ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"182"> joûte même pour surcroît de preuves, que les moutons de Castille & d'Andalousie, transportés dans les belles plaines de Salisbury, n'y donnent pas des laines aussi précieuses, quas baticus adjuvat aër.

Je conclus donc avec les personnes les plus éclairées de ceroyaume, qu'il est tout - à - fait impossible à la France de se passer des laines étrangeres, & que sans le secours des riches toisons qui lui viennent des îles Britanniques & d'Espagne, les manufactures des Gobelins, d'Abbeville & de Sedan, tomberoient bientôt dans le discrédit, & ne pourroient pas même subsister.

Je suis cependant bien éloigné de penser qu'on ne soit maître en France de perfectionner la qualité, & d'augmenter la quantité des laines qu'on y recueille; mais ce tems heureux n'est pas près de nous, & trop d'obstacles s'opposent à nous flatter de l'espérance de le voir encore arriver. (D. J.)

Laines (Page 9:182)

Laines, apprêt des (Économie rustique & Manufactures.) ce sont les différentes façons qu'on donne aux laines.

Les laines avant que d'être employées reçoivent bien des façons, & passent par bien des mains. Après que la laine a été tondue, on la lave, on la trie, on l'épluche, on la drousse, on la carde, ou on la peigne suivant sa qualité; ensuite on la mêle, & on la file. Expliquons toutes ces façons; j'ai lu d'excellens mémoires qui m'en ont instruit.

1°. Tonte. Les anciens arrachoient leurs laines, ils ne la tondoient pas; vellus à vellendo. Ils prenoient pour cette opération le tems où la laine se sépare du corps de l'animal; & comme toute la toison ne quitte pas à la fois, ils couvroient de peaux pendant quelques semaines chaque bête à laine, jusqu'à ce que toute la toison fût parvenue au degré de maturité qu'il falloit, pour ne pas causer à ces bêtes des douleurs trop cuisantes. Cette coutume prévaloit encore sous Vespasien dans plusieurs provinces de l'empire; aujourd'hui elle est avec raison totalement abandonnée.

Quand le tems est venu de décharger les moutons du poids incommode de leur laine, on prend les mesures suivantes. Les laboureurs intelligens préviennent cette opération, en faisant laver plusieurs fois sur pié la laine avant que de l'abattre.

Cette maniere étoit pratiquée chez les anciens; elle est passée en méthode parmi les Anglois, qui doivent principalement à ce soin l'éclat & la blancheur de leurs laines. Débarrassée du suin & des matieres graisseuses qui enveloppoient ses filets, elle recouvre le ressort & la flexibilité qui lui est propre. Les poils detenus jusques - là dans la prison de leur surge, s'élancent avec facilité, se fortifient en peu de jours, prennent du corps, & se rétablissent dans leur étar naturel; au lieu que le lavage qui succede à la coupe, dégage seulement la laine de ses saletés, sans lui rendre sa premiere qualité & son ancienne consistance.

Pour empêcher que le tempérament de l'animal ne s'altere par le dépouillement de son vêtement, on a soin d'augmenter sa nourriture, à mesure qu'on approche du terme de sa tonte.

Quand l'année a été pluvieuse, il suffit que chaque mouton ait été lavé quelques jours consécutifs, avant celui où on le décharge de sa laine; mais si l'année a été seche, il faut disposer chaque bête à cette opération, en la lavant quinze jours, un mois auparavant. Cette pratique prévient le déchet de la laine qui est très - considérable, lorsque l'année a été trop seche. On doit préférer l'eau de la mer à l'eau douce, l'eau de pluie à l'eau de riviere; dans les lieux où l'on manque absolument de ces secours, on mêle du sel dans l'eau qu'on fait servir à ce lavage.

La laine, comme les fruits, a son point de matu<cb-> rité; on tond les brebis suivant les saisons & selon le climat. Dans le Piémont on tond trois fois l'année, en Mai, en Juillet & en Novembre; dans les lieux où l'on tond deux fois l'an, la premiere coupe des laines se fait en Mars, la seconde en Août; les toisons de la seconde coupe sont toujours inférieures en qualité à celles de la premiere. En France on ne fait communément qu'une tonte par an, en Mai ou en Juin; on tond les agneaux en Juillet.

Si dans le grand nombre il se rencontre quelque bête qui soit attaquée de maladie, il faut bien se garder de la dégarnir, la laine en seroit défectueuse, & l'on exposeroit la vie de l'animal.

Après avoir pris toutes les mesures que je viens d'exposer, il foroit imprudent de fixer tellement un jour pour abattre les laines, qu'on ne fût plus maître de différer l'opération, supposé qu'il survînt quelque intempérie; il faut en général choisir un tems chaud, un ciel serain, qui semble promettre plusieurs belles journées consécutives. N'épargnez rien pour avoir un tondeur habile; c'est un abus commun à bien des laboureurs de faire fondre leurs bêtes par leurs bergers, & cela pour éviter une légere dépense, qu'il importe ici de savoir sacrifier, même dans l'état de pauvreté.

C'est une bonne coutume que l'on néglige dans bien des endroits, de couvrir d'un drap l'aire où l'on tond la laine; il faut que le lieu soit bien sec & bien nettoyé. Chaque robe de laine abattue doit être repliée séparément, & déposée dans un endroit fort aéré. On laisse la laine en pile le moins de tems qu'il est possible; il convient de la porter sur le champ au lavage, de peur que la graisse & les matieres hétérogenes dont elle est imprégnée, ne viennent à rancir & à moisir, ce qui ne manqueroit pas d'altérer considérablement sa qualité.

Une tonte bien faite est une préparation à une pousse plus abondante. On lave les moutons qu'on a tondus, afin de donner à la nouvelle laine un essor plus facile; alors comme avant la tonte, l'eau de la mer est préférable à l'eau douce pour les laver, l'eau de pluie & l'eau salée, à l'eau commune des ruisseaux & des fleuves.

Les forces, en séparant les filets de leurs tiges, laissent à chaque tuyau comme autant de petites blessures, que l'eau salée referme subitement. Les anciens au lieu de laver leurs bêtes après la tonte, les frottoient de lie d'huile ou de vin, de vieux - oint, de soufre, ou de quelqu'autre liniment semblable; & je crois qu'ils faisoient mal, parce qu'ils arrêtoient la transpiration.

La premiere façon que l'on donne à la toison qui vient d'être abattue, c'est de l'émécher; c'est - à - dire de couper avec les forces l'exrémité de certains filets, qui surpassent le niveau de la toison; la qualité de ces filets excedens, est d'être beaucoup plus grossiers, plus durs & plus secs que les autres; leur mélange seroit capable de dégrader toute la toison.

2°. Lavage. La laine en surge porte avec elle un germe de corruption dans cette crasse, qu'on nomme asipe, quand elle est détachée de la laine. Elle provient d'une humeur onctueuse, qui en sortant des pores de l'animal, facilite l'entrée du suc nourricier dans les filets de la toison; sans cette matiere huileuse qui se reproduit continueilement, le soleil dessécheroit le vêtement de la brebis, comme il seche les moissons; & la pluie qui ne tient pas contre cette huile séjournant dans la toison, pourriroit bientôt la racine de la laine.

Cette secrétion continuelle des parties graisseuses forme à la longue un sédiment, & de petites croûtes qui gâtent la laine, sur - tout pendant les tems chauds.

On lave les laines depuis le mois de Juin jusqu'à la fin d'Août; c'est le tems le plus favorable de toute [p. 183] l'année, outre qu'il suit immédiatement l'opération de la tonte, il a encore cet avantage, que l'eau adoucie & attiédie en quelque sorte par la chaleur des rayons du soleil, détache & emporte plus facilement les malpropretés qui sont comme adhérentes à lu laine.

Plus on differe le lavage des laines, plus le déchet est considérable; il est souvent de moitié; les laines de Castille perdent cinquante - trois pour cent. Ce déchet suit cependant un peu les années; l'altération est plus forte quand il n'a pas plu vers le tems de la coupe, que quand la faison a été pluvieuse. Le moyen le plus sûr d'éviter le déchet, ou de le diminuer beaucoup lorsque la saison a été seche, c'est de laver la laine à dos plusieurs semaines, & même des mois entiers avant le tems de la tonte.

Je ne puis ici passer sous silence deux abus intéressent la qualité de nos laines; l'un regarde les laboureurs, l'autre concerne les bouchers.

C'est une nécessité indispensable aux premiers de distinguer leurs moutons par quelque marque. Deux troupeaux peuvent se rencontrer & se mêler; on peut enlever un ou plusieurs moutons; la marque décele le larcin; enfin les pâturages de chaque ferme ont des limites, & cette marque est une condamnation manifeste pour le berger qui conduit son troupeau dans un territoire étranger. Ce caractere est donc nécessaire, l'abus ne consiste que dans la maniere de l'appliquer. Nos laboureurs de l'Ile de France & de la Picardie, plaquent ordinairement sans choix des couleurs trempées dans l'huile, sur la partie la plus précieuse de la toison, sur le dos ou sur les slanes; ces marques ne s'en vont point au lavage; elles restent ordinairement collées & adnérentes à la toison, & souvent les éplucheurs négligent de separer de la laine les croûtes qu'elles forment, parce que cette opération demande trop de tems. Que suit - il de - là? Ces croûtes passant dans le fil, & les étoffes qu'on en fabrique, les rendent tout - à - fait désectueuses; il est un moyen fort simple d'obvier à cet abus. On peut marquer les moutons à l'oreille par une marque latérale, perpendiculaire ou transversale; & ces marques peuvent varier à l'infini, en prenant l'oreille gauche ou l'oreille droite, on les deux oreilles, &c.

Si cependant la nature du licu demandoit un signe plus apparent, on pourroit marquer les moutons à la tête comme on fait en Berri; la toison par ce moyen ne souffle aucun dommage.

L'autre abus ne concerne que les pélades, mais il ne mérite pas moins notre attention. Les bouchers, aulion de ménager les toisons des peaux qu'ils abattent, semblent mettre tout en oeuvre pour les salir; ils les couvrent de graisse & de tout ce qu'il y a de plus insect. Il est d'autres détails qu'il ne seroit pas amufant de lire ni d'exposer, & que la police pourroit facilement proserire, sans nuire à ces sortes de gens, qui d'ailleurs sont les derniers de la lie des hommes; l'on épargneroit par - là de la peine aux mégissiers, & cette laine dans son espece, seroit d'une meilleure qualité.

On lave la laine par tas dans l'eau dormante, à la manne dans l'eau courante, & dans des cuves pleines d'eau de riviere. Les laines trop malpropres & difficiles à décrasser (comme celles d'Espagne) fe dégorgent dans un brun compolé d'un tiers d'urine, & de deux tiers d'eau; ce seroit je pense la meilleure méthode pour toutes nos laines.

Toutes les rivieres ne sont pas également propres au lavage. Les eaux de Beauvais ont une qualité excellente; on pourroit en tirer parti mieux qu'on ne fait, en établissant dans cette ville une espece de buanderie générale pour les laines du pays. Quand la laine a passé par le lavage, on la met égouter sur des ciaies.

Les manufacturiers doivent se précautionner, s'il est possible, contre un grand nombre de supercheries frauduleuses. Par exemple, quand l'année a été seche, les Laboureurs ou les Marchands qui tiennent les laines de la premiere main, les font mal laver, afin d'éprouver moins de déchet. Qu'arrivet il alors? Pour empêcher la graisse & les ordures de paroitre, ils fardent les toisons qu'ils blancbissent avec de la craye, ou d'autres ingrédiens qu'ils imaginent. Les suites de cette manoeuvre ne peuvent être que très - funestes, soit au fabriquant, soit au public. Si l'on emploie la laine comme on l'achete, l'etoffe n'en vaut rien, les vers & les mites s'y mettent au bout de peu de tems, & l'acheteur perd son drap. Si le fabriquant veut rendre à la laine sa qualité par un second lavage, il lui en coute sa façon & un nouveau déchet Il seroit à souhaiter qu'on travaillât sérieusement à la suppression de ces abus.

3°. Triage. Après que la laine a été lavée, on la trie, on l'épluche, on la drousse, on la peigne, ou on la corde suivant sa longueur, on la mêle & on la file.

Le triage des laines consiste à distinguer les différentes qualités, à séparer la mere - laine, qui est celle du dos, d'avec celle des cuisses & du ventre, qui ne sont pas également propres à toutes sortes d'ouvrages. On peut encore entendre par ce terme, le partage du bon d'avec le moindre, & du médiocre d'avec le mauvais.

Les Marchands qui achetent les laines de la premiere main, se chargent ordinairement du soin de les trier, après les avoir fait laver. Les laines lavées, qui ne sont pas triées, se vendent par toisons; celles qui sont triées, ne se vendent plus qu'au poids. Les bons fabriquans pensent qu'il y a plus d'avantages à acheter les laines toutes triées qu'en toison; mais cette opinion n'est fondée que sur la mauvaise foi des vendeurs, qui fardent leurs toisons, en roulant le plus fin par - dessus, & en renfermant au - dedans le plus mauvais.

Les Espagnols ont une pratique contraire, surtout les Hyéronimites, possesseurs de la fameuse pile de l'Escurial. Ces religieux vendent leur pile, non seulement sans séparer la qualité des toisons, mais ils y joignent aussi ce qu'ils nomment laine des agreges, qui viennent des lieux circonvoisms de l'Escurial.

La bonne soi & la sureté du commerce étant rétablies, ce dernier parti me paroîtroit préférable à celui que prennent nos fabriquans; & le public & le chef de manufacture y gagneroient pareillement; celui - ci seroit plus maître de l'assortiment de ses laines, & le public auroit des étoffes plus durables.

Il y auroit ici cent choses à observer au sujet des fraudes & des ruses, qui se perpétuent journellement, tant dans le lavage, que dans le triage des laines; mais le sordide amour du gain n'est - il pas capable de tout?

4°. Epluchement. La négligence des éplucheurs occasionne les noeuds & les grosseurs qui se rencontrent dans les étoffes.

Les corps étrangers que l'on sépare de la laine en l'épluchant, sont, ou des ordures qui s'insinuent dans la toison, pendant qu'elle est encore sur le dos de l'animal, ou des molécules de suin qui se durcissent, ou enfin des paillettes, & diverses petites matieres qui s'attachent aux toisons lavées, lorsqu'on les étend an soleil pour les faire sécher sans drap dessous, sans soin & sans attention.

Cette façon comprend encore ce que l'on appelle écharpir, ou écharper la laine, ce qui consiste à déchirer & à étendre les floccons de laine qui sont trop

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.