ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"726"> Christ dit à ses disciples, &c. se sert de la préposition ad, ait ad illos. Les Latins disoient également loqui alicui, & loqui ad aliquem, parler à quelqu'un; afferre aliquid alicui, ou ad aliquem, apporter quelque chose à quelqu'un, &c. Si de ces deux manieres de s'exprimer nous avons choisi celle qui s'énonce par la préposition, c'est que nous n'avons point de datif.

1°. Les Latins disoient aussi pertinere ad; nous disons de même avec la préposition appartenir à.

2°. Notre préposition à vient aussi quelquefois de la préposition Latine à ou ab; auferre aliquid alicui ou ab aliquo, ôter quelque chose à quelqu'un: on dit aussi, eripere aliquid alicui ou ab aliquo; petere veniam à Deo, demander pardon à Dieu.

Tout ce que dit M. l'abbé Regnier pour faire voir que nous avons des datifs, me paroît bien mal assorti avec tant d'observations judicieuses qui sont répandues dans sa Grammaire. Selon ce célebre académicien (p. 238.) quand on dit voilà un chien qui s'est donné à moi, à moi est au datif: mais si l'on dit un chien qui s'est adonné à moi, cet à moi ne sera plus alors un datif; c'est, dit - il, la préposition Latine ad. J'avoue que je ne saurois reconnoître la préposition Latine dans adonné à, sans la voir aussi dans donné à, & que dans l'une & dans l'autre de ces phrases les deux à me paroissent de même espece, & avoir la même origine. En un mot, puisque ad aliquem, ou ab aliquo ne sont point des datifs en Latin, je ne vois pas pourquoi à quelqu'un pourroit être un datif en François.

Je regarde donc de & à comme de simples prépositions, aussi bien que par, pour, avec, &c. les unes & les autres servent à faire connoître en François les rapports particuliers que l'usage les a chargés de marquer, sauf à la langue Latine à exprimer autrement ces mêmes rapports.

A l'égard de le, la, les, je n'en fais pas une classe particuliere de mots sous le nom d'article; je les place avec les adjectifs prépositifs, qui ne se mettent jamais que devant leurs substantifs, & qui ont chacun un service qui leur est propre. On pourroit les appeller prénoms.

Comme la société civile ne sauroit employer trop de moyens pour faire naître dans le coeur des hommes des sentimens, qui d'une part les portent à éviter le mal qui est contraire à cette société, & de l'autre les engagent à pratiquer le bien, qui sert à la maintenir & à la rendre florissante; de même l'art de la parole ne sauroit nous donner trop de secours pour nous faire éviter l'obscurité & l'amphiboiogie, ni inventer un assez grand nombre de mots, pour énoncer non seulement les diverses idées que nous avons dans l'esprit, mais encore pour exprimer les différentes faces sous lesquelles nous considérons les objets de ces idées.

Telle est la destination des prénoms ou adjectifs métaphysiques, qui marquent, non des qualités physiques des objets, mais seulement des points de vûes de l'esprit, ou des faces différentes sous lesquelles l'esprit considere le même mot; tels sont tout, chaque, nul, aucun, quelque, certain, dans le sens de quidam, un, ce, cet, cette, ces, le, la, les, auxquels on peut joindre encore les adjectifs possessifs tirés des pronoms personnels; tels sont mon, ma, mes, & les noms de nombre cardinal, un, deux, trois, &c.

Ainsi je mets le, la, les au rang de ces pronoms ou adjectifs métaphysiques. Pourquoi les ôter de la classe de ces autres adjectifs?

Ils sont adjectifs, puisqu'ils modifient leur substantif, & qu'ils le font prendre dans une acception particuliere, individuelle, & personnelle. Ce sont des adjectifs métaphysiques, puisqu'ils marquent, non des qualités physiques, mais une simple vûe particuliere de l'esprit.

Presque tous nos Grammairiens (Regnier, p. 141. Restaut, p. 64.) nous disent que le, la, les, servent à faire connoître le enre des noms, comme si c'étoit là une propriété qui particuliere à ces petits mots. Quand on a un adjectif à joindre à un nom, on donne à cet adjectif, ou la terminaison masculine, ou la féminine. Selon ce que l'usage nous en a appris, si nous disons le soleil plûtôt que la soleil, comme les Allemands, c'est que nous savons qu'en François soleil est du genre masculin, c'est - à - dire, qu'il est dans la classe des noms de choses inanimées auxquels l'usage a consacré la terminaison des adjectifs déjà destinée aux noms des mâles, quand il s'agit des animaux. Ainsi lorsque nous parlons du soleil, nous disons le soleil, plûtôt que la, par la même raison que nous dirions beau soleil, brillant soleil, plûtôt que belle ou brillante.

Au reste, quelques Grammairiens mettent le, la, les, au rang des pronoms: mais si le pronom est un mot qui se mette à la place du nom dont il rappelle l'idée, le, la, les, ne seront pronoms que lorsqu'ils feront cette fonction: alors ces mots vont tous seuls & ne se trouvent point avec le nom qu'ils représentent. La vertu est aimable; aimez - la. Le premier la est adjectif métaphysique; ou comme on dit article, il précede son substantif vertu; il personifie la vertu; il la fait regarder comme un individu métaphysique: mais le second la qui est après aimez, rappelle la vertu, & c'est pour cela qu'il est pronom, & qu'il va tout seul; alors la vient de illam, elle.

C'est la différence du service ou emploi des mots, & non la différence matérielle du son, qui les fait placer en différentes classes: c'est ainsi que l'infinitif des verbes est souvent nom, le boire, le manger.

Mais sans quitter nos mots, ce même son la n'est - il pas aussi quelquefois un adverbe qui répond aux adverbes latins ibi, hâc, istac, illâc, il demeure là, il va là? &c. N'est - il pas encore un nom substantif quand il signifie une note de musique? Enfin n'est - il pas aussi une particule explétive qui sert à l'énergie? ce jeune homme - là, cette femme - là, &c.

A l'égard de un, une, dans le sens de quelque ou certain, en Latin quidam, c'est encoreun adjectif prépositif qui désigne un individu particulier, tiré d'une espece, mais sans déterminer singulierement quel est cet individu, si c'est Pierre ou Paul. Ce mot nous vient aussi du Latin, quis est is homo, unus ne amator? (Plaut. Truc. I. ij. 32.) quel est cet homme, est - ce là un amoureux? hic est unus servus violentissimus, (Plaut. ibid. II. i. 39.) c'est un esclave emporté; sicut unus paterfamilias, (Cic. de orat. i. 29.) comme un pere de famille. Qui variare cupit rem prodigialiter unam, (Hor. art. poet. v. 29.) celui qui croit embellir un sujet, unam rem, en y faisant entrer du merveilleux. Forte unam adspicio adolescentulam, (Ter. And. act. I. sc. i. v. 91.) j'apperçois par hasard une jeune fille. Donat qui a commenté Térence dans le tems que la langue latine étoit encore une langue vivante, dit sur ce passage que Térence a parlé selon l'usage; & que s'il a dit unam, une, au lieu de quamdam, certaine, c'est que telle étoit, dit - il, & que telle est encore la maniere de parler. Ex consuetudine dicit unam, ut dicimus, unus est adolescens: unam ergo TW= I'DIWTISMW= dixit, vel unam pro quamdam. Ainsi ce mot n'est en François que ce qu'il étoit en Latin.

La Grammaire générale de P. R. pag. 53. dit que un est article indéfini. Ce mot ne me paroît pas plus article indéfini que tout, article universel, ou ce, cette, ces, articles définis. L'auteur ajoûte, qu'on croit d'ordinaire que un n'a point de pluriel; qu'il est vrai qu'il n'en a point qui soit formé de lui - même: (on dit pourtant, les uns, quelques uns; & les Latins ont dit au pluriel, uni, unoe, &c. Ex unis geminas mihi conficiet nuptias. (Ter. And. act. IV. sc. i. v. 51.) Adt una [p. 727] in unis oedibus. (Ter. Eun. act. II. sc. iij. v. 75.) & selon Mde Dacier, act. II. sc. iv. v. 74.) Mais revenons à la Grammaire générale. Je dis, poursuit l'auteur, que un a un pluriel pris d'un autre mot, qui est des, avant les substantifs, des animaux; & de, quand l'adjectif précede, de beaux lits. De un pluriel! cela est nouveau.

Nous avons déjà observé que des est pour de les, & que de est une préposition, qui par conséquent suppose un mot exprimé ou sousentendu, avec lequel elle puisse mettre son complément en rapport: qu'ainsi il y a ellipse dans ces façons de parler; & l'analogie s'oppose à ce que des ou de soient le nominatif pluriel d'un ou d'une.

L'auteur de cette Grammaire générale me paroit bien au - dessous de sa réputation quand il parle de ce mot des à la page 55: il dit que cette particule est quelquefois nominatif; quelquefois accusatif, ou génitif, ou datif, ou enfin ablatif de l'article un. Il ne lui manque donc que de marquer le vocatif pour être la particule de tous les cas. N'est - ce pas là indiquer bien nettement l'usage que l'on doit faire de cette préposition?

Ce qu'il y a de plus surprenant encore, c'est que cet auteur soûtient, page 55, que comme on dit au datif singulier à un, & au datif pluriel à des, on devroit dire au génitif pluriel de des; puisque des est, dit - il, le pluriel d'un: que si on ne l'a pas fait, c'est, poursuit - il, par une raison qui fait la plûpart des irrégularités des langues, qui est la cdcophonie; ainsi, dit - il, selon la parole d'un ancien, impetratum est à ratione ut peccare suavitatis causâ liceret; & cette remarque a été adoptée par M. Restaut, p. 73. & 75.

Au reste, Cicéron dit, (Orator, n. XLVII.) que impetratum est à consuetudine, & non à ratione, ut peccare suavitatis causâ liceret: mais soit qu'on lise à consuetudine, avec Cicéron, ou à ratione, selon la Grammaire générale, il ne faut pas croire que les pieux solitaires de P. R. ayent voulu étendre cette permission au - delà de la Grammaire.

Mais revenons à notre sujet. Si l'on veut bien faire attention que des est pour de les; que quand on dit à des hommes, c'est à de les hommes; que de ne sauroit alors déterminer à, qu'ainsi il y a ellipse à des hommes, c'est - à - dire à quelques - uns de les hommes, quibusdam ex hominibus: qu'au contraire, quand on dit le Sauveur des hommes, la construction est toute simple; on dit au singulier, le Sauveur de l'homme, & au pluriel, le Sauveur de les hommes; il n'y a de différence que de le à les, & non à la préposition. Il seroit inutile & ridicule de la répéter; il en est de des comme de aux, l'un est de les, & l'autre à les: or comme lorsque le sens n'est pas partitif, on dit aux hommes sans ellipse, on dit aussi des hommes; dans le même sens général, l'ignorance des hommes, la vanité des hommes.

Ainsi regardons 1°. ie, la, les, comme de simples adjectifs indicatifs & métaphysiques, aussi - bien que ce, cet, cette, un, quelque, certa n, &c.

2°. Considérons de comme une préposition, qui ainsi que par, pour, en, avec, sans, &c. sert à tourner l'esprit vers deux objets, & à faire appercevoir le rapport que l'on veut indiquer entre l'un & l'autre.

3°. Enfin décomposons au, aux, du, des, faisant attention à la destination & à la nature de chacun des mots décomposés, & tout se trouvera applani.

Mais avant que de passer à un plus grand détail touchant l'emploi & l'usage de ces adjectifs, je crois qu'il ne sera pas inutile de nous arrêter un moment aux réflexions suivantes: elles paroîtront d'abord étrangeres à notre sujet; mais j'ose me flatter, qu'on reconnoîtra dans la suite qu'elles étoient necessaires.

Il n'y a en ce monde que des êtres réels, que nous ne connoissons que par les impressions qu'ils font sur les organes de nos sens, ou par des réflexions qui supposent toûjours des impressions sensibles.

Ceux de ces êtres qui sont séparés des autres, font chacun un ensemble, un tout particulier par la liaison, la continuité, le rapport & la dépendance de leurs parties.

Quand une fois les impressions que ces divers objets ont faites sur nos sens, ont été portées jusqu'au cerveau, & qu'elles y ont laissé des traces, nous pouvons alors nous rappeller l'image ou l'idée de ces objets particuliers, même de ceux qui sont éloignés de nous, & nous pouvons par le moyen de leurs noms, s'ils en ont un, faire connoître aux autres hommes, que c'est à tel objet que nous pensons plûtôt qu'à tel autre.

Il paroît donc que chaque être singulier devroit avoir son nom propre, comme dans chaque famille chaque personne a le sien: mais cela n'a pas été possible à cause de la multitude innombrable de ces êtres particuliers, de leurs propriétés & de leurs rapports. D'ailleurs comment apprendre & retenir tant de noms?

Qu'a - t - on donc fait pour y suppléer? Je l'ai appris en me rappellant ce qui s'est passé à ce sujet par rapport à moi.

Dans les premieres années de ma vie, avant que les organes de mon cerveau eussent acquis un certain degré de consistance, & que j'eusse fait une certaine provision de connoissances particulieres, les noms que j'entendois donner aux objets qui se présentoient à moi, je les prenois comme j'ai pris dans la suite les noms propres.

Cet animal à quatre pattes qui venoit badiner avec moi, je l'entendois appeller chien. Je croyois par sentiment & sans autre examen, car alors je n'en étois pas capable, que chien étoit le nom qui servoit à le distinguer des autres objets que j'entendois nommer autrement.

Bientôt un animal fait comme ce chien, vint dans la maison, & je l'entendis aussi appeller chien; c'est, me dit - on, le chien de notre voisin. Après cela j'en vis encore bien d'autres pareils, auxquels on donnoit aussi le même nom, à cause qu'ils étoient faits à peu près de la même maniere; & j'observai qu'outre le nom de chien qu'on leur donnoit à tous, on les appelloit encore chacun d'un nom particulier: celui de notre maison s'appelloit Médor; celui de notre voisin, Marquis; un autre, Diamant, &c.

Ce que j'avois remarqué à l'égard des chiens, je l'observai aussi peu à peu à l'égard d'un grand nombre d'autres êtres. Je vis un moineau, ensuite d'autres moineaux; un cheval, puis d'autres chevaux; une table, puis d'autres tables; un livre, ensuite des livres, &c.

Les idées que ces différens noms excitoient dans mon cerveau, étant une fois déterminées, je vis bien que je pouvois donner à Médor & à Marquis le nom de chien; mais que je ne pouvois pas leur donner le nom de cheval, ni celui de moineau, ni celui de table, ou quelqu'autre: en effet, le nom de chien réveilloit dans mon esprit l'image de chien, qui est différente de celle de cheval, de celle de moineau, &c.

Médor avoit donc déjà deux noms, celui de Médor qui le distingue de tous les autres chiens, & celui de chien qui le mettoit dans une classe particuliere, différente de celle de cheval, de moineau, de table, &c.

Mais un jour ou dit devant moi que Médor étoit un joli animal; que le cheval d'un de nos amis étoit un bel animal; que mon moineau étoit un petit animal bien privé & bien aimable: & ce mot d'animal je ne l'ai jamais oüi dire d'une table, ni d'un arbre, ni d'une pierre, ni enfin de tout ce qui ne marche pas, ne sent pas, & qui n'a point les qualites communes & particulieres à tout ce qu'on appelle animal.

Médor eut donc alors trois noms, Médor, chien, animal.

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