ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Les peuples du midi ont besoin d'une moindre quantité d'alimens, & la nature leur en fournit en abondance; la chaleur du climat & la vivacité de l'imagination les épuisent & leur rend le travail pénible.

Il faut beaucoup de travail & d'industrie pour se vêtir & se loger de maniere à ne pas souffrir de la rigueur du froid; & pour se garantir de la chaleur il ne faut que des arbres, un hamac & du repos.

Les peuples du nord doivent être occupés du soin de se procurer le nécessaire, & ceux du midi sentir le besoin de l'amusement. Le samoiede chasse, ouvre une caverne, coupe & transporte du bois pour entretenir du feu & des boissons chaudes; il prépare des peaux pour se vêtir, tandis que le sauvage d'Afrique va tout nud, se desaltere dans une fontaine, cueille du fruit, & dort ou danse sous l'ombrage.

La vivacité des sens & de l'imagination des peuples du midi, leur rend plus nécessaires qu'aux peuples du nord les plaisirs physiques de l'amour; mais, dit le président de Montesquieu, les femmes, chez les peuples du midi, perdant la beauté dans l'âge où commence la raison, ces peuples doivent faire moins entrer le moral dans l'amour, que les peuples du nord, où l'esprit & la raison accompagnent la beauté. Les Caffres, les peuples de la Guianne & du Brésil font travailler leurs femmes comme des bêtes, & les Germains les honoroient comme des divinités.

La vivacité de chaque impression, & le peu de besoin de retenir & de combiner leurs idées, doivent être cause que les peuples méridionaux auront peu de suite dans l'esprit & beaucoup d'inconséquences; ils sont conduits par le moment; ils oublient le tems, & sacrifient la vie à un seul jour. Le caraïbe pleure le soir du regret d'avoir vendu le matin son lit pour s'enivrer d'eau - de - vie.

On doit dans le nord, pour pourvoir à des besoins qui demandent plus de combinaisons d'idées, de persévérance & d'industrie, avoir dans l'esprit plus de suite, de regle, de raisonnement & de raison; on doit avoir dans le midi des enthousiasmes subits, des emportemens fougueux, des terreurs paniques, des craintes & des espérances sans fondement.

Il faut chercher ces influences du climat chez des peuples encore sauvages, & dont les uns soient situés vers l'équateur & les autres vers le cercle polaire. Dans les climats tempérés, & parmi des peuples qui ne sont distans que de quelques degrés, les influences du climat sont moins sensibles.

Le législateur d'un peuple sauvage doit avoir beaucoup d'égard au climat, & rectifier ses effets par la législation, tant par rapport aux subsistances, aux commodités, que par rapport aux moeurs. Il n'y a point de climat, dit M. Hume, où le législateur ne puisse établir des moeurs fortes, pures, sublimes, foibles & barbares. Dans nos pays, depuis longtems policés, le législateur, sans perdre le climat de vûe, aura plus d'égard aux préjugés, aux opinions, aux moeurs établies; & selon que ces moeurs, ces opinions, ces préjugés répondent à ses desseins ou leur sont opposés, il doit les combattre ou les fortifier par ses lois. Il faut chez les peuples d'Europe chercher les causes des préjugés, des usages, des moeurs & de leurs contrariétés, non - seulement dans le gouvernement sous lequel ils vivent, mais aussi dans la diversité des gouvetnemens sous lesquels ils ont vécu, & dont chacun a laissé sa tracè. On trouve parmi nous des vestiges des anciens Celtes; on y voit des usages qui nous viennent des Romains; d'autres nous ont été apportés par les Germains, par les Anglois, par les Arabes, &c.

Pour que les hommes sentent le moins qu'il est possible qu'ils ont perdu des deux avantages de l'état de nature, l'égalité, l'indépendance, le législateur, dans tous les climats, dans toutes les circonstances, dans tous les gouvernemens, doit se proposer de changer l'esprit de propriété en esprit de communauté: les législations sont plus ou moins parfaites, selon qu'elles tendent plus ou moins à ce but; & c'est à mesure qu'elles y parviennent le plus, qu'elles procurent le plus de sécurité & de bonheur possibles. Chez un peuple où regne l'esprit de communauté, l'ordre du prince ou du magistrat ne paroît pas l'ordre de la patrie: chaque homme y devient, comme dit Metastaze, compagno delle legge e non seguace: l'ami & non l'esclave des lois. L'amour de la patrie est le seul objet de passion qui unisse les rivaux; il éteint les divisions; chaque citoyen ne voit dans un citoyen qu'un membre utile à l'état; tous marchent ensemble & contens vers le bien commun; l'amour de la patrie donne le plus noble de tous les courages: on se sacrifie à ce qu'on aime. L'amour de la patrie étend les vûes, parce qu'il les porte vers mille objets qui intéressent les autres: il éleve l'ame au - dessus des petits intérêts, il l'épure, parce qu'il lui rend moins nécessaire ce qu'elle ne pourroit obtenir sans injustice; il lui donne l'enthousiasme de la vertu: un état animé de cet esprit ne menace pas les voisins d'invasion, & ils n'en ont rien à craindre. Nous venons de voir qu'un état ne peut s'étendre sans perdre de sa liberté, & qu'à mesure qu'il recule ses bornes, il faut qu'il cede une plus grande autorité à un plus petit nombre d'hommes, ou à un seul, jusqu'à ce qu'enfin devenu un grand empire, les lois, la gloire & le bonheur des peuples aillent se perdre dans le despotisme. Un état où regne l'amour de la patrie craint ce malheur, le plus grand de tous, reste en paix & y laisse les autres. Voyez les Suisses, ce peuple citoyen, respectés de l'Europe entiere, entourés de nations plus puissantes qu'eux: ils doivent leur tranquillité à l'estime & à la confiance de leurs voisins, qui connoissent leur amour pour la paix, pour la liberté, & pour la patrie. Si le peuple où regne cet esprit de communauté ne regrette point d'avoir soumis sa volonté à la volonté générale, voyez Droit naturel; s'il ne sent point le poids de la loi, il sent encore moins celui des impôts; il paie peu, il paie avec joie. Le peuple heureux se multiplie, & l'extrême population devient une cause nouvelle de sécurité & de bonheur.

Dans la législation tout est lié, tout dépend l'un de l'autre, l'effet d'une bonne loi s'étend sur mille objets étrangers à cette loi: un bien procure un bien, l'effet réagit sur la cause, l'ordre général maintient toutes les parties, & chacune influe sur l'autre & sur l'ordre général. L'esprit de communauté, repandu dans le tout, fortifie, lie & vivifie le tout.

Dans les démocraties, les citoyens, par les lois constitutives, étant plus libres & plus egaux que dans les autres gouvernemens; dans les démocraties, ou l'état, par la part que le peuple prend aux affaires, est réellement la possession de chaque particulier, où la foiblesse de la patrie augmente le patriotisme, où les hommes dans une communauté de périls deviennent nécessaires les uns aux autres, & où la vertu de chacun d'eux se fortifie & jouit de la vertu de tous; dans les démocraties, dis - je, il faut moins d'art & moins de soin que dans les états où la puissance & l'administration sont entre les mains d'un petit nombre ou d'un seul.

Quand l'esprit de communauté n'est pas l'effet nécessaire des lois constitutives, il doit l'être des formes, de quelques lois & de l'administration. Voyez en nous le germe de passions qui nous opposent à nos semblables, tantôt comme rivaux, tantôt comme [p. 359] ennemis; voyez en nous le germe de passions qui nous unissent à la société: c'est au législateur à réprimer les unes, à exciter les autres; c'est en excitant ces passions sociales qu'il disposera les citoyens à l'esprit de communauté.

Il peut par des lois qui imposent aux citoyens de se rendre des ervices mutuels, leur faire une habitude de l'humanité; il peut par des lois faire de cette vertu un des ressorts principaux de son gouvernement. Je parle d'un possible, & je le dis possible, par ce qu'il a été réel sous l'autre hémisphere. Les lois du Pérou tendoient à unir les citoyens par les chaînes de l'humanité; & comme dans les autres législations elles défendent aux hommes de se faire du mal, au Pérou elles leur ordonnoient sans cesse de se faire du bien. Ces lois en établissant (autant qu'il est possible hors de l'état de nature) la communauté des biens, affoiblissoient l'esprit de propriété, source de tous lesvices. Les beaux jours, les jours de fête étoient au Pérou les jours où on cultivoit les champs de l'état, le champ du vieillard ou celui de l'orphelin: chaque citoyen travailloit pour la masse des citoyens; il déposoit le fruit de son travail dans les magasins de l'état, & il recevoit pour récompense le fruit du travail des autres. Ce peuple n'avoit d'ennemis que les hommes capables du mal; il attaquoit des peuples voisins pour leur ôter des usages barbares; les Incas vouloient attirer toutes les nations à leurs moeurs aimables. En combattant les antropophages mêmes, ils évitoient de les détruire, & ils sembloient chercher moins la soumission que le bonheur des vaincus.

Le législateur peut établir un rapport de bienveillance de lui à son peuple, de son peuple à lui, & par - là étendre l'esprit de communauté. Le peuple aime le prince qui s'occupe de son bonheur; le prince aime des hommes qui lui confient leur destinée; il aime les témoins de ses vertus, les organes de sa gloire. La bienveillance fait de l'état une famille qui n'obéit qu'à l'autorité paternelle; sans la superstition qui abrutissoit son siecle & rendoit ses peuples féroces, que n'auroit pas fait en France un prince comme Henri IV! Dans tous les tems, dans toutes les monarchies, les princes habiles ont fait usage du ressort de la bienveillance; le plus grand éloge qu'on puisse faire d'un roi est celui qu'un historien danois fait de Canut - le - Bon: il vécut avec ses peuples comme un pere avec ses enfans. L'amitié, la bienfaisance, la générosité, la reconnoissance seront nécessairement des vertus communes dans un gouvernement dont la bienveillance est un des principaux ressorts; ces vertus ont composé les moeurs chinoises jusqu'au regne de Chi - T - Sou. Quand les empereurs de cet empire, trop vaste pour une monarchie réglée, ont commencé à y faire sentir la crainte, quand ils ont moins fait dépendre leur autorité de l'amour des peuples que de leurs soldats tartares, les moeurs chinoises ont cessé d'être pures, mais elles sont restées douces.

On ne peut imaginer quelle force, quelle activité, quel enthousiasme, quel courage peut répandre dans le peuple cet esprit de bienveillance, & combien il intéresse toute la nation à la communauté; j'ai du plaisir à dire qu'en France on en a vu des exemples plus d'une fois: la bienveillance est le seul remede aux abus inévitables dans ces gouvernemens qui par leurs constitutions laissent le moins de liberté aux citoyens & le moins d'égalité entr'eux. Les lois constitutives & civiles inspireront moins la bienveillance que la conduite du législateur, & les formes avec lesquelles on annonce & on exécute ses volontés.

Le législateur excitera le sentiment de l'honneur, c'est - à - dire le desir de l'estime de soi - même & des autres, le desir d'être honoré, d'avoir des honneurs. C'est un ressort nécessaire dans tous les gouvernemens; mais le législateur aura soin que ce sentiment soit comme à Sparte & à Rome, uni à l'esprit de communauté, & que le citoyen attaché à son propre honneur & à sa propre gloire, le soit, s'il se peut, davantage à l'honneur & à la gloire de sa patrie. Il y avoit à Rome un temple de l'honneur, mais on ne pouvoit y entrer qu'en passant par le temple de la vertu. Le sentiment de l'honneur séparé de l'amour de la patrie, peut rendre les citoyens capables de grands efforts pour elle, mais il ne les unit pas entr'eux, au contraire il multiplie pour eux les objets de jalousie: l'intérêt de l'état est quelquefois sacrifié à l'honneur d'un seul citoyen, & l'honneur les porte tous plus à se distinguer les uns des autres, qu'à concourir sous le joug des devoirs au maintien des lois & au bien général.

Le législateur doit - il faire usage de la religion comme d'un ressort principal dans la machine du gouvernement?

Si cette religion est fausse, les lumieres en se répandant parmi les hommes feront connoître sa fausseté, non pas à la derniere classe du peuple, mais aux premiers ordres des citoyens, c'est - à - dire aux hommes destinés à conduire les autres, & qui leur doivent l'exemple du patriotisme & des vertus: or si la religion avoit été la source de leurs vertus, une fois désabusés de cette religion, on les verroit changer leurs moeurs, ils perdroient un frein & un motif, & ils seroient détrompés.

Si cette religion est la vraie, il peut s'y mêler de nouveaux dogmes, de nouvelles opinions; & cette nouvelle maniere de penser peut être opposée au gouvernement. Or si le peuple est accoutumé d'obéir par la force de la religion plus que par celle des lois, il suivra le torrent de ses opinions, & il renversera la constitution de l'état, ou il n'en suivra plus l'impulsion. Quels ravages n'ont pas fait en Vestphalie les Anabatistes! Le carême des Abissins les affoiblissoit au point de les rendre incapables de soutenir les travaux de la guerre. Ne sont - ce pas les Puritains qui ont conduit le malheureux Charles I. sur l'échafaut? Les Juifs n'osoient combattre le jour du sabat.

Si le législateur fait de la religion un ressort principal de l'état, il donne nécessairement trop de crédit aux prêtres, qui prendront bientôt de l'ambition. Dans les pays où le législateur a pour ainsi dire amalgamé la religion avec le gouvernement, on a vu les prêtres devenus importans, favoriser le despotisme pour augmenter leur propre autorité, & cette autorité une fois établie, menacer le despotisme & lui disputer la servitude des peuples.

Enfin la religion seroit un ressort dont le législateur ne pourroit jamais prévoir tous les effets, & dont rien ne peut l'assurer qu'il seroit toujours le maître: cette raison suffit pour qu'il rende les lois principales soit constitutives, soit civiles, & leur exécution indépendante du culte & des dogmes religieux; mais il doit respecter, aimer la religion, & la faire aimer & respecter.

Le législateur ne doit jamais oublier la disposition de la nature humaine à la superstition, il peut compter qu'il y en aura dans tous les tems & chez tous les peuples: elle se mêlera même toujours à la véritable religion. Les connoissances, les progrès de la raison sont les meilleurs remedes contre cette maladie de notre espece; mais comme jusqu'à un certain point elle est incurable, elle mérite beaucoup d'indulgence.

La conduite des Chinois à cet égard me paroît excellente. Des philosophes sont ministres du prince, & les provinces sont couvertes de pagodes & de dieux: on n'use jamais de rigueur envers ceux qui les adorent; mais lorsqu'un dieu n'a pas exaucé les

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