ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"370"> me succès. Lorsqu'on revient sur soi & qu'on compare les petits talens qu'on a reçus, avec ceux d'un Léïbnitz, on est tenté de jetter loin les livres, & d'aller mourir tranquille au fond de quelque recoin ignoré.

Son pere lui avoit laissé une assez ample collection de livres; à peine le jeune Léibnitz sut - il un peu de grec & de latin, quil entreprit de les lire tout, Poëtes, Orateurs, Historiens, Jurisconsultes, Philosophes, Théologiens, Medecins. Bientôt il sentit le besoin de secours, & il en alla chercher. Il s'attacha particulierement à Jacques Thomasius; personne n'avoit des connoissances plus profondes de la Littérature & de la Philosophie ancienne qué Thomasius, cependant le disciple ne tarda pas à devenir plus habile que son maitre. Thomasius avoua la superiorité de Léibnitz; Léibnitz reconnut les obligations qu'il avoit à Thomasius. Ce fut souvent entr'eux un combat d'éloge, d'un côté, & de reconnoissance de l'autre.

Léïbnitz apprit sous Thomasius à attacher un grand prix aux philosophes anciens, à la téte desquels il plaça Pythagore & Platon; il eut du tout & du talent pour la Poésie: ses vers sont remplis de choses. Je conseille à nos jeunes auteurs de lire le poème qu'il composa en 1676 sur la mort de Jean biéderic de Brunswic, son protecteur; ils y verront combien la Poésie, lorsqu'elle n'est pas un vain bruit, exige de connoissances préliminaires.

Il fut profond dans l'Histoire; il connut les intérêts des princes Jean Casimir, roi de Pologne, ayant abdiqué la couronne en 1668, Philippe Guillaume de Neubourg, comte Palatin, fut un des prétendans, & Léibnitz, caché sous le nom de George Ulicorius, prouva que la république ne pouvoit faire un meilleur choix; il avoit alors vingt - deux ans, & son ottvrage fut attribué aux plus tameux jurisconsultes de son tems.

Quand on commença à traiter de la paix de Nimegue, il y eut des difficultés sur le cérémonial à l'égard des princes libres de l'empire qui n'étoient pas électeurs. On refusoit à leurs ministres des honneurs qu'on accordoit à ceux des princes d'Italie. Il écrivit en faveur des premiers l'ouvrage intitulé, Coesarini Furstenerii, de jure suprematûs ac legationis principum Germanioe. C'est un systeme où l'on voit un luthérien placer le pape à côté de l'empereur, comme chef temporel de tous les états chrétiens, du - moins en Occident. Le sujet est particulier, mais à chaque pas l'esprit de l'auteur prend son vol & s'éleve aux vûes générales.

Au milieu de ces occupations il se lioit avec tous les savans de l'Allemagne & de l'Europe; il agitoit soit dans des theses, soit dans des lettres, des questions de Logique, de Méthaphysique, de Morale, de Mathématique & de Théologie, & son nom s'inscrivoit dans la plûpart des académies.

Les princes de Brunswic le destinerent à écrire I'histoire de leur maison. Pour remplir dignement ce projet, il parcourut l'Allemagne & l'Italie, visitant les anciennes abbayes, fouillant dans les archives des villes, examinant les tombeaux & les autres antiquités, & recueillant tout ce qui pouvoit répandre de l'agrément & de la lumiere sur une matiere ingrate.

Ce fut en passant sur une petite barque seul, de Venise à Mesola, dans le Ferrarois, qu'un chapelet dont il avoit jugé à propos de se pourvoir à tout evenement dans un pays d'inquisition, lui sauva la vie. Il s'eleva une tempête furieuse: le pilote qui ne croyoit pas être entendu par un allemand, & qui le regardoit comme la cause du péril, proposa de le jetter en mer, en conservant néanmoins ses hardes & son argent, qui n'étoient pas hérétiques. Léïbnitz sans se troubler tira son chapelet d'un air dévet, & cet artifice sit changer d'avis au pilote. Un philosophe ancien, c'étoit, je crois, Anaxogoras l'athéc, échappa au même danger, en montrant au loin, à ceux qui méditoiont d'appaiser les dieux en le précipitant dans les flots, des vaisseaux battus par la tempête, & ou Anaxagoras n'étoit pas.

De retour de ses voyages à Hanovre en 1699, il publia une portion de la récolte qu'il avoit faite, car son avidité s'étoit jettée sur tout, en un volume in sol. sous le titre de Code du droit des gens: c'est - là qu'il démontre que les actes publiés de nation à nation sont les sources les plus certaines de l'Histoire, & que, quels que soient les petits ressorts honteux qui ont mis en mouvement ces grandes masses, c'est dans les traités qui ont précédé leurs émotions & accompagné leur repos momentané, qu'il faut découvrir leurs véritables intérêts. La prétace du Codex jutis gentium diplomaticus est un morceau de génie. L'ouvrage est une mer d'érudition: il parut en 1693.

Le premier volume Scriptorum Brunsvicensia il ustranstum, ou la base de son histoire sut élevée en 1707; c'est - là qu'il juge, d'un jugement dont on n'a point appellé, de tous les matériaux qui devoient servir au reste de l'édifice.

On croyoit que des gouverneurs de villes de l'empire de Charlemagne etoient devenus, avec le tems, princes héréditaires; Léïbnitz prouve qu'ils l'avoient toujours été. On regardoit le x. & le xj. siecles comme les plus barbares du Christianisme; Léïbnitz rejette ce reproche sur le xiij. & le xjv. où des hommes pauvres par institut, avides de l'aisance par foiblesse humaine, inventoient des fables par nécessité. On le voit suivre l'enchaînement des évenemens, discerner les fils délicats qui les ont attirés les uns à la suite des autres, & poser les regles d'une espece de divination d'après laquelle l'état antérieur & l'état présent d'un peuple étant bien connus, on peut annoncer ce qu'il deviendra.

Deux autres volumes Scriptorum Brunsvicensia illustrantium parurent en 1710 & en 1711, le reste n'a point suivi. M. de Fontenelle a exposé se plan général de l'ouvrage dans son eloge de Léïbnitz, an. de l'acad. des Scienc. 1716.

Dans le cours de ses recherches il prétendit avoir decouvert la véritable origine des Hançois, & il en publia une dissertation en 1716.

Léïbnitz étoit grand jurisconsulte; le Droit étoit & sera long - tems l'étude dominante de l'Allemagne; il se présenta à l'âge de vingt ans aux examens du doctorat: sa jeunesse, qui auroit du lui concilier la bienveillance de la femme du doyen de la faculté, excita, je ne sais comment, sa mauvaise humeur, & Léïbnitz fut refusé; mais l'applaudissement général & la même digrité qui lui fut offerte & conterée par les habitans de la ville d'Altort, le vengerent bien de cette injustice. S'il est permis de juger du mérite du candidat par le choix du sujet de sa these, quelle idée ne se formera t - on pas de Léïbnitz? il disputa des cas perplexes en Droit. Cette these fut imprimée dans la suife avec deux autres petits traites, l'un intitulé, Specimen Encyclopdie in jure, l'autre, Specimen certitudinis seu demonsirationum in jure exhibitum in doctrina conditionum.

Ce mot Encyclopédie avoit été êmployé dans un sens plus général par Alstedius: celui - ci s'étoit proposé de rapprocher les différentes sciences, & de marquer les lignes de cominunication qu'elles ont entre elles. Le projet en avoit plu à Léïbnitz; il s'étoit proposé de perfectionner l'ouvrage d'Alstedius; il avoit appellé à son secours quelques savans: l'ouvrage alloit commencer, lorsque le chef de l'entreprise, distrait par les circonstances, fut entrainé à [p. 371] d'autres occupations, malheureusement pour nous qui lui avons succedé, & pour qui le même travail n'a été qu'une source de persecutions, d'insultes & de chagrins qui se renouvellent de jour en jour, qui ont commencé il y a plus de quinze ans, & qui ne finiront peut - être qu'avec notre vie.

A l'âge de vingt deux ans il dédia à l'électeur de Mayence Jean Phllippe de Schomborn, une nouvelle méthode d'onseignr & d'apprendre la Jurisprudence, avec un catalogue des chose a desier dans la jeience du Droit. Il donna dans la même année son projet pour la réforme gen rale du co ps du Droit. La tête de cet homme étoit ennemie du désordre, & il falloit que les matieres lés plus embarrassées s'y arrangeassent en y entrant; il réunissoit deux grandes qualités presqu'incompatibles, l'esprit d'invention & celui de méthode, & l'étude la plus opiniâtre & la plus variée, en accumulant en lui les connoissances les plus disparates, n'avoit assoibli ni l'un ni l'autre: philosophe & mathématicien, tout ce que ces deux mots renferment, il l'étoit. Il alla d'Altorf à Nuremberg visiter des savans; il s'insinua dans une société secrete d'alchimistes qui le prirent pour adepte sur une lettre farcie de termes obscurs qu'il leur adressa, qu'ils entendirent apparemment, mais qu'assurément Léibnitz n'entendoit pas. Ils le créerent leur secrétaire, & il s'instruisit beaucoup avec eux pendant qu'ils croyoient s'instruire avec lui.

En 1670, âeé de vingt - quatre ans, échappé du laborâtoire de Nuremberg, il sit réimprimer le traité de Marars Nizolias de Bersello, de veris principiis & verâ ratione philosophandi contra pseudo - philosophos, avec une prétace & des notes ou il cherche à concilier l'aristotélisine avec la Philosophie moderne: c'est là qu'il montre quelle distance il y a entre les disputes de mots & la science des choses, qu'il étale l'étude profonde qu'il avoit taite des anciens, & qu'il montre qu'une erreur surannée est quelquefois le germe d'une verite nouvelle. Tel homme en effet s'est illustré & s'illustrera en disant blanc apres un autre qui a dit noir. Il y a plus de mérite à penser à une chose qui n'avoit point encore été remuée, qu'à penser juste sur une chose dont on a déjà disputé: le dernier degré du mérite, la véritable marque du génie, c'est de trouver la vérité sur un sujet important & nouveau.

Il publia une lettre de Aristotele recentioribus reconciliabili, où il ose parler avantageusement d'Aristote dans un tems où les Cartésiens touloient aux piés ce philosophe, qui devoit être un jour vengé par les Neutoniens. Il prétendit qu'Aristote contenoit plus de vérités que Descartes, & il démontra que la philosophie de l'un & de l'autre étoit corpusculaire & méchanique.

En 1711 il adressa à l'académie des Sciences sa théorie du mouvement ab irait, & à la société royale de Londres, sa théorie du mouvement concret. Le premier traité est un sy stème du mouvement en général; le second en est une apphcation aux phenomenes de la nature; il admettoit dans l'un & l'autre du vuide; il regardoit la matiere comme une simple étendue in différente au mouvement & au repos, & il en étoit venu à croire que pour découvrir l'essence de la matiere, il falloit y concevoir une force particullere qui ne péut gueres se rendre que par ces mois, mentem momentanenm, seu carentem recordatione, quia conatum sirnul suum & alienum contrarium non retineat ultro momentum, adeòque careat memoriâ, sensu actionum passionnmque suarum, atque cogitatione.

Le voilà tout voisin de l'entéléchie d'Aristote, de son système des monades, de la sensibilité, propriété générale de la matiere, & de beaucoup d'autres idées qui nous occupent à présent. Au lieu de mesurer le mouvement par le produit de la masse & de la vitesse, il subssituoit à l'un de ces élémens la force, ce qui donnoit pour mesure du mouvement le produit de la masse par le quarré de la vîtesse. Ce fut - là le principe sur lequel il établit une nouvelle dynamique; il fut attaqué, il se défendit avec vigueur; & la question n'a été, sinon decidée, du - moins bien éclaircie depuis, que par des hommes qui ont réuni la Méthaphy sique la plus subtile à la plus haute Géométrie. Voyez l'article Force.

Il avoit encore sur la Phy sique générale une idée particuliere, c'est que Dieu a fait avec la plus grande économie possible, ce qu'il y avoit de plus parfait & de meilleur: il est le fondateur de l'optimisme, ou de ce système qui semble faite de Dieu un automate dans ses decrets & dans ses actions, & ramener sous un autre nom & sous une forme spirituelle le fatum des anciens, ou cette nécessité aux choses d'être ce qu'elles sont.

Il est inutile de dire que Leibnitz étoit un mathématicien du premier ordre. Il a disputé à Neuton l'invention du calcul différentiel. Voyez les articles de ce Diction. Calcul dieférentiee & Flunion. M. de Fontenelle, qui paroit toujours favorable à M. Leibnitz, prononce que Neuton est certainement inventeur, & que sa gloire est en sûreté, mais qu'on ne peut être trop circonspect lorsqu'il s'agit d'intenter une accusation de vol & de plagiat contre un homme tel que Leibnitz: & M. de Fontenelle à raison.

Leibnitz étoit entierement neuf dans la haute Géométrie, en 1676, lorsqu'il connut à Parls M. Huygens, qui étoit, après Galisée & Descartes, celui à qui cette science devoit le plus. Il lut le traite de horologio oscillatorio; il médita les ouvrages de Pascal & de Grégoire de S. Vincent, & il imagina une méthode dont il retrouva dans la suite des traces profondes dans Grégori, Barion & d'autres. C'est ce calcul par lequel il se glorifie d'avoir soumis à l'analyse des choses qui ne l'avoient jamais été.

Quoi qu'il en soit de cette histoire que Leibnitz a faite de ses découvertes à la sollicitation de MTS Bernoulli, il est sûr que l'on apperçoit - des infrniment petits de différens ordres dans son trairé du mouvement abstrait, publlé en 1671; que le calcul différentiel parut en 1684; que les principes mathématiques de Neuton ne furent publiés qu'en 1607, & que celui - ci ne revendiqua point cette découverte. Mais Neuton, depuis que ses amis eurent élevé la querelle, n'en demeura pas moins tranquille, comme Dieu au milieu de sa gloire.

Leibnitz avoit entrepris un grand ouvrage de la science de l'infini; mais il n'a pas été fini.

De ses hautes speculations il descendit souvent à des choses d'usage. Il proposa des machines pour l'épuisement des eaux, qui font abandonner quelquefois & interrompent toujours les travaux des mines.

Il employa une partie de son tems & de sa fortune à la construction d'une machine arithmétique, qui ne fut entierement achevée que dans les dermeres années de sa vie.

Nous avons montré jusqu'ici Leibnitz comme poëte, jurisconsulte & mathématicien, nous l'alions considérer comme métaphysic en, ou comme homme remontant des cas particuliers à des lois générales. Tout le monde connoît son principe de la raison suffisante & de l'harmonie préétablie, son idée de la monade. Mais nous n'insisterons point ici là - dessus; nous renvoyons aux différens articies de ce Dictionnaire, & à l'exposition abregée de la philosophie de Leibnitz, qui terminera celui - ci.

Il s'éleva en 1715 une dispute entre lui & le fameux M. Clake sur l'espace, le tems, le vuide, les atomes, le naturel, le surnaturel, la liberté & autres sujets non moins importans qu'épineux.

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