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Ecoutons Quintilien; il connoissoit la même doctrine.
Quel autre sens peut - on donner au necessitatem ordinis sui, sinon l'ordre de la succession des idées? Que peut signifier ut quodque oritur, ita proximis alligetur, si ce n'est la liaison immédiate qui se trouve entre deux idées que l'analyse envisage comme consécutives, & entre les mots qui les expriment? Ordinis mutatio, c'est donc l'inversion, le renversement de l'ordre successif des idées, ou l'interruption de la liaison immédiate entre deux idées consécutives. Cette explication me paroît démontrée par le langage des Grammairiens latins, postérieurs à Quintilien, dont j'ai rapporté ci - devant les témoignages, & qui parloient de leur langue en connoissance de cause.
Mais voulez - vous que Quintilien lui - même en devienne le garant? Vous voyez ici qu'il n'est point
Quintilien avoit sans doute raison de se plaindre de la scrupuleuse & rampante exactitude des écrivains de son temps, qui suivoient servilement l'ordre analytique de la syntaxe latine; dans une langue qui avoit admis des cas, pour être les symboles des diverses relations à cet ordre successif des idées, c'étoit aller contre le génie de la langue même, que de placer toujours les mots selon cette succession; l'usage ne les avoit soumis à ces inflexions, que pour donner à ceux qui les employoient, la liberté de les arranger au gré d'une oreille intelligente, ou d'un goût exquis; & c'étoit manquer de l'un & de l'autre, que de suivre invariablement la marche monotone de la froide analyse; mais en condamnant ce défaut, notre rhéteur reconnoît très - clairement l'existence & les effets de l'ordre analytique & fondamental; & quand il parle d'inversion, de changement d'ordre, c'est relativement à celui - là même: Non enim ad pedes verba dimensa sunt: ideoque ex loco transferuntur in locum, ut jungantur quo congruunt maximè; sicut in structur â saxorum rudium etiam ipsa enormitas invenit cui applicari, & in quo possit insistere. Id. ibid. un peu plus bas.
Que résulte - t - il de tout ce qui vient d'être dit? Le voici sommairement. Si l'homme ne parle que pour être entendu, c'est - à - dire, pour rendre présentes à l'esprit d'autrui les mêmes idées qui sont présentes au sien; le premier objet de toute langue, est l'expression claire de la pensée: & de - là cette vérité également reconnue par les Grammairiens & par les rhéteurs, que la clarté est la qualité la plus essentielle du discours; oratio verò, cujus summa virtus est prespicuitas, quàm sit vitiosa, si egeat interprete! dit Quintilien, lib. I. cap. jv. de grammaticâ. La parole ne peut peindre la pensée immédiatement, parce que les operations de l'esprit sont indivisibles & sans parties, & que toute peinture suppose proportion, & parties par conséquent. C'est donc l'analyse abstraite de la pensée, qui est l'objet immédiat de la parole; & c'est la succession analytique des idées partielles, qui est le prototype de la succession grammaticale des mots représentatifs de ces idées. Cette conséquence se vérifie par la conformité de toutes les syntaxes avec cet ordre analytique; les langues analogues le suivent pié - à - pié; on ne s'en écarte que pour en atteindre le but encore plus sûrement; les langues transpositives n'ont pu se procurer la liberté de ne pas le suivre scrupuleusement qu'en donnant à leurs mots des inflexions qui y fussent relatives; de maniere qu'à parler exactement, elles ne l'ont abandonné que dans la forme, & y sont restées assujetties dans le fait; cette influence nécessaire de l'ordre analytique a non - seulement reglé la syntaxe do toutes les langues; elle a encore déterminé le langage des Grammairiens de tous les tems: c'est uniquement à cet ordre qu'ils ont rapporté leurs observations, lorsqu'ils ont envisagé la parole simplement comme énonciative de la pensée, c'est - à - dire, lorsqu'ils n'ont eu en vûe que le grammatical de l'élo<pb-> [p. 858]
M. l'abbé Batteux, dans la seconde édition de son
cours de belles lettres, se fait du précis de la doctrine
ordinaire une objection qui paroît née des difficultés
qu'on lui a faites sur la premiere édition; & voici
ce qu'il répond: tom. IV. pag. 306.
1°. S'il n'a pas envisagé l'ordre analytique ou
grammatical, quand il a parlé d'inversion, il a fait
en cela la plus grande faute qu'il soit possible de commettre
en fait de langage; il a contredit l'usage, &
commis un barbarisme. Les grammairiens de tous
les tems ont toujours regardé le mot inversion, comme
un terme qui leur étoit propre, qui étoit relatif
à l'ordre méchanique des mots dans l'élocution grammaticale: on a vu ci - dessus que c'est dans ce sens
qu'en ont parlé Cicéron, Quintilien, Donat, Servius, Priscien, S. Isidore de Séville. M. Batteux ne
pouvoit pas ignorer que c'est dans le même sens, que
le P. du Cerceau se plaint du désordre de la construction
usuelle de la langue latine; & qu'au contraire
M. de Fénelon, dans sa lettre à l'académie françoise
(édit. 1740. pag. 313. & suiv.), exhorte ses confreres
à introduire dans la langue françoise, en faveur
de la poësie, un plus grand nombre d'inversions
qu'il n'y en a.
Je sens bien que l'auteur m'alléguera la déclaration qu'il fait ici expressément, & qu'il avoit assez indiquée dès la premiere édition, qu'il n'envisage que l'ordre oratoire; qu'il ne donne le nom d'inversion qu'au renversement de cet ordre, & que l'usage des mots est arbitraire, pourvû que l'on ait la précaution d'établir, par de bonnes définitions, le sens que l'on prétend y attacher; mais la liberté d'introduire, dans le langage même des sciences & des arts, des mots absolument nouveaux, & de donner à des mots déja connus un sens différent de celui qui leur est ordinaire, n'est pas une licence effrénée qui puisse tout changer sans retenue, & innover sans raison; dabitur licentia sumpta pudenter. Hor. art poet. 51. il faut montrer l'abus de l'ancien usage, & l'utilité ou même la nécessité du changement; sans quoi, il faut respecter inviolablement l'usage du langage didactique, comme celui du langage national, quem penes arbitrium est, & jus, & norma loquendi. Ibid. 72. M. Batteux a - t - il pris ces precautions? a - t - il prévenu l'équivoque & l'incertitude par une bonne définition? Au contraire, quoiqu'il soit peut - être vrai au fond que l'inversion, telle qu'il l'entend, ne puisse l'être que par rapport à l'ordre oratoire; il semble avoir affecté de faire croire qu'il ne prétendoit parler que de l'inversion grammaticale; il annonce dès le commencement qu'il trouve singuliere la conséquence d'un raisonnement du P. du Cerceau sur les inversions, qui ne sont assurément que les inversions grammaticales (pag. 298); & il prétend qu'il pourroit bien arriver que l'inversion fût chez nous plutôt que chez les Latins. N'est - ce pas à la faveur de la même équivoque, que MM. Pluche & Chompré, amis & prosélytes de M. Batteux, ont fait de sa doctrine nouvelle sur l'inversion, sous ses propres yeux, & pour ainsi dire sur son bureau le fondement de leur système d'enseignement, & de leur méthode d'étudier les langues?
2°. S'il y a dans l'esprit un arrangement grammatical,
relatif aux regles établies pour le méchanisme
de la langue dans laquelle il s'agit de s'exprimer,
(ce sont les termes de M. Batteux); il peut donc y
avoir dans l'élocution un arrangement des mots,
qui soit le renversement de cet arrangement grammatical
qui existe dans l'esprit, qui soit inversion
grammaticale; & c'est précisément l'espece d'inversion, reconnue comme telle jusqu'à présent par tous
les Grammairiens, & la seule à laquelle il faille en
donner le nom: mais expliquons - nous. Un arrangement
grammatical dans l'esprit, veut dire sans doute
un ordre dans la succession des idées, lequel doit servir
de guide à la grammaire? cela posé, faut - il dire
que cet arrangement est relatif aux regles, ou que les
regles sont relatives à cet arrangement? La premiere
expression me sembleroit indiquer que l'arrangement
grammatical ne seroit dans l'esprit, que comme le
résultat des regles arbitraires du méchanisme propre
de chaque langue; d'où il s'ensuivroit que chaque
langue devroit produire son arrangement grammatical
particulier. La seconde expression suppose que
cet arrangement grammatical préexiste dans l'esprit,
& qu'il est le fondement des regles méchanique
de chaque langue. En cela même je la crois préférable
à la premiere, parce que, comme le disent
les Jurisconsultes, regula est quoe rem quoe est, breviter
enarrat; non ut ex regula jus sumatur, sed ex
jure, quod est, regula fiat. Paul. juriscons. lib. I. de
reg. jur. Quoiqu'il en soit, dès que M. Batteux reconnoît
cet arrangement grammatical dans l'esprit,
il me semble que ce doit être celui dont j'ai ci - de<pb->
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