ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"202"> assez singulier aussi que des personnes auparavant très - voraces, s'accoutument bientôt à la sobriété que cette diete exige, & qu'elles contractent de l'indifférence & enfin même du dégoût pour les alimens ordinaires.

Nous ne parlons dans les deux observations précédentes que des sujets qui se réduisent à la diete lactée pour prévenir des maux dont ils sont menacés, & non pas pour remédier à des maux présens. Ces sujets doivent être considérés alors comme véritablement sains, & nous n'examinons encore que les effets du lait dans l'état sain.

Le lait pur, certains alimens solides, & quelques boissons assaisonnées avec le lait, tels que le ris, les oeufs, le thé, le caffé, ont l'inconvénient très - commun de lâcher le ventre. Ces alimens, sur - tout ceux qui sont sous forme liquide, produisent cet effet par une espece de corruption qu'ils éprouvent dans les premieres voies, ils deviennent vraiment purgatifs par cette altération qui se démontre, & par la nature des rapports nidoreux qui s'élevent de l'estomac, & par des borborygmes & des légeres tranchées, & enfin par la mauvaise odeur des excrémens qui est exactement semblable à celle des évacuations excitées par une légere médecine. De toutes les boissons que nous mêlons ordinairement avec le lait, celle qui produit le moins communément cette espece de purgation, c'est le caffé au lait, soit que la petite quantité qu'on en prend en comparaison du thé au lait, par exemple, cause cette différence, soit que le caffé corrige véritablement le lait. Voyez Correctif.

L'effet dont nous venons de parler s'observe principalement sur les personnes robustes, agissantes, peu accoutumées au lait, & qui sont dans l'usage journalier des alimens & des boissons ordinaires, sur - tout de la grosse viande & du vin; & ces personnes sont sensiblement affoiblies par cette opération de ces laitages. Les gens foibles, peu exercés au lait, ou ceux qui sont accoutumés au lait, & ceux enfin de quelque constitution qu'ils soient qui vivent de lait pour toute nourriture, sont au contraire ordinairement constipés par le lait; & cet accident qui est principalement propre à la diete lactée, est un des principaux inconvéniens de cette diete.

En général le lait passe mieux, c'est - à - dire est mieux digéré, laisse mieux subsister l'état naturel & sain des organes de la digestion, lorsqu'on le prend pour toute nourriture, ou qu'on n'en combine l'usage qu'avec celui des farineux fermentés ou nonfermentés, tels que le pain, le ris, les pâtes d'italie, le sagou, &c. que lorsqu'on en use, sans cesser de tirer le fond de la nourriture des alimens ordinaires, même avec les exceptions vulgaires des assaisonnemens acides, des fruits cruds, des salades, &c. Cependant il y a encore en ceci une bisarrerie fort remarquable(quoique ces sortes de contradictions soient fort communes dans l'ordre des objets diététiques. Voyez Régime, Digestion, & presque tous les articles particuliers de diete de ce Dictionnaire; l'article Concombre, par exemple): il est très - ordinaire de voir des personnes qui dans un même jour, & souvent même dans un seul repas, se gorgent de viandes de toute espece, de vin, de salades, de fruits & de laitages, & qui digerent très - bien & cent fois de suite ce margouilli qui feroit frémir tout médecin raisonneur.

Le proverbe vulgaire, que le vin bu après le lait est salutaire, & que le lait bu après le vin est un poison, ne porte sur rien, si on l'explique in sensu abvio, & comme on l'entend communément; c'est - à - dire qu'il n'est rien moins qu'observé qu'un mélange de vin & de lait affecte différemment l'esto<cb-> mac, selon que l'une ou l'au re de ces liqueurs y est versée la premiere. Il est très - sûr, au contraire, que ce mélange, dans quelque ordre qu'il soit fait, est toujours monstrueux aux yeux de la Médecine rationelle, & plus souvent nuisible qu'indifférent aux yeux de l'observation; mais si ce dogme populaire signifie que le vin rémédie au mauvais effet que du lait pris de puis quelques heures a produit sur les premieres voies, & qu'au contraire du lait jetté dans un estomac n'a guere chargé de vin, ycause constamment un mal considérable; alors il ne fait que trop promettre sur le premier chef, & il est conforme à l'expérience pour le second.

Il est facile de conclure de ce petit nombre d'observations sur les propriétés diététiques du lait dans l'état sain, que c'est un aliment suspect, peu analogue aux organes digestifs de l'adulte, & que l'art humain, l'éducation, l'habitude, n'ont pu faire adopter à la nature, comme elles ont naturalisé le vin, liqueur pourtant bien plus étrangere à l'homme que le lait des animaux; & qu'ainsi un canon diététique sûr & incontestable, & qui suffit seul en cette matiere, c'est que les personnes qui n'ont point éprouvé leur estomac à ce sujet, ne doivent user de lait que dans le cas de nécessité, c'est - à - dire s'il arrivoit par hasard qu'elles manquassent dans quelque occasion particuliere d'autres alimens, ou si elles étoient menacées de quelques maladies que l'usage du lait peut prévenir. Mais comme il est peu d'hommes qui se soient toûjours conduits assez médicinalement pour avoir constamment usé de cette circonspection, & qu'ainsi chacun sait à - peu - près, par le souvenir des effets du lait sur son estomac, si c'est pour lui un aliment sain, mal - sain ou indifférent, & dans quelles circonstances il lui a fait du bien, du mal, ni bien ni mal; cette expérience peut suffire à chacun pour s'observer convenablement à cet égard. Il faut se souvenir pourtant, il n'est pas inutile de le repéter, que pour toute personne qui n'est pas très accoutumée au lait, c'est toûjours un aliment suspect que celui - là, tant en soi, par sa propre nature, qu'à cause des altérations dont il est très - susceptible dans les premieres voies, par le mêlange des autres alimens; & que ceci est vrai principalement des personnes vigoureuses & vivant durement, qui sont peut - être les seules qu'on puisse appeller vraiment saines, les sujets délicats, élevés mollement, étant par leur propre constitution dans un état de maladie habituelle. Cette importante distinction méritera encore plus de considération dans ce que nous allons dire de l'emploi du lait dans le cas de maladie.

Nous observons d'abord, sous ce nouvel aspect, que le lait est une de ces matieres que les Medecins appellent alimens médicamenteux. Voyez Médicament.

Les lois ou les canons thérapeutiques sur l'usage du lait, observés encore aujourd'hui, existent de toute ancienneté dans l'art; ils sont renfermés dans un aphorisme d'Hippocrate, mille sois repété, & commenté par les auteurs anciens & modernes, depuis Galien & Celse, jusqu'aux écrivains de nos jours. Voici cet aphorisme: « Il est mal de donner le lait à ceux qui souffrent des douleurs de tête: il est mal aussi de le donner à ceux qui ont la fievre, à ceux qui ont les hyppocondres bouffis & murmurans, à ceux qui sont tourmentés de soif, à ceux qui rendent des déjections bilieuses, à ceux qui sont dans des fievres aigues, & enfin à ceux qui ont subi des hémorrhagies considérables; mais il est bon dans la phtisie lorsqu'il n'y a pas beaucoup de fievre; dans les fievres longues & languissantes, c'est - à - dire dans les fievres lentes, & dans les extrèmes amaigrissemens ». Les anciens avoient aussi observé l'efficacité du lait contre l'ac<pb-> [p. 203] tion des venins corrosifs sur l'estomac & les intestins, & contre celle des cantharides sur les voies urinaires.

L'observation journaliere & commune confirme à - peu - près toutes ces lois: cependant quelques nouvelles tentatives ont appris à s'écarter, sans inconvénient & même avec quelqu'avantage, de la route ordinaire, & d'étendre l'usage du lait à quelques - uns des cas prohibés; elles en ont encore augmenté l'usage, en découvrant son utilité dans un plus grand nombre de maladies que celles qui sont comprises sous le genre de phtisies, marasmes, consomptions, &c. & sous celui d'amaigrissemens, épuisemens, &c. Quelques auteurs modernes se sont élevés au contraire contre l'ancienne réputation du lait, & en ont voulu resserrer & presqu'anéantir l'usage. Nous allons entrer dans quelque détail sur tout cela.

Et, premierement, quant aux cas prohibés par l'ancienne loi, on donne assez communément le lait dans les grandes hémorrhagies, principalement dans les pertes des femmes, & dans ces éruptions abondantes de sang par les vaisseaux du poulmon, qu'on appelle vulgairement & très - improprement vomissement de sang. La diete lactée est même dans ce dernier cas le secours le plus essicace que l'art fournisse contre les récidives. On ne craint pas tant non plus aujourd'hui la fievre, sur - tout la fievre tente ou hecsique, lors même qu'elle redouble par acces vifs, soit reguliers, soit irréguliers: ce symptome n'empêche pointde donner le lait lorsqu'on le croit indiqué d'ailleurs; & il est vraissemblable que si le lait reussit peu dans ces cas, comme il faut en convenir, c'est moins parce qu'il fait un mal direct, qu'il nuit en effet, que parce qu'il est simplement inefficace, c'est - à - dire qu'une telle maladie est trop giave pour que le lait puisse la guérir, & même en retarder les progres. Ce qui paroit établir ce sentiment, c'est que si l'on observe que le lait donné avec la fievre dans une pulmonie au dernier degre, par exemple, ne réussisse point, c'est - à dire qu'il augmente quelques symptômes, & qu'il produise divers accidens, tels que des aigreurs, des pesanteurs d'estoma, des ventosites, des dévoiemens, des sueurs, &c. & qu'on se determine à en supprimer l'usage, tous ces effets cessent, il est vrai, mais le malade n'en est pas mieux: la maladie fait ses progres ord naires, & il n'est decidé par aucune observation si ces effets du lait, qui paroissent sunestes au premier aspect, h<-> toient réellement, ou si au contraire ils ne suspendoient pas ses progrès.

Enfin, plusieurs medecins pensent que ce pourroit bien n'être qu'un préjugé que de redouter l'usage du lait dans les maladies aiguës. L'usage du posset simple ou du thogla, c'est à dire du melange de la biere & du lait, peur boisson ordinaire dans les maladies aiguës, est connu en Angleterre. Sydenham ne desapprouve point qu'on nourrisse les malades attaques de la petite vérole avec du lait dans lequel on aura ecrasé des pommes cuites Je connois un célebre praticien qui n'hesite point à donner du lait dans les uxions de poitrine. Il est observé que l'hy drogale ou le lait melé avec l'eau, est une boisson très - salutaire dans les maladies dissenteriques.

Secondement, quant à l'extension de l'application du lait à plusieurs nouveaux usages, la doctrine cli<-> ique s'est considérablement accrûe à cet égard. D'abord elle prescrit l'usage du lait dans tous les cas de simple menace des maladies contre lesquelles Hippocrate ne l'ordonne que lorsqu'elles sont confirmées & même parvenues à leur degré extrème, proeter rationem extenuatis. Par exemple, les modernes emploient le lait contre les hoemophtysies, les toux même simples, la goutte, les thumatimes, les & autres maladies de la peau, comme le principal remede des fleurs blanches, dans le traitement de la maladie vénérienne, dans la petite vérole, dans quelques cas d'hydropisies, &c. (Voyez ces articles particuliers), sans parler de plusieurs usages extérieurs dont il sera question dans la suite de cet article. Jean Costoeus a écrit un traité entier de la Medecine aisée, de facili Medicin; & son secret, son moyen de rendre la Medec ne aisée, c'est d'employer le lait, comme remede universel. Wepfer, medecin suisse, auteur de très - grande considération, parle du lait comme d'une substance qui renferme en soi quelque chose de divin. Cheyne, célebre auteur anglois, a proposé dépuis peu d'années, pour le bien de l'humanité, avec tout l'enthousiasme que cette vûe sublime est capable d'inspirer, & avec toute la bonne - foi & la confiance de la conviction, a proposé, dis - je, de réduire tous les hommes, lorsqu'ils ont atteint un certain âge, à la diete lactée, ou à un régime dont le lait fait la base. La doctrine des écoles & le penchant des medecins théoriciens ou raisonneurs, sont assez généralement en faveur du lait.

Troisiemement, pour ce qui regarde le sentiment des medecins modernes qui ont combattu les vertus les plus célébrées du lait, nous observerons d'abord que leur avis devroit être d'un grand poids, qu'il mériteroit au moins d'être discuté avec la plus grande circonspection, quand même ces auteurs n'auroient d'autre mérite que d'avoir osé douter sur un objet grave, des opinions reçues à peu - pres sans contradiction; car en général, & plus encore en Medecine qu'ailleurs, les opinions anciennes & non contredites doivent être très - suspectes au sage. Mais ces auteurs ont outre le mérite d'un louable scepticisme, celui d'avoir appuyé leur sentiment de bonnes observations. Bennet, célebre medecin anglois, interdit le lait aux vrais phtysiques, dans son traité vraiment original, intitulé Theatrum tabidorum. Sydenham compte fort peu sur la diete lactée dans le traitement propnilactique de la goutte, qui est aujourd'hui un des cas où le lait est le plus généralement recommandé. Morton, l'oracle de la médecine moderne, sur les maladies chroniques de la poitrine, auxquelles le lait est éminemment consacré dans la pratique la plus répandue, n'est rien moins que partisan de ce remede. De Sault, medecin de Bordeaux, auteur plein du génie & du vrai zele de l'art, ne nomme pas même le lait dans sa dissertation sur la phtisie. Frideric Hoffman fait à la vérité un éloge pompeux du lait au commencement de sa dissertation sur le lait d'ànesse; mais c'est là le dissertateur qui parle; car Hoffman lorsqu'il est praticien oublie si parfaitement toutes ces admirables qualités qu'il a célébrées dans le lait, que ce remede entre à peine dans sa pratique; il n'est pas ordonné deux fois dans ses consultations sur les maladies chroniques de la poitrine. Juncker, excellent juge en cette matiere, est tres. peu favorable à l'usage du lait. M. Bordeu, pere, medecin de Pan en Béarn, un de plus consommés & des plus habiles praticiens du royaume, a proposé (dans sa dissertation sur les eaux minérales de Béarn) sur l'usage du lait, des remarques très judicieuses & presque toutes contraires à ce remede. Enfin, beaucoup de très - habiles praticiens de nos jours, qui ont été élevés dans une entiere confiance aux vertus admirables du lait, s'en sont absolument dégoûtés<->

L'espece d'éloge que nous venons de faire du système antilactaire, n'est pas cependant une adoption formelle de ce système. Nous n'avons prétendu jusqu'ici qu'exposer historiquement les sentimens divers qui partagent les Medecins sur cette importante matiere.

Si nous passons à - présent de l'exposition de ce qu'on

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