ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"463"> re, & celle - ci par une troisieme; d'où ils concluent que la liberté de la volonté n'est qu'une chimere. Ils disent en second lieu que la pensée avec tous ses modes, ne sont que des qualités de la matiere; & par conséquent qu'il n'y a point de liberté de volonté, puisqu'il est évident que la matiere n'a pas en elle - même le pouvoir de commencer le mouvement, ou de se donner à elle - même la moindre détermination.

En troisieme lieu, ils ajoûtent que ce que nous sommes dans l'instant qui va suivre, dépend si nécessairement de ce que nous sommes dans l'instant présent, qu'il est métaphysiquement impossible que nous soyons autres. Car, continuent - ils, supposons une femme qui soit entraînée par sa passion à se jetter tout à - l'heure entre les bras de son amant; si nous imaginons cent mille femmes entierement semblables à la premiere, d'âge, de tempérament, d'éducation, d'organisation, d'idées, telles en un mot, qu'il n'y ait aucune différence assignable entr'elles & la premiere: on les voit toutes également soumises à la passion dominante, & précipitées entre les bras de leurs amans, sans qu'on puisse concevoir aucune raison pour laquelle l'une ne feroit pas ce que toutes les autres feront. Nous ne faisons rien qu'on puisse appeller bien ou mal, sans motif. Or il n'y a aucun motif qui dépende de nous, soit eu égard à sa production, soit eu égard à son énergie. Pretendre qu'il y a dans l'ame une activité qui lui est propre; c'est dire une chose inintelligible, & qui ne résout rien. Car il faudra toujours une cause indépendante de l'ame qui détermine cette activité à une chose plutôt qu'à une autre; & pour reprendre la premiere partie du raisonnement, ce que nous sommes dans l'instant qui va suivre, dépend donc absolument de ce que nous sommes dans l'instant présent; ce que nous sommes dans l'instant présent, dépend donc de ce que nous étions dans l'instant précédent; & ainsi de suite, en remontant jusqu'au premier instant de notre existence, s'il y en a un. Notre vie n'est donc qu'un enchaînement d'instans d'existences & d'actions nécessaires; notre volonté, un acquiescement à être ce que nous sommes nécessairement dans chacun de ces instans, & notre liberté une chimère; ou il n'y a a rien de démontré en aucun genre ou cela l'est. Mais ce qui confirme sur - tout ce système, c'est le moment de la délibération, le cas de l'irrésolution. Qu'est - ce que nous faisons dans l'irrésolution? nous oscillons entre deux ou plusieurs motifs, qui nous tirent alternativement en sens contraire. Notre entendement est alors comme créateur & spectateur de la nécessité de nos balancemens. Supprimez tous les motifs qui nous agitent, alors inertie & repos nécessaires. Supposez un seul & unique motif; alors une action nécessaire. Supposez deux ou plusieurs motifs conspirans, même nécessité, & plus de vîtesse dans l'action. Supposez deux ou plusieurs motifs opposés & à - peu - près de forces égales, alors oscillations, oscillations semblables à celles des bras d'une balance mise en mouvement, & durables jusqu'à ce que le motif le plus puissant fixe la situation de la balance & de l'ame. Et comment se pourroit - il faire que le motif le plus foible fût le motif déterminant? Ce seroit dire qu'il est en même tems le plus foible & le plus fort. Il n'y a de différence entre l'homme automate qui agit dans le sommeil, & l'homme intelligent qui agit & qui veille, sinon que l'entendement est plus présent à la chose; quant à la nécessité, elle est la même. Mais, leur dit - on, qu'est - ce que ce sentiment intérieur de notre liberté? l'illusion d'un enfant qui ne réfléchit sur rien. L'homme n'est donc pas différent d'un automate? Nullement différent d'un automate qui sent; c'est une machine plus composée? Il n'y a donc plus de vicieux & de vertueux? non, si vous le voulez; mais il y a des êtres heureux ou malheureux, bienfaisans & malfaisans. Et les récompenses & les châtimens? Il faut bannir ces mots de la Morale; on ne récompense point, mais on encourage à bien faire; on ne châtie point, mais on étouffe, on effraye? Et les lois, & les bons exemples, & les exhortations, à quoi servent - elles? Elles sont d'autant plus utiles, qu'elles ont nécessairement leurs effets. Mais, pourquoi distinguez - vous par votre indignation & par votre colere, l'homme qui vous offense, de la tuile qui vous blesse? c'est que je suis déraisonnable, & qu'alors je ressemble au chien qui mort la pierre qui l'a frappé. Mais cette idée de liberté que nous avons, d'où vient - elle? De la même source qu'une infinité d'autres idées fausses que nous avons? En un mot, concluent - ils, ne vous effarouchez pas à contre - tems. Ce système qui vous paroît si dangereux, ne l'est point; il ne change rien au bon ordre de la société. Les choses qui corrompent les hommes seront toujours à supprimer; les choses qui les améliorent, seront toujours à multiplier & à fortifier. C'est une dispute de gens oisifs, qui ne mérite point la moindre animadversion de la part du législateur. Seulement notre système de la nécessité assure à toute cause bonne, ou conforme à l'ordre établi, son bon effet; à toute cause mauvaise ou contraire à l'ordre établi, son mauvais effet; & en nous prêchant l'indulgence & la commisération pour ceux qui sont malheureusement nés, nous empêche d'être si vains de ne pas leur ressembler; c'est un bonheur qui n'a dépendu de nous en aucune façon.

En quatrieme lieu, ils demandent si l'homme est un être simple tout spirituel, ou tout corporel, ou un être composé. Dans les deux premiers cas, ils n'ont pas de peine à prouver la nécessité de ses actions; & si on leur répond que c'est un être composé de deux principes, l'un matériel & l'autre immatériel, voici comment ils raisonnent. Ou le principe spirituel est toujours dépendant du principe immatériel, ou toujours indépendant. S'il en est toujours dépendant, nécessité aussi absolue que si l'être étoit un, simple & tout matériel, ce qui est vrai. Mais si on leur soutient qu'il en est quelquefois dépendant, & quelquefois indépendant; si on leur dit que les pensées de ceux qui ont la fievre chaude & des fous ne sont pas libres, au lieu qu'elles le sont dans ceux qui sont sains: ils répondent qu'il n'y a ni uniformité ni liaison dans notre système, & que nous rendons les deux principes indépendans, selon le besoin que nous avons de cette supposition pour nous défendre, & non selon la vérité de la chose. Si un fou n'est pas libre, un sage ne l'est pas davantage; & soutenir le contraire, c'est prétendre qu'un poids de cinq livres peut n'être pas emporté par un poids de six. Mais si un poids de cinq livres peut n'être pas emporté par un poids de six, il ne le sera pas non plus par un poids de mille; car alors il résiste à un poids de six livres par un principe indépendant de sa pesanteur; & ce principe, quel qu'il soit, n'aura pas plus de proportion avec un poids de mille livres qu'avec un poids de six livres, parce qu'il faut alors qu'il soit d'une nature différente de celle des poids.

Voilà certainement les argumens les plus forts qu'on puisse faire contre notre sentiment. Pour en montrer la vanité, je leur opposerai les trois propositions suivantes: La premiere est qu'il est faux que tout effet soit le produit de quelque cause externe; qu'au contraire il faut de toute nécessité reconnoître un commencement d'action, c'est - à - dire un pouvoir d'agir indépendamment d'aucune action précédente, & que ce pouvoir peut être & est effectivement dans l'homme. Ma seconde proposition est que la pensée & la volonté ne sont ni ne peuvent être des qualités de la matiere. La troisieme enfin, que quand bien même l'ame ne seroit pas une substance [p. 464] distincte du corps, & qu'on supposeroit que la pensée & la volonté ne sont que des qualités de la matiere; cela même ne prouveroit pas que la liberté de la volonté fût une chose impossible.

Je dis, 1°. que tout effet ne peut pas être produit par des causes externes, mais qu'il faut de toute nécessité reconnoitre un commencement d'action, c'est - à - dire, un pouvoir d'agir indépendamment d'aucune action antécédente, & que ce pouvoir est actuellement dans l'homme. Cela a déja été prouvé dans l'article du Concours.

Je dis en second lieu, que la pensée & la volonté n'étant point des qualités de la matiere, elles ne peuvent pas par conséquent être soumises à ses lois; car tout ce qui est fait ou composé d'une chose, il est toujours cette même chose dont il est composé. Par exemple, tous les changemens, toutes les compositions, toutes les divisions possibles de la figure ne sont autre chose que figure; & toutes les compositions, tous les effets possibles du mouvement ne seront jamais autre chose que mouvement. Si donc il y a eu un tems où il n'y ait eu dans l'univers autre chose que matiere & que mouvement, il faudra dire qu'il est impossible que jamais il y ait pû avoir dans l'univers autre chose que matiere & que mouvement. Dans cette supposition, il est aussi impossible que l'intelligence, la réfléxion & toutes les diverses sensations ayent jamais commencé à exister; qu'il est maintenant impossible que le mouvement soit bleu ou rouge, & que le triangle soit transformé en un son. Voyez l'article de l'Ame, où cela a été prouvé plus au long.

Mais quand même j'accorderois à Spinosa & à Hobbes que la pensée & la volonté peuvent être & sont en effet des qualités de la matiere, tout cela ne décideroit point en leur faveur la question présente sur la liberté, & ne prouveroit pas qu'une volonté libre fût une chose impossible; car, puisque nous avons déja démontré que la pensée & la volonté ne peuvent pas être des productions de la figure & du mouvement, il est clair que tout homme qui suppose que la pensée & la volonté sont des qualités de la matiere, doit supposer aussi que la matiere est capable de certaines propriétés entierement différentes de la figure & du mouvement. Or si la matiere est capable de telles propriétés, comment prouvera - t - on que les effets de la figure & du mouvement, étant tous nécessaires, les effets des autres propriétés de la matiere entierement distinctes de celles - là, doivent être pareillement nécessaires? Il paroit par là que l'argument dont Hobbes & ses sectateurs font leur grand bouclier, n'est qu'un pur sophisme; car ils supposent d'un côté que la matiere est capable de pensée & de volonté, d'où ils concluent que l'ame n'est qu'une pure matiere. Sachant d'un autre côté que les effets de la figure & du mouvement doivent tous être nécessaires, ils en concluent que toutes les opérations de l'ame sont nécessaires; c'est - à - dire, que lorsqu'il s'agit de prouver que l'ame n'est que pure matiere, ils supposent la matiere capable non seulement de figure & de mouvement, mais aussi d'autres propriétés inconnues. Au contraire, s'agit - il de prouver que la volonté & les autres opérations de l'ame sont des choses nécessaires, ils dépouillent la matiere de ces prétendues propriétés inconnues, & n'en font plus qu'un pur solide, composé de figure & de mouvement.

Après avoir satisfait à quelques objections qu'on fait contre la liberté, attaquons à notre tour les partisans de l'aveugle fatalité. La liberté brille dans tout son jour, soit qu'on la considere dans l'esprit, soit qu'on l'examine par rapport à l'empire qu'elle exerce sur le corps. Et 1°. quand je veux penser à quelque chose, comme à la vertu que l'aimant a d'attirer le fer; n'est - il pas certain que j'applique mon ame à méditer cette question toutes les fois qu'il me plaît, & que je l'en détourne quand je veux? Ce seroit chicaner honteusement que de vouloir en douter. Il ne s'agit plus que d'en découvrir la cause. On voit, 1°. que l'objet n'est pas devant mes yeux; je n'ai ni fer ni aimant, ce n'est donc pas l'objet qui m'a déterminé à y penser. Je sais bien que quand nous avons vu une fois quelque chose, il reste quelques traces dans le cerveau qui facilitent la détermination des esprits. Il peut arriver de - là que quelquefois ces esprits coulent d'eux - mêmes dans ces traces, sans que nous en sachions la cause; ou même un objet qui a quelque rapport avec celui qu'ils représentent, peut les avoir excités & réveillés pour agir, alors l'objet vient de lui - même se présenter à notre imagination. De même, quand les esprits animaux sont émus par quelque forte passion, l'objet se représente malgré nous; & quoi que nous fassions, il occupe notre pensée. Tout cela se fait; on n'en disconvient pas. Mais il n'est pas question de cela: car outre toutes ces raisons qui peuvent exciter en mon esprit une telle pensée, je sens que j'ai le pouvoir de la produire toutes les fois que je veux. Je pense à ce moment pourquoi l'aimant attire le fer; dans un moment, si je veux, je n'y penserai plus, & j'occuperai mon esprit à méditer sur le flux & le reflux de la mer. De - là je passerai, s'il me plaît, à rechercher la cause de la pesanteur; ensuite je rappellerai, si je veux, la pensée de l'aimant, & je la conserverai tant qu'il me plaira. On ne peut agir plus librement. Non seulement j'ai ce pouvoir, mais je sens & je fais que je l'ai. Puis donc que c'est une vérité d'expérience, de connoissance & de sentiment, on doit plûtôt la considérer comme un fait incontestable que comme une question dont on doive disputer. Il y a donc sans contredit, au - dedans de moi, un principe, une cause supérieure qui régit mes pensées, qui les fait naître, qui les éloigne, qui les rappelle en un instant & à son commandement; & par conséquent il y a dans l'homme un esprit libre, qui agit sur soi - même comme il lui plaît.

A l'égard des opérations du corps, le pouvoir absolu de la volonté n'est pas moins sensible. Je veux mouvoir mon bras, je le remue aussi - tôt; je veux parler, & je parle à l'instant, &c. On est intérieurement convaincu de toutes ces vérités, personne ne les nie: rien au monde n'est capable de les obscurcir. On ne peut donner ni se former une idée de la liberté, quelque grande, quelque indépendante qu'elle puisse être, que je n'éprouve & ne reconnoisse en moi - même à cet égard. Il est ridicule de dire que je crois être libre, parce que je suis capable & susceptible de plusieurs déterminations occasionnées par divers mouvemens que je ne connois pas: car je sais, je connois & je sens que les déterminations, qui font que je parle, ou que je me tais, dépendent de ma volonté; nous ne sommes donc pas libres seulement en ce sens, que nous avons la connoissance de nos mouvemens, & que nous ne sentons ni force ni contrainte; au contraire, nous sentons que nous avons chez nous le maître de la machine qui en conduit les ressorts comme il lui plaît. Malgré toutes les raisons & toutes les déterminations qui me portent & me poussent à me promener, je sens & je suis persuadé que ma volonté peut à son gré arrêter & suspendre à chaque instant l'effet de tous ces ressorts cachés qui me font agir. Si je n'agissois que par ces ressorts cachés, par les impressions des objets, il faudroit nécessairement que j'accomplisse tous les mouvemens qu'ils seroient capables de produire; de même qu'une bille poussée acheve sur la table du billard tout le mouvement qu'elle a reçu.

On pourroit alléguer plusieurs occasions dans la

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