ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Afin de remédier à ces défauts, Jochanan aidé de Rab & de Samuel, deux disciples de Juda le Saint, firent un commentaire sur l'ouvrage de leur maitre, & c'est ce qu'on appelle le thalmud (thalmud signifie doctrine) de Jérusalem. Soit qu'il eût été composé en Judée pour les Juifs qui étoient restés en ce payslà; soit qu'il fût écrit dans la langue qu'on y parloit, les Juifs ne s'accordent pas sur le tems auquel cette partie de la gémare, qui signifie perfection, fut composée. Les uns croient que ce fut deux cens ans après la ruine de Jérusalem. Enfin, il y a quelques docteurs qui ne comptent que cent cinquante ans, & qui soutiennent que Rab & Samuel, quittant la Judée, allerent à Babylonne l'an 219 de l'ére chrétienne. Cependant ce sont - là les chefs du second ordre des théologiens qui sont appellés Gémaristes, parce qu'ils ont composé la gémare. Leur ouvrage ne peut être placé qu'après le regne de Dioclétien; puisqu'il y est parlé de ce prince. Le P. Morin soutient même qu'il y a des termes barbares, comme celui de borgheni, pour marquer un bourg, dont nous sommes redevables aux Vandales ou aux Goths; d'où il conclut que cet ouvrage ne peut avoir paru que dans le cinquieme siecle.

Il y avoit encore un défaut dans la gémare ou le thalmud de Jérusalem; car on n'y rapportoit que les sentimens d'un petit nombre de docteurs. D'ailleurs il étoit écrit dans une langue très - barbare, qui étoit celle qu'on parloit en Judée, & qui s'étoit corrompue par le mélange des nations étrangeres. C'est pourquoi les Amoréens, c'est - à - dire les commentateurs, commencerent une nouvelle explication des traditions. R. Ase se chargea de ce travail. Il tenoit son école à Sora, proche deBabylone; & ce fut - là qu'il produisit son commentaire sur la misnah de Jada. Il ne l'acheva pas; mais ses enfans & ses disciples y mirent la derniere main. C'est - là ce qu'on appelle la gémare ou le thalmud de Babylone, qu'on préfere à celui de Jérusalem. C'est un grand & vaste corps qui renferme les traditions, le droit canon des Juifs, & toutes les questions qui regardent la loi. La misnah est le texte; la gémare en est le commentaire, & ces deux parties font le thalmud de Babylone.

La foule des docteurs juifs & chrétiens convient que le thalmud sut achevé l'an 500 ou 505 de l'ére chrétienne: mais le P. Morin, s'écartant de la route ordinaire, soutient qu'on auroit tort de croire tout ce que les Juifs disent sur l'antiquité de leurs livres, dont ils ne connoissent pas eux - mêmes l'origine. Il assute que la misnah ne put être composée que l'an 500, & le thalmud de Babylone l'an 700 ou environ. Nous ne prenons aucun intérêt à l'antiquité de ces livres remplis de traditions. Il faut même avouer qu'on ne peut fixer qu'avec beaucoup de peine & d'incertitude le tems auquel le thalmud peut avoir été formé, parce que c'est une compilation composée de décisions d'un grand nombre de docteurs qui ont étudié les cas de conscience, & à laquelle on a pu ajouter de tems en tems de nouvelles décisions. On ne peut se confier sur cette matiere, ni au témoignage des auteurs juifs, ni au silence des chrétiens: les premiers ont intérêt à vanter l'antiquité de leurs livres, & ils ne sont pas exacts en matiere de Chronologie: les seconds ont examiné rarement ce qui se passoit chez les Juifs, parce qu'ils ne faisoient qu'une petite figure dans l'Empire. D'ailleurs leur conversion étoit rare & difficile; & pour y travailler, il falloit apprendre une langue qui leur paroissoit barbare. On ne peut voir sans étonnement que dans ce grand nombre de prêtres & d'évêques qui ont composé le clergé pendant la durée de tant de siecles, il y en ait eu si peu qui ayent sû l'hébreu, & qui ayent pû lire ou l'ancien Testament, ou les commentaires des Juifs dans l'original. On passoit le tems à chicaner sur des faits ou des questions subtiles, pendant qu'on négligeoit une étude utile ou nécessaire. Les témoins manquent de toutes parts; & comment s'assûrer de la tradition, lorsqu'on est privé de ce secours?

Jugemens sur le Thalmud. On a porté quatre jugemens différens sur le thalmud; c'est - à - dire, sur ce corps de droit canon & de tradition. Les Juifs l'égalent à la loi de Dieu. Quelques Chrétiens l'estiment avec excès. Les troisiemes le condamnent au feu, & les derniers gardent un juste milieu entre tous ces sentimens. Il faut en donner une idée générale.

Les Juifs sont convaincus que les Thalmudistes n'ont jamais été inspirés, & ils n'attribuent l'inspiration qu'aux Prophetes. Cependant ils ne laissent pas de préférer le thalmud à l'Ecriture sainte; car ils comparent l'Ecriture à l'eau, & la tradition à du vin excellent: la loi est le sel; la misnah du poivre, & les thalmuds sont des aromates précieux. Ils soutiennent hardiment que celui qui péche contre Moïse peut être absous; mais qu'on mérite la mort, lorsqu'on contredit les docteurs; & qu'on commet un péché plus criant, en violant les préceptes des sages que ceux de la loi. C'est pourquoi ils infligent une peine sale & puante à ceux qui ne les observent pas: damnantur in stercore bullienti. Ils décident les questions & les cas de conscience par le thalmud comme par une loi souveraine.

Comme il pourroit paroître étrange qu'on puisse préférer les traditions à une loi que Dieu a dictée, & qui a été écrite par ses ordres, il ne sera pas inutile de prouver ce que nous venons d'avancer par l'autorite des rabbins.

R. Isaac nous assure qu'il ne faut pas s'imaginer que la loi écrite soit le fondement de la religion; au contraire, c'est la loi orale. C'est à cause de cette derniere loi que Dieu a traité alliance avec le peuple d'Israel. En effet, il savoit que son peuple seroit transporté chez les nations étrangeres, & que les Payens transcriroient ses livres sacrés. C'est pourquoi il n'a pas voulu que la loi orale fût écrite, de de peur qu'elle ne fût connue des idolatres; & c'est ici un des préceptes généraux des rabbins: Apprens, mon fils, a avoir plus d'attention aux paroles des Scribes qu'aux paroles de la loi.

Les rabbins nous fournissent une autre preuve de l'attachement qu'ils ont pour les traditions, & de leur vénération pour les sages, en soutenant dans leur corps de Droit, que ceux qui s'attachent à la lecture de la Bible ont quelque degré de vertu; mais il est médiocre, & il ne peut être mis en ligne de compte. Etudier la seconde loi ou la tradition, c'est une vertu qui mérite sa récompense, parce qu'il n'y a rien de plus parfait que l'étude de la gémare. C'est pourquoi Eléazar, étant au lit de la mort, répondit à ses écoliers, qui lui demandoient le chemin de la vie & du siecle à venir: Détournez vos enfans de l'étude de la Bible, & les mettez aux piés des sages. Cette maxime est confirmée dans un livre qu'on appelle l'autel d'or; car on y assure qu'il n'y a point d'étude au - dessus de celle du très - saint thalmud, & le R. Jacob donne ce précepte dans le thalmud de Jérusalem: Apprens, mon fils, que les paroles des Scribes sont plus cimables que celles de Prophetes.

Enfin, tout cela est prouvé par une historiette du roi Pirgandicus. Ce prince n'est pas connu, mais cela n'est point nécessaire pour découvrir le sentiment des rabbins. C'étoit un infidele, qui pria onze docteurs fameux à souper. Il les reçut magnifiquement, & leur proposa de manger de la chair de pourceau, d'avoir commerce avec des femmes payennes, ou de boire du vin consacré aux idoles. Il falloit opter entre ces trois partis. On délibéra & on résolut de prendre le dernier, parce que les deux premiers articles avoient été défendus par la loi, & [p. 40] que c'étoient uniquement les rabbins qui défendoient de boire le vin consacré aux faux dieux. Le roi se conforma au choix des docteurs. On leur donna du vin impur, dont ils burent largement. On fit ensuite tourner la table, qui étoit sur un pivot. Les docteurs échauffés par le vin, ne prirent point garde à ce qu'ils mangeoient; c'étoit de la chair de pourceau. En sortant de table, on les mit au lit, où ils trouverent des femmes. La concupiscence échauffée par le vin, joua son jeu. Le remords ne se fit sentir que le lendemain matin, qu'on apprit aux docteurs qu'ils avoient violé la loi par degrés. Ils en furent punis: car ils moururent tous la même année de mort subite; & ce malheur leur arriva, parce qu'ils avoient méprisé les préceptes des sages, & qu'ils avoient cru pouvoir le faire plus impunément que ceux de la loi écrite: & en effet on lit dans la misnah, que ceux qui péchent contre les paroles des sages sont plus coupables que ceux qui violent les paroles de la loi.

Les Juifs demeurent d'accord que cette loi ne suffit pas; c'est pourquoi on y ajoute souvent de nouveaux commentaires dans lesquels on entre dans un détail plus précis, & on fait souvent de nouvelles décisions. Il est même impossible qu'on fasse autrement, parce que les définitions thalmudiques, qui sont courtes, ne pourvoient pas à tout, & sont tres souvent obscures; mais lorlque le thalmud est clair, on le suit exactement.

Cependant on y trouve une infinité de choses qui pourroient diminuer la profonde vénération qu'on a depuis tant de siecles pour cet ouvrage, si on le lisoit avec attention & sans préjugé. Le malheur des Juifs est d'aborder ce livre avec une obéissance aveugle pour tout ce qu'il contient. On forme son goût sur cet ouvrage, & on s'accoutume à ne trouver rien de beau que ce qui est conforme au thalmud; mais si on l'examinoit comme une compilation de différens auteurs qui ont pu se tromper, qui ont eu quelquefois un très - mauvais goût dans le choix des matieres qu'ils ont traitées, & qui ont pu être ignorans, on y remarqueroit cent choses qui avilissent la religion, au lieu d'en relever l'éclat.

On y conte que Dieu, afin de tuer le tems avant la création de l'univers, où il étoit seul, s'occupoit à bâtir divers mondes qu'il détruisoit aussi - tôt, jusqu'à ce que, par différens essais, il eut appris à en faire un aussi parfait que le nôtre. Ils rapportent la finesse d'un rabbin, qui trompa Dieu & le diable; car il pria le démon de le porter jusqu'à la porte des cieux, afin qu'après avoir vû de - là le bonheur des saints, il mourût plus tranquillement. Le diable fit ce que le rabbin demandoit, lequel voyant la porte du ciel ouverte, se jetta dedans avec violence, en jurant son grand Dieu qu'il n'en sortiroit jamais; & Dieu, qui ne vouloit pas laisser commettre un parjure, fut obligé de le laisser - là, pendant que le démon trompé s'en alloit fort honteux. Non seulement on y fait Adam hermaphrodite; mais on soutient qu'ayant voulu assouvir sa passion avec tous les animaux de la terre, il ne trouva qu'Eve qui pût le contenter. Ils introduisent deux femmes qui vont disputer dans les synagoges sur l'usage qu'un mari peut faire d'elles; & les rabbins décident nettement qu'un mari peut faire sans crime tout ce qu'il veut, parce qu'un homme qui achete un poisson, peut manger le devant ou le derriere, selon son bon plaisir. On y trouve des contradict ons sensibles, & au lieu de se donner la peine de les lever, ils font intervenir une voix miraculeuse du ciel, qui crie que l'une & l'autre, quoique directement opposées, vient du ciel. La maniere dont ils veulent qu'on traite les Chrétiens est dure: car ils permettent qu'on vole leur bien, qu'on les regarde comme des bêtes bru<cb-> tes, qu'on les pousse dans le précipice si on les voit sur le bord, qu'on les tue impunément, & qu'on fasse tous les matins de terribles imprécations contre eux. Quoique la haine & le desir de la vengeance ait dicté ces leçons, il ne laisse pas d'être étonnant qu'on seme dans un sommaire de la religion des lois & des préceptes si évidemment opposés à la charité.

Les docteurs qui ont travaillé à ces recueils de traditions, profitant de l'ignorance de leur nation, ont écrit tout ce qui leur venoit dans l'ésprit, sans se mettre en peine d'accorder leurs conjectures avec l'histoire étrangere qu'ils ignoroient parfaitement.

L'historiette de César se plaignant à Gamaliel de ce que Dieu est un voleur, est badine. Mais devoit - elle avoir sa place dans ce recueil? César demande à Gamaliel pourquoi Dieu a dérobé une côte à Adam. La fille répond, au lieu de son pere, que les voleurs étoient venus la nuit passée chez elle, & qu'ils avoient laissé un vase d'or dans sa maison, au lieu de celui de terre qu'ils avoient emporté, & qu'elle ne s'en plaignoit pas. L'application du conte étoit aisée. Dieu avoit donné une servante à Adam, au lieu d'une côte: le changement est bon: César l'approuva; mais il ne laissa pas de censurer Dieu de l'avoir fait en secret & pendant qu'Adam dormoit - La fille toujours habile, se fit apporter un morceau de viande cuite sous la cendre, & ensuite elle le présente à l'Empereur, lequel refuse d'en manger: cela me fait mal au coeur, dit César; ké bien, répliqua la jeune fille, Eve auroit fait mal au coeur au premier homme, si Dieu la lui avoit donnée grossierement & sans art, après l'avoir formée sous ses yeux. Que de bagatelles!

Cependant il y a des Chrétiens qui, à l'imitation des Juifs, regardent le Thalmud comme une mine abondante, d'où l'on peut tirer des trésors infinis. Ils s'imaginent qu'il n'y a que le travail qui dégoute les hommes de chercher ces trésors, & de s'en enrichir: ils se plaignent (Sixtus Senensis. Galatin. Morin.) amerement du mépris qu'on a pour les rabbins. Ils se tournent de tous lés côtés, non - seulement pour les justifier, mais pour faire valoir ce qu'ils ont dit. On admire leurs sentences; on trouve dans leurs rites mille choses qui ont du rapport avec la religion chrétienne, & qui en développent les mysteres. Il semble que J. C. & ses apôtres n'ayent pu avoir de l'esprit qu'en copiant les Rabbins qui sont venus après eux. Du moins c'est à l'imitation des Juifs que ce divin redempteur a fait un si grand usage du style métaphorique: c'est d'eux aussi qu'il a emprunté les paraboles du Lazare, des vierges folles, & celle des ouvriers envoyés à la vigne, car on les trouve encore aujourd'hui dans le Thalmud.

On peut raisonner ainsi par deux motifs différens. L'amour - propre fait souvent parler les docteurs. On aime à se faire valoir par quelqu'endroit; & lorsqu'on s'est jetté dans une étude, sans peser l'usage qu'on en peut faire, on en releve l'utilité par intérêt; on estime beaucoup un peu d'or chargé de beaucoup de crasse, parce qu'on a employé beaucoup de tems à le déterrer. On crie à la négligence; & on accuse de paresse ceux qui ne veulent pas se donner la même peine, & suivre la route qu'on a prise. D'ailleurs on peut s'entêter des livres qu'on lit: combien de gens ont été fous de la théologie scolastique, qui n'apprenoit que des mots barbares, au lieu des vérités solides qu'on doit chercher. On s'imagine que ce qu'on étudie avec tant de travail & de peine, ne peut être mauvais; ainsi, soit par intérêt ou par préjugé, on loue avec excès ce qui n'est pas fort digne de louange.

N'est - il pas ridicule de vouloir que J. C. ait em<pb->

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