ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"638"> bat un enfant, ce n'est point en forme de peine; ce sont de simples corrections, par lesquelles on se propose principalement d'empêcher qu'il ne contracte de mauvaises habitudes.

3°. A l'égard de ce qui est fait dans l'ivresse, toute ivresse contractée volontairement, n'empêche point l'imputation d'une mauvaise action commise dans cet état.

4°. L'on n'impute à personne les choses qui sont véritablement au - dessus de ses forces, non plus que l'omission d'une chose ordonnée si l'occasion a manqué: car l'imputation d'une omission suppose manifestement ces deux choses, 1°. que l'on ait eu les forces & les moyens nécessaires pour agir; 2°. que l'on ait pû faire usage de ces moyens sans préjudice de quelqu'autre devoir plus indispensable. Bien entendu que l'on ne se soit pas mis par sa faute dans l'impuissance d'agir: car alors le législateur pourroit aussi légitimement punir ceux qui se sont mis dans une telle impuissance que si étant en état d'agir ils refusoient de le faire. Tel étoit à Rome le cas de ceux qui se coupoient le pouce, pour se mettre hors d'état de manier les armes, & pour se dispenser d'aller à la guerre.

A l'égard des choses faites par ignorance ou par erreur, on peut dire en général que l'on n'est point responsable de ce que l'on fait par une ignorance invincible, &c. Voyez Ignorance.

Quoique le tempérament, les habitudes & les passions ayent par eux - mêmes une grande force pour déterminer à certaines actions; cette force n'est pourtant pas telle qu'elle empêche absolument l'usage de la raison & de la liberté, du moins quant à l'exécution des mauvais desseins qu'ils inspirent. Les dispositions naturelles, les habitudes & les passions ne portent point invinciblement les hommes à violer les lois naturelles, & ces maladies de l'ame ne sont point incurables. Que si au lieu de travailler à corriger ces dispositions vicieuses, on les fortifie par l'habitude, l'on ne devient pas excusable pour cela. Le pouvoir des habitudes est, à la vérité, fort grand; il semble même qu'elles nous entraînent par une espece de nécessité à faire certaines choses. Cependant l'expérience montre qu'il n'est point impossible de s'en défaire, si on le veut sérieusement; & quand même il seroit vrai que les habitudes bien formées auroient sur nous plus d'empire que la raison; comme il dépendoit toûjours de nous de ne pas les contracter, elles ne diminuent en rien le vice des actions mauvaises, & ne sauroient en empêcher l'imputation. Au contraire, comme l'habitude à faire le bien rend les actions plus louables, l'habitude au vice ne peut qu'augmenter le blâme. En un mot, si les inclinations, les passions & les habitudes pouvoient empêcher l'effet des lois, il ne faudroit plus parler d'aucune direction pour les actions humaines; car le principal objet des lois en général est de corriger les mauvais penchans, de prévenir les habitudes vicieuses, d'en empècher les effets, & de déraciner les passions, ou du moins de les contenir dans leurs justes bornes.

Les différens cas que nous avons parcourus jusqu'ici n'ont rien de bien difficile. Il en reste quelques autres un peu plus embarrassans, & qui demandent une discussion un peu plus détaillée.

Premierement on demande ce qu'il faut penser des actions auxquelles on est forcé; sont - elles de nature à pouvoir être imputées, & doivent - elles l'être effectivement?

Je réponds, 1°. qu'une violence physique, & telle qu'il est absolument impossible d'y résister, produit une action involontaire, qui bien - loin de mériter d'être actuellement imputée, n'est pas même imputable de sa nature.

2°. Mais si la contrainte est produite par la crainte de quelque grand mal, il faut dire que l'action à laquelle on se porte en conséquence, ne laisse pas d'être volontaire, & que par conséquent elle est de nature à pouvoir être imputée.

Pour connoitre ensuite si elle doit l'être effectivement, il faut voir si celui envers qui on use de contrainte est dans l'obligation rigoureuse de faire une chose ou de s'en abstenir, au hasard de souffrir le mal dont il est menacé. Si cela est, & qu'il se détermine contre son devoir, la contrainte n'est point une raison suffisante pour le mettre à couvert de toute imputation; car en général, on ne sauroit douter qu'un supérieur légitime ne puisse nous mettre dans la nécessité d'obéir à ses ordres, au hasard d'en souffrir, & même au péril de notre vie.

En suivant ces principes, il faut donc distinguer ici entre les actions indifférentes (voyez l'article Moralite) & celles qui sont moralement nécessaires. Une action indifferente de sa nature, extorquée par la force, ne sauroit être imputée à celui qui y a été contraint, puisque n'étant dans aucune obligation à cet égard, l'auteur de la violence n'a aucun droit d'exiger rien de lui. Et la loi naturelle défendant formellement toute violence, ne sauroit en même tems l'autoriser, en mettant celui qui la souffre dans la nécessité d'exécuter ce à quoi il n'a consenti que par force. C'est ainsi que toute promesse ou toute convention forcée est nulle par elle même, & n'a rien d'obligatoire en qualité de promesse ou de convention; au contraire elle peut & elle doit être imputée comme un crime à celui qui est auteur de la violence. Mais si l'on suppose que celui qui emploie la contrainte ne fait en cela qu'user de son droit & en poursuivre l'exécution, l'action, quoique forcée, ne laisse pas d'être valable, & d'être accompagnée de tous ses effets moraux. C'est ainsi qu'un débiteur fuyant, ou de mauvaise foi, qui ne satisfait son créancier que par la crainte prochaine de l'emprisonnement ou de quelque exécution sur ses biens, ne sauroit réclamer contre le payement qu'il a fait, comme y ayant été forcé.

Pour ce qui est des bonnes actions auxquelles on ne se détermine que par force, &, pour ainsi dire, par la crainte des coups; elles ne sont comptées pour rien, & ne méritent ni louange ni récompense. L'on en voit aisément la raison. L'obéissance que les lois exigent de nous doit être sincere, & il faut s'acquitter de ses devoirs par principe de conscience, volontairement & de bon coeur.

Enfin à l'égard des actions manifestement mauvaises & criminelles, auxquelles on se trouve forcé par la crainte de quelque grand mal, & sur - tout de la mort; il faut poser pour regle générale, que les circonstances fâcheuses où l'on se rencontre, peuvent bien diminuer le crime de celui qui succombe à cette épreuve; mais néanmoins l'action demeure toujours vicieuse en elle - même, & digne de reproche; en conséquence de quoi elle peut être imputée, & elle l'est effectivement, à moins que l'on n'allegue en sa faveur l'exception de la nécessité. Une personne qui se détermine par la crainte de quelque grand mal, mais pourtant sans aucune violence physique, à exécuter une action visiblement mauvaise, concourt en quelque maniere à l'action, & agit volontairement, quoiqu'avec regret. D'ailleurs il n'est point absolument au - dessus de la fermeté de l'esprit humain, de se résoudre à souffrir & même à mourir, plutôt que de manquer à son devoir. Le législateur peut donc imposer l'obligation rigoureuse d'obéir, & il peut avoir de justes raisons de le faire. Les nations civilisées n'ont jamais mis en question si l'on pouvoit, par exemple, trahir sa patrie pour conserver sa vie. Plusieurs moralistes payens ont fortement soutenu qu'il [p. 639] ne salloit pas céder à la crainte des douleurs & des tourmens, pour faire des choses contraires à la religion & à la justice.

Ambiguoe si quando citabere testis Incertoeque rei; Phalaris licet imperet, ut sis Falsus, & admoto dictet perjuria tauro, Summum erede nefas animam proeferre pudori, Et propter vitam vivendi perdere causas. Juvenal, Sat. 8.

Telle est la regle. Il peut arriver pourtant, comme nous l'avons insinué, que la nécessité où l'on se trouve fournisse une exception favorable, qui empêche que l'action ne soit imputée. Les circonstances où l'on se trouve donnent quelquefois lieu de présumer raisonnablement, que le législateur nous dispense lui - même de souffrir le mal dont on nous menace, & que pour cela il permet que l'on s'écarte alors de la disposition de la loi; & c'est ce qui a lieu toutes les fois que le parti que l'on prend pour se tirer d'affaire, renferme en lui - même un mal moindre que celui dont on étoit menacé.

Des actions auxquelles plusieurs personnes ont part. Nous ajouterons encore ici quelques réflexions sur les cas où plusieurs personnes concourent à produire la même action. La matiere étant importante & de grand usage, mérite d'être traitée avec quelque précision.

1°. Les actions d'autrui ne sauroient nous être imputées, qu'autant que nous y avons concouru, & que nous pouvions & devions les procurer, ou les empêcher, ou du - moins les diriger d'une certaine maniere. La chose parle d'elle - même; car imputer l'action d'autrui à quelqu'un, c'est déclarer que celui - ci en est la cause efficiente, quoiqu'il n'en soit pas la cause unique; & que par conséquent cette action dépendoit en quelque maniere de sa volonté dans son principe ou dans son exécution.

2°. Cela posé, on peut dire que chacun est dans une obligation générale de faire ensorte, autant qu'il le peut, que toute autre personne s'acquitte de ses devoirs, & d'empêcher qu'elle ne fasse quelque mauvaise action, & par conséquent de ne pas y contribuer soi - même de propos délibéré, ni directement, ni indirectement.

3°. A plus forte raison on est responsable des actions de ceux sur qui l'on a quelque inspection particuliere. C'est sur ce fondement que l'on impute à un pere de famille la bonne ou la mauvaise conduite de ses enfans.

4°. Remarquons ensuite que pour être raisonnablement censé avoir concouru à une action d'autrui, il n'est pas nécessaire que l'on fût sûr de pouvoir la procurer ou l'empêcher, en faisant ou ne faisant pas certaines choses; il suffit que l'on eût là - dessus quelque probabilité ou quelque vraissemblance. Et comme d'un côté ce défaut de certitude n'excuse point la négligence; de l'autre si l'on a fait tout ce que l'on devoit, le défaut de succès ne peut point nous être imputé; le blâme tombe alors tout entier sur l'auteur immédiat de l'action.

5°. Enfin il est bon d'observer encore, que dans la question que nous examinons, il ne s'agit point du degré de vertu ou de malice qui se trouve dans l'action même, & qui la rendant plus excellente ou plus mauvaise, en augmente la louange ou le blâme, la récompense ou la peine. Il s'agit proprement d'estimer le degré d'influence que l'on a sur l'action d'autrui, pour savoir si l'on en peut être regardé comme la cause morale, & si cette cause est plus ou moins efficace, afin de mesurer pour ainsi dire ce degré d'influence qui décide de la maniere dont on peut imputer à quelqu'un une action d'autrui; il y a plusieurs circonstances & plusieurs distinctions à observer. Par exemple, il est certain qu'en général, la simple approbation a moins d'efficace pour porter quelqu'un à agir, qu'une forte persuasion, qu'une instigation particuliere. Cependant la haute opinion que l'on a de quelqu'un, peut faire qu'une simple approbation ait quelquefois autant, & peut - être même plus d'influence sur une action d'autrui que la persuasion la plus pressante, ou l'instigation la plus forte d'une autre personne.

L'on peut ranger sous trois classes les causes morales qui influent sur une action d'autrui. Tantôt cette cause est la principale, ensorte que celui qui exécute, n'est que l'agent subalterne; tantôt l'agent immédiat est au contraire la cause principale, tandis que l'autre n'est que la cause subalterne; d'autres fois ce sont des causes collatérales qui influent également sur l'action dont il s'agit.

Celui - là doit être censé la cause principale qui, en faisant ou ne faisant pas certaines choses, influe tellement sur l'action ou l'omission d'autrui, que sans lui cette action n'auroit point été faite, ou cette omission n'auroit pas eu lieu, quoique d'ailleurs l'agent immédiat y ait contribué sciemment. Ainsi David fut la cause principale de la mort d'Urie, quoique Joab y eût contribué connoissant bien l'intention du roi.

Au reste, la raison pour laquelle un supérieur est censé être la cause principale de ce que font ceux qui dépendent de lui, n'est pas proprement la dépendance de ces derniers, c'est l'ordre qu'il leur donne, sans quoi l'on suppose que ceux - ci ne se seroient point portés d'eux - mêmes à l'action dont il s'agit.

Mais celui - là n'est qu'une cause collatérale, qui en faisant ou ne faisant pas certaines choses, concourt suffisamment & autant qu'il dépend de lui, à l'action d'autrui; ensorte qu'il est censé coopérer avec lui, quoique l'on ne puisse pas présumer absolument que sans son concours, l'action n'ait pas été faite.

Tels sont ceux qui fournissent quelques secours à l'agent immédiat, ceux qui lui donnent retraite & qui le protegent, celui par exemple, qui tandis qu'un autre enfonce une porte, prend garde aux avenues, &c. Un complot entre plusieurs personnes, les rend pour l'ordinaire également coupables. Tous sont censés causes égales & collatérales, &c.

Enfin la cause subalterne est celle qui n'influe que peu sur l'action d'autrui, qui n'y fournit qu'une légere occasion, ou qui ne fait qu'en rendre l'exécution plus facile, de maniere que l'agent, déja tout déterminé à agir, & ayant pour cela tous les secours nécessaires, est seulement encouragé à exécuter sa résolution. Comme quand on lui indique la maniere de s'y prendre, le moment favorable, le moyen de s'évader, ou quand on loue son dessein, & qu'on l'excite à le suivre, &c.

Ne pourroit - on pas mettre dans la même classe l'action d'un juge, qui au lieu de s'opposer à un avis qui a tous les suffrages, mais qu'il croit mauvais, s'y rangeroit par timidité ou par complaisance? Le mauvais exemple ne peut aussi être mis qu'au rang des causes subalternes, parce que ceux qui les donnent ne contribuent d'ordinaire que foiblement au mal que l'on fait en les imitant. Cependant il y a quelquefois des exemples si efficaces, à cause du caractere des personnes qui les donnent, & de la disposition de ceux qui les suivent, que si les premiers s'étoient abstenus du mal, les autres n'auroient pas pensé à le commettre; & par conséquent ceux qui donnent ces mauvais exemples, doivent être considérés tantôt comme causes principales, tantôt comme causes collatérales, tantôt comme causes subalternes.

L'application de ces distinctions & de ces principes se fait d'elle - même: toutes choses d'ailleurs éga<pb->

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