ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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JEÛNE (Page 8:542)

JEÛNE, s. m. (Littérat.) abstinence religieuse, accompagnée de deuil & de macération.

L'usage du jeûne est de la plus grande antiquité; quelques théologiens en trouvent l'origine dans le paradis terrestre, où Dieu défendit à Adam de manger du fruit de l'arbre de vie; mais c'est - là confondre le jeûne avec la privation d'une seule chose. Sans faire remonter si haut l'établissement de cette pratique, & sans parler de sa solemnité parmi les Juifs, dont nous ferons un article à part, nous remarquerons que d'autres peuples, comme les Egyptiens, les Phéniciens, les Assyriens, avoient aussi leurs jeûnes sacrés; en Egypte, par exemple, on jeûnoit solemnellement en l'honneur d'Isis, au rapport d'Hérodote.

Les Grecs adopterent les mêmes coûtumes: chez les Athéniens il y avoit plusieurs fêtes, entr'autres celle d'Eleusine, & des Thesmophories, dont l'observation étoit accompagnée de jeûnes, particulierement pour les femmes, qui passoient un jour entier dans un équipage lugubre, sans prendre aucune nourriture. Plutarque appelle cette journée, la plus triste des Thesmophories: ceux qui vouloient se faire initier dans les mysteres de Cybèle, étoient obligés de se disposer à l'initiation par un jeûne de dix jours; s'il en faut croire Apulée, Jupiter, Cérès, & les autres divinités du paganisme, exigeoient le même devoir des prêtres ou prêtresses, qui rendoient leurs oracles; comme aussi de ceux qui se présentoient pour les consulter; & lorsqu'il s'agissoit de se purifier de quelque maniere que ce fût, c'étoit un préliminaire indispensable.

Les Romains, plus superstitieux que les Grecs, pousserent encore plus loin l'usage des jeûnes; Numa Pompilius lui - même observoit des jeûnes périodiques, avant les sacrifices qu'il offroit chaque année, pour les biens de la terre. Nous lisons dans Tite - Live, que les Décemvirs, ayant consulté par ordre du sénat, les livres de la sybille, à l'occasion de plusieurs prodiges arrivés coup - sur - coup, ils déclarerent que pour en arrêter les suites, il falloit fixer un jeûne public en l'honneur de Cérès, & l'observer de cinq en cinq ans: il paroît aussi qu'il y avoit à Rome des jeûnes réglés en l'honneur de Jupiter.

Si nous passons aux nations asiatiques, nous trouverons dans les Mémoires du P. le Comte, que les Chinois ont de tems immémorial, des jeûnes établis dans leur pays, pour les préserver des années de stérilité, des inondations, des tremblemens de terre, & autres desastres. Tout le monde sait que les Mahométans suivent religieusement le même usage; qu'ils ont leur ramadan, & des dervis qui poussent au plus haut point d'extravagance leurs jeûnes & leurs mortifications.

Quand on réfléchit sur une pratique si généralement répandue, on vient à comprendre qu'elle s'est établie d'elle - même, & que les peuples s'y sont d'abord abandonnés naturellement. Dans les afflictions particulieres, un pere, une mere, un enfant chéri, venant à mourir dans une famille, toute la maison étoit en deuil, tout le monde s'empressoit à lui rendre les derniers devoirs; on le pleuroit; on lavoit son corps; on l'embaumoit; on lui faisoit des obseques conformes à son rang: dans ces occasions, on ne pensoit guere à manger, on jeûnoit sans s'en appercevoir.

De même dans les desolations publiques, quand [p. 543] un état étoit affligé d'une sécheresse extraordinaire, de plaies excessives, de guerres cruelles, de maladies contagieuses, en un mot de ces fléaux où la force & l'industrie ne peuvent rien; on s'abandonne aux larmes; on met les desolations qu'on éprouve sur la colere des dieux qu'on a forgés; on s'humilie devant eux; on leur offre les mortifications de l'abstinence; les malheurs cessent; ils ne durent pas toûjours; on se persuade alors qu'il en faut attribuer la cause aux larmes & au jeûne, & on continue d'y recourir dans des conjonctures semblables.

Ainsi les hommes affligés de calamités particulieres ou publiques, se sont livrés à la tristesse, & ont négligé de prendre de la nourriture; ensuite ils ont envisagé cette abstinence volontaire comme un acte de religion. Ils ont cru qu'en macérant leur corps, quand leur ame étoit desolée, ils pouvoient émouvoir la miséricorde de leurs dieux ou de leurs idoles: cette idée saisissant tous les peuples, leur a inspiré le deuil, les voeux, les prieres, les sacrifices, les mortifications, & l'abstinence. Enfin, Jesus Christ étant venu sur la terre, a sanctifié le jeûne, & toutes les sectes chrétiennes l'ont adopté; mais avec un discernement bien différent; les unes en regardant superstitieusement cette observation commeune oeuvre de salut; les autres, en ne portant leurs vûes que sur la solide piété, qui se doit toute entiere à de plus grands objets. (D. J.)

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