérons, les Demosthenes, c'est - à - dire les grands orateurs, tels que Cicéron & Démosthene; les Virgiles, c'est - à - dire les grands poëtes.

M. l'abbé Gedoyn observe (dissertation des anciens & des modernes, p. 94.) que ce fut environ vers le septieme siecle de Rome, que les R mains virent fleurir leurs premiers poetes, Névius, Accius, Pacuve & Lucilius, qui peuvent, dit - il, étre comparés, les uns à nos Desportes, à nos Ronsards, & à nos Regniers; les autres à nos Tristans, & à nos Rotrous; où vous voyez que tus ces noms propres prennent en ces occasions une s à la fin, parce qu'ils deviennent alors comme autant de noms appellatifs.

Au reste, ces Desportes, ces Tristans, & ces Rotrous, qui ont précédé nos Corneilles, nos Racines, &c. font bien voir que les Arts & les Sciences ont, comme les plantes & les animaux, un premier âge, un tems d'accroissement, un tems de consistance, qui n'est suivi que trop souvent de la vieillesse & de la décrépitude, avant - coureurs de la mort. Voyez l'état où sont aujourd'hui les Arts chez les Egyptiens & chez les Grecs: les pyramides d'Egypte & tant d'autres monumens admirables que l'on trouve dans les pays les plus barbares, sont une preuve bien sensible de ces révolutions & de cette vicissitude.

Dieu est le nom du souverain être: mais si par rapport à ses divers attributs on en fait une sorte de nom d'espece, on dira le Dieu de miséricorde, &c. le Dieu des chrétiens, &c.

II. Il y a un très - grand nombre de noms propres, qui dans leur origine n'étoient que des noms appellatifs. Par exemple, Ferté qui vient par syncope de fermeté, signifioit autrefois citadelle: ainsi quand on vouloit parler d'une citadelle particuliere, on disoit la Ferté d'un tel endroit; & c'est de là que nous viennent la Ferté - Imbault, la Ferté - Milon, &c.

Mesnil est aussi un vieux mot, qui signifioit maison de campagne, village, du Latin manile, & masnile dans la basse latinité. C'est de là que nous viennent les noms de tant de petits bourgs appellés le Mesnil. Il en est de même de le Mans, le Perche, &c. le Catelet, c'est - à - dire, le petit Château; le Quesnoi, c'étoit un lieu planté de chênes; le Ché, prononcé par à la maniere de Picardie, & des pays circonvoisins.

Il y a aussi plusieurs qualificatifs qui sont devenus noms propres d'hommes, tels que le blanc, le noir, le brun, le beau, le bel, le blond, &c. & ces noms conservent leurs prénoms quand on parle de la femme; madame le Blanc, c'est - à - dire, femme de M. le Blanc.

III. Quand on parle de certaines femmes, on se sert du prénom la, parce qu'il y a un nom d'espece sousentendu; la le Maire, c'est - à - dire l'actrice le Maire.

IV. C'est peut - être par la même raison qu'on dit, le Tasse, l'Arioste, le Dante, en sousentendant le poëte; & qu'on dit le Titien, le Carrache, en sousentendant le peintre: ce qui nous vient des Italiens.

Qu'il me soit permis d'observer ici que les noms propres de famille ne doivent être précédés de la préposition de, que lorsqu'ils sont tirés de noms de terre. Nous avons en France de grandes maisons qui ne sont connues que par le nom de la principale terre que le chef de la maison possédoit avant que les noms propres de famille fussent en usage. Alors le nom est précédé de la préposition de, parce qu'on sousentend sire, seigneur, duc, marquis, &c. ou sieur d'un tel fief. Telle est la maison de France, dont la branche d'aîné en aîné n'a d'autre nom que France.

Nous avons aussi des maisons très - illustres & très anciennes, dont le nom n'est point précédé de la préposition de, parce que ce nom n'a pas été tiré d'un nom de terre: c'est un nom de famille ou maison.

Il y a de la petitesse à certains gentilshommes d'ajoûter le de à leur nom de famille; rien ne décele tant l'homme nouveau & peu instruit.

Quelquefois les noms propres sont accompagnés d'adjectifs, sur quoi il y a quelques observations à faire.

I. Si l'adjectif est un nom de nombre ordinal, tel que premier, second, &c. & qu'il suive immédiatement son substantif, comme ne faisant ensemble qu'un même tout, alors on ne fait aucun usage de l'article: ainsi on dit François premier, Charles second, Henri quatre, pour quatrieme.

II. Quand on se sert de l'adjectif pour marquer une simple qualité du substantif qu'il précede, alors l'article est mis avant l'adjectif, le savant Scaliger, le galant Ovide, &c.

III. De même si l'adjectif n'est ajoûté que pour distinguer le substantif des autres qui portent le même nom, alors l'adjectif suit le substantif, & cet adjectif est précédé de l'article: Henri le grand, Louis le juste, &c. où vous voyez que le tire Henri & Louis du nombre des autres Henris & des autres Louis, & en fait des individus particuliers, distingués par une qualité spéciale.

IV. On dit aussi avec le comparatif & avec le superlatif relatif, Homere le meilleur poëte de l'antiqutté, Varron le plus savant des Romains.

Il paroît par les observations ci - dessus, que lorsqu'à la simple idée du nom propre on joint quelqu'autre idée, ou que le nom dans sa premiere origine a été tiré d'un nom d'espece, ou d'un qualificatif qui [p. 733] a été adapté à un objet particulier par le changement de quelques lettres, alors on a recours au prépositif par une suite de la premiere origine: c'est ainsi que nous disons le paradis, mot qui à la lettre signifie un jardin planté d'arbres qui portent toute sorte d'excellens fruits, & par extension un lieu de délices.

L'enfer, c'est un lieu bas, d'inferus; via infera, la rue d'enfer, rue inférieure par rapport à une autre qui est au - dessus. L'univers, universus orbis; l'être universel, l'assemblage de tous les êtres.

Le monde, du Latin mundus, adjectif, qui signifie propre, élégant, ajusté, paré, & qui est pris ici substantivement: & encore lorsqu'on dit mundus muliebris, la toilette des dames où sont tous les petits meubles dont elles se servent pour se rendre plus propres, plus ajustées & plus séduisantes: le mot Grec KOSMO, qui signifie ordre, ornement, beauté, répond au mundus des Latins.

Selon Platon, le monde fut fait d'après l'idée la plus parfaite que Dieu en conçut. Les Payens frappés de l'éclat des astres & de l'ordre qui leur paroissoit régner dans l'univers, lui donnerent un nom tiré de cette beauté & de cet ordre. Les Grecs, dit Pline, l'ont appellé d'un nom qui signifie ornement, & nous d'un nom qui veut dire, élégance parfaite. (Quem XOSMON Groeci, nomine ornamenti appellaverunt, eum & nos à perfectâ absolutâque elegantiâ mundum. Pline 11. 4.) Et Cicéron dit, qu'il n'y a rien de plus beau que le monde, ni rien qui soit au - dessus de l'architecte qui en est l'auteur. (Neque mundo quidquam pulchrius, neque ejus oedificatore proestantius. Cic. de univ. cap. ij.) Cum continuisset Deus bonis omnibus explere mundum....sic ratus est opus illud effectum esse pulcherrimum. (ib. iij.) Hanc igitur habuit rationem essector mundi molitorque Deus, ut unum cpus totum atque perfectum ex omnibus totis, atque perfectis absolveretur. (ib. v.) Formam autem & maximè sibi cognatam & decoram dedit. (ib. vj.) Animum igitur cum ille procreator mundi Deus, ex suâ mente & divinitate genuisset, &c. (ib. viij.) Ut hunc hâc varietate distinctum benè Groeci KOSMON, non lucentem mundum nominaremus. (ib. x.)

Ainsi quand les Payens de la Zone tempérée septentrionale, regardoient l'universalité des êtres du beau côté, ils lui donnoient un nom qui répond à cette idée brillante, & l'appelloient le monde, c'est - à - dire l'être bien ordonné, bien ajusté, sortart des mains de son créateur, comme une belle dame sort de sa toilette. Et nous quoiqu'instruits des maux que le péché originel a introduits dans le monde. comme nous avons trouvé ce nom tout établi, nous l'avons conservé, quoiqu'il ne réveille pas aujourd'hui parmi nous la même idée de perfection, d'ordre & d'élégance.

Le soleil, de solus, selon Cicéron, parce que c'est le seul astre qui nous paroisse aussi grand; & que lorsqu'il est levé, tous les autres disparoissent à nos yeux.

La lune, à lucendo, c'est - à - dire la planete qui nous éclaire, sur - tout en certains tems pendant la nuit. (Sol vel quia solus ex omnibus sideribus est tantus, vel quia cum est exortus, obscuratis omnibus solus apparet; luna à lucendo nominata, eadem est enim lucina. (Cic. de nat. deor. lib. II. c. xxvij.)

La mer, c'est - à - dire l'eau amere, proprie autem mare appellatur, eo quod aquoe ejus amaroe sint. (Isidor. l. XIII. c. xiv.)

La terre, c'est - à - dire l'élément sec, du Grec TEIRW, sécher, & au futur second, TERW=. Aussi voyons nous qu'elle est appellée arida dans la Genese, ch. j. v. 9. & en S. Matthieu, ch. xxiij. v. 15. circuitis mare & aridam. Cette étymologie me paroît plus naturelle que celle que Varron en donne: terra dicta o quod teritur. Varr de ling. lat. iv. 4.

Elément est donc le nom générique de quatre es<cb-> peces, qui sont le feu, l'air, l'eau, la terre: la terre se prend aussi pour le globe terrestre.

Des noms de pays. Les noms de pays, de royaumes, de provinces, de montagnes, de rivieres, entrent souvent dans le discours sans article comme noms qualificatifs, le royaume de France, d'Espagne, &c. En d'autres occasions ils prennent l'article, soit qu'on sousentende alors terre, qui est exprimé dans Angleterre, ou région, pays, montagne, fleuve, riviere, vaisseau, &c. Ils prennent sur - tout l'article quand ils sont personifiés; l'intérêt de la France, la politesse de la France, &c.

Quoi qu'il en soit, j'ai crû qu'on seroit bien aise de trouver dans les exemples suivant, quel est aujourd'hui l'usage à l'égard de ces mots, sauf au lecteur à s'en tenir simplement à cet usage, ou à chercher à faire l'application des principes que nous avons établis, s'il trouve qu'il y ait lieu.

Noms propres employés seu -          Noms propres employés
 lement avec une préposi -              avec l'article.
 tion sans l'article.
Royaume de Valence.                La France.
Isle de Candie.                    L'Espagne.
Royaume de France, &c.             L'Angleterre.
Il vient de Pologne, &c.           La Chine.
Il est allé en Perse, en Suede,    Le Japon.
  &c.
Il est revenu d'Espagne, de        Il vient de la Chine, du Japon,
  Perse, d'Afrique, d'Asie,          de l'Amérique, du Perou.
  &c.
Il demeure en Italie, en France,   Il demoure au Pérou, au Ja - 
  & a Malte, à Rouen, à              pon, à la Chine, aux Indes,
  Avignon.                           à l'Isle St. Domingue.
Les Languedociens & les                   La politesse de la France.
  Provençaux disent en Avi -         L'intérêt de l'Espagne.
  gnon pour eviter le bâille - On attribue à l'Allemagne l'in 
 ment; c'est une faute.                   vention de l'Imprimerie.
Les modes, les Vins de             Le Mexique.
  France, les vins de Bourgo -      Le Pérou.
  gne, de Champagne, de           Les Indes.
  Bourdeaux, de Tocaye.           Le Maine, la Marche, le Per - 
                                            che, le Milanès, le Mantouan,
                                            le Parmesan, vin du Rhin.
Il vient de Flandre.               Il vient de la Flandre francoise.
A mon départ d'Allemagne.          La gloire de l'Allemagne.
L'Empire d'Allemagne.
Chevaux d'Angleterre, de Bar - 
  barie, &c.

On dit par opposition le mont - Parnasse, le mont - Valérien, &c. & on dit la montagne de Tarare: on dit le fleuve Don, & la riviere de Seine; ainsi de quelques autres, surquoi nous renvoyons à l'usage.

Remarques sur ces phrases 1°. il a de l'argent, il a bien de l'argent, &c. 2°. Il a beaucoup d'argent, il n'a point d'argent, &c.

I. L'or, l'argent, l'esprit, &c. peuvent être considérés, ainsi que nous l'avons observé, comme des individus spécifiques; alors chacun de ces individus est regardé comme un tout, dont on peut tirer une portion: ainsi il a de l'argent, c'est il a une portion de ce tout, qu'on appelle argent, esprit, &c. La préposition de est alors extractive d'un individu, comme la préposition Latine ex ou de. Il a bien de l'argent, de l'esprit, &c. c'est la même analogie que il a de l'argent, &c.

C'est ainsi que Plaute a dit credo eg llic inesse auri & argenti largiter (Rud. act. IV. se. iv. v. 144.) en sous - entendant XRMA, rem auri, je crois qu'il y a là de l'or & de l'argent en abondance. Bien est autant adverbe que largiter, la valeur de l'adverbe tombe sur le verbe inesse largiter, il a bien. Les adverbes modifient le verbe & n'ont jamais de complément, ou comme on dit de régime: ainsi nous disons il a bien, comme nous dirions il a véritablement; nos peres disoient il a merveilleusement de l'esprit.

II. A l'égard de il a beaucoup d'argent, d'esprit, &c. il n'a point d'argent, d'esprit &c. il faut observer que

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