RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
"254">
Le crime que Moïse attribue aux enfans de Noé,
L'inconvénient qu'ils vouloient éviter avec soin
étoit précisément ce que Dieu vouloit & exigeoit
d'eux. Ils savoient très - bien que Dieu les appelloit
depuis un siecle & plus à se distribuer par colonies
d'une contrée dans une autre, & ils prenoient
des mesures pour empêcher ou pour suspendre
long - tems l'éxécution de ses volontés. Dieu confondit
leur langage; il peupla peu - à - peu chaque
pays en y attachant les habitans que l'usage d'une
même langue y avoit réunis, & que le desagrément
de n'entendre plus les autres familles avoit obligés
d'aller vivre loin d'elles.
L'état actuel de la terre & toutes les histoires
connues rendent témoignage à l'intention qui a de
bonne heure partagé les langues après le déluge.
Rien de plus digne de la sagesse divine que d'avoir
Un autre moyen de sentir la justesse de ce récit,
consiste en ce que la diversité des langues s'accorde
avec les dates de Moïfe; cette diversité devance
toutes nos histoires connues, & d'une autre part ni
les pyramides d'Egypte, ni les marbres d'Arondel,
ni aucun monument qui porte un caractere de vérité,
ne remonte au - dessus. Ajoûtons ici que la
réunion du genre humain dans la Chaldée avant la
dispersion des colonies, est un fait très - conforme
à la marche qu'elles ont tenue. Tout part de l'Orient, les hommes & les arts: tout s'avance peu - à - peu vers l'Occident, vers le Midi & vers le Nord.
L'Histoire montre des rois & de grands établissemens au coeur & sur les côtes de l'Asie, lorsqu'on
n'avoit encore aucune connoissance d'autres colonies
plus reculées: celles - ci n'étoient pas encore
ou elles travailloient à se former. Si les peuplades
chinoises & égyptiennes ont eu de très - bonne
heure plus de conformité que les autres avec les
anciens habitans de Chaldée, par leur inclination
sédentaire, par leurs figures symboliques, par
leurs connoissances en Astronomie, & par la pratique
de quelques beaux arts; c'est parce qu'elles
se sont tout d'abord établies dans des pays excellemment
bons, où n'étant traversées ni par les bois
qui ailleurs couvroient tout, ni par les bêtes qui
troubloient tous les établissemens à l'aide des bois,
elles se sont promptement multipliées, & n'ont
point perdu l'usage des premieres inventions. La
haute antiquité de ces trois peuples & leur ressemblance
en tant de points, montre l'unité de leur
origine & la singuliere exactitude de l'histoiresainte.
L'état des autres peuplades fut tort différent
de celles qui s'arrêterent de bonne - houre dans les
riches campagnes de l'Euphrate, du Kian & du
Nil. Concevons ailleurs des familles vagabondes
qui ne connoissent ni les lieux ni les routes, & qui
tombant à l'avanture dans un pays miséràble, où
tout leut manque, point d'instrumens pour exercer
ce qu'elles pouvoient avoir retenu de bon, point
de consistance ni de repos pour perfectionner ce
que le besoin actuel pouvoit leur faire inventer; la
modicité des moyens de subsister les mettoit souvent
aux prises; la jalousie les entre - détruisoit.
N'étant qu'une poignée de monde, un autre peloton
les mettoit en fuite. Cette vie errante & longtems
incertaine, fit tout oublier; ce n'est qu'en
renouant le commerce avec l'Orient que les choses
ont changé. Les Goths & tout le Nord n'ont cessé
d'être barbares qu'en s'établissant dans la Gaule
& en Italie; les Gaulois & les Francs doivent leur
politesse aux Romains: ceux - ci avoient été prendre
leurs lois & leur littérature à Athènes. La Grece
demeura brute jusqu'à l'arrivée de Cadmus, qui y
porta les lettres phéniciennnes. Les Grecs enchantés
de ce secours, se livrerent à la culture de leur
langue, à la Poésie & au Chant; ils ne prirent goût
à la Politique, à l'Architecture, à la Navigation,
à l'Astronomie & à la Peinture, qu'après avoir
voyagé à Memphis, à Tyr, & à la cour de Perse:
[p. 255]
* En hébreu shem, une marque. I e grec >, une marque, en est venu. Ce mot signifie aussi un nom; mais ce n'est
pas ici.
Il seroit peut - être satisfaisant pour notre curiosité de pouvoir déterminer en quoi consisterent les changemens introduits à Babel dans le langage primitif, & de quelle maniere ils y furent opérés. Il est certain qu'on ne peut établir là - dessus rien de solide, parce que cette grande révolution dans le langage ne pouvant être regardée que comme un miracle auquel les hommes étoient fort éloignés de s'attendre, il n'y avoit aucun observateur qui eût les yeux ouverts sur ce phénomene, & que peut - être même ayant été subit, il n'auroit laissé aucune prise aux observations quand on s'en seroit avisé: or rien n'instruit bien sur la nature & les progrès des faits, que les mémoires formés dans le tems d'après les observations. Cependant quelques écrivains ont donné là - dessus leurs pensées avec autant d'assurance que s'ils avoient parlé d'après le fait même, ou qu'ils eussent assisté au conseil du Très - haut.
Les uns disent que la multiplication des langues ne s'est point faite subitement, mais qu'elle s'est opérée insensiblement, selon les principes constans de la mutabilité naturelle du langage; qu'elle commença à devenir sensible pendant la construction de la ville & de la tour de Babel, qui au rapport d'Eusebe in Chron. dura quarante ans; que les progrès de cette permutation se trouverent alors si considérables, qu'il n'y eut plus moyen de conserver l'intelligence nécessaire à la consommation d'une entreprise qui alloit directement contre la volonté de Dieu, & que les hommes furent obligés de se séparer. Voyez l'introd. à l'hist. des Juifs de Prideaux, par Samuel Shucford, liv. II. Mais c'est contredire trop formellement le texte de l'Ecriture, & supposer d'ailleurs comme naturelle une chose démentie par les effets naturéls ordinaires.
Le chapitre xj. de la Genèse commence par observer
que par toute la terre on ne parloit qu'une langue, & qu'on la parloit de la même maniere: Erat
autem terra labü unicus & sermonum corumdem, v. 1;
ce qui semble marquer la même prononciation, labü
unicus, & la même syntaxe, la même analogie, les
mêmes tours, sermonum eorumdem. Après cette remarque
fondamentale & envisagée comme telle par
l'historien sacré, il raconte l'arrivée des descendans
de Noé dans la plaine de Sennahar, le projet
qu'ils firent d'y construire une ville & une tour pour
leur servir de signal, les matériaux qu'ils employerent
à cette construction; il insinue même que l'ouvrage
fut poussé jusqu'à un certain point; puis après
avoir remarqué que le Seigneur descendit pour visiter
l'ouvrage, il ajoûte, v. 67, & dixit (Dominus):
Ecce unus est populus &
Si cette confusion du langage primitif n'eût pas été subite, comment auroit - elle frappé les hommes
Mais il faut bien s'y resoudre, puisqu'il est certain que la progression naturelle des changemens qui arrivent aux langues n'opere & ne peut jamais opérer la confusion entre les hommes qui parient originairement la même. Si un particulier altere l'usage commun, son expression est d'abord regardée comme une faute, mais on l'entend ou on le fait expliquer: dans l'un ou l'autre cas, on lui indlque la loi fixée par l'usage, ou du - moins on se la rappelle. Si cette faute particuliere, par quelqu'une des causes accidentelles qui font varier les langues, vient à passer de bouche en bouche & à se répeter, elle cesse enfin d'être faute; elle acquiert l'autorité de l'usage, elle devient propre à la même langue qui la condamnoit autrefois; mais alors même on s'entend encore, puisqu'on se répete. Ainsi entendons - nous les écrivains du siecle dernier, sans appercevoir entre eux & nous que des différences légeres qui n'y causent aucune confusion; ils entendoient pareillement ceux du siecle précédent qui étoient dans le même cas à l'égard des auteurs du siecle antérieur, & ainsi de suite jusqu'au tems de Charlemagne, de Clovis, si vous voulez, ou même jusqu'aux plus anciens Druïdes, que nous n'entendons plus. Mais si la vie des hommes étoit assez longue pour que quelques Druïdes vécussent encore aujourd'hui, que la langue fût changée comme elle l'est, ou qu'elle ne le fût pas, il y auroit encore intelligence entr'eux & nous, parce qu'ils auroient été assujettis à céder au torrent des décisions des usages des différens siecles. Ainsi c'est une véritable illusion que de vouloir expliquer par des causes naturelles un évenement qui ne peut êtrè que miraculeux.
D'autres auteurs, convaincus qu'il n'y avoit point
de cause assignable dans l'ordre naturel, ont voulu
expliquer en quoi a pu consister la révolution étonnante qui fit abandonner l'entreprise de Babel.
Next page
The Project for American and French Research on the Treasury of the
French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et
Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the
Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division
of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic
Text Services (ETS) of the University of Chicago.