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Neuvieme objection. Tel qui ne seroit peut - être mort de la perite vérole naturelle qu'à l'âge de cinquante ans, après avoir eu des enfans, & servi sa patrie utilement, sera perdu pour la société, s'il meurt dans son enfance de la petite vérole inoculée. Cette objection, comme plusieurs autres des précédentes, emprunte toute sa force de ce que nous avons accordé gratuitement à nos adversaires, que l'inoculation n'étoit pas exemte de péril. Mais il n'est pas besoin de nous rétracter pour leur répondre. Les trois quarts de ceux qui ont la petite vérole, essuient cette maladie dans l'âge ou ils sont plus à charge qu'utiles à la société. Quant à l'autre quart, comme le danger de la petite vérole croît avec l'âge, si l'inoculé court un très - petit risque de mourir plûtôt, il se délivre d'un risque beaucoup plus grand de mourir plus tard, ce qui fait plus qu'une compensation. Enfin, en supposant qu'un malheureux événement sur trois cens, sur deux cens, même sur un moindre nombre, pût abréger les jours d'un citoyen, l'état seroit amplement dédommagé de cette perte par la conservation de tous ceux dont la vie sercit prolongée par le moyen de l'inoculation.
Dixieme objection. La petite vérole inoculée multipliera les petites véroles naturelles, en repandant partout la contagion. On fit sonner bien haut cette objection à Londres en 1723. L'épidémie étoit fort meurtriere. On prétendit que la petite vérole artificielle en avoit augmenté le danger. M. Jurin prouva que la grande mortalité de cette année - là, qu'on appella l'année de l'inoculation, avoit été pendant les mois de Janvier & de Février, & qu'on n'avoit commencé d'inoculer que le 27 Mars. Wagstaffe avoit fait les calculs les plus ridicules pour prouver que l'inoculation devoit en peu de tems infecter tout un royaume. Ils furent réfutés par le docteur Arbuthnott sous le nom de Maitland. Ils n'ont pas laissé d'être répétés dans la thèse soutenue à Paris la même année, & plusieurs anti - inoculistes en font encore leur principale objection. Cependant il saute aux yeux qu'il est beaucoup plus aisé de se préserver d'une maladie artificielle, donnée à jour nom<cb->
Onzieme objection. Quel préservatif que celui qui donne un mal qu'on n'a pas, tandis qu'il n'est pas permis de faire le plus petit mal pour procurer le plus grand bien! On abuse ici visiblement des termes, en étendant au mal physique ce qui ne peut être vrai que du mal moral. Combien de maux physiques tolérés, permis, autorisés par les lois, & qui souvent même ne produisent pas le bien qu'on se propose? On abat une maison pour arrêter un incendie; on submerge une province pour arrêter l'ennemi; on refuse l'entrée d'un port à un vaisseau prêt à périr, s'il est suspect de contagion. Dans de pareilles occasions, on établit des barrieres, & l'on tire sur ceux qui les franchissent. L'argument, s'il mérite ce nom, tendroit à proscrire toutes les opérations chirurgicales, & la saignée même, mal physique plus grand que l'inoculation. L'objection ne mérite pas que nous nous y arrêtions plus long - tems. Nous remarquerons seulement, d'après M. Jurin, qu'on s'obstine à regarder comme une singularité, dans l'inoculation, la circonstance de donner un mal que l'on n'a pas, bien qu'elle soit commune à ce préservatif & à la plûpart des autres remedes qu'emploie la Medecine; puisque tous, ou presque tous, sont des maux artificiels & quelquefois dangereux, tels que la saignée, les purgatifs, les cauteres, les vésicatoires, les vomitifs, &c.
Douzieme objection. L'inoculation est un mal moral. Il est mort quelques inoculés: le succès de cette méthode n'est donc pas infaillible. On ne peut donc s'y soumettre sans exposer sa vie, dont il n'est pas permis de disposer. L'inoculation blesse donc les principes de la morale. On feroit tomber l'objection, en prouvant que l'inoculation n'est jamais mortelle par elle même, & qu'elle ne peut le devenir que par la faute ou l'imprudence du malade ou du medecin. On pourroit aussi rétorquer l'argument contre la saignée, dont l'usage n'est pas exempt de péril. Quand on ne compteroit que les piquûres d'arteres, on ne peut nier que la saignée n'ait été la cause directe d'un assez grand nombre de morts. Celui qui se fait saigner du bras expose donc sa vie. Ce que l'on ne peut évidemment assûrer de l'inoculation. Cependant aucun casuiste n'a porté le scrupule jusqu'à défendre la saignée, même de précaution. Mais venons à la réponse directe, & combattons l'objection par les principes même qu'elle suppose.
Quiconque expose sa vie sans nécessité, péche, ditesvous, contre la niorale. Or celui qui se soumet à l'inoculation, expose sa vie sans nécessité. Donc celui qui se soumet à l'inoculation, péche contre la morale. Voilà l'argument dans toute sa force, & dans la forme rigoureuse de l'école. Examinons - en toutes les propositions.
Il n'est pas besoin de faire remarquer que votre principe qu'il n'est pas permis d'exposer sa vie sans nécessité, a besoin d'être restraint pour être vrai. La morale ne défend pas à un homme charitable de visiter des malades dans un tems de contagion, de sé<pb-> [p. 766]
Treizieme objection. Quelque petit que puisse être le risque de l'inoculation, ne fût - il que d'un sur mille, un pere y doit - il exposer son fils? Si l'opération n'eût jamais été suivie d'aucun accident, le pere ne balanceroit pas, mais il sait qu'il en arrive quelquefois. Il craint que son fils ne soit la victime d'un malheureux hasard. Peut - on le blâmer de ne vouloir rien risquer? C'est à ce pere si tendre & si craintif que s'adresse M. de la Condamine, dont nous emprunterons les expressions.
Voilà cent enfans, & votre fils est du nombre.
On les partage en deux classes. Cinquante vont
être inoculés, les cinquante autres attendront l'évenement.
Des cinquante premiers, aucun ne mourra;
mais par le plus malheureux des hasards, il
seroit possible qu'il en mourût un: sur les cinquante
restans, la petite vérole se choisira six victimes
au moins, & plusieurs autres seront défigurés.
Il faut que votre fils entre absolument dans
l'une de ces deux classes. Si vous l'aimez, le laisserez - vous dans la seconde? Hasarderez - vous six,
au lieu d'un, sur cette vie si précieuse, vous qui
ne voulez rien hasarder du tout »?
Mais quel seroit le desespoir de ce pere, si malgré
des espérances si flateuses, son fils venoit à
succomber sous l'épreuve de l'inoculation?
M. de la Condamine présente diverses images pour rendre plus sensible à ses lecteurs la différence des risques des deux petites véroles. Voici les plus frappantes:
Tel est le sort de l'humanité: plus d'un tiers
de ceux qui naissent sont destinés à périr la premiere
année de leur vie par des maux incurables
ou du moins inconnus: échappés à ce premier
danger, le risque de mourir de la petite vérole
devient pour eux inévitable; il se répand sur tout
le cours de la vie, & croît à chaque instant. C'est
une loterie forcée, où nous nous trouvons intéressés
malgré nous: chacun de nous y a son billet:
plus il tarde à sortir de la roue, plus le danger
augmente. Il sort à Paris, année commune, quatorze
cens billets noirs, dont le lot est la mort.
Que fait - on en pratiquant l'inoculation? On change
les conditions de cette loterie; on diminue le
nombre des billets funestes: un de sept, & dans
les climats les plus heureux, un sur dix étoit fatal;
il n'en reste plus qu'un sur trois cens, un sur cinq
cens; bien - tôt il n'en restera pas un sur mille;
nous en avons déja des exemples. Tous les siecles
à venir envieront au nôtre cette découverte: la
nature nous décimoit, l'art nous millésime ».
A qui appartient - il de décider la question: si l'inoculation en général est utile & salutaire?
Les Medecins d'un côté, les Théologiens de l'autre, ont prétendu que l'inoculation étoit de leur compétence. Essayons de reconnoître & de fixer les bornes du ressort de ces deux jurisdictions dans la question présente.
Parmi ceux qui sont tentés, sur le bruit public, d'éprouver l'efficacité de la petite vérole artificielle; les uns pour se déterminer, consultent leur mededecin, les autres leur confesseur. Pour savoir à qui l'on doit s'adresser, il faut fixer l'état de la question.
Si l'inoculation n'eût jamais été pratiquée, & si
quelqu'un proposoit d'en faire le premier essai, cette
idée ne pourroit manquer de paroître singuliere,
bisarre, révoltante, le succès très - douteux, l'expérience
téméraire & dangereuse. Le medecin faute
de faits pour s'appuyer ne pourroit former que des
conjectures vagues, peu propres à rassurer la conscience
délicate d'un théologien charitable qui craindroit
de se jouer de la vie des hommes. Peut - être le
medecin & le théologien s'accorderoient - ils à ne
pas même trouver de motifs suffisans pour tenter cet
essai sur des criminels. Aujourd'hui que nous avons
depuis 40 ans sous les yeux mille & mille expériences
dans toutes sortes de climats, sur des sujets de
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