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Les Latins ont fait pareillement une altération à la terminaison radicale, dont ils ont changé le z en ss: atticissare, sicilissare, patrissare. Vossius (Gramm. lat. de derivitatis) remarque que les Latins ont préféré la terminaison latine en or à la terminaison greque en istare, & qu'en conséquence ils ont mieux aimé dire groecari que groecissare.
Si j'osois proposer une conjecture contre l'assertion d'un si savant homme, je dirois que cette différence de terminaison doit avoir un fondement plus raisonnable qu'un simple caprice; & la réalité de l'existence des deux mots latins groecissare & groecari est une preuve de mon opinion d'autant plus certaine, que l'on sait aujourd'hui qu'aucune langue n'admet une exacte synonymie. Il me paroît assez vraissemblable que la terminaison issare n'exprime qu'une imitation de langage, & que la terminaison ari exprime une imitation de conduite, de moeurs: alticissare (parler comme les Athéniens), patrissare (parler en pere); groecari (boire comme les Grecs), vulpinari (agir en renard, ruser). Les verbes imitatifs de la premiere espece ont une terminaison active, parce que l'imitation de langage n'est que momentanée, & dépendante de quelques actes libres qui se succedent de loin à loin, ou même d'un seul acte. Au contraire les verbes imitatifs de la seconde espece ont une terminaison passive; parce que l'imitation de conduite & de moeurs est plus habituelle, plus continue, & qu'elle fait même prendre les passions qui caractérisent les moeurs, de maniere que le sujet qui imite est pour ainsi dire transformé en l'objet imité: groecari (être fait grec), vulpinari (être fait renard: de sorte qu'il est à présumer que ces verbes, réputés déponens à cause de la maniere active dont nous les traduisons, & peut - être même à cause du sens actif que les Latins y avoient attaché, sont au fond de vrais verbes passifs, si on les considere dans leur origine & selon le véritable sens littéral. Dans la réalité, les uns & les autres, à raison de leur signification usuelle, sont des verbes actifs, absolus; actifs, parce qu'ils expriment l'action d'imiter; absolus, parce que le sens en est complet & défini en soi, & n'exige aucun complément extérieur.
Remarquons que la terminaison latine en issare ne
suffit pas pour en conclure que le verbe est imitatif:
l'assonnance seule n'est pas un guide assez sûr dans
les recherches analogiques; il faut encore faire attention
au sens des mots & à leur véritable origine.
C'est en quoi il me semble qu'a manqué Scaliger
(De caus. ling. lat. cap. cxxiij.), lorsqu'il compte
parmi les verbes imitatifs le verbe cyathissare: ce n'est
pas qu'il ne sente qu'il n'y a point ici de véritable
imitation: neque enim, dit - il, aut imitamur aut sequimur
Cyathum; mais il aime pourtant mieux imaginer
une métonymie, que d'abandonner l'idée d'imitation
qu'il croyoit voir dans la terminaison. Le verbe
grec qui correspond à cyathissare, c'est
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* IMITATION, s. f. (Gramm. & Philosoph.) c'est la
représentation artificielle d'un objet. La nature aveugle
n'imite point; c'est l'art qui imite. Si l'art imite
par des voix articulées, l'imitation s'appelle discours,
& le discours est oratoire ou poétique. Voyez
Imitation (Page 8:567)
Rien n'est plus permis que d'user des ouvrages qui sont entre les mains de tout lé monde; ce n'est point un crime de les copier; c'est au contraire dans leurs écrits, selon Quintilien, qu'il faut prendre l'abondance & la richesse des termes, la variété des figures, & la maniere de composer: enfuite, ajoute cet orateur, on s'attachera fortement à imiter les perfections que l'on voit en eux; car on ne doit pas douter qu'une bonne partie de l'art ne consiste dans l'imitation adroitement déguisée.
Laissons dire à certaines gens que l'imitation n'est qu'une espece de servitude qui tend à étouffer la vigueur de la nature; loin d'affoiblir cette nature, les avantages qu'on en tire ne servent qu'à la fortifier. C'est ce que M. Racine a prouvé solidement dans un mémoire agréable, dont le précis décorera cet article.
Stésychore, Archiloque, Hérodote, Platon, ont été des imitateurs d'Homere, lequel vraissemblablement n'a pû lui - même, sans imitation de ceux qui l'ont précédé, porter tout d'un coup la Poésie à son plus haut point de perfection. Virgile n'écrit presque rien qu'il n'imite; tantôt il suit Homere, tantôt Théocrite, tantôt Hésiode, & tantôt les poëtes de son tems; & c'est pour avoir eu tant de modeles, [p. 568]
J'avoue qu'il n'est pas impossible que des hommes plus favorisés du ciel que les autres, s'ouvrent d'eux - mêmes un chemin nouveau, & y marchent sans guides; mais de tels exemples sont si merveilleux, qu'ils doivent passer pour des prodiges.
En effet, le plus heureux génie a besoin de secours pour croître & se soutenir; il ne trouve pas tout dans son propre fonds. L'ame ne sauroit concevoir ni enfanter une production célebre, si elle n'a été comme fécondée par une source abondante de connoissances. Nos efforts sont inutiles, sans les dons de la nature; & nos efforts sont imparfaits si l'on n'accompagne ces dons, si l'imitation ne les perfectionne.
Mais il ne suffit pas de connoître l'utilité de l'imitation; il faut savoir encore quelles regles on doit suivre pour en retirer les avantages qu'elle est capable de procurer.
La premiere chose qu'il faut faire est de se choisir un bon modele. Il est plus facile qu'on ne pense de se laisser surprendre par des guides dangereux; on a besoin de sagacité pour discerner ceux auxquels on doit se livrer. Combien Séneque a - t - il contribué à corrompre le goût des jeunes gens de son tems & du nôtre? Lucain a égaré plusieurs esprits qui ont voulu l'imiter, & qui ne possédoient pas le feu de son éloquence. Son traducteur entraîné comme les autres, a eu la folle ambition de lui dérober la gloire du style ampoulé.
Il ne faut pas même s'attacher tellement à un excellent modele, qu'il nous conduise seul & nous fasse oublier tous les autres écrivains. Il faut comme une abeille diligente, voler de tous côtés, & s'enrichir du suc de toutes les fleurs. Virgile trouve de l'or dans le fumier d'Ennius; & celui qui peint Phedre d'après Eurypide, y ajoute encore de nouveaux traits que Séneque lui présente.
Le discernement n'est pas moins nécessaire pour prendre dans les modeles qu'on a choisis les choses qu'on doit imiter. Tout n'est pas également bon dans les meilleurs auteurs; & tout ce qui est bon ne convient pas également dans tous les tems & dans tous les lieux.
De plus, ce n'est pas assez que de bien choisir; l'imitation doit être faite d'une maniere noble, généreuse, & pleine de liberté. La bonne imitation est une continuelle invention. Il faut, pour ainsi dire, se transformer en son modele, embellir ses pensées, & par le tour qu'on leur donne, se les approprier, enrichir ce qu'on lui prend, & lui laisser ce qu'on ne peut enrichir. C'est ainsi que la Fontaine imitoit, comme il le déclare nettement.
Mon imitation n'est point un esclavage:
Si d'ailleurs quelque endroit plein chez eux d'excellence,
Peut entrer dans mes vers sans nulle violence, Je l'y transporte, & veux qu'il n'ait rien d'affecté, Tâchant de rendre mien, cet air d'antiquité.
Malherbe, par exemple, montre comment on peut enrichir la pensée d'un autre, par l'image sous laquelle il représente le vers si connu d'Horace, pallida mors oequo pulsat pede, pauperum tabernas, regumque turres.
Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre, Est sujet à ses lois; Et la garde qui veille aux barrieres du louvre, N'en défend pas nos rois.
Sophocle fait dire au malheureux Ajax, lorsqu'étant prêt de mourir, il trouve son fils:
Virgile exprime la même chose d'une maniere différente.
Disce, puer, virtutem ex me, verumque laborem, Fortunam ex aliis.
Et nous trouvons dans Andromaque la même idée rendue encore d'une façon nouvelle.
Fais connoître à mon fils, les héros de sa race: Autant que tu pourras, conduis - le sur leur trace; Dis - lui par quels exploits leurs noms ont éclaté, Plutôt ce qu'ils ont fait, que ce qu'ils ont été.
M. Despréaux qui disoit en badinant,
Si Virgile n'avoit pas osé joûter contre Homere, nous n'aurions point sa magnifique description de la descente d'Enée aux enfers, ni l'admirable peinture du bouclier de son héros. C'est ici qu'il faut convenir que le poëte latin nous apprend comment il s'y faut prendre pour se rendre original en imitant; c'est de cette maniere que les grands Peintres & les Sculpteurs imitent la nature, je veux dire en l'embellissant. Voyez le mémoire de M. l'abbé Fraguier sur les imitations de l'Enéïde.
L'approbation constante que l'Iphigénie de Racine a reçûe sur le théâtre françois, justifie sans doute l'opinion de ceux qui mettent cette tragédie au nombre des plus belles. En la comparant à la piece du même nom, qui a fait les délices du théâtre d'Athènes, on verra de quelle façon on doit imiter les anciens. Eurypide, de l'aveu d'Aristote, ne donne pas à son Iphigénie, un caractere constant & soutenu; d'abord, elle déclare qu'elle périt par le meurtre injuste d'un pere barbare: un moment après, elle change de sentiment, elle excuse ce pere, & prie Clytemnestre de ne point haïr Agamemnon, pour l'amour d'elle. L'auteur de l'Iphigénie moderne sentant la faute d'Eurypide, a pris grand soin de l'éviter; il a peint cette fille toujours respectueuse & toujours soumise aux volontés de son pere.
Ainsi l'imitation née de la lecture continuelle des bons originaux, ouvre l'imagination, inspire le goût, étend le génie, & perfectionne les talens; c'est ce qui fait dire à un de nos meilleurs poëtes:
Mon feu s'échauffe à leur lumiere, Ainsi qu'un jeune peintre instruit Sous Coypel & sous l'Argilliere, De ces maîtres qui l'ont conduit, Se rend la touche familiere; Il prend noblement leur maniere, Et compose avec leur esprit.
Ne rougissons donc pas de consulter des guides habiles,
toujours prêts à nous conduire. Quoiqu'ils
soient nos maîtres, la grande distance que nous
voyons entre eux & nous, ne doit point nous effrayer.
La carriere dans laquelle ils ont couru si glorieusement
est encore ouverte; nous pouvons les atteindre,
en les prenant pour modeles & pour rivaux
dans nos imitations; si nous ne les atteignons pas,
du - moins nous pouvons en approcher, & après les
grands hommes, il est encore des places honorables.
La réputation de Lucrece n'empêcha pas Virgile de
paroître, & la gloire d'Hortensius ne rallentit point
l'ardeur de Cicéron pour l'éloquence. Quel homme
étoit plus propre à desespérer ses rivaux que Corneille? cependant il a trouvé un égal; & quoiqu'un
autre ait mérité la même couronne, la sienne lui est
demeurée toute entiere, n'a rien perdu de son éclat.
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