ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"406"> ne pas dire impossible, de pronocer l'articulation que les Allemands représentent par ch, qu'eux - mêmes ont peine à prononcer notre u qu'ils confondent avec notre ou; que les Chinois ne connoissent pas notre articulation r, &c. Les élémens de la voix usités dans une langue, ne sont donc pas toûjours les mêmes que ceux d'une autre; & dans ce cas les mêmes lettres ne peuvent pas y servir, du moins de la même maniere; c'est pourquoi il est impossible de faire connoître à quelqu'un par écrit, la prononciation exacte d'une langue étrangere, sur - tout s'il est question d'un son ou d'une articulation inusitée dans la langue de celui à qui l'on parle.

Il n'est pas plus possible d'imaginer un corps de lettres élémentaires qui soient communes à toutes les nations; & les caracteres chinois ne sont connus des peuples voisins, que parce qu'ils ne sont pas les types des élémens de la voix, mais les symboles immédiats des choses & des idées: aussi les mêmes caracteres sont - ils lûs diversement par les différens peuples qui en font usage, parce que chacun d'eux exprime selon le génie de sa langue, les différentes idées dont il a les symboles sous les yeux. Voyez Écriture chinoise.

Chaque langue doit donc avoir son corps propre de lettres élémentaires; & il seroit à souhaiter que chaque alphabet comprît précisément autant de lettres qu'il y a d'élémens de la voix usités dans la langue; que le même élément ne fût pas représenté par divers caracteres; & que le même caractere ne fût pas chargé de diverses représentations. Mais il n'est aucune langue qui jouisse de cet avantage; & il faut prendre le parti de se conformer sur ce point à toutes les bisarreries de l'usage, dont l'empire après tout est aussi raisonnable & aussi nécessaire sur l'écriture que sur la parole, puisque les lettres n'ont & ne peuvent avoir qu'une signification conventionnelle, & que cette convention ne peut avoir d'autre titre que l'usage le plus reçu. Voyez Orthographe.

Comme nous distinguons dans la voix deux sortes d'élémens, les sons & les articulations; nous devons pareillement distinguer deux sortes de lettres, les voyelles pour représenter les sons, & les consonnes pour représenter les articulations. Voyez Consonne, son. (Gramm.) Voyelle, H, & Hiatus. Cette premiere distinction devoit être, ce semble, le premier principe de l'ordre qu'il falloit suivre dans la table des lettres; les voyelles auroient dû être placées les premieres, & les consonnes ensuite. La considération des différentes ouvertures de la bouche auroit pu aider la fixation de l'ordre des voyelles entre elles: on auroit pu classifier les consonnes par la nature de l'organe dont l'impression est la plus sensible dans leur production, & régler ensuite l'ordre des classes entre elles, & celui des consonnes dans chaque classe par des vûes d'analogie. D'autres causes ont produit par - tout un autre arrangement, car rien ne se fait sans cause: mais celles qui ont produit l'ordre alphabétique tel que nous l'avons, n'étoient peut - être par rapport à nous qu'une suite de hasards, auxquels on peut opposer ce que la raison paroît insinuer, sinon pour réformer l'usage, du moins pour l'éclairer. M. du Marsais désiroit que l'on proposât un nouvel alphabet adapté à nos usage présens, (Voyez Alphabet), débarrassé des inutilités, des contradictions & des doubles emplois qui gâtent celui que nous avons, & enrichi des caracteres qui y manquent. Qu'il me soit permis de poser ici les principes qui peuvent servir de fondement à ce système.

Notre langue me paroit avoir admis huit sons fondamentaux qu'on auroit pu caractériser par autant de lettres, & dont les autres sons usités sont déri<cb-> vés par de légeres variations: les voici écrits selon notre orthographe actuelle, avec des exemples où ils sont sensibles.

a, Comme dans la premiere syllabe de cadre;
ê,                                   tête;
é,                                   lésard;
i,                                   misère;
eu,                                  meunier;
o,                                   poser;
u,                                   humain;
ou,                                  poudre.

Il me semble que j'ai arrangé ces sons à peu - près selon l'analogie des dispositions de la bouche lors de leur production. A est à la tête, parce qu'il paroît être le plus naturel, puisque c'est le premier ou du moins le plus fréquent dans la bouche des enfans: je ne citerai point en faveur de cette primauté le verset 8. du ch. j. de l'Apocalypse, pour en conclure, comme Wachter dans les prolégomenes de son Glossaire germanique, sect. 11. §. 32, qu'elle est de droit divin; mais je remarquerai que l'ouverture de la bouche nécessaire à la production de l'a, est de toutes la plus aisée & celle qui laisse le cours le plus libre à l'air intérieur. Le canal semble se retrécir de plus en plus pour les autres. La langue s'éleve & se porte en avant pour ê; un peu plus pour é; les mâchoires se rapprochent pour i; les levres font la même chose pour eu; elles se serrent davantage & se portent en avant pour o; encore plus pour u; mais pour le son ou, elles se serrent & s'avancent plus que pour aucun autre.

J'ai dit que les autres sons usités dans notre langue dérivent de ceux - là par de legeres variations: ces variations peuvent dépendre ou du canal par où se fait l'émission de l'air, ou de la durée de cette émission.

L'air peut sortir entierement par l'ouverture ordinaire de la bouche, & dans ce cas on peut dire que le son est oral; il peut aussi sortir partie par la bouche & partie par le nez, & alors on peut dire que le son est nasal. Le premier de ces deux états est naturel, & par conséquent il ne faudroit pour le peindre, que la voyelle même destinée à la représentation du son: le second état est, pour ainsi dire, violent, mais il ne faudroit pas pour cela une autre voyelle; la même suffiroit, pourvu qu'on la surmontât d'une espece d'accent, de celui, par exemple, que nous appellons aujourd'hui circonflexe, & qui ne serviroit plus à autre chose, vû la distinction de caractere que l'on propose ici. Or, il n'y a que quatre de nos huit sons fondamentaux, dont chacun puisse être ou oral, ou nasal; ce sont le premier, le troisieme, le cinquiéme & le sixieme. C'est ce que nous entendons dans les monosyllabes, ban, pain, jeun, bon. Cette remarque peut indiquer comment il faudroit disposer les voyelles dans le nouvel alphabet: celles qui sont constantes, ou dont l'émission se fait toujours par la bouche, feroient une classe; celles qui sont variables, ou qui peuvent être tantôt orales & tantôt nasales, feroient une autre classe: la voyelle a assure la prééminence à la classe des variables; & ce qui précede fixe assez l'ordre dans chacune des deux classes.

Par rapport à la durée de l'émission, un son peut être bref ou long; & ces différences, quand même on voudroit les indiquer, comme il conviendroit en effet, n'augmenteroient pas davantage le nombre de nos voyelles: tout le monde connoît les notes grammaticales qui indiquent la brieveté ou la longueur. Voyez Breve.

Si nous voulons maintenant fixer le nombre & l'ordre des articulations usitées dans notre langue, afin de construire la table des consonnes qui pourroient entrer dans un nouvel alphabet; il faut con<pb-> [p. 407] sidérer les articulations dans leur cause & dans leur nature.

Considérées dans leur cause, elles sont ou labiales, ou linguales, ou gutturales, selon qu'elles paroissent dépendre plus particulierement du mouvement ou des levres, ou de la langue, ou de la trachée - artere que le peuple appelle gosier: & cet ordre même me paroît le plus raisonnable, parce que les articulations labiales sont les plus faciles, & les premieres en effet qui entrent dans le langage des enfans, auquel on ne donne le nom de balbutie, que par une onomatopée fondée sur cela même; d'ailleurs l'articulation gutturale suppose un effort que toutes les autres n'exigent point, ce qui lui assigne naturellement le dernier rang: au surplus cet ordre caracterise à merveille la succession des parties organiques; les levres sont extérieures, la langue est en dedans, & la trachée - artere beaucoup plus intérieure.

Les articulations linguales se soudivisent assez communement en quatre especes, que l'on nomme dentales, sifflantes, liquides & mouillées: Voyez Linguale. Cette division a son utilité, & je ne trouverois pas hors de propos qu'on la suivît pour ré<cb-> gler l'ordre des articulations linguales entre elles, avec l'attention de mettre toujours les premieres dans chaque classe, celles dont la production est la plus facile. Ce discernement tient à un principe certain; les plus difficiles s'operent toujours plus près du fond de la bouche; les plus aisées se rapprochent davantage de l'exterieur.

Les articulations considerées dans leur nature, sont constantes ou variables, selon que le degré de force, dans la partie organique qui les produit, est ou n'est pas susceptible d'aug mentation ou de diminution; par conséquent, les articulations variables sont foibles ou fortes, selon qu'elles supposent moins de force ou plus de force dans le mouvement organique qui en est le principe. D'ou il suit que dans l'ordre alphabétique, il ne faut pas séparer la foible de la forte, puisque c'est la même au fond; & que la foible doit préceder la forte, par la raison du plus de facilité. Voici dans une espece de tableau le systême & l'ordre des articulations, tel que je viens de l'exposer; & vis - à - vis, une suite de mots où l'on remarque l'articulation dont il est question, représentée selon notre orthographe actuelle.

                                                           Système figuré des articulations.
                                                                     Considérées dans leur nature.
                                                                     
                                                                     Constantes.       Variables.                 Fxemples.
                                                                                              Foibles.    Fortes.
                                   Labiales.                                               ve.  fe.          Vendre. Fendre.
                                                                                              be.  pe.          Baquet. Paquet.
                                                       Nasales.         me.                                         Mort.
                                                                           ne.                                         Nort.
Considérées dans leur cause.                         Dentales.                           de.  te.       Dome. Tome.
                                                                                              gue. que.         Gage. Cage.
                                   Linguales.       Sifflantes.                         ze.  se.          Zelé. Scélé.
                                                                                              je.  che.         Japon. Chapon.
                                                       Liquides.           le. re.                                     Loi. Roi.
                                                       Mouillées.          lle. gne.                                   Pillard. Mignard.
                                   Gutturales.                             he.                                         Héros.

Voilà donc en tout dix - neuf articulations dans notre langue, ce qui exige dans notre alphabet dixneuf consonnes: ainsi, en y ajoutant les huit voyelles dont on a vû ci - devant la nécessité, le nouvel alphabet ne seroit que de vingt - sept lettres. C'est assez, non - seulement pour ne pas surcharger la multitude de trop de caracteres, mais encore pour exprimer toutes les modifications essentielles de notre langue, au moyen des accents que l'on y ajouteroit, comme je l'ai déja dit.

Me permettra - t - on encore une remarque qui peut paroître minutieuse, mais qui me semble pourtant raisonnable? C'est que je crois qu'il pourroit y avoir quelque utilité à donner aux lettres d'une même classe une forme analogue, & distinguée de la forme commune aux lettres d'une autre classe: par exemple, à n'avoir que des voyelles sans queue, & formées de traits arrondis, comme a, e, o, 8; c, s, 3, a: à former les consonnes de traits droits; les cinq labiales, par exemple, sans queue, comme n, m, u, m, z: toutes les linguales avec queue; les dentales par en haut, les sifflantes par en bas; les foibles en deux traits, les fortes en trois; les liquides & les mouillées, d'une queue droite & d'un trait rond, la queue en haut pour les premieres, & en bas pour les autres: notre gutturale, comme la plus difficile pourroit avoir une figure plus irréguliere, comme le k, le x, ou le &. Je sens très - bien qu'il n'y a aucun fonds à faire sur une pareille innovation; mais je ne pense pas qu'il faille pour cela en dédaigner le projet, ne pût - il que servir à montrer comment on envisage en général & en détail un objet qu'on a intérêt de connoître. L'art d'analyser, qui est peut - être le seul art de faire usage de la raison, est aussi difficile que nécessaire; & l'on ne doit rien mépriser de ce qui peut servir à le perfectionner.

Il est évident, par la définition que j'ai donnée des lettres, qu'il y a une grande différence entre ces caracteres & les élémens de la voix dont ils sont les signes: hoc interest, dit Priscien, inter elementa & litteras, quod elementa propriè dicuntur ipsoe pronunciationes; notoe autem earum litterae, lib. I. de litterâ. Il semble que les Grecs aient fait aussi attention à cette différence, puisqu'ils avoient deux mots différens pour ces deux objets, S2OIXEI=A, élémens, & GRAMMWTA, peintures, quoique l'auteur de la méthode grecque de P. R. les présente comme synonymes; mais il est bien plus naturel de croire que dans l'origine le premier de ces mots exprimoit en effet les élémens de la voix, indépendamment de leur représentation, & que le second en exprimoit les signes représentatifs ou de peinture. Il est cependant arrivé par le laps de tems, que sous le nom du signe on a compris indistinctement & le signe & la chose signifiée. Priscien, ibid. remarque cet abus: abusivè tamen & elementa pro litteris & litterae pro elementis vocantur. Cet usage contraire à la premiere institution, est venu, sans doute de ce que, pour désigner tel ou tel élément de la voix, on s'est contenté de l'indiquer par la lettre

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