ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"638"> & ils l'approprierent toute à cet usage. Cet héritage ne demeura pas en friche entre les mains de ces scholastiques, qui enchérirent sur le ridicule de leurs anciens prédécesseurs. Universaux, catégories, & autres doctes bagatelles firent l'essence de la logique & l'objet de toutes les méditations & de toutes les disputes. Voilà l'état de la logique depuis son origine jusqu'au siecle passé, & voilà ce qui l'avoit fait tomber dans un décri dont bien des gens ont encore de la peine à revenir. Et véritablement il faut avouer que la maniere dont on traite encore aujourd'hui la logique dans les écoles, ne contribue pas peu à fortifier le mépris que beaucoup de personnes ont toûjours pour cette science.

En effet, soit que ce soit un vieux respect qui parle encore pour les anciens, ou quelque autre chimere de cette façon, ce qu'il y a de certain, c'est que les pointilleries de l'ancienne école regnent toûjours dans les nôtres, & qu'on y traite la Philosophie comme si l'on prenoit à tâche de la rendre ridicule, & d'en dégoûter sans ressource. Qu'on ouvre les cahiers qui se dictent dans les universités, n'y trouverons - nous pas toutes ces impertinentes questions?

Savoir si la Philosophie, prise d'une façon collective, ou d'une façon distributive, loge dans l'entendement ou dans la volonté.

Savoir si l'être est univoque à l'égard de la substance & de l'accident.

Savoir si Adam a eu la philosophie habituelle.

Savoir si la logique enseignante spéciale est distinguée de la logique pratique habituelle.

Savoir si les degrés métaphysiques dans l'individu sont distingués réellement, ou s'ils ne le sont que virtuellement & d'une raison raisonnée.

Si la relation du pere à son fils se termine à ce fils considéré absolument, ou à ce fils considéré relativement.

Si l'on peut prouver qu'il y ait autour de nous des corps réellement existans.

Si la matiere seconde, ou l'élément sensible, est dans un état mixte.

Si dans la corruption du mixte il y a résolution jusqu'à la matiere premiere.

Si toute vertu se trouve causalement ou formellement placée dans le milieu, entre un acte mauvais par excès, & un acte mauvais par défaut.

Si le nombre des vices est parallele ou double de celui des vertus.

Si la fin meut selon son être réel, ou selon son être intentionnel.

Si syngatégoriquement parlant le concret & l'abstrait se ... Je vous fais grace d'une infinité d'autres questions qui ne sont pas moins ridicules, sur lesquelles on exerce l'esprit des jeunes gens. On veut les justifier, en disant que l'exercice en est très utile, & qu'il subtilise l'esprit. Je le veux; mais si toutes ces questions, qui sont si fort éloignées de nos besoins, donnent quelque pénétration & quelque étendue à l'esprit qui les cultive, ce n'est point du tout parce qu'on lui donne des regles de raisonnement, mais uniquement parce qu'on lui procure de l'exercice: & exercice pour exercice, la vie étant si courte, ne vaudroit - il pas mieux exercer tout d'abord l'esprit, la précision & tous les talens sur des questions de service, & sur des matieres d'expérience? Il n'est personne qui ne sente que ces matieres conviennent à tous les états; que les jeunes esprits les saisiront avec feu, parce qu'elles sont intelligibles; & qu'il sera trop tard de les vouloir apprendre quand on sera tout occupé des besoins plus pressans de l'état particulier qu'on aura embrassé.

On ne peut pardonner à l'école son jargon inin<cb-> telligible, & tout cet amas de questions frivoles & puériles, dont elle amuse ses éleves, sur - tout depuis que des hommes heureusement inspirés, & secondés d'un génie vif & pénétrant, ont travaillé à la perfectionner, à l'épurer & à lui faire parler un langage plus vrai & plus intéressant.

Descartes, le vrai restaurateur du raisonnement, est le premier qui a amené une nouvelle méthode de raisonner, beaucoup plus estimable que sa Philosophie même, dont une bonne partie se trouve fausse ou fort incertaine, selon les propres regles qu'il nous a apprises. C'est à lui qu'on est redevable de cette précision & de cette justesse, qui regne non seulement dans nos bons ouvrages de physique & de métaphysique, mais dans ceux de religion, de morale, de critique. En général les principes & la méthode de Descartes ont été d'une grande utilité, par l'analyse qu'ils nous ont accoûtumés de faire plus exactement des mots & des idées, afin d'entrer plus surement dans la route de la vérité.

La méthode de Descartes a donné naissance à la logique, dite l'art de penser. Cet ouvrage conserve toûjours sa réputation. Le tems qui détruit tout ne fait qu'affermir de plus en plus l'estime qu'on en fait. Il est estimable sur - tout par le soin qu'on a pris de le dégager de plusieurs questions frivoles. Les matieres qui avoient de l'utilité parmi les Logiciens au tems qu'elle fut faite, y sont traitées dans un langage plus intelligible qu'elles ne l'avoient été ailleurs en françois. Elles y sont exposées plus utilement, par l'application qu'on y fait des regles, à diverses choses dont l'occasion se présente fréquemment, soit dans l'usage des sciences, ou dans le commerce de la vie civile: au lieu que les logiques ordinaires ne faisoient presque nulle application des regles à des usages qui intéressent le commun des honnêtes gens. Beaucoup d'exemples qu'on y apporte sont bien choisis; ce qui sert à exciter l'attention de l'esprit, & à conserver le souvenir des regles. On y a mis en oeuvre beaucoup de pensées de Descartes, en faveur de ceux qui ne les auroient pas aisément ramassées dans ce philosophe.

Depuis l'art de penser, il a paru quantité d'excellens ouvrages dans ce genre. Les deux ouvrages si distingués, de M. Locke sur l'entendement humain, & de D. Malebranche sur la recherche de la vérité, renferment bien des choses qui tendent à perfectionner la logique.

M. Locke est le premier qui ait entrepris de démêler les opérations de l'esprit humain, immédiatement d'après la nature, sans se laisser conduire à des opinions appuyées plûtôt sur des systemes que sur des réalités; en quoi sa Philosophie semble être par rapport à celles de Descartes & de Malebranche, ce qu'est l'histoire par rapport aux romans. Il examine chaque sujet par les idées les plus simples, pour en tirer peu à peu des vérités intéressantes. Il fait sentir la fausseté de divers principes de Descartes par une analyse des idées qui avoient fait prendre le change. Il distingue ingénieusement l'idée de l'esprit d'avec l'idée du jugement: l'esprit assemble promptement des idées qui ont quelque rapport, pour en faire des peintures qui plaisent; le jugement trouve jusqu'à la moindre différence entre des idées qui ont d'ailleurs la plus grande ressemblance; on peut avoir beaucoup d'esprit & peu de jugement. Au sujet des idées simples, M. Locke observe judicieusement que sur ce point, les hommes different peu de sentiment; mais qu'ils different dans les mots auxquels chacun demeure attaché. On peut dire en général de cet auteur, qu'il montre une inclination pour la vérité, qui fait aimer la route qu'il prend pour y parvenir.

Pour le pere Malebranche, sa réputation a été si éclatante dans le monde philosophique, qu'il paroît [p. 639] inutile de marquer en quoi il a été le plus distingué parmi les Philosophes. Il n'a été d'abord qu'un pur cartésien; mais il a donné un jour si brillant à la doctrine de Descartes, que le disciple l'a plus répan due par la vivacité de son imagination & par le charme de ses expressions, que le maître n'avoit fait par la suite de ses raisonnemens & par l'invention de ses divers systèmes.

Le grand talent du pere Malebranche est de tirer d'une opinion tout ce qu'on peut en imaginer d'imposant pour les conséquences, & d'en montrer tellement les principes de profil, que du côté qu'il les laisse voir, il est impossible de ne s'y pas rendre.

Ceux qui ne suivent pas aveuglément ce philosophe, prétendent qu'il ne faut que l'arrêter au premier pas; que c'est la meilleure & la plus courte maniere de le réfuter, & de voir clairement ce qu'on doit penser de ses principes. Ils les réduisent particulierement à cinq ou six, à quoi il faut faire attention; car si on les lui passe une fois, on sera obligé de faire avec lui plus de chemin qu'on n'auroit voulu. Il montre dans tout leur jour, les difficultés de l'opinion qu'il réfute; & à l'aide du mépris qu'il en inspire, il propose la sienne par l'endroit le plus plausible; puis, sans d'autre façon, il la suppose comme incontestable, sans avoir ou sans faire semblant de voir ce qu'on y peut & ce qu'on y doit opposer.

Outre ces ouvrages, nous avons bon nombre de logiques en forme. Les plus considérables sont celle de M. Leclerc. Cette logique a une grande prérogative sur plusieurs autres; c'est que renfermant autant de choses utiles, elle est beaucoup plus courte. L'auteur y fait appercevoir l'inutilité d'un grand nombre de regles ordinaires de logique; il ne laisse pas de les rapporter & de les expliquer assez nettement. Ayant formé son plan d'après le livre de M. Locke, de intellectu humano, à qui il avoue, en lui dédiant son ouvrage, qu'il n'a fait qu'un abregé du sien; il a parlé de la nature & de la formation des idées d'une maniere plus juste & plus plausible que l'on n'avoit fait dans les logiques précédentes. Il a choisi ce qui se rencontre de meilleur dans la ogique dite l'art de penser. Il tire des exemples de sujets intéressans. Empruntant des ouvrages que je viens de nommer, ce qui est de meilleur dans le sien, il ne dit rien qui serve à découvrir les méprises qui y sont échappées. Il seroit à souhaiter qu'il n'eût pas suivi M. Locke dans ses obscurités, & dans des réflexions aussi écartées du sentiment commun, que des principes de la morale.

Le dessein que se propose M. Crouzas dans son livre, est considérable. Il y prétend rassembler les principes, les maximes, les observations qui peuvent contribuer à donner à l'esprit plus d'étendue, de force, de facilité, pour comprendre la vérité, la découvrir, la communiquer, &c. Ce dessein un peu vaste pour une simple logique, traite ainsi des sujets les plus importans de la Métaphysique. L'auteur a voulu recueillir sur les diverses opérations de l'esprit, les opinions des divers philosophes de ce tems. Il n'y a guere que le livre de M. Locke, auquel M. Crouzas n'ait pas fait une attention qui en auroit valu la peine. Il y a un grand nombre d'endroits qui donnent entrée à des réflexions subtiles & judicieuses. Plusieurs réflexions n'y sont pas assez développées, les sujets ne paroissent ni si amenés par ce qui précede, ni assez soutenus par ce qui suit. L'élocution quelquefois négligée diminue de l'extrème clarté que demandent des matieres abstraites. Cet ouvrage a pris diverses formes & divers accroissemens sous la main de l'auteur. Tous les éloges de M. de Fontenelle, qui y sont fondus, ne contribuent pas peu à l'embellir & à y jetter de la variété. L'é<cb-> dition de 1712, deux vol. in - 12. est la meilleure pour les étudians, parce que c'est la plus dégagée, & que les autres sont comme noyées dans les ornemens.

Tels sont les jugemens que le pere Bussier a portés de toutes ces différentes logiques. Ses principes du raisonnement sont une excellente logique. Il a surtout parfaitement bien démêlé la vérité logique d'avec celle qui est propre aux autres sciences. Il y a du neuf & de l'original dans tous les écrits de ce pere, qui a embrassé une espece d'ency clopédie, que comprend l'ouvrage in - folio intitulé cours des sciences. L'agrément du style rend amusant ce livre, quoiqu'il contienne véritablement l'exercice des sciences les plus épineuses. Il a trouvé le moyen de changer leurs épines en fleurs, & ce qu'elles ont de fatiguant en ce qui peut divertir l'imagination. On ne peut rien ajoûter à la précision & à l'enchaînement des raisonnemens & des objections, dont il remplit chacun des sujets qu'il traite. La maniere facile & peut - être égayée dont il expose les choses, répand beaucoup de clarté sur les matieres les plus abstraites.

M. Wolff a ramené les principes & les regles de la logique à la démonstration. Nous n'avons rien de plus exact sur cette science que la grande logique latine de ce philosophe, dont voici le titre: philosophia rationalis, sive logica methodo scientificâ pertractata, & ad usum scientiarum atque vitoe aptata. Proemittitur discursus proeliminaris de philosophia in genere.

Il a paru depuis peu un livre intitulé, essai sur l'origine des connoissances humaines. M. l'abbe de Condillac en est l'auteur. C'est le système de M. Locke, mais extrèmement perfectionné. On ne peut lui reprocher, comme à M. Leclerc, d'être un copiste servile de l'auteur anglois. La précision françoise a retranché toutes les longueurs, les répétitions & le desordre qui regnent dans l'ouvrage anglois, & la clarté, compagne ordinaire de la précision, a répandu une lumiere vive & éclatante sur les tours obscurs & embarrassés de l'original. L'auteur se propose, à l'imitation de M. Locke, l'étude de l'esprit humain, non pour en découvrir la nature, mais pour en connoître les opérations. Il observe avec quel art elles se combinent, & comment nous devons les conduire, afin d'acquérir toute l'intelligence dont nous sommes capables. Remontant à l'origine des idées, il en développe la génération, les suit jusqu'aux limites que la nature leur a prescrites, & fixe par - là l'étendue & les bornes de nos connoissances. La liaison des idées, soit avec les signes, soit entre elles, est la base & le fondement de son système. A la faveur de ce principe si simple en lui - même & si fécond en même tems dans ses conséquences, il montre quelle est la source de nos connoissances, quels en sont les matériaux, comment ils sont mis en oeuvre, quels instrumens on y emploie, & quelle est la maniere dont il faut s'en servir. Ce principe n'est ni une proposition vague, ni une maxime abstraite, ni une supposition gratuite; mais une expérience constante, dont toutes les conséquences sont confirmées par de nouvelles expériences. Pour exécuter son dessein, il prend les choses d'aussi haut qu'il lui est possible. D'un côté, il remonte à la perception, parce que c'est la premiere opération qu'on peut remarquer dans l'ame; & il fait voir comment & dans quel ordre, elle produit toutes celles dont nous pouvous acquérir l'exercice. D'un autre côté, il commence au langage d'action. Il explique comment il a produit tous les arts qui sont propres à exprimer nos pensées; l'art des gestes, la danse, la parole, la déclamation, l'art de la noter, celui des pantomimes, la musique, la poésie, l'éloquence, l'écriture, & les différens caracteres des langues.

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.