ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"594"> mais des modes du verbe pris en détail: de maniere que l'on peut distinguer dans un même verbe, des modes personnels & des modes impersonnels; mais on ne peut dire d'aucun verbe, qu'il soit totalement personnel, ou totalement impersonnel.

Les modes sont personnels ou impersonnels, selon que le verbe y reçoit ou n'y reçoit pas des inflexions relatives aux personnes; & cette différence vient de celle des points de vûe sous lesquels on y envisage la signification essentielle du verbe. (Voyez Modes.) L'indicatif, l'impératif, & le subjonctif, sont des modes personnels; l'infinitif & le participe sont des modes impersonnels. Les premiers sont personnels, parce que le verbe y reçoit des inflexions relatives aux personnes: à l'indicatif, 1. amo, 2. amas. 3. amat; à l'impératif 2. ama ou amato, 3. amato; au subjonctif, 1. amem, 2. ames, 3. amet. Les derniers sont impersonnels, parce que le verbe n'y reçoit aucune inflexion relative aux personnes: à l'infinitif, amare & amavisse n'ont de rapport qu'au tems; au participe, amatus, a, um, amandus, a, um, ont rapport au temps, au genre, au nombre, & au cas, mais non pas aux personnes.

Or il n'y a aucun verbe, dont la signification essentielle & générique ne puisse être envisagée sous chacun des deux points de vûe qui fondent cette différence de modes: on ne peut donc dire d'aucun verbe, qu'il soit totalement personnel, ou totalement impersonnel.

On m'objectera peut - être que la signification des mots étant arbitraire, les Grammairiens ont pu donner la qualification d'impersonnels à certains verbes défectifs qui n'ont que la troisieme personne du singulier, & qui s'emploient sans application à aucun sujet déterminé; qu'en ce cas, leur usage devient pour nous une loi inviolable, malgré toutes les raisons d'analogie & d'étymologie que l'on pourroit alléguer contre leur pratique.

Je connois toute l'étendue des droits de l'usage en fait de langue: mais j'observerai avec le P. Bouhours, (Rem. nouv. tom. ij. pag. 340.) que comme il y a un bon usage qui fait la loi en matiere de langue, il y en a un mauvais contre lequel on peut se révolter justement; & la prescription n'a point lieu à cet égard: j'ajoûterai avec M. de Vaugelas, (Rem. sur la langue franç. tom. I. préf. pag. 20.) que le mauvais usage se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n'est pas le meilleur; que le bon au contraire est composé, non pas de la pluralité, mais de l'élite des voix; & que c'est véritablement celui que l'on nomme le maître des langues. Si ces deux écrivains, reconnus avec justice pour les plus sûrs appréciateurs de l'usage, ont pu en distinguer un bon & un mauvais dans le langage national, & faire dépendre le bon de l'élite, & non de la pluralité des voix; combien n'est - on pas plus fondé à suivre la même regle en fait du langage didactique, où tout doit être raisonné, & transmettre avec netteté & précision les notions fondamentales des Sciences & des Arts? Si l'usage, dit encore M. de Vaugelas, (ibid. pag. 19.) n'est autre chose, comme quelques - uns se l'imaginent, que la façon ordinaire de parler d'une nation dans le siége de son empire; ceux qui y sont nés & élevés, n'auront qu'à parler le langage de leurs nourrices & de leurs domestiques pour bien parler la langue de leur pays. J'en dis autant du langage didactique: s'il ne faut qu'adopter la façon ordinaire de parler de ceux qui se mêlent d'expliquer les principes des Arts & des Sciences; il n'y a plus de choix à faire, les termes techniques ne seront plus techniques, par la raison même que souvent ils seront introduits par le hasard, ou même par l'erreur, plûtôt que par la réflexion & par l'art.

Tel est en effet le mot impersonnel; on l'applique mal, & il suppose faux. J'ai déja fait sentir qu'il est mal appliqué, quand j'ai remarqué qu'il désigne comme privés de toutes personnes les prétendus verbes impersonnels, dans lesquels on reconnoît néanmoins une troisieme personne du singulier. Pour ce qui est de la supposition de faux, elle consiste en ce que les Grammairiens s'imaginent que ces verbes s'emploient sans application à aucun sujet déterminé, quoiqu'ils ne soient pas à l'infinitif, qui est le seul mode où le verbe puisse être dans cette indétermination. Voyez Infinitif.

Mais ne nous contentons pas d'une remarque si générale; peut - être ne seroit - elle pas suffisante pour les Grammairiens qu'il s'agit de convaincre. Entrons dans une discussion détaillée des exemples les plus plausibles qu'ils alleguent en leur faveur. Ces verbes prétendus impersonnels sont de deux sortes; les uns ont une terminaison active, & les autres une terminaison passive.

I. Parmi ceux de la premiere sorte, arrêtons-nous d'abord à cinq, qui dans les rudimens font ordinairement une figure très - considérable; savoir miseret, piget, poenitet, pudet, toedet. On a déja indiqué, article Génitif, que ces verbes étoient réellement personnels, & appliqués à un sujet déterminé: le génitif qui les accompagne pour l'ordinaire, suppose un nom appellatif qui le précede dans l'ordre analytique, & dont il doit être le déterminatif; que feroit - on de ce nom appellatif communément sousentendu, si on ne le mettoit au nominatif comme sujet grammatical des verbes en question? On trouve à l'article Génitif, plusieurs exemples où l'on a suppléé ainsi ce nom; mais on ne s'y est autorisé pour le faire, que d'un seul texte de Plaute, (stich. in arg.) & me quidem hoec conditio nunc non poenitet, (& à la vérité cette condition ne me peine point à présent); explication littérale, qui fait assez sentir combien est possible l'application de ce verbe à d'autres sujets. Voici des preuves de fait pour les autres. On lit dans Valerius Flaccus, (lib. II. de Vulcano), Adelinem scopulo inveniunt, miserentque, foventque; où l'on voit miserent au pluriel, & appliqué au même sujet que les deux autres verbes inveniunt & fovent. Plaute nous fournit un passage où piget & pudet tout - à - la - fois sont appliqués personnellement, s'il est possible de le dire: quod pudet faciliùs fertur quàm illud quod piget; (in Pseud.) Lucain emploie pudebunt au pluriel; semper metuit quem soeva pudebunt supplicia; & l'on trouve pudent dans Térence, non te hoec pudent? (in Adelph.) Pour ce qui est de toedet, on le trouve avec un sujet au nominatif dans Séneque, (lib. I. de irâ) ira ea toedet quoe invasit: & Aulu - Gelle, (lib. I.) s'en sert même au pluriel; verbis ejus defatigati pertoeduissent.

S'il s'agit des verbes qui expriment l'existence des météores & autres phénomenes naturels, comme pluit, fulminat, fulgurat, lucescit; ils sont dans le même cas que les précédens. On trouve dans les écrivains les plus sûrs, des exemples où ils sont accompagnés de sujets particuliers, comme tous les autres verbes reconnus pour personnels. Malum quam impluit coeteris, non impluat mihi; (Plaut. Mostell.) Multus ut in terras deplueritque lapis; (Tib. lib. II.) non densior aëre grando, nec de concussâ tantum pluit ilice glandis; (Virg. Geor. IV.) Fulminat AEneas armis; (Id. AEn. XII.) Antra oetnea tonant (Id. AEn. VIII.) Et elucescet aliquando ille dies; (Cic. pro Mil.) Vesperascente coelo Thebas possunt pervenire (Corn. Nep. Pelop.) Il seroit superflu d'accumuler un plus grand nombre d'exemples; mais je remarquerai que la maniere dont quelques grammairiens veulent que l'on supplée le sujet de ces verbes, lorsqu'il n'est pas exprimé, ne me paroît pas assez juste: [p. 595] ils veulent qu'on leur donne un sujet cognatoe significationis, c'est - à - dire un nom qui ait la même racine que le verbe, & que l'on dise par exemple pluvia pluit, fulmen fulminat, fulgur fulgurat, lux lucesfit. C'est introduire gratuitement un pléonasme; ce qu'on ne doit jamais se permettre qu'en faveur de la netteté ou de l'énergie. On a voulu indiquer un moyen général de suppléer l'ellipse; mais ne vaudroit - il pas mieux renoncer à cette vûe, que de lui sacrifier la justesse de l'expression, comme il semble qu'on la sacrifie en effet dans lux lucescit? Lux signifie proprement la splendeur du corps lumineux; lucescit veut dire acquiert des degrés de splendeur; car lucescere est un verbe inchoatif. Voyez Inchoatif. Réunissez ces deux traductions, & jugez, la splendeur acquiert des degrés de splendeur! Consultons les bonnes sources, & réglons - nous dans chaque occurrence sur les exemples les plus analogues que nous aurons trouvés ailleurs: c'est, je crois, la regle générale la plus sûre que l'on doive proposer, & qu'il faille suivre.

Parcourons encore quelques verbes de terminaison active, prétendus impersonnels par la foule des grammatistes, & cependant appliqués par les meilleurs auteurs à des sujets déterminés, quelquefois même au nombre pluriel.

Accidit. Qui dies quàm crebro accidat, experti debemus scire; (Cic. pro Mil.) En accido ad tua genua; (Tacit.)

Contingit. Nam neque divitibus contingunt gaudia solis. (Hor. epist. I. 17.)

Decet. Nec velle experiri quàm se aliena deceant; id enim maximè quemque decet quod est cujusque maximè suum. (Cic. Offic. I.)

Libet & lubet. Nam quod tibi lubet, idem mihi libet. (Plaut. Mostell.)

Licet. Non mihi idem licet quod iis qui nobili genere nati sunt. (Cic.)

Licet & oportet. Est enim aliquid quod non oporteat, etiamsi liceat; quidquid verò non licet, certè non oportet. (Cic. pro Balbo.)

Oportet. Hoec facta ab illo oportebant. (Terent.) Adhuc Achillis quoe adsolent, quoeque oportent signa ad salutem esse, omnia huic esse video. (Id.)

Si nous trouvons ces verbes appliqués à des sujets déterminés dans les exemples que l'on vient de voir, pourquoi faire difficulté de reconnoître qu'il en est encore de même, lorsque ces sujets ne sont pas exprimés, ou qu'ils sont moins apparens? Me liceat casum miserari insontis amici; (AEn. V.) le sujet de liceat dans ce vers, c'est me miserari casum insontis amici: c'est la même chose dans ce texte d'Horace, Licuit semperque licebit signatum proesente nota producere nomen; (art poet. 58.) le sujet grammatical de licuit & de licebit, c'est l'infinitif producere; le sujet logique, c'est signatum proesente notâ producere nomen. On lit dans Corn. Nepos, (Milt. 1.) Accidit ut Athenienses Chersonesum colonos vellent mittere; la construction pleine montre clairement le sujet du verbe accidit: c'est res accidit ita ut Athenienses vellent mittere colonos in Chersonesum; ou bien, hoec res, ut Athenienses vellent mittere colonos in Chersonesum accidit: selon la premiere maniere, le nom sous - entendu res est le sujet d'accidit, & ita ut Athenienses, &c. est une expression adverbiale, modificative du même verbe accidit; selon la seconde maniere, le nom sous - entendu res, n'en est que le sujet grammatical, hoec ut Athenienses vellent, &c. est une proposition incidente, déterminative de res, & qui constitue avec res le sujet logique du verbe accidit. On peut, si je ne me trompe, choisir assez arbitrairement l'une de ces deux constructions, également approuvées par la saine Logique; mais il résulte également de l'une & de l'autre qu'accidit n'est pas impersonnel. Je ne dois pas insister davantage sur cette matiere; il suffit ici d'avoir indiqué la voie pour découvrir le sujet de ces verbes revétus de la terminaison active, & taxés faussement d'impersonnalité.

II. Il ne faut pas croire davantage que ceux que l'on allegue sous la terminaison passive, soient employés sans relation à aucun sujet; cela est absolument contraire à la nature des modes personnels, qui ne sont revétus de cette forme, que pour être mis en concordance avec le sujet particulier & déterminé auquel on les applique. Mais la méthode de trouver ce sujet mérite quelque attention; & je ne puis approuver celle que Priscien enscigne, & qui a été adoptée ensuite par les meilleurs grammairiens.

Voici comment s'explique Priscien: (lib. XVIII.) sed si quis & hoec omnia impersonnalia velit inspicere penitùs, ad ipsas res verborum referuntur, & sunt tertioe personoe, etiamsi prima & secunda deficiant. Il ajoute un peu plus bas: possunt habere intellectum nominativum ipsius rei, quoe in verbo intelligitur: nam cùm dico curritur, cursus intelligitur; & sedetur, sessio; & ambulatur, ambulatio; sic & similia; quoe res in omnibus verbis etiam absolutis necesse est ut intelligatur; ut vivo, vitam; & ambulo, ambulationem; & sedeo, sessionem; & curro, cursum.

Sanctius, (Minerv. lib. III. cap. j.) donne à ces paroles de Priscien, le nom de paroles d'or, aurea Prisciani verba, tant la doctrine lui en paroît plausible: aussi l'adopte - t - il dans toutes ses conséquences; & il s'en sert (cap. iij.) pour prouver qu'il n'y a point de verbes neutres, & que tous sont actifs ou passifs. Pour moi je ne saurois me persuader, que pour rendre raison de quelques locutions particulieres, il faille adopter universellement le pléonasme, qui est en soi un vice entierement opposé à l'exactitude grammaticale, & qui n'est en effet permis en aucune langue, que dans quelques cas rares, & pour des vûes particulieres que l'art de la parole ne doit point négliger. « Il y auroit autant de raison, comme l'observe très - bien M. Lancelot, (Gramm. gén. part. II. ch. xviij.) de prétendre que quand on dit homo candidus, il faut sous - entendre candore, que de s'imaginer que quand on dit currit, il faut sous - entendre cursum, ou currere». Toute la langue latine deviendroit donc un pléonasme perpétuel: que dis - je? Il en seroit ainsi de toutes les langues; & rien ne me dispenseroit de dire que je dormois, signifie en françois, je dormois le dormir; & ainsi du reste. Credat judoeus Apella, non ego.

Tout le monde sait que l'on dit également en latin, multi homines reperiuntur, plusieurs hommes sont trouvés, & multos homines reperire est, trouver, ou l'action de trouver plusieurs hommes, est; ce qui signifie également, selon le tour de notre langue, on trouve plusieurs hommes. C'est ainsi que Virgile (AEn. VI. 595.) dit, Necnon & Tityon terroe omnipotentis alumnum cernere erat, & qu'il auroit pû dire, n'eût été la contrainte du vers, Necnon & Tityus terroe omnipotentis alumnus cernebatur. Il n'y a plus qu'à se laisser aller au cours des conséquences de cette observation fondamentale, afin d'expliquer la langue latine par elle - même, plutôt que par des suppositions arbitraires & peu justes. Itur, fletur, statur, curritur, &c. sont pareillement des expressions équivalentes à ire est, flere est, stare est, currere est; ce qui paroît sans doute plus raisonnable que ire, ou itio itur; flere, ou fletus fletur; stare, ou statio statur; currere, ou cursus curritur; quoiqu'en ait pensé Priscien, & ceux qui l'ont répété d'après lui. Or dans ire est, flere est, stare est, il y a très - nettement un sujet, savoir, ire, flere, stare; & le verbe personnel est: itur, fletur, statur, ne sont

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