ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"688"> dire, dépendant & n'existant que par la volonté du créateur. J'ose dire que si l'on fait attention à la maniere dont nous parvenons à la connoissance des choses placées hors de nous, on pourra assurer que toutes les sciences contingentes sont fondées sur l'analogie: quelle preuve a - t - on de l'existence des autres hommes? L'induction. Je sens que je pense; je vois que je suis étendu; je conçois que je suis un composé de deux substances, le corps & l'ame; ensuite je remarque hors de moi des corps semblables au mien; je leur trouve les mêmes organes, du sentiment, des mouvemens comme à moi; je vis, ils vivent; je me meus, ils se meuvent; je parle, ils parlent; je conclus que comme moi ce sont des êtres composés d'ame & de corps, des hommes en un mot. Lorsque nous voulons rechercher les propriétés de l'ame, étudier sa nature, ses inclinations, ses mouvemens, que fait - on autre chose que descendre en soi - même, chercher à se connoître, examiner son entendement, sa liberté, sa volonté, & conclure par cette seule induction, que ces mêmes facultés se trouvent dans les autres hommes, sans autre différence que celle que les actes extérieurs leur prêtent.

En Physique, toutes nos connoissances ne sont fondées que sur l'analogie: si la ressemblance des effets ne nous mettoit pas en droit de conclure à la ressemblance des causes, que deviendroit cette science? Faudroit - il chercher la cause de tous ces phénomenes sans exception? Cela seroit - il possible? Que deviendroit la Médecine & toutes les branches pratiques de la Physique sans ce principe d'analogie? Si les mêmes moyens mis en oeuvre dans les mêmes cas ne nous permettoient pas d'espérer les mêmes succès, comment s'y prendre pour la guérison des maladies? Que conclure de plusieurs expériences, d'un grand nombre d'observations?

Enfin l'usage de l'induction est encore plus sensible dans les sciences qui dépendent uniquement de la volonté & de l'institution des hommes. Dans la Grammaire, malgré la bizarrerie des langues, on y remarque une grande analogie, & nous sommes naturellement portés à la suivre, ou si l'usage va contre l'analogie, cela est regardé comme irrégularité; ce qu'il est bon de remarquer pour s'assurer de ce que l'on a déja dit, que l'analogie n'est pas un guide si certain qu'il ne puisse se tromper quelquefois.

Dans cette partie de la jurisprudence, qui est toute fondée sur les moeurs & les usages des nations, ou qui est de l'institution libre des sociétés, on voit régner aussi la même analogie. Rarement arrive - t - il que tout soit si bien, si universellement réglé dans la constitution des états, qu'il n'y ait quelquefois conflit entre les diverses puissances, les divers corps, pour savoir auquel appartient telle ou telle attribution; & ces questions, sur lesquelles nous supposons la loi muette, comment se décident - elles, que par l'analogie? Les jurisconsultes romains ont poussé ce principe très - loin; & c'est en partie par cette attention à le suivre, qu'ils ont rendu leur jurisprudence si belle, qu'elle a mérité le nom de raison écrite, & qu'elle a été presqu'universellement adoptée de tous les peuples.

Il n'y a donc, dira - t - on, que simple probabilité dans toutes nos connoissances, puisqu'elles sont toutes fondées sur l'analogie, qui ne donne point de vraie démonstration. Je réponds qu'il faut en excepter au moins les sciences nécessaires, dans lesquelles l'induction est simplement utile pour découvrir les vérités qui se démontrent ensuite. J'ajoute que quant à nos autres connoissances, s'il manque quelque chose à la certitude parfaite, nous devons nous contenter de notre sort, qui nous permet de parvenir, au moyen de l'analogie, à des vraissemblances telles que quiconque leur refuse son con<cb-> sentement, ne sauroit éviter le reproche d'une délicatesse excessive, d'une très - grande imprudence, & souvent d'une insigne folie.

Mais ne nous en tenons pas - là; voyons sur quoi est fondée la confiance que nous devons donner à la preuve d'induction; examinons sur quelle autorité l'analogie vient se joindre aux sens & au témoignage pour nous conduire à la connoissance des choses; & c'est ici la partie la plus intéressante de cet article.

En faisant passer en revûe les trois classes de sciences que nous avons établies, commençons par celles dont l'objet est arbitraire, ou fondé sur la volonté libre des hommes: il est aisé d'y appercevoir le principe de la preuve d'analogie. C'est le goût que nous avons naturellement pour le beau, qui consiste dans un heureux mélange d'unité & de variété: or l'unité ou l'uniformité, & c'est ici la même chose, emporte l'analogie, qui n'est qu'une entiere uniformité entre des choses déja semblables à plusieurs égards. Ce goût naturel pour l'analogie se découvre dans tout ce qui nous plaît: l'esprit lui - même n'est qu'une heureuse facilité à remarquer les ressemblances, les rapports. L'Architecture, la Peinture, la Sculpture, la Musique, qui sont les arts dont l'objet est de plaire, ont toutes leurs regles fondées sur l'analogie. Qu'y avoit - il donc de plus naturel que de fuir la bizarrerie & le caprice, de faire régner l'analogie dans toutes les sciences dont la constitution dépend de notre volonté? Dans la Grammaire, par exemple, ne doiton pas supposer que les inventeurs des langues, & ceux qui les ont polies & perfectionnées, se sont plûs à suivre l'analogie & à en fixer les lois? On pourra donc décider les questions grammaticales avec quelque certitude en consultant l'analogie? Ajoutons, pour remonter à la source de ce goût pour l'uniformité, que sans elle les langues seroient dans une étrange confusion; si chaque nom avoit sa déclinaison particuliere, chaque verbe sa conjugaison; si le régime & la syntaxe varioient sans regle générale, quelle imagination assez forte pourroit saisir toutes ces différences? Quelle mémoire seroit assez fidelle pour les retenir? L'analogie dans les sciences arbitraires est donc fondée également & sur notre goût & sur la raison.

Mais elle nous trompe quelquefois; c'est que les langues, pour me servir du même exemple, étant formées par l'usage, & souvent par l'usage de ceux dont le goût n'est pas le meilleur ni le plus sûr, se ressentent en quelque chose du goût que nous avons aussi pour la variété, ou bien l'on viole les lois de l'analogie pour éviter certains inconvéniens qui naîtroient de leur observation, comme quelques prononciations rudes qu'on n'a pu se résoudre à admettre: c'est ainsi que nous disons son ame, son épée, au lieu de sa ame, sa épée; & si l'on y prend garde, on trouvera souvent dans la variété la plus grande une analogie plus grande qu'on ne s'y attendoit: l'exemple cité en fournit la preuve. Puisque c'est le créateur lui - même qui nous a donné ce sentiment de la beauté & ce goût pour l'analogie, sans doute il a voulu orner ce magnifique théâtre de l'univers de la maniere la plus propre à nous plaire, à nous qu'il a destinés à en être les spectateurs. Il a voulu que tout s'y présentât à nos yeux sous l'aspect le plus convenable, le plus beau, le plus parfait: je parle de ce qui sort immédiatement de ses mains, sans être gâté par la malice des hommes. Dès lors il a dû ordonner que l'uniformité & l'analogie s'y montrassent dans tout leur jour; que les propositions, l'ordre, l'harmonie y fussent exactement observées; que tout fût reglé par des loix générales, simples, en petit nombre, mais universelles & fécondes en effets merveilleux: c'est aussi ce que nous observons & ce qui [p. 689] fonde la preuve d'analogie dans les sciences dont l'objet est contingent.

Ainsi tout est conduit par les lois du mouvement, qui partent d'un seul principe, mais qui se diversifient à l'infini dans leurs effets; & dès qu'une observation attentive des mouvemens des corps nous a appris quelles sont ces lois, nous sommes en droit de conclure par analogie que tous les évenemens naturels arrivent & arriveront d'une maniere conforme à ces lois.

Le grand maître du monde ne s'est pas contenté d'établir des lois générales, il s'est plû encore à fixer des causes universelles. Quel spectacle à l'esprit observateur qu'une multitude d'effets qui naissent tous d'une même cause! Voyez que de choses différentes produisent les rayons que le soleil lance sur la terre; la chaleur qui ranime, qui conserve nos corps, qui rend la terre féconde, qui donne aux mers, aux lacs, aux rivieres, aux fontaines leur fluidité; la lumiere qui récrée nos yeux, qui nous fait distinguer les objets, qui nous donne des idées nettes de ceux qui sont les plus éloignés. Sans ces rayons point de vapeurs, point de pluies, point de fontaines, point de vents. Les plantes & les animaux destitués d'alimens, périroient en naissant, ou plûtôt ne naîtroient point du tout; la terre entiere ne seroit qu'une masse lourde, engourdie, gelée, sans variété, sans fécondité, sans mouvement.

Voyez encore combien d'effets naissent du seul principe de la pesanteur universelle; elle retient les planetes dans la carriere qu'elles parcourent autour du soleil, comme autour de leur centre particulier; elle réunit les différentes parties de notre globe; elle artache sur sa surface les villes, les rochers, les montagnes; c'est à elle qu'il faut attribuer le flux & reflux de la mer, le cours des fleuves, l'équilibre des liqueurs, tout ce qui dépend de la pesanteur de l'air, comme l'entretien de la flamme, la respiration & la vie des animaux.

Mais ce n'est pas seulement pour nos plaisirs & pour satisfaire notre goût que Dieu a créé ce monde harmonique & reglé par les lois sages de l'analogie, c'est sur - tout pour notre utilité & notre conservation. Supposez qu'on ne puisse rien conclure d'une induction, que ce raisonnement soit frivole & trompeur, je dis qu'alors l'homme n'auroit plus de regle de conduite & ne sauroit vivre. Car si je n'ose plus faire usage de cet aliment que j'ai pris cent fois avec succès pour la conservation de ma vie, de peur que ces effets ne soient plus les mêmes, il faudra donc mourir de faim. Si je n'ose me fier à un ami dont j'ai reconnu en cent occasions le caractere sûr, parce que peut - être il aura changé sans cause apparente du soir au matin, comment me conduire dans le monde? Il seroit aisé d'accumuler ici les exemples. En un mot, si le cours de la nature n'étoit pas réglé par des lois générales & uniformes, par des causes universelles; si les mêmes causes n'étoient pas ordinairement suivies des mêmes effets, il seroit absurde de se proposer une maniere de vivre, d'avoir un but, de chercher les moyens d'y parvenir; il faudroit vivre au jour le jour, & se reposer entierement de tout sur la providence. Or ce n'est pas - là l'intention du créateur, cela est manifeste; il a donc voulu que l'analogie régnât dans ce monde & qu'elle nous servît de guide.

S'il arrive que l'analogie nous induise quelquefois en erreur, prenons - nous - en à la précipitation de nos jugemens & à ce goût pour l'analogie, qui souvent nous fait prendre la plus légere ressemblance pour une parité parfaite. Les conclusions universelles sont admises par préférence, sans faire attention aux conditions nécessaires pour les rendre telles, & en négligeant des circonstances qui dérangeroient cette analogie que nous nous efforçons d'y trouver. Il faut observer aussi que le créateur a voulu que ses ouvrages eussent le mérite de la variété ainsi que celui de l'uniformité, & que nous nous trompons ainsi en n'y cherchant que ce dernier.

Il nous reste à examiner la probabilité qui résulte de l'induction dans les sciences nécessaires. Ici les principes de beauté & de goût ne sont point admissibles, parce que la vérité des propositions qu'elles renferment ne dépend point d'une volonté libre, mais est fondée sur la nature des choses. Il faudroit donc, comme nous l'avons déja dit, abandonner la preuve d'analogie, puisque l'on peut en avoir de plus sûres; mais dès qu'elle n'est pas sans force, cherchons d'où elle peut venir.

Dans les sujets nécessaires, tout ce que l'on y considere est essentiel; les accidens ne sont comptés pour rien. Ce que l'esprit envisage est une idée abstraite dont il forme l'essence à son gré par une définition, & dont il recherche uniquement ce qui découle de cette essence, sans s'arrêter à ce que des causes extérieures ont pu y joindre. Un géometre, par exemple, ne considere dans le quarré précisément que sa figure; qu'il soit plus grand ou plus petit, il n'y fait aucune attention; il ne s'attache qu'à ce qu'il peut déduire de l'essence de cette figure, qui consiste dans l'égalité parfaite de ses quatre côtés & de ses quatre angles. Mais il n'est pas toujours aisé de tirer de l'essence d'un être mathématique ou métaphysique tout ce qui en découle: ce n'est quelquefois que par une longue chaîne de conséquences, ou par une suite laborieuse de raisonnemens, qu'on peut faire voir qu'une propriété dépend de l'essence attribuée à une chose. Je suppose qu'examinant plusieurs quarrés ou plusieurs triangles différens, je leur trouve à tous une même propriété, sans qu'aucun exemple contraire vienne s'offrir à moi, je présume d'abord que cette propriété est commune à toutes ces figures, & je conclus avec certitude que si cela est, elle doit découler de leur essence. Je tâche de trouver comment elle en dérive; mais si je ne peux en venir à bout, dois - je conclure de - là que cette propriété ne leur est pas essentielle? Non assurément; mais que j'ai la vûe fort bornée, ou qu'elle n'en découle que par un si long circuit de raisonnemens, que je ne suis pas capable de le suivre jusqu'au bout. Il reste donc douteux si cette propriété, que l'expérience m'a découverte dans dix triangles, par exemple, appartient à l'essence générale du triangle, auquel cas ce seroit une propriété universelle qui conviendroit à tous les triangles, ou si elle découle de quelque qualité particuliere à une sorte de triangles, & qui par un hasard très - singulier, se trouveroit appartenir à ces dix triangles sur lesquels j'en ai fait l'essai. Or il est aisé de concevoir que si ces dix triangles sont faits différens les uns des autres, ils n'ont vraissemblablement d'autre propriété commune que celle qui appartient à tous les triangles en général; c'est - à - dire qu'ils ne se ressemblent en rien, qu'en ce que les uns & les autres sont des figures qui ont trois côtés: du moins cela est très - vraissemblable; & cela le devient d'autant plus, que l'expérience faite sur ces triangles a été plus souvent répétée, & sur des triangles plus différens. Dès - lors il est aussi très vraissemblable que la propriété que l'on examine découle non de quelque propriété commune à ces dix triangles mis en épreuve, mais de l'essence générale de tous les triangles; il est donc très - vraissemblable qu'elle convient à tous les triangles, & qu'elle est elle - même une propriété commune & essentielle.

Ce même raisonnement peut s'appliquer à tous les cas semblables; d'où il suit 1°. que la preuve d'analogie est d'autant plus forte & plus certaine, que l'expérience est poussée plus loin, & que l'on l'ap<pb->

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