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INFINITIF (Page 8:704)
INFINITIF, adj. (Gramm.) le mode infinitif est un des objets de la Grammaire, dont la discussion a occasionné le plus d'assertions contradictoires, & laissé subsister le plus de doutes; & cet article deviendroit immense, s'il falloit y examiner en détail tout ce que les Grammairiens ont avancé sur cet objet. Le plus court, & sans doute le plus sûr, est d'analyser la nature de l'infinitif, comme si personne n'en avoit encore parlé: en ne posant que des principes solides, on parvient à mettre le vrai en évidence, & les objections sont prévenues ou résolues.
Les inflexions temporelles, qui sont exclusivement
propres au verbe, en ont été regardées par
Scaliger comme la différence essentielle: tempus autem
non videtur esse affectus verbi, sed differentia formalis,
propter quam verbum ipsum verbum est. (De Caus.
L. L. lib. V. cap. cxxj.) Cette considération, très solide
en soi, l'avoit conduit à définir ainsi cette
partie d'oraison: verbum est nota rei sub tempore, ibid.
110. Scaliger touchoit presque au but, mais il l'a
manqué. Les tems ne constituent point la nature du
verbe; autrement il faudroit dire que la langue franque,
qui est le lien du commerce des Echelles du
Levant, est sans verbe, puisque le verbe n'y reçoit
aucun changement de terminaisons; mais les tems
supposent nécessairement dans la nature du verbe
une idée qui puisse servir de fondement à ces métamorphoses,
& cette idée ne peut être que celle de
l'existence, puisque l'existence successive des êtres
est la seule mesure du tems qui soit à notre portée,
comme le tems devient à son tour la mesure de l'existence
successive. Voyez
Or cette idée de l'existence se manifeste à l'infinitif par les différences caractéristiques des trois especes
générales de tems, qui sont le présent, le prétérit
& le futur; par exemple, amare (aimer) en est
le présent; amavisse (avoir aimé) en est le prétérit;
& amassere (devoir aimer), selon le témoignage
& les preuves de Vossius (Analog. III. 17.) en
est l'ancien futur, auquel on a substitué depuis des
futurs composés, amaturum esse, amaturum fuisse,
plus analogues aux futurs des modes personnels;
voyez
Il faut donc conclure que l'essence du verbe se trouve à l'infinitif comme dans les autres modes, & que l'infinitif est véritablement verbe: verbum autem esse, verbi definitio clamat; significat enim rem sub tempore. (Scalig. ibid. 117.) Si Sanctius & quelques autres Grammairiens ont cru que les inflexions temporelles de l'infinitif pouvoient s'employer indistinctement les unes pour les autres; si quelques - uns en ont conclu qu'à la rigueur il ne pouvoit pas se dire que l'infinitif eût des tems différens, ni par conséquent qu'il fût verbe, c'est une erreur évidente, & qui prouve seulement que ceux qui y sont tombés n'avoient pas des tems une notion exacte. Un mot suffit sur ce point: si les inflexions temporelles de l'infinitif peuvent se prendre sans choix les unes pour les autres, l'infinitif ne peut pas se traduire avec as<cb->
Il semble qu'une fois assûré que l'infinitif a en soi la nature du verbe, & qu'il est une partie essentielle de sa conjugaison, on n'a plus qu'à le compter entre les modes du verbe. Il se trouve pourtant des Grammairiens d'une grande réputation & d'un grand mérite, qui en avouant que l'infinitif est partie du verbe, ne veulent pas convenir qu'il en soit un mode; mais malgré les noms imposans des Scaliger, des Sanctius, des Vossius, & des Lancelot, j'oserai dire que leur opinion est d'une inconséquence surprenante dans des hommes si habiles; car enfin, puisque de leur aveu même l'infinitif est verbe, il présente apparemment la signification du verbe sous un aspect particulier, & c'est sans doute pour cela qu'il a des inflexions & des usages qui lui sont propres, ce qui suffit pour constituer un mode dans le verbe, comme une terminaison différente avec une destination propre suffit pour constituer un cas dans le nom; mais quel est cet aspect particulier qui caractérise le mode infinitif?
Cette question ne peut se résoudre que d'après les
usages combinés des langues. L'observation la plus
frappante qui en résulte, c'est que dans aucun idiome
l'infinitif ne reçoit ni inflexions numériques, ni
inflexions personnelles; & cette unanimité indique
si sûrement le caractere différentiel de ce mode, sa
nature distinctive, que c'est de - là, selon Priscien
(lib. VIII. de modis.), qu'il a tiré son nom: unde &
nomen accepit
Les inflexions numériques & les personnelles ont,
dans les modes où elles sont admises, une destination
connue; c'est de mettre le verbe, sous ces aspects,
en concordance avec le sujet dont il énonce
un jugement. Cette concordance suppose identité,
entre le sujet déterminé avec lequel s'accorde le verbe,
& le sujet vague présenté par le verbe sous l'idée
de l'existence (voyez
Si donc l'infinitif ne reçoit dans aucune langue ni inflexions numériques, ni inflexions personnelles, c'est qu'il est dans la nature de ce mode de n'être jamais appliqué à un sujet précis & déterminé, & de conserver invariablement la signification générale & originelle du verbe. Il n'y a plus qu'à suivre le cours des conséquences qui sortent naturellement de cette vérité.
I. Le principal usage du verbe est de servir à l'expression du jugement intérieur, qui est la perception de l'existence d'un sujet dans notre esprit sous tel ou tel attribut (s'Gravesande, Introd. à la philos. II. vij.); ainsi le verbe ne peut exprimer le jugement qu'autant qu'il est appliqué au sujet universel ou particulier, ou individuel, qui existe dans l'esprit, c'est - à - dire à un sujet déterminé. Il n'y a donc que les modes personnels du verbe qui puissent constituer la proposition; & le mode infinitif, ne pouvant par sa nature être appliqué à aucun sujet déterminé, ne peut énoncer un jugement, parce que tout jugement suppose un sujet déterminé. Les usages des langues nous apprennent que l'infinitif ne fait dans la proposition que l'office du nom. L'idée abstraite de l'existence intellectuelle sous un attribut, est la seule idée déterminative du sujet vague présenté par l'in - [p. 705]
Dans les langues modernes de l'Europe, cette espece
de nom est employée comme les autres noms
abstraits, & sert de la même maniere & aux mêmes
fins. 1°. Nous l'employons comme sujet ou grammatical,
ou logique. Nous disons,
Quoique la langue grecque ait donné des cas aux
autres noms, elle n'a pourtant point assujetti ses infinitifs à ce genre d'inflexion; mais les rapports à
l'ordre analytique que les cas désignent dans les autres
noms, sont indiqués pour l'infinitif par les cas
de l'article neutre dont il est accompagné, de même
que tout autre nom neutre de la même langue; ainsi
les Grecs disent au nominatif & à l'accusatif
La différence qu'il y a donc à cet égard entre la langue grecque & la nôtre, c'est que d'une part l'infinitif est souvent accompagné de l'article, & que de l'autre il n'est que bien rarement employé avec l'article. Cette différence tient à celle des procédés des deux langues en ce qui concerne les noms.
Nous ne faisons usage de l'article que pour déterminer
l'étendue de la signification d'un nom appellatif,
soit au sens spécifique, soit au sens individuel;
ainsi quand nous disons les hommes sont mortels, le
nom appellatif homme est déterminé au sens spécifique;
& quand nous disons le roi est juste, le nom appellatif
roi est déterminé au sens individuel. Jamais
nous n'employons l'article avant les noms propres,
parce que le sens en est de soi - même individuel;
peut - être est - ce par une raison contraire que nous
ne l'employons pas avant les infinitifs, précisément
parce que le sens en est toûjours spécifique:
Les Grecs, au contraire, qui emploient souvent l'article par emphase, même avant les noms propres (Voyez la méth. gr. de P. R. liv. VIII. ch. jv.), sont dans le cas d'en user de même avant les infinitifs. D'ailleurs l'inversion autorisée dans cette langue, à cause des cas qui y sont admis, exige quelquefois que les rapports de l'infinitif à l'ordre analytique y soient caractérisés d'une maniere non équivoque: les cas de l'article attaché à l'infinitif sont alors les seuls signes que l'on puisse employer pour cette désignation. Nous, au contraire, qui suivons
La langue latine qui, en admettant aussi l'inversion,
n'avoit pas le secours d'un article déclinable
pour marquer les relations de l'infinitif à l'ordre analytique,
avoit pris le parti d'assujettir ce verbenom
aux mêmes métamorphoses que les autres noms,
& de lui donner des cas. Il est prouvé (article
L'infinitif proprement dit se trouve néanmoins dans
les auteurs, employé lui - même pour différens cas.
Au nominatif: virtus est vitium
II. Une autre conséquence importante de l'indéclinabilité
de l'infinitif, c'est qu'il est faux que dans
l'ordre analytique il ait un sujet, que l'usage de la
langue latine met à l'accusatif. C'est pourtant la
doctrine commune des Grammairiens les plus célebres
& les plus philosophes; & M. du Marsais l'a
enseignée dans l'Encyclopédie même, d'après la
méthode latine de P. R. Voyez
Puisque dans aucune langue l'infinitif ne reçoit
aucune des terminaisons relatives à un sujet; il semble
que ce soit une conséquence qui n'auroit pas dû
échapper aux Grammairiens, que l'infinitif ne doit
point se rapporter à un sujet. Ce principe se confirme
par une nouvelle observation; c'est que l'infinitif est un véritable nom, qui est du genre neutre
en grec & en latin, qui dans toutes les langues est
employé comme sujet d'un verbe, ou comme complément,
soit d'un verbe, soit d'une préposition,
avec lequel enfin l'adjectif se met en concordance
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