ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"43"> catlons de l'écriture, qu'il se fit connoître. Au lieu de suivre la méthode ordinaire de ceux qui l'avoient précédé, il s'attacha à la grammaire & au sens littéral des écrits sacrés, qu'il développe avec tant de pénétration & de jugement, que les Chrétiens même le préferent à la plûpart de leurs interpretes. Il a montré le chemin aux critiques qui soutiennent aujourd'hui que le peuple d'Israël ne passa point autravers de la mer Rouge, mais qu'il y fit un cercle pendant que l'eau étoit basse, afin que Pharaon les suivît, & fût submergé; mais ce n'est pas là une de ses meilleures conjectures. Il n'osa rejetter absolument la cabale, quoiqu'il en connût le foible, parce qu'il eut peur de se faire des affaires avec les auteurs de son tems qui y étoient fort attachés, & méme avec le peuple qui regardoit le livre de Zohar rempli de ces sortes d'explications, comme un ouvrage excellent: il déclara seulement que cette méthode d'interpréter l'Ecriture n'étoit pas sûre, & que si on respectoit la cabale des anciens, on ne devoit pas ajouter de nouvelles explications à celles qu'ils avoient produites, ni abandonner l'écriture au caprice de l'esprit humain.

Maimonides (il s'appelloit Moïse, & étoit fils de Maïmon; mais il est plus connu par le nom de son pere: on l'appelle Maïmonides; quelques - uns le font naître l'an 1133). Il parut dans le même siecle. Scaliger soutenoit que c'étoit - là le premier des docteurs qui eût cessé de badiner chez les Juifs, comme Diodore chez les Grecs. En effet il avoit trouvé beaucoup de vuide dans l'étude de la gémare; il regrettoit le tems qu'il y avoit perdu, & s'appliquant à des études plus solides, il avoit beaucoup médité sur l'Ecriture. Il savoit le grec; il avoit lû les philosophes, & particulierement Aristote, qu'il cite souvent. Il causa de si violentes émotions dans les synagogues, que celles de France & d'Espagne s'excommunierent à cause de lui. Il étoit né à Cordoue l'an 1131. Il se vantoit d'être descendu de la maison de David, comme font la plûpart des Juifs d'Espagne. Maïmon son pere, & juge de sa nation en Espagne, comptoit entre ses ancêtres une longue suite de personnes qui avoient possédé successivement cette charge. On dit qu'il fut averti en songe de rompre la résolution qu'il avoit prise de garder le célibat, & de se marier à une filie de boucher qui étoit sa voisine. Maïmon feignit peut - être un songe pour cacher une amourette qui lui faisoit honte, & fit intervenir le miracle pour colorer sa foiblesse. La mere mourut en mettant Moïse au monde, & Maïmon se remaria. Je ne sais si la seconde femme qui eút plusieurs enfans, haïssoit le petit Moïse, ou s'il avoit dans sa jeunesse un esprit morne & pesant, comme on le dit. Mais son pere lui reprochoit sa naissance, le battit plusieurs fois, & enfin le chassa de sa maison. On dit que ne trouvant point d'autre gîte que le couvert d'une synagogue, il y passa la nuit, & à son reveil il se trouva un homme d'esprit tout différent de ce qu'il étoit auparavant. Il se mit sous la discipline de Joseph le Lévite, fils de Mégas, sous lequel il fit en peu de tems de grands progrès. L'envie de revoir le lieu de sa naissance le prit; mais en retournant à Cordoue, au lieu d'entrer dans la maison de son pere, il enseigna publiquement dans la synagogue avec un grand étonnement des assistans: son pere qui le reconnut alla l'embrasser, & le reçut chez lui. Quelques historiens s'inscrivent en faux contre cet ëvenement, parce que Joseph fils de Mégas, n'étoit âgé que de dix ans plus que Moïse. Cette raison est puérile; car un maître de trente ans peut instruire un disciple qui n'en a que vingt. Mais il est plus vraisemblable que Maïmon instruisit lui - même son sils, & ensuite l'envoya étudier sous Averroës, qui étoit alors dans une haute réputation, chez les Arabes. Ce disciple eut un attachement & une fidélité exemplaire pour fon maître. Avetroës étoit déchu de sa faveur par une nouvelle révolution arrivée chez les Maures ce Espagne. Abdi Amoumen, capitaine d'une troupè de bandits, qui se disoit descendu en ligne droite d'Houfsain fils d'Aly, avoit détroné les Marabouts en Afrique, & ensuite il étoit entré l'an 1144 en Espagne, & se rendit en peu de tems maître de ce royaume: il fit chercher Aveiroës qui avoit eu beaucoup de crédit à la cour des Marabouts, & qui lui étoit suspect. Ce docteur se refugia chez les Juifs, & confia le secret de sa retraite à Maïmonldes, qui aima mieux souffrir tout, que de découvert le lieu où son maître étoit caché, Abulpharage dit même que Maïmonides changea de religion, & qu'il se fit Musulman, jusqu'à ce que ayant donné ordre à ses affaires, il passa en Egypte pour vivre en liberté. Ses amis ont nié la chose, mais Averroës qui vouloit que son ame fût avec celle des Pbilosophes, parce que le Mahométisme étoit la religion des pourceaux, le Judaïsme celle des enfans, & le Christianisme impossible à observer, n'avoit pas inspiré un grand attachement à son disciple pour la loi. D'ailleurs un Espagnol qui alla persécuter ce docteur en Egypte, jusqu'à la fin de sa vie, lui reprocha cette foiblesse avec tant de hauteur, que l'affaire fut portée devant le sultan, lequel jugea que tout ce qu'on fait involontairement & par violence en matiere de religion, doit être compté pour rien; d'où il concluoit que Maïmonides n'avoit jamais été musulman. Cependant c'étoit le condamner & décider contre lui, en même tems qu'il sembloit l'absoudre; car il déclaroit que l'abjuration étoit véritable, mais exempte de crime, puisque la volonté n'y avoit pas eu de part. Enfin on a lieu de soupçonner Maïmonides d'avoir abandonné sa religion par sa morale relâchée sur cet article; car non seulement il permet aux Noachides de retomber dans l'idolatrie si la nécessité le demande, parce qu'ils n'ont reçu aucun ordre de sanctifier le nom de Dieu; mais il soutient qu'on ne peche point en sacrifiant avec les idolâtres, & enrenonçant à la religion, pourvû qu'on ne le fasse point en présence de dix personnes; car alors il faut mourir plûtôt que de renoncer à la loi; mais Maïmonides croyoit que ce péché cesse lorsqu'on le commet en secret (Maïmon. fundam. leg. cap. v.). La maxime est singuliere, car ce n'est plus la religion qu'il faut aimer & défendre au péril de sa vie: c'est la présence de dix Israëlites qu'il faut craindre, & qui seule fait le crime. On a lieu de soupçonner que l'intérêt avoit dicté à Maïmonides une maxime si bisarre, & qu'ayant abjuré le Judaïsme en secret, il croyoit calmer sa conscience, & se défendre à la faveur de cette distinction. Quoi qu'il en soit, Maïmonides demeura en Egypte le reste de ses jours, ce qui l'a fait appeller Moïse l'Egyptien. Il y fut longtems sans emploi, tellement qu'il fut réduit au métier de Jouailler. Cependant il ne laissoit pas d'étudier, & il acheva alors son commentaire sur la misnah, qu'il avoit commencé en Espagne dès l'âge de vingt - trois ans. Alphadel, fils de Saladin, étant revenu en Egypte, après en avoir été chafsé par son frere, connut le mérite de Maïmonides, & le choisit poar son medecin: il lui donna pension. Maïmonides assure que cet emploi l'occupoit absolument, car il étoit obligé d'aller tous les jours à la cour, & d'y demeurer long - tems s'il y avoit quelque malade. En revenant chez lui il trouvoit quantité de personnes qui venoient le consulter. Cependant il ne laissa pas de travailler pour son bienfaiteur; car il traduisit Avicene, & on voit encore à Bologne cet ouvrage qui fut fait par ordre d'Alphadel, l'an 1194. [p. 44]

Les Egyptiens furent jaloux de voir Maïmonides si puissant à la cour: pour l'en arracher, les medecins lui demanderent un essai de son art. Pour cet effet, ils lui présenterent un verre de poison, qu'il avala sans en craindre l'effet, parce qu'il avoit le contre - poison; mais ayant obligé dix medecins à avaler son poison, ils moururent tous, parce qu'ils n'avoient pas d'antidote spécifique. On dit aussi que d'autres medecins mirent un verre de poison auprès du lit du sultan, pour lui persuader que Maïmonides en vouloit à sa vie, & qu'on l'obligea de se couper les veines. Mais il avoit appris qu'il y avoit dans le corps humain une veine que les Medecins ne connoissoient pas, & qui n'étant pas encore coupée, l'effusion entiere du sang ne pouvoit se faire; il se sauva par cette veine inconnue. Cette circonstance ne s'accorde point avec l'histoire de sa vie.

En effet, non - seulement il protégea sa nation à la cour des nouveaux sultans qui s'établissoient sur la ruine des Aliades, mais il fonda une académie à Alexandrie, où un grand nombre de disciples vinrent du fonds de l'Egypte, de la Syrie, & de la Judée, pour étudier sous lui. Il en auroit eu beaucoup davantage, si une nouvelle persécution arrivée en orient, n'avoit empêché les étrangers de s'y tendre. Elle fut si violente, qu'une partie des Juifs fut obligée de se faire mahométans pour se garantir de la misere: & Maïmonides qui ne pouvoit leur inspirer de la fermeté, se trouva réduit comme un grand nombre d'autres, à faire le faux prophete, & à promettre à ses religionaires une délivrance qui n'arriva pas. Il mourut au commencement du xiij. siecle, & ordonna qu'on l'enterrât à Tibérias, où ses ancêtres avoient leur sépulture.

Le docteur composa un grand nombre d'ouvrages; il commenta la misnah; il fit une main forte, & le docteur des questions douteuses. On prétend qu'il écrivit en Medecine, aussi - bien qu'en Théologie & en grec comme en arabe; mais que ces livres sont très - rares ou perdus. On l'accuse d'avoir méprisé la cabale jusqu'à sa vieillesse; mais on dit que trouvant alors à Jérusalem un homme très - habile dans cette science, il s'étoit appliqué fortement à cette étude. Rabbi Chaiim assure avoir vû une lettre de Maïmonides, qui témoignoit son chagrin de n'avoir pas percé plutôt dans les mysteres de la Loi: mais on croit que les Cabalistes ont supposé cette lettre, afin de n'avoir pas été méprisés par un homme qu'on appelle la lumiere de l'orient & de l'occident.

Ses ouvrages furent reçus avec beaucoup d'applaudissement; cependant il faut avouer qu'il avoit souvent des idées fort abstraites, & qu'ayant étudié la Métaphysique, il en faisoit un trop grand usage. Il soutenoit que toutes les facultés étoient des anges; il s'imaginoit qu'il expliquoit par - là beaucoup plus nettement les opérations de la Divinité, & les expressions de l'Ecriture. N'est - il pas étrange, disoit - il, qu'on admette ce que disent quelques docteurs, qu'un ange entre dans le sein de la femme pour y former un embryon; quoique ces mêmes docteurs assurent qu'un ange est un feu consumant, au lieu de reconnoître plutôt que la faculté générante est un ange? C'est pour cette raison que Dieu parle souvent dans l'Ecriture, & qu'il dit, faisons l'homme à notre image, parce que quelques rabbins avoient conclu de ce passage, que Dieu avoit un corps, quoiqu'infiniment plus parfait que les nôtres; il soutint que l'image signifie la forme essentielle qui constitue une chose dans son être. Tout cela est fort subtil, ne leve point la difficulté, & ne découvre point le véritable sens des paroles de Dieu. Il croyoit que les astres sont animés, & que les spheres célestes vivent. Il disoit que Dieu ne s'étoit repenti que d'une chose, d'avoir confondu les bons avec les méchans dans la ruine du premier temple. Il étoit persuadé que les promesses de la Loi, qui subsistera toûjours, ne regardent qu'une félicité temporelle, & qu'elles seront accomplies sous le regne du Messie. Il soutient que le royaume de Juda fut rendu à la postérité de Jéchonias, dans la personne de Salatiel, quoique S. Luc assure positivement que Salatiel n'étoit pas fils de Jéchonias, mais de Néri.

De la Philosophie exotérique des Juifs. Les Juifs avoient deux especes de philosophie: l'une exotérique, dont les dogmes étoient enseignés publiquement, soit dans les livres, soit dans les écoles; l'autre esotérique, dont les principes n'étoient révelés qu'à un petit nombre de personnes choisies, & étoient soigneusement cachés à la multitude. Cette derniere science s'appelle cabale. Voyez l'article Cabale.

Avant de parler des principaux dogmes de la philosophie exotérique, il ne sera pas inutile d'avertir le lecteur, qu'on ne doit pas s'attendre à trouver chez les Juifs de la justesse dans les idées, de l'exactitude dans le raisonnement, de la précision dans le style; en un mot, tout ce qui doit caractériser une saine philosophie. On n'y trouve au contraire qu'un mélange confus des principes de la raison & de la révélation, une obscurité affectée, & souvent impénétrable, des principes qui conduisent au fanatisme, un respect aveugle pour l'autorité des Docteurs, & pour l'antiquité; en un mot, tous les défauts qui annoncent une nation ignorante & superstitieute: voici les principaux dogmes de cette espece de philosophie.

Idée que les Juifs ont de la Divinité. I. L'unité d'un Dieu fait un des dogmes fondamentaux de la synagogue moderne, aussi - bien que des anciens Juifs: ils s'éloignent également du païen, qui croit la pluralité des dieux, & des Chrétiens qui admettent trois personnes divines dans une seule essence.

Les rabbins avouent que Dieu seroit fini s'il avoit un corps: ainsi, quoiqu'ils parlent souvent de Dieu, comme d'un homme, ils ne laissent pas de le regarder comme un être purement spirituel. Ils donnent à cette essence infinie toutes les perfections qu'on peut imaginer, & en écartent tous les défauts qui sont attachés à la nature humaine, ou à la créature; sur - tout ils lui donnent une puissance absolue & sans bornes, par laquelle il gouverne l'univers.

II. Le juif qui convertit le roi de Cozar, expliquoit à ce prince les attributs de la Divinité d'une maniere orthodoxe. Il dit que, quoiqu'on appelle Dieu miséricordieux, cependant il ne sent jamais le frémissement de la nature, ni l'émotion du coeur, puisque c'est une foiblesse dans l'homme: mais on entend par - là que l'Etre souverain fait du bien à quelqu'un. On le compare à un juge qui condamne & qui absour ceux qu'on lui présente, sans que son esprit ni son coeur soient altérés par les differentes sentences qu'il prononce; quoique de - là dépendent la vie ou la mort des coupables. Il assure qu'on doit appeller Dieu lumiere: (Corri. part. II.) mais il ne faut pas s'imaginer que ce soit une lumiere réelle, ou semblable à celle qui nous éclaire; car on feroit Dieu corporel, s'il étoit véritablement lumiere: mais on lui donne cenom, parce qu'on craint qu'on ne le conçoive comme ténébreux. Comme cette idée seroit trop basse, il faut l'écarter, & concevoir Dieu sous celle d'une lumiere éclatante & inaccessible. Quoiqu'il n'y ait que les créatures qui soient susceptibles de vie & de mort, on ne laisse pas de dire que Dieu vit, & qu'il est la vie; mais on entend par - là qu'il existe éternellement, & on ne veut pas le réduire à la condition des êtres mortels. Toutes ces explications sont pures, & conformes aux idées que l'Ecriture nous donne de Dieu.

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