ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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INDE, l (Page 8:660)

INDE, l'(Géog. anc. & moderne.) les anciens [p. 661] donnerent d'abord ce nom au pays situé sur le grand fleuve Indus en Asie; & c'est la seule Inde des anciens proprement dite. Ils la diviserent ensuite en Inde en - deçà du Gange, India intrà Gangem, & en Inde au - delà du Gange, India extrà Gangem.

Je n'ai garde d'entrer dans le détail des peuples & des villes que Ptolomée & les autres géographes mettent dans les Indes en - deçà & en - delà du Gange. Ce détail seroit d'autant plus inutile, qu'ils n'en avoient qu'une idée très - confuse, & que les cartes dressées exactement d'après les positions de Ptolomée, nous montrent cette partie du monde très différemment de son véritable état; Cellarius a fait un abrégé du tout, qu'on peut consulter.

Cependant il importe de remarquer ici que les anciens ont quelquefois nommé Indiens, les peuples de l'Ethiopie; un seul vers le prouveroit.

Ultrà Garamantas & Indos Proferet imperium.

Ce vers est de Virgile, en parlant d'Auguste, qui ayant effectivement conquis quelques villes d'Ethiopie, obligea ces peuples à demander la paix par des ambassadeurs. De plus, Elien met aussi des indiens auprès des Garamantes dans la Lybie; & pour tout dire, l'Ethiopie est nommée Inde dans Procope.

Mais les Indiens dont parle Xénophon dans sa Cyropédie, ne sont point les peuples de l'Inde proprement dite, qui habitoient entre l'Indus & le Gange, ni les Ethiopiens de Virgile, d'Elien, & de Procope; ce sont encore d'autres nations qu'il faut chercher ailleurs. M. Freret croit que ce sont les peuples de Colchos & de l'Ibérie. Voyez ses raisons dans les Mém. des Belles - Lettres, Tome VIII.

Pour les Indiens de Cornélius Népos jettés par la tempête sur les côtes de Germanie, si le fait est vrai, ce ne seront vraissemblablement que des Norvégiens ou des Lapons, qui navigeant ou pêchant sur le golphe Bothnique, furent poussés par la tempête dans la mer Baltique, vers la côte méridionale. Leur couleur étrangere, la simplicité des Germains chez lesquels ils aborderent, l'ignorance où l'on étoit alors de la Géographie du Nord & du Levant, purent les faire passer pour Indiens. On donnoit ce nom aux étrangers venus des régions inconnues; & même par le manque de lumieres, sur le rapport de l'Amérique avec les Indes, ne lui a - t - on pas donné le nom d'Indes occidentales?

Ce ne fut que sous le regne d'Auguste que l'on poussa la navigation vers le nord de la Germanie, jusqu'à la Chersonnese cimbrique qui est le Jutland. Ce fut aussi seulement sous cet empereur, que la navigation d'Egypte aux Indes commença à se régler; alors Gallus gouverneur du pays, fit partir pour les Indes, une flote marchande de 120 navires, du port de la Souris, MUO\S2 OR(ROS2, aujourd'hui Casir, sur la mer Rouge. Les Romains flatés par le profit immense qu'ils retiroient de ce trafic, & affriandés à ces belles & riches marchandises qui leur revenoient pour leur argent, cultiverent avidement ce négoce, & s'y ruinerent. Tous les peuples qui ont négocié aux Indes, y ont toûjours apporté de l'or, & en ont rapporté des marchandises.

Quoiqu'on sache assez que ce commerce n'est pas nouveau, néanmoins c'est un sujet sur lequel M. Huet mérite d'être lû, parce qu'il l'a traité savamment & méthodiquement, soit pour les tems anciens, soit pour le moyen âge.

Darius 509 ans avant J. C. réduisit l'Inde sous sa domination, en fit la douzieme préfecture de son empire, & y établit un tribut annuel de 360 talens euboïques; ce qui, suivant la supputation la plus modérée, montoit à environ un million quatre - vingt - quinze mille livres sterlings. Voilà pourquoi Alexandre vengeur de la Grece, & vainqueur de Darius, poussa sa conquête jusques aux Indes, tributaires de son ennemi. Après les successeurs d'Alexandre, les Indiens vécurent assez long - tems dans la liberté & dans la mollesse qu'inspire la chaleur du climat & la richesse de la terre; mais nous n'avons connu l'histoire & les révolutions de l'Inde, que depuis la découverte qui a porté facilement nos vaisseaux dans ce beau pays.

Personne n'ignore que sur la fin du xv. siecle, les Portugais trouverent le chemin des Indes orientales, par ce fameux cap des Tempêtes, qu'Emmanuel roi de Portugal nomma cap de Bonne - Espérance; & ce nom ne fut point trompeur. Vasco de Gama eut la gloire de le doubler le premier en 1497, & d'aborder par cette nouvelle route dans les Indes orientales, au royaume de Calicut.

Son heureux voyage changea le commerce de l'ancien monde, & les Portugais en moins de 50 ans, furent les maîtres des richesses de l'Inde. Tout ce que la nature produit d'utile, de rare, de curieux, d'agréable, fut porté par eux en Europe: la route du Tage au Gange fut ouverte; Lisbonne & Goa fleurirent. Par les mêmes mains les royaumes de Siam & de Portugal devinrent alliés; on ne parloit que de cette merveille en Europe, & comment n'en eût - on pas parlé? Mais l'ambition qui anima l'industrie des hommes à chercher de nouvelles terres & de nouvelles mers, dont on espéroit tirer tant d'avantages, n'a pas été moins funeste que l'ambition humaine à se disputer, ou à troubler la terre connue.

Cependant jouissons en philosophes du spectacle de l'Inde, & portant nos yeux sur cette vaste contrée de l'orient, considérons l'esprit & le génie des peuples qui l'habitent.

Les Sciences étoient peut - être plus anciennes dans l'Inde que dans l'Egypte; le terrain des Indes est bien plus beau, plus heureux, que le terrain voisin du Nil: le sol qui d'ailleurs y est d'une fertilité bien plus variée, a dû exciter davantage la curiosité & l'industrie. Les Grecs y voyagerent avant Alexandre pour y chercher la science. C'est - là que Pythagore puisa son système de la métempsycose; c'est - là que Pilpay, il y a plus de deux mille ans, renferma ses leçons de morale dans des fables ingénieuses, qui devinrent le livre d'état d'une partie de l'Indoustan. Voyez Fabuliste.

C'est chez les Indiens qu'a été inventé le savant & profond jeu d'échecs; il est allégorique comme leurs fables, & fournit comme elles des leçons indirectes. Il fut imaginé pour prouver aux rois que l'amour des sujets est l'appui du trone, & qu'ils font sa force & sa puissance. Voyez Echecs (jeu des).

C'est aux Indes que les anciens gymnosophistes vivans dans une liaison tendre de moeurs & de sentimens, s'éclairoient des Sciences, les enseignoient à la jeunesse, & jouissoient de revenus assurés, qui les laissoient étudier sans embarras. Leur imagination n'étoit subjuguée, ni par l'éclat des grandeurs, ni par celui des richesses. Alexandre fut curieux de voir ces hommes rares; ils vinrent à ses ordres; ils refuserent ses présens, lui dirent qu'on vivoit à peu de frais dans leurs retraites, & qu'ils étoient affligés de connoître un si grand prince, occupé de la funeste gloire de désoler le monde.

L'Astronomie, changée depuis en Astrologie, a été cultivée dans l'Inde de tems immémorial; on y divisa la route du soleil en douze parties; leur année commençoit quand le soleil entroit dans la constellation que nous nommons le Bélier; leurs semaines furent toûjours de sept jours, & chaque jour porta le nom d'une des sept planetes.

L'Arithmétique n'y étoit pas moins perfectionnée; les chiffres dont nous nous servons, & que les Ara<pb-> [p. 662] bes ont apportés en Europe du tems de Charlemagne, nous viennent de l'Inde.

Les idées qu'ont eu les Indiens d'un Etre infiniment supérieur aux autres divinités, marquent au moins qu'ils n'adoroient autrefois qu'un seul Dieu, & que le polithéisme ne s'est introduit chez eux, que de la maniere dont il s'est introduit chez tous les peuples idolâtres. Les Bramines successeurs des Brachmanes, qui l'étoient eux - mêmes des gymnosophistes, y ont répandu l'erreur & l'abrutissement; ils engagent quand ils peuvent les femmes à se jetter dans des buchers allumés sur le corps de leurs maris. Enfin, la superstition & le despotisme y ont étouffé les Sciences, qu'on y venoit apprendre dans les tems reculés.

La nature du climat qui a donné à ces peuples une foiblesse qui les rend timides, leur a donné de même une imagination si vive, que tout les frappe à l'excès. Cette délicatesse, cette sensibilité d'organes, leur fait fuir tous les périls, & les leur fait tous braver.

Par la même raison du climat, ils croient que le repos & le néant sont le fondement de toutes choses, & la fin où elles aboutissent. Dans ces pays où la chaleur excessive accable, le repos est si délicieux, que ce qui réduit le coeur au pur vuide, paroît naturel; & Foé législateur de l'Inde, a suivi ce qu'il sentoit, lorsqu'il a mis les hommes dans un état extrèmement passif.

Ce qu'on peut résumer en général du vaste empire, sous le joug duquel sont les pauvres Indiens, c'est qu'il est indignement gouverné par cent tyrans, soumis à un empereur dur comme eux, amolli comme eux dans les délices, & qui dévore la substance du peuple. Il n'y a point - là de ces grands tribunaux permanens, dépositaires des lois, qui protegent le foible contre le fort. On n'en connoît aucun ni dans l'Indoustan ou le Mogol, ni en Perse, ni au Japon, ni en Turquie; cependant si nous jugeons des autres Indiens par ceux de la presqu'île en - deçà du Gange, nous devons sentir combien un gouvernement modéré seroit avantageux à la nation. Leurs usages & leurs coûtumes, nous présentent des peuples aimables, doux, & tendres, qui traitent leurs esclaves comme leurs enfans, qui ont établi chez eux un petit nombre de peines, & toûjours peu séveres.

L'adresse & l'habileté des Indiens dans les Arts méchaniques, fait encore l'objet de notre étonnement. Aucune nation ne les surpasse en ce genre; leurs orfévres travaillent en filigrame avec une délicatesse infinie. Ces peuples savent peindre des fleurs, & dorer sur le verre. On a des vases de la façon des Indiens propres à rafraîchir l'eau, & qui n'ont pas plus d'épaisseur que deux feuilles de papier collées ensemble. Leur teinture ne perd rien de sa couleur à la lessive; leurs émouleurs fabriquent artistement les pierres à émouler avec de la laque & de l'émeril; leurs maçons carrellent les plus grandes salles d'un espece de ciment qu'ils font avec de la brique pilée & de la chaux de coquillages, sans qu'il paroisse autre chose qu'une seule pierre beaucoup plus dure que le tuf.

Leurs toiles & leurs mousselines sont si belles & si fines, que nous ne nous lassons point d'en avoir, & de les admirer. C'est cependant accroupis au milieu d'une cour, ou sur le bord des chemins, qu'ils travaillent à ces belles marchandises, si recherchées dans toute l'Europe, malgré les lois frivoles des princes pour en empêcher le débit dans leurs états. En un mot, comme le dit l'historien philosophe de ce siecle, nourris des productions de leurs terres, vétus de leurs étoffes, éclairés dans le calcul par les chiffres qu'ils ont trouvés, instruits même par leurs anciennes fables, amusés par les jeux qu'ils ont in<cb-> ventés, nous leur devons des sentimens d'intérêt, d'amour, & de reconnoissance. (D. J.)

Indes (Page 8:662)

Indes, (Géog. mod.) les modernes moins excusables que les anciens ont nommé Indes, des pays si différens par leur position & par leur étendue sur notre globe, que pour ôter une partie de l'équivoque, ils ont divisé les Indes en orientales & occidentales.

Nous avons déja parlé des Indes orientales au mot Inde (l'). Nous ajouterons seulement ici, qu'elles comprennent quatre grandes parties de l'Asie, savoir l'Indoustan, la presqu'île en - deçà du Gange, la presqu'île au - delà du Gange, & les îles de la mer des Indes, dont les principales sont celles de Ceylan, de Sumatra, de Java, de Bornéo, les Celebes, les Maldives, les Moluques, auxquelles on joint communément les Philippines & les îles Mariannes. Lorsqu'il n'est question que de commerce, on comprend encore sous le nom d'Indes orientales, le Tonquin, la Chine, & le Japon; mais à parler juste, ces vastes pays, ni les Philippines, moins encore les îles Mariannes, ne doivent point appartenir aux Indes orientales, puisqu'elles vont au - delà.

Peu de tems après que les Portugais eurent trouvé la route des Indes par le cap de Bonne - Espérance, ils découvrirent le Brésil; & comme on ne connoissoit pas alors distinctement le rapport qu'il avoit avec les Indes, on le baptisa du même nom; on employa seulement pour le distinguer le surnom d'occidentales, parce qu'on prenoit la route de l'Orient en allant aux véritables Indes, & la route d'Occident pour aller au Brésil. De - là vint l'usage d'appeller Indes orientales, ce qui est à l'orient du cap de Bonne - Espérance, & Indes occidentales, ce qui est à l'occident de ce cap.

On a ensuite improprement étendu ce dernier nom à toute l'Amérique; & par un nouvel abus, qu'il n'est plus possible de corriger, on se sert dans les relations du nom d'Indiens, pour dire les Amériquains. Ceux qui veulent parcourir l'histoire ancienne des Indiens pris dans ce dernier sens, peuvent consulter Herréra; je n'ai pas besoin d'indiquer les auteurs modernes, tout le monde les connoît; je dirai seulement que déja en 1602, Théodore de Bry fit paroître à Francfort un recueil de descriptions des Indes orientales & occidentales, qui formoit 18 vol. in - fol. & cette collection complete est recherchée de nos jours par sa rareté.

Le peuple a fait une division qui n'est rien moins que géographique; il appelle grandes Indes, les Indes orientales, & petites Indes, les Indes occidentales. (D. J.)

Indes, Compagnie Françoise des (Page 8:662)

Indes, Compagnie Françoise des (Comm. Droit polit.) Lorsque la France étoit obligée de recevoir des autres nations les marchandises des Indes, c'étoit elle qui fournissoit à la dépense des vaisseaux étrangers qui les lui portoient. Voilà la considération qui engagea M. Colbert, dont le génie se tourna principalement vers le Commerce, à former en 1664. une Compagnie des Indes occidentales, & une autre des Indes orientales. Le Roi donna pour l'établissement de cette derniere plus de six millions de notre monnoie d'aujourd'hui. On invita les personnes riches à s'y intéresser: les reines, les princes, & toute la cour, fournirent deux millions numéraires de ce tems - là; les cours supérieures donnerent douze cens mille livres; les financiers deux millions; le corps des marchands 650 mille livres; en un mot, toute la nation seconda son maître & Colbert.

On conçut d'abord la plus haute idée de cette compagnie orientale, & on en espéra les plus grands succès; mais la mort des plus habiles directeurs envoyés aux Indes, l'infidélité des autres, leurs divisions, la faute de M. Colbert d'avoir confié la ge<pb-> [p. 663] stion à des financiers plus qu'à des négocians, la guerre de 1667 pour les droits de la reine, qui n'étoient rien moins qu'incontestables; celle de 1672 contre la Hollande, que Louis XIV. vouloit détruire, parce qu'elle étoit riche & fiere; la perte des escadres envoyés aux Indes dans ce tems - là; enfin, les guerres ruineuses pour la nation depuis le commencement du siecle jusqu'à la paix d'Utrecht, réduisirent les choses en un tel état, que ce qui a subsisté de cette compagnie, ou plûtôt celles qui se formerent de ses débris en diverses fois jusque en 1719, n'en ont été proprement que l'ombre & le squelete.

Mettons dans ce rang la cession que la Compagnie fit de son commerce & de ses priviléges en 1710 à de riches négocians de S. Malo, qui se chargerent du négoce des Indes orientales, moyennant dix pour cent qu'ils donnoient du total de la vente des marchandises qu'ils en rapportoient. Ce commerce languit d'abord dans leurs mains, & il étoit trop foible pour remplir nos besoins. Il nous falloit toûjours acheter de nos voisins la plus grande partie des marchandises qui venoient en Europe des pays orientaux, servitude onéreuse à l'état, dont Colbert avoit voulu l'affranchir.

Dans cette même vûe, pour profiter des grandes dépenses qui avoient été faites à ce sujet depuis 55 ans, & pour ne pas laisser un si beau dessein sans effet, M. Law, cet illustre écossois, auquel nous devons l'intelligence du commerce, & qui cependant a été chassé de France, & est mort dans la misere à Venise; M. Law, dis - je, qui en Mai 1716, avoit établi une banque générale en France, & une compagnie de commerce, sous le nom de Compagnie d'occident avec des actions, ôta la compagnie des Indes aux Malouins, & réunit cette compagnie au mois de Mai 1719, à celle d'occident. On nomma la nouvelle compagnie, Compagnie des Indes. C'est celle qui subsiste aujourd'hui; & elle est le seul vestige qui nous reste du grand & noble système de M. Law.

Cette réunion fit bien - tôt monter les anciennes actions de la compagnie d'occident, qui n'étoient qu'au pair, à 130 pour cent. La confiance augmentant, on souscrivit en moins d'un mois pour plus de 50 millions d'actions. Par arrêt du 11 Octobre 1719, les 50 millions furent poussés jusqu'à 300 millions. En un mot, pour abréger, il y eut sept créations d'actions, montant à 624 mille, nombre à la vérité prodigieux, mais qui n'auroit pas été au - delà des forces de la compagnie, si elle n'avoit promis un dividende de 200 livres par action; ce qui étoit beaucoup au - dessus de son pouvoir: aussi les actions furent - elles réduites à 200 mille dans la suite.

Cependant le crédit de la Compagnie des Indes, soutenu des progrès de la banque royale, fut si singulier, qu'en Novembre 1719, on vit avec une extrême surprise les actions monter à 10000 livres (vingt fois plus que leur premiere valeur), malgré la compagnie même, qui pour les empêcher de monter, en répandit en une seule semaine pour 30 millions sur la place, sans pouvoir les faire baisser.

Plusieurs causes, comme nous allons le dire d'après M. Dutôt qui a écrit sur ce sujet un livre admirable pour la profondeur & la justesse, contribuerent à cette prodigieuse augmentation. 1°. L'union de la ferme du tabac. 2°. Celle des compagnies. 3°. Celle des monnoies & affinage. 4°. Celle des fermes générales. 5°. Celle des recettes générales. 6°. Le défaut d'emploi des deniers provenans des remboursemens des rentes sur la ville & charges supprimées. 7°. Le prêt de 2500 livres que faisoit la banque sur chaque action, moyennant 2 pour cent par an d'intérêt. 8°. Enfin les gains faits, & le desir d'en faire, porterent les choses à cet excès.

La Compagnie des Indes prêta 160 millions à Sa Majesté pour rembourser pareille somme sur les 2 milliards 62 millions 138 mille livres en principal, que le Roi devoit à son avenement à la couronne. La compagnie retenoit par ses mains sur les revenus de Sa Majesté pour l'intérêt de son prêt, 48 millions, non compris son bénéfice sur les fermes, sur le tabac, sur les monnoies, & sur son commerce des deux Indes; de sorte que ses bénéfices pouvoient égaler sa recette au moment que le nombre de ses actions fut réduit à 200 mille.

Cependant l'union de la banque à cette companie qui devoit ce semble leur servir d'un mutuel appui, devint par la défiance, l'artifice & l'avidité, le terme fatal où commença la décadence de l'une & de l'autre. Les billets de la banque tomberent dans le discrédit, de même que les actions de la compagnie, le 10 Octobre 1720, tems où les billets de banque furent supprimés, & le crédit de l'état bouleversé. La banque périt entierement, & la compagnie des Indes fut prête à être entraînée par sa chûte, si l'on n'avoit fait des efforts depuis 1721 jusqu'en 1725 pour soutenir cette compagnie. Dans ladite année 1725 le Roi donna finalement au mois de Juin deux édits enregistrés au Parlement, l'un portant confirmation des privileges accordés à ladite compagnie pendant les années précédentes, & l'autre sa décharge pour toutes ses opérations passées.

Ce sont les deux principaux édits qui ont fixé l'état & le commerce de cette compagnie sur le pié où elle est. Je ne suivrai point depuis lors jusqu'à ce jour ses prospérités, ses malheurs, ses vicissitudes, ses traverses, ses contradictions, ses emprunts, ses améliorations, & ceux dont elle est encore susceptible. Tout cela n'est point du ressort de cet ouvrage, & d'ailleurs on ne pourroit guere en dire son sentiment sans risquer de déplaire.

Je me contenterai seulement de remarquer que c'est à tort que dans le tems des adversités de cette compagnie, on proposa sa destruction, & l'abolition du commerce des Indes, comme un établissement à charge à l'état; les partisans de l'ancienne économie timide, ignorante & resserrée, déclamoient de même en 1664, ne faisant pas réflexion que les marchandises des Indes devenues nécessaires, seroient payées plus chérement à l'étranger. 2°. Si l'on porte aux Indes orientales plus d'especes qu'on n'en retire, ces especes qui viennent du Pérou & du Méxique, sont le prix de nos denrées portées à Cadix. 3°. Il faut encore considérer ce commerce par rapport aux épiceries, aux drogues, & aux autres choses qu'il nous procure, que nos provinces ne produisent pas, dont nous ne pouvons nous passer, & que nous serions obligés de tirer de nos voisins. 4°. La construction & l'armement de nos vaisseaux qui les vont chercher, se faisant dans le royaume, l'argent qu'on y emploie n'en sort point: il occupe du monde, il éleve des hommes à la mer, c'est un grand avantage pour l'état. Ainsi, bien loin que ce commerce soit à charge à la France, elle ne sauroit trop le protéger & l'augmenter. Il ne détruit point les autres branches de négoce qui n'ont jamais été si florissantes. La quantité de vaisseaux pour l'Amérique est presque triplée depuis la régence. Quelles autres lumieres voulons-nous pour nous éclairer? 5°. Enfin il est de la bonne politique de pouvoir être informé avec certitude de tout ce qui se passe dans les autres parties du monde, à cause des établissemens qu'y ont les autres nations, ce qui ne se peut faire qu'en y commerçant. Le grand Colbert sentoit bien ces avantages, & le gouvernement présent connoît de plus en plus cette nécessité & l'utilité de ce commerce, puisqu'il le protege puissamment.

Concluons que tant que cette compagnie sera [p. 664] soutenue & bien dirigée, elle trouvera toujours en elle - même la consommation de ses retours que nous portons même déja chez nos voisins. Elle a la propriété de Ponticheri qui lui assure le commerce de la côte de Coromandel & de Bengale, les îles de Bourbon & Maurice, la quantité de fonds & de vaisseaux nécessaires, la représentation de ses actions sur la place qui lui font une seconde valeur réelle, circulante, & libre, des fondemens peut - être équivalens à ceux de la compagnie des Indes d'Angleterre, & des établissemens solides, quoique beaucoup moins étendus que ceux de la Compagnie des Indes orientales de Hollande. Enfin ses retours sont très - considérables, puisqu'ils vont présentement (1752) à plus de 24 millions par an. (D. J.)

Indes (Page 8:664)

Indes, (Compagnie Hollandoise des.) Commerce. Il y a en Hollande deux Compagnies des Indes, l'orientale & l'occidentale, dont je vais parler en peu de mots, bien fâché de ne pouvoir m'étendre.

De la Compagnie orientale. Le desespoir & la vengeance, dit M. Savary, & il dit bien vrai, furent les premiers guides qui apprirent le chemin des Indes aux Hollandois, cette nation née pour le commerce. L'Espagne leur ayant fermé tous ses ports, & sous le prétexte de la religion, les persécutant avec une rigueur, pour ne pas dire avec une barbarie extrème, ils entreprirent en 1595 d'aller chercher en Asie le commerce libre & assuré qu'on leur refusoit en Europe, afin d'acquérir des fonds pour entretenir leurs armées, & maintenir leurs privileges & leur liberté.

La nécessité inspira en 1594 à quelques Zélandois encouragés par le P. Maurice, le projet de se frayer une nouvelle route pour la Chine & les Indes orientales par le nord - est, comme on vient de le tenter tout récemment avec quelque vraissemblance de succès; mais d'un côté les froids extrèmes de la nouvelle Zemble, & de l'autre les glaces impénétrables du détroit de Weigatz, ruinerent & rebuterent les escadres qui y furent alors envoyées, de même qu'elles rebuterent les Anglois qui dès l'an 1553 avoient travaillé à la même recherche.

Cependant, tandis que les armateurs de Zélande tentoient inutilement & malheureusement ce passage, d'autres compagnies prirent avec succès en 1595 la route ordinaire des Portugais, pour se rendre en Asie. Cette derniere entreprise fut si heureuse, qu'en moins de sept ans divers particuliers armerent jusqu'à dix ou douze flottes qui presque toutes retournerent avec des profits immenses.

Les états généraux appréhendant que ces diverses compagnies particulieres ne se nuisissent, leurs directeurs furent assemblés, & consentirent à l'union, dont le traité fut confirmé par leurs H. P. le 20 Mars 1602, époque bien remarquable, puisqu'elle est celle du plus célebre, du plus durable, & du plus solide établissement de commerce qui ait jamais été fait dans le monde.

Le premier fonds de cette compagnie fut de 6 millions 600 mille florins (environ 13 millions 920 mille livres de notre monnoie) & les états généraux lui accorderent un octroi ou concession exclusive pour 21 ans. Par cet octroi déjà renouvellé cinq fois (en 1741), & qui coûte à chaque renouvellement environ 2 millions de florins à la compagnie, elle a droit de contracter des alliances, de bâtir des forteresses, d'y mettre des gouverneurs & garnisons, des officiers de justice & de police, en faisant néanmoins les traités au nom de leurs H. P. auquel nom se prêtent aussi les sermens des officiers tant de guerre que de justice. Soixante directeurs partagés en diverses chambres, font la régie de la compagnie, & l'on sait qu'il n'est rien de plus sage & de plus prudemment concerté que la police & la discipline avec laquelle tout y est réglé.

Les Hollandois, après avoir été quelque tems sur la défensive, attaquerent au fond de l'Asie ces mêmes maîtres qui jouissoient alors des découvertes des Portugais, les vainquirent, les chasserent, & devinrent en moins de 60 ans les souverains de l'orient. La compagnie formée en 1602 gagnoit déjà près de 3 cent pour cent en 1620. Elle a choisi le cap de bonne Espérance pour le lieu des rafraichissemens de ses flottes; elle a établi dans les Indes orientales 40 comptoirs, bâti 25 forteresses, entr'autres en 1619, & pour le centre de son commerce, la ville de Batavia, la plus belle de l'Asie, dans laquelle résident plus de 30 mille Chinois, Javanois, Chalayes, Amboiniens, &c. & où abordent toutes les nations du monde.

De plus, cette compagnie a ordinairement dans les Indes plus de 100 vaisseaux depuis 30 jusqu'à 60 pieces de canon, 12 à 20 mille hommes de troupes réglées, un gouverneur qui ne paroît en public qu'avec la pompe des rois, sans que ce faste asiatique, dit M. de Voltaire, corrompe la frugale simplicité des Hollandois en Europe. Heureux! s'ils savent la conserver en rappellant le commerce général qui s'échappe tous les jours de leurs mains par plusieurs détours, passe dans le nord, ou se sait ailleurs directement sans leur entremise.

En effet il faut convenir que le commerce & cette frugalité sont l'unique ressource des provinces unies; car quoique leur compagnie orientale se trouve la seule qui ait eu le bonheur de se maintenir toujours avec éclat sur son premier fonds, sans aucun appel nouveau, ses grands succès sont en partie l'effet du hasard qui l'a rendue maîtresse des épiceries; trésors aussi réels que ceux du Pérou, dont la culture est aussi salutaire à la santé, que le travail des mines est nuisible, trésors enfin dont l'univers ne sauroit se passer. Mais si jamais ce hasard, ou plûtôt la jalousie éclairée, l'industrie vigilante, offre à quelqu'autre peuple la culture de ces mêmes épiceries si enviées, alors cette célebre compagnie aura bien de la peine à soutenir les frais immenses de ses armemens, de ses troupes, de ses vaisseaux, de la régie de tant de forteresses & de tant de comptoirs. Déjà depuis plusieurs années quelques nations de l'Europe sont en concurrence avec elle pour le poivre qu'elle ne fournit presque plus à la France en particulier. Déjà,... Mais qu'on jette seulement les yeux sur le sort de la compagnie occidentale.

De la compagnie occidentale. Elle commença en 1621, avec les mêmes lois, les mêmes privileges que la compagnie orientale, & même avec un fonds plus considérable, car il sut de 7 millions 200000 florins, partagés en actions de 6000 florins argent de banque, ce qui fit en tout 1200 actions, & les états généraux pour favoriser cette compagnie, lui firent présent de trois vaisseaux montés de 600 soldats. Ses conquêtes & ses espérances furent d'abord des plus brillantes. Il paroît par les registres de cette compagnie, que depuis l'an 1623 jusqu'en 1636, elle avoit équipé 800 vaisseaux tant pour la guerre que pour le commerce dont la dépense montoit à 451 millions de florins, & qu'elle en avoit enlevé aux Portugais ou aux Espagnols 545 qu'on estimoit 60 millions de florins, outre environ 30 millions d'autres dépouilles. Elle fut pendant les premieres années en état de faire des répartitions de 20, 25 & 50 pour cent. Elle s'empara de la baie de tous les Saints, de Fernanbouc, & de la meilleure partie du Brésil.

Cependant cette rapide prospérité ne fut pas de longue durée. Ces conquêtes même si glorieuses & si avantageuses l'engagerent à faire des efforts qui l'épuiserent: d'autres causes qu'il seroit inutile de rapporter, concoururent à son désastre: il suffira de dire qu'elle perdit ses conquêtes, qu'elle n'a jamais [p. 665] pû se relever, & qu'elle fut dissoute à l'expiration de son second octroi, le 20 Septembre 1674. Alors il se forma une nouvelle compagnie composée des anciens participans & de leurs créanciers; c'est cette compagnie qui subsiste aujourd'hui, mais seulement avec quelques médiocres établissemens en Afrique, une portion dans la société de Surinan, & le reste de son commerce est presque réduit à une traite de Negres dans le peu de terrein qu'elle possede en Amérique. (D. J.)

Indes Orientales (Page 8:665)

Indes Orientales, compagnie des....... en Danemark, (Commerce.) Je me propose de tracer ici l'établissement, les vicissitudes & l'état présent de la compagnie des Indes orientales en Danemark: ce sera l'extrait fort abrégé d'un mémoire très - curieux sur ce sujet, que M. le comte d'Eckelbath, cidevant ministre de S. M. D. en France, a bien voulu me communiquer, & pour lequel je lui renouvelle mes remerciemens.

Chrétien IV, roi de Danemark, voyant les avantages que des puissances voisines tiroient de la navigation de l'Inde, résolut d'encourager ses sujets à entreprendre ce même commerce: il y réussit, & il se forma sous ses yeux la premiere compagnie des Indes Orientales en Danemark, à laquelle il donna, par sa déclaration du 17 Mars 1616, un octroi pour 12 ans, lui accorda un privilege exclusif, lui fit présent des bâtimens nécessaires pour servir de magasins, lui permit d'employer des pilotes & des matelots de sa flotte, s'intéressa dans cette compagnie, & engagea les seigneurs de sa cour d'en faire autant, en assignant une part sur leurs appointemens pour être jointe au fonds de la compagnie.

Comme on s'occupoit à équiper trois vaisseaux, qui devoient partir pour les Indes sous la conduite de Roland Crape, & pour tenter d'obtenir de quelque prince indien la permission de fonder un établissement sur la côte de Coromandel; un évenement favorable augmenta les espérances de l'entreprise.

Jean de Wesseck, directeur du comptoir hollandois de Caliacatta & de la côte de Coromandel, envoya en 1611 Marcellus Bosckhouwer, son facteur, à Ceylon, muni de lettres de créance du prince Maurice d'Orange & des états généraux, pour y négocier un traité de commerce avec l'empereur de Candy, le premier & le plus puissant des rois de Ceylon. Sa négociation fut heureuse, il la termina favorablement; mais quand il voulut s'en retourner, l'empereur, qui l'affectionnoit, lui en refusa la permission, sous prétexte qu'il devoit rester en sa cour, en qualité de ministre ou d'otage, jusqu'à ce que sa nation eût rempli les conditions du traité, & fourni les troupes & l'artillerie stipulées pour chasser les Portugais de son empire. Cependant les Hollandois, déja assez occupés de leurs guerres dans l'Inde, négligerent cette affaire, & le secours promis n'arriva point.

Pendant ce tems - là Bosckhouwer s'avançoit toujours dans les bonnes graces de l'empereur Cenuwieraat Adascyn, qui l'élevoit aux plus grandes dignités. Il fut fait prince de Migomme, de Kokelecor, d'Anangepare & de Mivitigale, chevalier de l'ordre du soleil d'or, président du conseil de guerre, premier ministre de toutes les affaires, & amiral général des forces maritimes. Tel est le titre fastueux qu'il se donne dans sa lettre écrite au roi Chrétien IV, datée du cap de Bonne - Espérance le 27 Juillet 1619.

Bosckhouwer passa quatre années à la cour de Candy; mais voyant que les Hollandois ne pensoient plus à lui, & s'ennuyant d'un esclavage honorable, il persuada l'empereur de lui permettre d'aller lui - même hâter le secours promis, & au cas qu'il ne pût l'obtenir des Hollandois, d'en traiter avec d'autres nations. L'empereur lui fit expédier des pleins pouvoirs pour toutes les puissances avec lesquelles il jugeroit à - propos de négocier, & Bosckhouwer, chargé de ses lettres, partit de l'isle de Ceylon en 1615.

Il se rendit d'abord aux établissemens des Hollandois dans l'Inde; mais les trouvant par - tout en guerre, & par conséquent hors d'état de faire une nouvelle entreprise, il passa la même année en Europe, & arriva en Hollande. La métamorphose d'un facteur en prince, les airs qu'il se donnoit, & le cérémonial qu'il exigeoit, déplurent à la compagnie des Indes & à ses anciens maîtres. Il en fut piqué; & apprenant qu'on travailloit en Danemark à l'établissement d'une nouvelle compagnie des Indes, il partit pour Copenhague, & y arriva au mois de Juin 1617 avec sa femme, dite la princesse de Migomme.

Bosckhouwer fut bien reçu du roi de Danemark, qui accepta la proposition d'un traité avec l'empereur de Candy, & le signa le 2 d'Août 1618. En conséquence sa majesté fit armer deux vaisseaux de guerre, l'Elephant & le Christian, avec la Yacht l'Oresund, & en donna le commandement à Ove Giedde, alors âgé de 26 ans, qui mourut en 1661 amiral & sénateur du royaume. La compagnie arma de son côté le David, la Patience & le Copenhague. Tous ces vaisseaux partirent du Sond le 29 Novembre 1618, & firent route ensemble jusqu'au - delà du cap de Bonne - Espérance, où Roland Crape se sépara de M. de Giedde, & se rendit avec les trois vaisseaux de la compagnie, sur la côte de Coromandel, pour laquelle il étoit destiné.

Après une navigation fort pénible, M. de Giedde arriva le 16 Mai 1620 sur les côtes de Ceylon, & le 12 Juin il jetta l'ancre au port de Cotjares, situé dans la baie de Trinquemale. Les Portugais, qui vouloient encore faire les maîtres de la mer de l'Inde, lui avoient enlevé le Yacht l'Oresund. Mais ce qui dérangea le plus cette expédition, ce fut le décès de Bosckhouwer, qui, après avoir doublé le cap, mourut à bord de M. de Giedde.

L'empereur de Candy reçut d'abord assez bien les Danois, & fit rendre plusieurs honneurs à leur amiral; mais ayant appris la mort de son ministre, que selon les apparences on avoit eu soin de lui cacher en arrivant, il changea de sentiment, refusa de ratifier le traité, & accusa Bosckhouwer d'avoir passé les bornes de son pouvoir, & d'avoir promis au delà de ce qu'il étoit possible d'exécuter. Les Portugais de leur côté appuyerent sous main les sentimens de l'empereur, & lui offrirent leur assistance en cas que ces nouveaux hôtes voulussent entreprendre de le chagriner.

M. de Giedde, après être resté quatre mois sans fruit à Ceylon, partit du port de Cotjares, & arriva à Tranquebar, sur la côte de Coromandel, le 25 d'Octobre 1620. En quittant la rade, il eut le malheur de voir son vaisseau le Christian toucher & s'engrever tellement, qu'il fut obligé de l'abandonner. Les Portugais en profiterent, & garnirent des canons qu'ils tirerent de ce navire, un fort qu'ils construisirent dans la baie de Trinquemale immédiatement après le départ des Danois.

Roland Crape, pendant ce tems - là, avoit fait son trajet fort heureusement. Arrivé à la côte de Coromandel, il s'arrêta devant Carikal, ville maritime du Tanjour, y mit pié à terre, & se rendit auprès du Naïcke, ou prince Malabare, nommé Ragounade, duquel il obtint en propre pour la compagnie, le village de Trangambar, aujourd'hui Tranquebar, à un mille & demi au nord de Carikal. Il y fit bâtir des habitations & un comptoir en maçonnerie, qu'il assura du côté de la terre par deux bastions garnis de fauconneaux, & enferma la place d'un bon mur. Il jetta encore les fondemens d'une citadelle à quatre bastions, & lui donna le nom de Dansborg. Elle [p. 666] a été achevée, & se trouve aujourd'hui (1758) dans un très - bon état.

Après avoir pris tous ces arrangemens, pourvu à la sûreté de la colonie, & fait prêter le serment à Roland Crape & aux autres officiers, il mit à la voile avec le vaisseau l'Eléphant, resta quelque - tems sous Ceylon, arriva à la rade de Copenhague le 30 Mars 1622, & y fut suivi un mois après par le vaisseau le David, capitaine Niels Rosemkranz, chargé pour le compte de la compagnie.

Ce commerce naissant donna d'abord quelque jalousie aux Hollandois, & les états généraux défendirent à tous leurs sujets de s'y intéresser, sous peine de confiscation de leurs biens. Cependant, sur les représentations de M. Carisius, ministre du roi de Danemark, il fut sursis à l'exécution de ces ordonnances, & on lui déclara qu'on agiroit là - dessus d'accord avec les Anglois, & qu'on suivroit leur exemple. Le ministre résident du roi à Londres, le sieur Sinkler, soutenu par M. Carisius, qui y passa en 1619, firent si bien auprès du roi Jacques I. qu'il donna permission à tous ses capitaines expérimentés dans la navigation, aux pilotes & aux matelots de s'engager au service de la compagnie danoise lorsqu'elle pourra en avoir besoin.

Toutefois comme le fonds de la compagnie n'étoit encore en 1624 que de 189614 reichsdahlers, cette somme se trouva presque absorbée par les acquisitions & les établissemens aux Indes; de sorte que le roi soutint lui seul la dépense de ce commerce à ses propres frais pendant plusieurs années.

En 1639 il nomma quatre directeurs, du nombre desquels étoit Roland Crape & Guillaume Leyel, natif d'Elsenoër, qui avoit longtems parcouru la Perse & les Indes. Cette nouvelle direction expédia deux vaisseaux, le Soleil, commandé par Clans Rytter, & le Christianshaven par M. Leyel; mais l'un de ces deux vaisseaux périt aux Dunes à son retour en 1644, & l'autre fut jetté aux isles Canaries, où le gouverneur espagnol s'en empara.

Leyel ayant cependant trouvé le moyen de se rendre à Tranquebar, acheva les fortifications de Dansborg, continua avec les trois vaisseaux qu'il avoit, le commerce de Ceylon & autres endroits de l'Inde; accueillit les Portugais, qui, expulsés & pourchassés par les Hollandois, se réfugioient à Tranquebar, & leur permit d'y bâtir une église. Il manda ces petits succès en cour, & fit dans ses derniers rapports, datés du 15 Novembre 1646, des mémoires qui marquoient beaucoup de connoissances & de lumieres. Mais le roi Chrétien IV. décéda le 28 Février 1648, & les guerres occuperent trop le commencement de Fréderic III. pour qu'on pensât à Copenhague aux affaires de Tranquebar.

Leyel mourut peu de tems après. Ses successeurs se brouillerent avec le Naïck de Tanjour, qui en 1648, mit le siége devant Tranquebar, afin de venger un more employé à la douane, & chassé pour ses malversations. Cependant on trouva le moyen d'appaiser le Naïck; mais la colonie dépérissoit sans ressource faute de secours d'Europe, & ne se soûtenoit que par un petit commerce avec l'intérieur du pays, ayant des démêlés continuels avec les Indiens pour celui de Bellesor; en un mot, les Danois s'y éteignirent peu - à - peu, de sorte qu'en 1665, il n'en resta vivant qu'un seul homme, Eskild Andersen, qui de canonnier qu'il avoit été, fut proclamé commandant par les habitans. Celui - ci engagea un sergent, nommé Gert von Hagen, qui servoit alors à Nagapatnam, de porter en Danemark le triste tableau de leurs miseres; c'est ce qu'il exécuta fidellement.

Il arriva à Copenhague en 1668, & ses dépêches disposerent le roi Fréderic III. à faire équiper une frégate pour y transporter une centaine de personnes. Henri Eggers fut envoyé en qualité de commandant. La frégate mouilla heureusement devant Tranquebar en 1669, & y fut reçue avec une joie inexprimable; mais cette petite recrue ne put rétablir un commerce qui étoit éteint.

Cependant au commencement du regne de Chrétien V. il se forma une nouvelle compagnie des Indes, qui, le 28 Novembre 1670, obtint un octroi pour 40 ans. Le fonds de cette compagnie consistoit en vaisseaux & effets, dont S. M. lui fit présent, estimés 79073 reichsdahlers. Les intéressés y ajoûterent pour premier paiement la somme de 162800 écus de banque.

En 1673 la compagnie commença à expédier ses vaisseaux pour l'Inde. Les premieres années furent assez favorables. En 1680 on avoit partagé entre les intéressés, tous frais faits, 48840 écus; mais ensuite la perte du vaisseau le Dansborg, qui périt sous les isles de Ferroë, & qu'on n'avoit pas fait assurer, fit tomber ses actions: les intéressés augmenterent néanmoins leur fonds de 12 pour cent, 20963 écus de banque. Enfin leur commerce essuya un échec terrible en 1682, par la perte de la loge de Bantam, où les Hollandois avoient tellement gagné le dessus, qu'ils en avoient expulsé les Danois aussi bien que les Anglois.

Le roi, pour relever le courage abattu de la malheureuse compagnie, lui fit présent en 1685 de quatre frégates, & envoya à Tranquebar, en qualité de son commissaire, Wulff Henri de Callnein, lieutenant - colonel d'infanterie. Cet officier remporta de grands avantages dans la guerre que la colonie eut à soûtenir contre les Mores, & depuis 1688 jusqu'en 1698, les intéressés eurent un revenant - bon de 217747 écus. Dans la même année 1698, la paix se conclut avec les mores de Bengale; & le roi, pour animer le commerce de l'Inde, prolongea pour 40 ans l'octroi donné en 1670; ce qui fut confirmé par Fréderic IV.

Depuis 1699 jusqu'en 1709, le négoce de l'Inde rendit encore 189665 écus, ensuite il tomba totalement. La peste, la guerre, les troubles dans l'Inde, le second siége que le Naïck de Tanjour mit devant Tranquebar en 1698, la mauvaise conduite de plusieurs officiers & employés, la perte de 13 de ses vaisseaux, & sur - tout celle de la plûpart de ses établissemens, acheverent de ruiner la compagnie, au point que ne pouvant plus se soûtenir, & ne voyant pas de moyens de se relever, les intéressés abandonnerent entierement le négoce de l'Inde en 1729, & se séparerent en 1730, en remettant au roi son octroi, qui avoit encore 20 ans à courir. Fréderic IV. fut le seul qui ne perdit point courage. Il tenta de faire continuer un commerce qu'il ne voyoit abandonné par ses sujets qu'avec beaucoup de regret; & quelques particuliers s'étant associés de nouveau par ses pressantes sollicitations, il leur fit expédier une permission d'envoyer deux vaisseaux à Tranquebar, & les deux vaisseaux mirent à la voile.

Jusqu'ici la compagnie danoise s'étoit bornée au commerce de l'Inde, sans avoir essayé en droiture celui de la Chine, qui, depuis qu'il est connu, a toûjours passé pour le plus riche de tous ceux de l'Asie. Cette même année un nommé Pieter Baschers, natif de Bremen, qui avoit longtems vécu dans l'Inde, vint à Copenhague, & présenta un plan pour former ce commerce, & le réunir avec celui de Tranquebar. Ses propositions furent goûtées, & S. M. accorda à ceux qui s'y intéresseroient deux octrois, l'un du 10 Février, & l'autre du 15 Mars 1730. On dressa la maniere de former les souscriptions, & les associés de l'année précédente eurent la préférence d'y prendre telle part qu'il leur plairoit. [p. 667]

Le feu roi de Danemark, alors prince royal, non - seulement s'intéressa dans ce commerce, mais, pour l'animer encore davantage, il s'en déclara le directeur. On tint une assemblée générale en sa présence, & on y élut du nombre des intéressés, huit syndics (committirse) pour avoir soin de l'intérêt de la société. Les souscriptions s'étant bientôt remplies, on fit partir pour la Chine le Prince Royal, commandé par le capitaine Tonder, aujourd'hui vice amiral, & pour Tranquebar les vaisseaux Fréderic IV. & le Lion d'or. Bientôt après on expédia deux autres vaisseaux pour Tranquebar; savoir, la Reine Anne - Sophie & la Wendela: tous ces vaisseaux revinrent heureusement à Copenhague, excepté le Lion d'or, qui échoua sur les côtes d'Irlande.

Ces premiers arrangemens ayant réussi, & leur retour ayant justifié les avantages qu'on pourroit tirer du commerce de la Chine, le prince royal devenu roi sous le nom de Chrétien VI, crut devoir former une compagnie plus étendue, & plus en état de continuer la navigation de l'Inde & de la Chine. Pour cet effet S. M. expédia le 12 Avril 1732, un octroi de 40 ans à la compagnie, lui accorda, avec le titre de compagnie royale des Indes, des prééminences, priviléges & franchises, & ordonna que les intéressés des sociétés de l'an 1729, 1730 & 1731 y seroient admis préférablement.

Ces anciens intéressés & les nouveaux s'unirent, & convinrent d'un réglement, qui prescriroit les opérations de la compagnie. Ensuite on tint une assemblée générale, dans laquelle on élut pour président Chrétien - Louis de Plessen, ministre d'état, & on lui adjoignit quatre directeurs & cinq hauts - participans pour former la direction, pourvoir aux besoins, & veiller au maintien, à la sûreté & aux avantages de la société.

C'est ainsi que se forma en 1732 la compagnie royale danoise des Indes orientales & de la Chine, continuée jusqu'à présent. Son commencement consista en 400 actions, chacune de 250 écus courans de Danemark, pour faire le fonds constant de la compagnie: ensuite les intéressés fournirent au prorata par action les frais nécessaires pour l'achat & l'équipement des vaisseaux qu'on avoit résolu de mettre en mer. Le produit du fonds constant fut employé en partie à l'acquisition des maisons, magasins & effets que les anciennes compagnies avoient, tant à Copenhague qu'à Tranquebar, & à faire passer dans l'Inde un fonds qui y resteroit toûjours, pour y soûtenir les fabriques. A mesure que le commerce a prospéré, la compagnie a ajoûté à ses bâtimens & magasins, & a augmenté le fonds continuel de Tranquebar.

Pour donner aux lecteurs une idée juste de l'état actuel de cette compagnie, je pourrois leur mettre devant les yeux les opérations d'année en année; mais comme ce détail seroit également long & ennuyeux, il suffira de dire que par le résultat que j'en ai tiré, il paroît que la nouvelle compagnie, depuis sa naissance en 1732 jusqu'en 1753 exclusivement, a expédié 60 vaisseaux, dont 28 pour Tranquebar, & 32 pour la Chine. Elle en a eu de retour 43; savoir, 19 de l'Inde, & 24 de Canton. Sept de ses vaisseaux se sont entierement perdus, six autres ont échoué, & quatre ont été abandonnés. Malgré ces malheurs, le prix des actions étoit en 1754, tout assuré & tout fourni, d'onze mille jusqu'à 11600 écus de Danemark. Le fonds roulant, c'est - à - dire ce que chaque action a contribué à l'achat, équipement & cargaison des vaisseaux arrivés en 1754, ou en mer, se montoit par vieilles actions à 7750 écus 2 marcs 6 schelings, qui ajoûtés au fonds constant, qui est de 750 écus, donne 8500 écus 2 marcs 6 schelings, prix intrinseque; le reste, savoir, 2499 écus 3 marcs 10 schelings, est pour l'assurance & le profit de ceux qui vendent des actions au prix de 11600 écus.

Nous ne ferons pas l'énumération des petits établissemens & des comptoirs que la compagnie danoise possede actuellement dans l'Inde; nous dirons seulement que depuis peu elle a fait un fonds à Tranquebar pour renouveller le commerce du poivre, & bâtir une loge sur la côte de Travancoor.

Il est bien singulier qu'après tant de malheurs consécutifs éprouvés pendant plus d'un siecle, cette compagnie, cent fois culbutée, détruite, anéantie, se soutienne encore au milieu de la rivalité du même trafic par les trois puissances maritimes. Mais on ne doit pas douter que la protection constante des rois de Danemark, les soins que se sont donnés ceux qui successi vement en ont été les présidens; une direction économe, sage, attentive & desintéressée, une liberté entiere, exempte de gêne dans les assemblées générales & annuelles, où toutes les opérations se décident, ne soient les vraies sources de la subsistance & de la prospérité de cette compagnie, supérieure à ce que les intéressés oserent jamais s'en promettre. (D. J.)

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