ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"256"> tous comme auparavant. C'est ainsi que je'conçois que s'est fait ce changement. Et supposé la puissance de Dieu sur la créature, je ne vois pas en cela un grand mystere, ni pourquoi les rabbins se tourmentent tant pour trouver la maniere de ce changement ».

C'est encore donner ses propres imaginations pour des raisons; la multiplication des langues a pu se faire en tant de manieres, qu'il n'est pas possible d'en déterminer une avec certitude, comme préférée exclusivement à toutes les autres. Dieu a pu laisser subsister les mêmes mots radicaux avec les mêmes signifi cations, mais en inspirer des déclinaisons & des constructions différentes; il a pu substituer dans les esprits d'autres idées à celles qui auparavant étoient designées par les mêmes mots, altérer seulement la prononciation par le changement des voyelles ou par celui des consonnes homogenes substituées les unes aux autres, &c. Qui est - ce qui osera assigner la voie qu'il a plu à la Providence de choisir, ou prononcer qu'elle n'en a pas choisi plusieurs à - la - fois? Quis enim cognovit sensum Domini, aut quis conciliarius ejus fuit? Rom. xj. 34.

Tenons nous - en aux faits qui nous sont racontés par l'Esprit - saint; nous ne pouvons point douter que ce ne soit lui - même qui a inspiré Moïse. Tout concourt d'ailleurs à confirmer son récit; le spectacle de la nature, celui de la société & des révolutions qui ont changé successivement la scene du monde; les raisonnemens fondés sur les observations les mieux constatées: tout dépose les mêmes vérités, & ce sont les seules que nous puissions affirmer avec certitude, ainsi que les conséquences qui en sortent évidemment.

Dieu avoit fait les hommes sociables; il leur inspira la premiere langue pour être l'instrument de la communication de leurs idées, de leurs besoins, de leurs devoirs réciproques, le lien de leur société, & sur - tout du commerce de charité & de bienveillance, qu'il pose comme le fondement indispensable de cette société.

Lorsqu'il voulut ensuite que leur fécondité servît à couvrir & à cultiver les différentes parties de la terre qu'il avoit soumises au domaine de l'espece, & qu'il leur vit prendre des mesures pour resister à leur vocation & aux vûes impénétrables de sa providence, il confondit la langue primitive, les força ainsi à se séparer en autant de peuplades qu'il en résulta d'idiomes, & à se disperser dans autant de régions différentes.

Tel est le sait de la premiere multiplication des langues; & la seule chose qu'il me paroisse permis d'y ajoûter raisonnablement, c'est que Dieu opéra subitement dans la langue primitive des changemens analogues à ceux que les causes naturelles y auroient amenés par la suite, si les hommes de leur propre mouvement s'étoient dispersés en diverses colonies dans les différentes régions de la terre; car dans les évenemens mêmes qui sont hors de l'ordre naturel, Dieu n'agit point contre la nature, parce qu'il ne peut agir contre ses idées éternelles & immuables, qui sont les archetyptes de toutes les natures. Cependant ceci même donne lieu à une objection qui mérite d'être examinée: la voici.

Que le Créateur ait inspiré d'abord au premier homme & à sa compagne la premiere de toutes les langues pour servir de lien & d'instrument à la société qu'il lui avoit plu d'établir entr'eux; que l'éducation secondée par la curiosité naturelle & par la pente que les hommes ont à l'imitation, ait fait passer cette langue primitive de générations en générations, & qu'ainsi elle ait entretenu, tant qu'elle a subsisté seule, la liaison originelle entre tous les descendans d'Adam & d'Eve, c'est un premier point qu'il est aisé de concevoir, & qu'il est nécessaire d'avouer.

Que les hommes ensuite, trop épris des douceurs de cette société, aient voulu éluder l'intention & les ordres du Créateur qui les destinoit à peupler toutes les parties de la terre; & que pour les y contraindre Dieu ait jugé à - propos de confondre leur langage & d'en multiplier les idiomes, afin d'étendre le lien qui les tenoit trop attachés les uns aux autres; c'est un second point également attesté, & dont l'intelligence n'a pas plus de difficulté quand on le considere à part.

Mais la réunion de ces deux saits semble donner lieu à une difficulté réelle. Si la consusion des langues jette la division entre les hommes, n'est - elle pas contraire à la premiere intention du Créateur & au bonheur de l'humanité? Pour dissiper ce qu'il y a de spécieux dans cette objection, il ne suffit pas d'envisager seulement d'une maniere vague & indéfinie l'assection que tout homme doit à son semblable, & dont il a le germe en soi - même: cette affection a naturellement, c'est - à - dire par une suite nécessaire des lois que le Créateur même a établies, différens degrés d'identité selon la différence des degrés de liaison qu'il y a entre un homme & un autre. Comme les ondes circulaires qui se forment autour d'une pierre jettée dans l'eau, sont d'autant moins sensibles qu'elles s'éloignent plus du centre de l'ondulation, ainsi plus les rapports de liaison entre les hommes sont affoiblis par l'éloignement des tems, des lieux, des générations, des intérêts quelconques, moins il y a de vivacité dans les sentimens respectifs de la bienveillance naturelle qui subsiste pourtant toûjours, même dans le glus grand éloignement. Mais loin d'être contraire à cette propagation proportionelle de bienveillance, la multiplication des langues est en quelque maniere dans la même proportion, & adaptée pour ainsi dire aux vûes de la charité universelle: si l'on en met les degrés en parallele avec les différences du langage, plus il y aura d'exactitude dans la comparaison, plus on se convaincra que l'un est la juste mesure de l'autre; ce qui va devenir plus sensible dans l'article suivant.

Article III. Analyse & comparaison des langues. Toutes les langues ont un même but, qui est l'énonciation des pensées. Pour y parvenir, toutes employent le même instrument, qui est la voix: c'est comme l'esprit & le corps du langage; or il en est, jusqu'à un certain point, des langues ainsi considérées, comme des hommes qui les parlent.

Toutes les ames humaines, si l'on en croit l'école cartésienne, sont absolument de même espece, de même nature; elles ont les mêmes facultés au même degré, le germe des mêmes talens, du même esprit, du même génie, & elles n'ont entr'elles que des différences numériques & individuelles: les différences qu'on y apperçoit dans la suite tiennent à des causes extérieures; à l'organisation intime des corps qu'elles animent; aux divers tempéramens que les conjonctures y établissent; aux occasions plus ou moins fréquentes, plus ou moins favorables, pour exciter en elles des idées, pour les rapprocher, les combiner, les développer; aux préjugés plus ou moins heureux, qu'elles reçoivent par l'éducation, les moeurs, la religion, le gouvernement politique, les liaisons domestiques, civiles & nationales, &c.

Il en est encore à - peu - près de même des corps humains. Formés de la même matiere, si on en considere la figure dans ses traits principaux, elle paroît, pour ainsi dire, jettée dans le même moule: cependant il n'est pcut - être pas encore arrivé qu'un seul homme ait eû avec un autre une ressemblance de corps bien exacte. Quelque connexion physique [p. 257] qu'il y ait entre homme & homme, dès qu'il y a diversité d'individus, il y a des différences plus ou moins sensibles de figure, outre celles qui sont dans l'intérieur de la machine: ces différences sont plus marquées, à proportion de la diminution des causes convergentes vers les mêmes effets. Ainsi tous les sujets d'une même nation ont entr'eux des différences individuelles avec les traits de la ressemblance nationale. La ressemblance nationale d'un peuple n'est pas la même que la ressemblance nationale d'un autre peuple voisin, quoiqu'il y ait encore entre les deux des caracteres d'approximation: ces caracteres s'affoiblissent, & les traits différenciels augmentent à mesure que les termes de comparaison s'eloignent, jusqu'a ce que la très - grande diversité des climats & des autres causes qui en dépendent plus ou moins, ne laisse plus subsister que les traits de la ressemblance spécifique sous les différences tranchantes des Blancs & des Negres, des Lapons & des Européens méridionaux.

Distinguons pareillement dans les langues l'esprit & le corps, l'objet commun qu'elles se proposent, & l'instrument universel dont elles se servent pour l'exprimer, en un mot, les pensées & les sons articulés de la voix, nous y démêlerons ce qu'elles ont nécessairement de commun, & ce qu'elles ont de propre sous chacun de ces deux points de vûe, & nous nous mettrons en état d'établir des principes raisonnables sur la génération des langues, sur leur mélange, leur affinité & leur mérite respectif.

. I. L'esprit humain, je l'ai déja dit ailleurs (Voyez Grammaire & Inversion), vientà bout de distinguer des parties dans sa pensee, toute indivisible qu'elle est, en séparant, par le secours de l'abstraction, les différentes idées qui en constituent l'objet, & les diverses relations qu'elles ont entre elles à cause du rapport qu'elles ont toutes à la pensée indivisible dans laquelle on les envisage. Cette analyse, dont les principes tiennent à la nature de l'esprit humain, qui est la même par - tout, doit montrer par - tout les mêmes resultais, ou du moins des résultats semblables, faire envisager les idées de la même maniere, & établir dans les mois la même classification.

Ainsi il y a dans toutes les langues formées, des mots destinés à exprimer les êtres, soit réels, soit abstraits, dont les idées peuvent être les objets de nos pensées, & des mots pour désigner les relations génerales des êires dont on parle. Les mots du premier genre sont indéclinables, c'est - à - dire, susceptibles de diverses inflexions relatives aux vûes de l'analyse, qui peut envisager les mêmes êtres sous diversaspects, dans diverses circonstances. Les mots du second genre sont indéclinables, parce qu'ils présentent toujours la même idée sous le même aspect.

Les mots déclinables ont par - tout une signification définie, ou une signification indéfinie. Ceux de la premiere classe présentent à l'esprit des êtres déterminés, & il y en a deux especes; les noms, qui déterminent les êtres par l'idée de la nature; les pronoms, qui les déterminent par l'idée d'une relation personnelle. Ceux de la seconde classe présentent à l'esprit des êtres indéterminés, & il y en a aussi deux especes; les adjectifs, qui les désignent par l'idée précise d'une qualité ou d'un relation particuliere, communiquable à plusieurs natures, dont elle est une partie, soit essentielle, soit accidentelle; & les verbes, qui les désignent par l'idée précise de l'existance intellectuelle sous un attribut également communiquable à plusieurs natures.

Les mots indéclinables se divisent universellement en trois especes, qui sont les prépositions, les adverbes & les conjonctions: les prépositions, pour désigner les rapports généraux avec abstraction des termes; les adverbes, pour désigner des rapports particuliers à un terme déterminé; & les conjonctions, pour désigner la liaison des diverses parties du discours. Voyez Mot & toutes les especes.

Je ne parle point ici des interjections, parce que cette espece de mot ne sert point à l'énonciation des pensées de l'esprit, mais à l'indication des sentimens de l'ame; que les interjections ne sont point des instrumens arbitraires de l'art de parler, mais des signes naturels de sensibilité, antérieurs à tout ce qui est arbitraire, & si peu dépendans de l'art de parler & des langues, qu'ils ne manquent pas même aux muets de naissance.

Pour ce qui est des relations qui naissent entre les idées partielles, du rapport général qu'elles ont toutes à une même pensée indivisible; ces relations, dis je, supposent un ordre fixe entre leurs termes: la priorité est propre au terme antécédent; la posteriorité est essentielle au terme conséquent: d'où il suit qu'entre les idées partielles d'une même pensée, il y a une succession fondée sur leurs relations résultantes du rapport qu'elles ont toutes à cette pensée. Voyez Invfrsion. Je donne à cette succession le nom d'ordre analytique, parce qu'elle est tout à la sois le résultat de l'analyse de la pensée, & le fondement de l'analyse du discours, en quelque langue qu'il soit énoncé.

La parole en effet doit être l'image sensible de la pensée, tout le monde en convient; mais toute image sensible suppose dans son original des parties, un ordre & une proportion entre ces parties: ainsi il n'y a que l'analyse de la pensée qui puisse être l'objet narurel & immédiat de l'image sensible que la parole doit produire dans toutes les langues; & il n'y a que l'ordre analytique qui puisse régler l'ordre & la proportion de cette image successive & fngitive. Cette regle est sûre, parce qu'elle est immuable, comme la nature même de l'esprit humain, qui en est la source & le principe. Son influence sur toutes les langues est aussi nécessaire qu'universelle: sans ce prototype original & invariable, il ne pourroit y avoir aucune communication entre les hommes des différens âges du monde, entre les peuples des diverses régions de la terre, pas même entre deux individus quelconques, parce qu'ils n'auroient pas un terme immuable de comparaison pour y rapporter leurs procédés respectifs.

Mais au moyen de ce terme commun de comparaison, la communication est établie généralement par - tout, avec les seules difficultés qui naissent des différentes manieres de peindre le même objet. Les hommes qui parlent une même langue s'entendent entr'eux, parce qu'ils peignent le même original, sous le même aspect, avec les mêmes couleurs. Deux peuples voisins, comme les François & les Italiens, qui avec des mots différens suivent à peu - prés une même construction, parviennent aisément à entendre la langue les uns des autres, parce que les uns & les autres peignent encore le même original, & à - peu près dans la même attitude, quoiqu'avec des couleurs différentes. Deux peuples plus éloignés, dont les mots & la construction different entierement, comme les François, par exemple, & les Latins, peuvent encore s'entendre réciproquement, quoique peut - être avec un peu plus de difficulté; c'est toujours la même raison; les uns & les autres peignent le même objet original, mais dessiné & colorié diversement.

L'ordre analytique est donc le lien universel de la communicabilité de toutes les langues & du commerce de pensées, qui est l'ame de la société: c'est donc le terme où il faut réduire toutes les phrases d'une langue étrangere dans l'intelligence de laquelle on vout faire

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