ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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C'est une opinion fort ancienne que nous voyons tout en Dieu, & cette opinion bien entendue n'est pas à mépriser.

Quand nous verrions tout en Dieu, il ne seroit pas moins nécessaire à l'homme d'avoir des idées propres, ou des sensations ou des mouvemens d'ame, ou des affections correspondantes à ce que nous appercevrions en Dieu. Notre ame subit autant de changemens successifs, qu'il s'y succede de pensées diverses. Les idées des choses auxquelles nous ne pensons pas actuellement, ne sont donc pas autrement dans notre ame que la figure d'Hercule dans un bloc de marbre informe.

Dieu n'a pas seulement l'idée actuelle de l'étendue absolue & infinie, mais l'idée de toute figure ou modification de cette étendue.

Qu'est - ce qui se passe en nous dans la sensation des couleurs & des odeurs? Des mouvemens de fibres, des changemens de figures, mais si deliés qu'ils nous échappent. C'est par cette raison qu'on ne s'apperçoit pas que c'est là pourtant tout ce qui entre dans la perception composée de ces choses.

II. Métaphysique de Leibnitz, ou ce qu'il a pensé des élémens des choses. Qu'est ce que la monade? une substance simple. Les composés en sont formés. Je l'appelle simple, parce qu'elle n'a point de parties.

Puisqu'il y a des composés, il faut qu'il y ait des substances simples; car qu'est - ce qu'un composé, sinon un aggrégat de simples?

Où il n'y a point de parties, il n'y a ni étendue, ni figure, ni divisibilité. Telle est la monade, l'atome réel de la nature, l'élément vrai des choses.

Il ne faut pas en craindre la dissolution. On ne conçoit aucune maniere dont une substance simple puisse périr naturellement. On ne conçoit aucune maniere dont une substance simple puisse naître naturellement. Car tout ce qui périt, périt par dissolution; tout ce qui se forme, se forme par composition.

Les monades ne peuvent donc être ou cesser que dans un instant, par création ou par annihilation.

On ne peut expliquer comment il surviendroit en elles quelque altération naturelle: ce qui n'a point de parties, n'admet l'interception ni d'un accident, ni d'une substance.

Il faut cependant qu'elles ayent quelques qualités, sans quoi on ne les distingueroit pas du non être.

Il faut plus; c'est qu'une monade différe d'une autre monade quelconque, car il n'y a pas dans la nature un seul être qui soit absolument égal & semblable à un autre, ensorte qu'il ne soit possible d'y reconnoître une différence interne & applicable à quelque chose d'interne. Il n'y a peut - être rien de moins raisonnable que ce principe pour ceux qui ne pen sent que superficiellement, & rien de plus vrai pour les autres. Il n'est pas nouveau: c'étoit une des opinions des Stoïciens.

Tout être créé est sujet au changement. La monade est créée, chaque monade est donc dans une vicissitude continuelle.

Les changemens de la monade naturelle partent d'un principe interne, car aucune cause externe ne peut influer sur elle.

En général, il n'y a point de force, quelle qu'elle soit, qui ne soit un principe de changement.

Outre un principe de changement, il faut encore admettre dans ce qui change quelque forme, quelque modele qui spécifie & différentie. De - là multitude dans le simple, nombre dans l'unité, car tout changement naturel se fait par degrés. Quelque chose change, & quelque chose reste non changée. Donc dans la substance il y a pluralité d'affections, de qualités & de rapports, quoiqu'il y ait absence de partes.

Qu'est - ce qu'un état passager qui marque multitude & pluralité dans l'être simple & dans la substance une? On n'en conçoit point d'autre que ce que nous appellons perception, chose très - distincte de ce que nous enten dons par conscience, car il y a perception avant conseience. Ce principe est très - difficile à attaquer, & très difficile à défendre. C'est, selon Leibnitz, ce qui constitue la difference de la monade & de l'esprit, de l'être corporel & de l'être intellectuel.

L'action d'un principe interne, cause de mutation ou de passage d'une perception à une autre, est ce qu'on peut appeller appétit. L'appétit n'atteint pas toujours à la pereeption à laquelle il tend, mais il en approche, pour ainsi dire, & quelque légere que soit cette altération, il en naît des perceptions nouvelles.

Il ne faut point appliquer les causes méchaniques à ces perceptions, ni à leurs résultats; parce qu'il n'y a ni mouvement, ni figure, ni parties agissantes & réagissantes. Ce perceptions & leurs changemens sont tout ce qu'il y a dàns la substance simple. Elle constituent toutes les actions internes.

On peut, si l'on veut, donner le nom d'entéléchie à toutes les substances simples ou monades créées, car elles ont en elles une certaine perfection propre, une suffilance essentielle, elles sont elles - mêmes les causes de leurs actions internes. Ce sont comme des automates inco porels: quelle difference y a - t - il entre ces êtres & la molécule sensible d'Hobbes? Je ne l'entends pas. L'axiome suivant m'incline bien davantage à croire que c'est la même chose.

Si l'on veut appeller ame ce qui en général a perception & appétit, je ne m'oppose pas à ce qu'on regarde les substances simples ou les monades ciéées comme des ames. Cependant la perception étant où la connoissance n'est pas, il vaudroit mieux s'en tenir pour les substances simples qui n'ont que la perception aux mots de monadis ou d'enteléchies, & pour les substances qui ont le perception & la mémoire ou conseience aux mots d'ame & d'esprit.

Dans la défaillance, dans la stupeur o le rommeil profond, l'ame qui ne man que pas tout - à - fait de perception, ne differe pas d'une simple monade. L'état présent d'une substance simple procede naurellement de son état précédent, ainsi le présent est gros de l'avenir.

Lorsque nous sortons du sommeil, de la défaillance, de la stupeur, nous avons la conseience de nos perceptions, il aut donc qu'il n'y ait eu aueune interruption absolue, qu'il y ait eu des perceptions immédiatement precédentes & contigues, quoique nous n'en ayons pas la conscience. Car la perception est engendrée de la perception, comme le mouvement du mouvement: cet axiome fécond mérie le plus grand examen.

Il paroit que nous serions dans un état de stupeur parfaite, tant que nous ne distinguerions rien à nos perceptions. Or cet état est celui de la monade pure.

Il paroît encore que la nature en accordant aux animaux des organes qui rassemblent plusieurs rayons de lumiere, plusieurs ondulations de l'air, dont l'esficacité est une suite de leur union ou multitude, elle a mis en eux la cause de perceptions sublimes. Il faut raisonner de la même maniere de la saveur, des odeurs & du toucher. C'est par la mémoire que les perceptions sont liées dans les ames. La mémoire imite la raison, mais ce ne l'est pas.

Les animaux apperçoivent un objet, ils en sont frappés, ils s'attendent à une perception ou sensation semblable à celle qu'ils ont éprouvée antérieurement de la part de cet objet; ils se meuvent, mais ils ne raisonnent pas; ils ont la mémoire.

L'imagination sorte qui nous frappe & nous meut, [p. 375] naît de la fréquence & de l'énergie des perceptions précédentes.

L'effet d'une seule impression forte équivaut quelquefois à l'effet habituel & réitéré d'une impression foible & durable.

Les hommes ont de commun avec les animaux le principe qui lie leurs perceptions. La mémoire est la même en eux. La mémoire est un médecin empyrique qui agit par expérience sans théorie.

C'est la connoissance des vérités nécessaires & éternelles qui distingue l'homme de la bête. C'est elle qui fait en nous la raison & la science, l'ame. C'est à la connoissance des vérités nécessaires & éternelles, & à leurs abstractions qu'il faut rapporter ces actes réfléchis qui nous donnent la contcience de nous.

Ces actes réfléchis sont la source la plus féconde de nos raisonnemens. C'est l'échelle par laquelle nous nous élevons à la pensée de l'être, de la substance simple ou complexe, de l'immatériel, de l'éternel, de Dieu. Nous concevons que ce qui est limité en nous, existe en lui sans limites.

Nos raisonnemens ont deux grandes bases, l'une est le principe de contradiction, l'autre est le principe de raison suffisante.

Nous regardons comme faux tout ce qui implique contradiction, nous pensons que rien n'est sans une raison suffisante, pourquoi cela est ainsi & non autrement, quoique souvent cette raison ne nous soit pas connue. Ce principe n'est pas nouveau; Les anciens l'ont employé.

Si une vérité est nécessaire, on peut la résoudre dans ses élémens, & parvenir par analyse ou voie de décomposition à des idées primitives, où se consomme la démonstration.

Il y a des idées simples qui ne se définissent point. Il y a aussi des axiomes, des demandes, des principes primitifs qui ne se prouvent point. La preuve & la définition seroient identiques à l'énonciation.

On peut découvrir la raison suffisante dans les choses contingentes ou de fait. Elle est dans l'enchaînement universel: il y a une ré'olution ou analy se successive de causes ou raisons particulieres, à d'autres raisons ou causes particulieres, & ainsi de suite.

Cependant toute cette suite ne nous menant que de contingence en contingence, & la derniere n'exigeant pas moins une analyse progressive que la premiere, on ne peut s'arrêter: pour arriver à la certitude, il faut tenir la raison suffisante ou derniere, fût - elle à l'infini.

Mais où est cette raison suffisante & derniere, sinon dans quelque substance nécessaire, source & principe de toutes mutations?

Et quelle est cette substance, terme dernier de la serie, sinon Dieu? Dieu est donc, & il suffit.

Cette substance une, suprême, universelle, nécessaire n'a rien hors d'elle qui n'en dépende. Elle est donc illimitée, elle contient donc toute réalité possible, elle est donc parfaite; car qu'est - ce que la perfection, sinon l'illimité d'une grandeur réelle & positive?

D'où il suit que la créature tient de Dieu sa perfection & les imperfections de sa nature, de son essence incapable de l'illimité. Voilà ce qui la distingue de Dieu.

Dieu est la source & des existences & des essences, & de ce qu'il y a de réel dans le possible. L'entendement divin est le sein des vérités essentielles. Sans Dieu, rien de réel ni dans le possible, ni dans l'existant, ni même dans le néant.

En effet, s'il y a quelque réalité dans les essences, dans les existences, dans les possibilités, cette réa<cb-> lité est fondée dans quelque chose d'existant & de réel, & conséquemment dans la nécessité d'un être auquel il suffise d'être possible pour être existant. Ceci n'est que la démonstration de Descartes retournée.

Dieu est le seul être qui ait ce privilege d'être nécessairement, s'il est possible; or rien ne montrant de la contradiction dans sa possibilité, son existence est donc démontrée à priori. Elle l'est encore à posteriori, car les contingens sont; or ces contingens n'ont de raison suffisante & derniere que dans un être nécessaire, ou qui ait en lui - même la raison de son existence.

Il ne faut pas inférer de - là que les vérités éternelles qui ne se voient pas sans Dieu, soient dépendantes de sa volonté & arbitraires.

Dieu est une unité ou substance simple, origine de toutes les monades créées, qui en sont émanées, pour ainsi dire, par des fulgurations continuelles. Nous nous sommes servis de ce mot fulguration, parce que nous n'en connoissons point d'autre qui lui réponde. Au resie, cette idée de Leibnitz est toute platonicienne, & pour la subtilité & pour la sublimité.

Il y a en Dieu puissance, entendement & volonté; puissance, qui est l'origine de tout; entendement, où est le modele de tout; volonté, par qui tout s'exécute pour le mieux.

Il y a aussi dans la monade les mêmes qualités corresponantes, perception & appétit; mais perception limitée, appétit fini.

On dit que la créature agit hors d'elle - même, & souffre. Elle agit hors d'elle - même entant que parfaite, elle souffre entant qu'imparfaite.

La monade est active entant qu'elle a des perceptions distinctes, passive entant qu'elle a des perceptions confuses.

Une créature n'est plus ou moins parfaite qu'une autre, que par le principe qui la rend capable d'expliquer ce qui se passe dans elle & dans une autre; c'est ainsi qu'elle agit sur celle - ci.

Mais dans les substances simples, l'influence d'une monade, par exemple, est purement idéale: elle n'a d'effet que par l'entremise de Dieu. Dans les idées de Dieu, l'action d'une monade se lie à l'action d'une autre, & il est la raison de l'action de toutes: c'est son entendement qui forme leurs dépendances mutuelles.

Ce qu'il y a d'actif & de passif dans les créatures, est réciproque. Dieu comparant deux substances simples, apperçoit dans l'une & l'autre la raison qui oblige l'une à l'autre. L'une est active sous un aspect, & passive sous un autre aspect; active en ce qu'elle sert à rendre raison de ce qui arrive dans ce qui procede d'elle; passive en ce qu'elle sert à rendre raison de ce qui arrive dans ce dont elle procede.

Cependant comme il y a une infinité de combinaisons & de mondes possibles dans les idées de Dieu, & que de ces mondes il n'en peut exister qu'un, il faut qu'il y ait une certaine raison suffisante de son choix; or cette raison ne peut être que dans le différent degré de perfection, d'où il s'ensuit que le monde qui est, est le plus parfait. Dieu l'a choisi dans sa sagesse, connu dans sa bonté, produit dans la plénitude de sa puissance. Voilà comme Leibnitz en est venu à son système d'optimisme.

Par cette correspondance d'une chose créée à une autre, & de chacune à toutes, on conçoit qu'il y a dans chaque substance simple des rapports d'après lesquels, avec une intelligence proportionnée au tout, une monade étant donnée, l'univers entier le seroit. Une monade est donc une espece de miroir représentatif de tous les êtres & de tous les phénomenes. Cette idée que les petits esprits prendront pour une vision, est celle d'un homme de génie: pour le sentir, il n'y a qu'à la raprocher de son principe d'enchaînement & de son principe de dissimilitude.

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