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IDIOTISME (Page 8:497)
IDIOTISME, subst. masc. (Gramm.) c'est une
façon de parler éloignée des usages ordinaires, ou
des lois générales du langage, adaptée au génie propre
d'une langue particuliere. R.
Quand je dis qu'un idiotisme est une façon de parler adaptée au génie propre d'un langue particuliere, c'est pour faire comprendre que c'est plutôt un effet marqué du génie caractéristique de cette langue, qu'une locution incommunicable à tout autre idiome, comme on a coutume de le faire entendre. Les richesses d'une langue peuvent passer aisément dans une autre qui a avec elle quelque affinité; & toutes les langues en ont plus ou moins, selon les différens degrés de liaison qu'il y a ou qu'il y a eu entre les peuples qui les parlent ou qui les ont parlées. Si l'italien, l'espagnol & le françois sont entés sur une même langue originelle, ces trois langues auront apparemment chacune à part leurs idiotismes particuliers, parce que ce sont des langues différentes; mais il est difficile qu'elles n'aient adopté toutes trois quelques idiotismes de la langue qui sera leur source commune, & il ne seroit pas étonnant de trouver dans toutes trois des celticismes. Il ne seroit pas plus merveilleux de trouver des idiotismes de l'une des trois dans l'autre, à cause des liaisons de voisinage, d'intérêts politiques, de commerce, de religion, qui subsistent depuis long - tems entre les peuples qui les parlent; comme on n'est pas surpris de rencontrer des arabismes dans l'espagnol, quand on sait l'histoire de la longue domination des Arabes en Espagne. Personne n'ignore que les meilleurs auteurs de la latinité sont pleins d'hellénismes: & si tous les littérateurs conviennent qu'il est plus facile de traduire du grec que du latin en françois, c'est que le génie de notre langue approche plus de celui de la langue greque que de celui de la langue latine, & que notre langage est presque un hellénisme continuel.
Mais une preuve remarquable de la communicabilité
des langues qui paroissent avoir entre elles le
moins d'affinité, c'est qu'en françois même nous hébraïsons.
C'est un hébraïsme connu que la répétition
d'un adjectif ou d'un adverbe, que l'on veut élever
au sens que l'on nomme communément superlatif.
Voyez
Malgré les hellénismes reconnus dans le latin, on
a cru assez légérement que les idiotismes étoient des
locutions propres & incommunicables, & en conséquence
on a pris & donné des idées fausses ou louches;
& bien des gens croient encore qu'on ne désigne
par ce nom général, ou par quelqu'un des noms
spécifiques qui y sont analogues, que des locutions
vicieuses imitées mal - adroitement de quelque autre
langue. Voyez
On donne communément à entendre que ce sont des manieres de parler contraires aux lois de la Grammaire générale. Il y a en effet des idiotismes qui sont dans ce cas; & comme ils sont par - là même les plus frappans & les plus aisés à distinguer, on a cru aisément que cette opposition aux lois immuables de la Grammaire, faisoit la nature commune de tous. Mais il y a encore une autre espece d'idiotismes qui sont des façons de parler éloignées seulement des usages ordinaires, mais qui ont avec les principes fondamentaux de la Grammaire générale toute la conformité exigible. On peut donner à ceux - ci le nom d'idiotismes réguliers, parce que les regles immuables de la parole y sont suivies, & qu'il n'y a de violé que les institutions arbitraires & usuelles: les autres au contraire prendront la dénomination d'idiotismes irréguliers, parce que les regles immuables de la parole y sont violées. Ces deux especes sont comprises dans la définition que j'ai donnée d'abord; & je vais bientôt les rendre sensibles par des exemples; mais en y appliquant les principes qu'il convient de suivre pour en pénétrer le sens, & pour y découvrir, s'il est possible, les caracteres du génie propre de la langue qui les a introduits.
I. Les idiotismes réguliers n'ont besoin d'aucune autre attention, que d'être expliqués littéralement pour être ramenés ensuite au tour de la langue naturelle que l'on parle.
Je trouve par exemple que les Allemands disent, diese gelehrten manner, comme en latin, hi docti viri, ou en françois, ces savans hommes; & l'adjectif gelehrten s'accorde en toutes manieres avec le nom manner, comme l'adjectif latin docti avec le nom viri, ou l'adjectif françois savans avec le nom hommes; ainsi les Allemans observent en cela, & les lois générales & les usages communs. Mais ils disent, diese manner sind gelehrt; & pour le rendre littéralement en latin, il faut dire hi viri sunt doctè, & en françois, ces hommes sont savamment, ce qui veut dire indubitablement ces hommes sont savans: gelehrt est donc un adverbe, & l'on doit reconnoître ici que les Allemands s'écartent des usages communs, qui donnent la préférence à l'adjectif en pareil cas. On
Voici un latinisme régulier dont le développement peut encore amener des vues utiles: neminem reperire est id qui velit. Il y a là quatre mots qui n'ont rien d'embarrassant: qui velit id (qui veuille cela) est une proposition incidente déterminative de l'antécédent neminem; neminem (ne personne) est le complément ou le régime objectif grammatical du verbe reperire; neminem qui velit id (ne trouver personne qui veuille cela); c'est une construction exacte & réguliere. Mais que faire du mot est? il est à la troisieme personne du singulier; quel en est le sujet? comment pourra - t - on lier à ce mot l'infinitif reperire avec ses dépendances? Consultons d'autres phrases plus claires dont la solution puisse nous diriger.
On trouve dans Horace (III. Od. 2.) dulce & decorum est pro patriâ mori; & encore (IV. Od. 12.) dulce est desipere in loco. Or la construction est facile: mori pro patriâ est dulce & decorum; desipere in loco est dulce: les infinitifs mori & desipere y sont traités comme des noms, & l'on peut les considérer comme tels: j'en trouve une preuve encore plus forte dans Perse, Sat. 1. scire tuum nihil est; l'adjectif tuum mis en concordance avec scire, désigne bien que scire est considéré comme nom. Voilà la difficulté levée dans notre premiere phrase: le verbe reperire est ce que l'on appelle communément le nominatif du verbe est; ou en termes plus justes, c'en est le sujet grammatical, qui seroit au nominatif, s'il étoit déclinable: reperire neminem qui velit id, en est donc le sujet logique. Ainsi il faut construire, reperire neminem qui velit id, est; ce qui signifie littéralement, ne trouver personne qui le veuille, est ou existe; ou en transposant la négation, trouver quelqu'un qui le veuille, n'est pas ou n'existe pas; ou enfin, en ramenant la même [p. 499]
C'est la même syntaxe & la même construction
par - tout où l'on trouve un infinitif employé comme
sujet du verbe sum, lorsque ce verbe a le sens adjectif,
c'est - à - dire lorsqu'il n'est pas simplement verbe
substantif, mais qu'il renferme encore l'idée de l'existence
réelle comme attribut, & conséquemment
qu'il est équivalent à existo. Ce n'est que dans ce cas
qu'il y a latinisme; car il n'y a rien de si commun
dans la plûpart des langues, que de voir l'infinif sujet
du verbe substantif, quand on exprime ensuite un
attribut déterminé: ainsi dit - on en latin turpe est mentiri, & en françois, mentir est une chose honteuse. Mais
nous ne pouvons pas dire voir est pour on voit, voir
étoit pour on voyoit, voir sera, pour on verra, comme
les Latins disent videre est, videre erat, videre erit.
L'infinitif considéré comme nom, sert aussi à expliquer
une autre espece de latinisme qu'il me semble
qu'on n'a pas encore entendu comme il faut, & à
l'explication duquel les rudimens ont substitué les
difficultés ridicules & insolubles du redoutable que
retranché. Voyez
II. Pour ce qui regarde les idiotismes irréguliers, il faut, pour en pénétrer le sens, discerner avec soin l'espece d'écart qui les détermine, & remonter, s'il est possible, jusqu'à la cause qui a occasionné ou pû occasionner cet écart: c'est même le seul moyen qu'il y ait de reconnoître les caracteres précis du génie propre d'une langue, puisque ce génie ne consiste que dans la réunion des vues qu'il s'est proposées, & des moyens qu'il a autorisés.
Pour discerner exactement l'espece d'écart qui détermine
un idiotisme irrégulier, il faut se rappeller ce
que l'on a dit au mot
Si l'usage particulier d'une langue autorise l'altération du sens propre de quelques mots, & la substitution d'un sens étranger, c'est alors une figure de mots que l'on appelle trope. Voyez ce mot.
Si l'usage autorise une locution contraire aux lois
générales de la Syntaxe, c'est alors une figure que
l'on nomme ordinairement figure de construction, mais
que j'aimerois mieux que l'on désignât par la dénomination
plus générale de figure de Syntaxe, en réservant
le nom de figure de construction aux seules locutions
qui s'écartent des regles de la construction
proprement dite. Voyez
1°. Lorsqu'un trope est tellement dans le génie d'une langue, qu'il ne peut être rendu littéralement dans une autre, ou qu'y étant rendu littéralement il y exprime un tout autre sens, c'est un idiotisme de la langue originale qui l'a adopté; & cet idiotisme est irrégulier, parce que le sens propre des mots y est abandonne; ce qui est contraire à la premiere institution des mots. Ainsi le superstitieux euphémisme, qui dans la langue latine a donné le sens de sacrifier au verbe mactare, quoique ce mot signifie dans son étymologie augmenter davantage (magis auctare); cet euphémisme, dis - je, est tellement propre au génie
C'est pareillement un trope qui a introduit dans
notre langue ces idiotismes déja remarqués au mot
2°. Ce que l'on vient de dire des tropes, est également vrai des figures de Syntaxe: telle figure est
un idiotisme irrégulier, parce qu'elle ne peut être rendue
littéralement dans une autre langue, ou que la
version littérale qui en seroit faite, y auroit un autre
sens. Ainsi l'usage où nous sommes, dans la langue
françoise, d'employer l'adjectif possessif masculin,
mon, ton, son, avant un nom féminin qui commence
par une voyelle ou par une h muette, est un
idiotisme irrégulier de notre langue, un gallicisme;
parce que l'imitation littérale de cette figure dans
une autre langue n'y seroit qu'un solécisme. Nous
disons mon ame, & l'on ne diroit pas meus anima;
ton opinion, & l'on ne peut pas dire tuus opinio: c'est
que les Latins avoient pour éviter l'hiatus occasionné
par le concours des voyelles, des moyens qui nous
sont interdits par la constitution de notre langue, &
dont il étoit plus raisonnable de faire usage, que de
violer une loi aussi essentielle que celle de la concordance
que nous transgressons: ils pouvoient dire anima mea, opinio tua; & nous ne pouvons pas imiter
ce tour, & dire ame ma, opinion ta. Notre langue
sacrifie donc ici un principe raisonnable aux agrémens
de l'euphonie (voyez
Voici une ellipse qui est devenue une locution propre à notre langue, un gallicisme, parce que l'usage en a prévalu au point qu'il n'est plus permis de suivr en pareil cas la Syntaxe pleine: il ne laisse pas d'agir, notre langue ne laisse pas de se prêter à tous les genres d'écrire, on ne laisse pas d'abandonner la vertu en la louant, c'est - à - dire il ne laisse pas le soin d'agir, notre langue ne laisse pas la faculté de se prêter à tous les genres d'écrire, on ne laisse pas la foiblesse d'abandonner la vertu en la louant. Nous préférons dans ces [p. 500]
S'il est facile de ramener à un nombre fixe de chefs
principaux les écarts qui déterminent les différens
idiotismes, il n'en est pas de même de vues particulieres
qui peuvent y influer: la variété de ces causes
est trop grande, l'influence en est trop délicate, la
complication en est quelquefois trop embarrassante
pour pouvoir établir à ce sujet quelque chose de bien
certain. Mais il n'en est pas moins constant qu'elles
tiennent toutes, plus ou moins, au génie des diverses
langues, qu'elles en sont des émanations, & qu'elles
peuvent en devenir des indices.
Mais si l'on veut démêler dans les idiotismes réguliers ou irréguliers, ce que le génie particulier de la langue peut y avoir con ribué, la premiere chose essentielle qu'il y ait à faire, c'est de s'assurer d'une bonne interpré ation littérale. Elle suppose deux choses; la traduction rigoureuse de chaque mot par sa signification propre, & la réduction de toute la phrase à la plénitude de la construction analytique, qui seule peut remplir les vuides de l'ellipse, corriger les rédondances du pléonasme, redresser les écarts de l'inversion, & faire rentrer tout dans le système invariable de la Grammaire générale.
Dans les premieres années de notre enfance,
nous lions certaines idées à certaines impressions;
l'habitude confirme cette liaison. Les esprits animaux
prennent une route déterminée pour chaque
idée particuliere; de sorte que lorsqu'on veut dans
la suite exciter la même idée d'une maniere différente,
on cause dans le cerveau un mouvement
contraire à celui auquel il est accoutumé, & ce
mouvement excite ou de la surprise ou de la risée,
& quelquefois même de la douleur: c'est pourquoi
chaque peuple différent trouve extraordinaire
l'habillement ou le langage d'un autre peuple. On
rit à Florence de la maniere dont un François prononce
le latin ou l'italien, & l'on se moque à Paris de la prononciation du Florentin. De même la
plûpart de ceux qui entendent traduire pater ejus,
le pere de lui, au lieu de son pere, sont d'abord portés
à se moquer de la traduction.
Cependant comme la maniere la plus courte
Au reste il n'y a pas lieu de craindre que cette
façon d'expliquer apprenne à mal parler françois.
1°. Plus on a l'esprit juste & net, mieux on écrit
& mieux on parle: or il n'y a rien qui soit plus
propre à donner aux jeunes gens de la netteté & de
la justesse d'esprit, que de les exercer à la traduction
littérale, parce qu'elle oblige à la précision,
à la propriété des termes, & à une certaine exactitude
qui empêche l'esprit de s'égarer à des idées
étrangeres.
2°. La traduction littérale fait sentir la différence
des deux langues. Plus le tour latin est éloigné du
tour françois, moins on doit craindre qu'on l'imite
dans le discours. Elle fait connoître le génie de la
langue latine; ensuite l'usage, mieux que le maître,
apprend le tour de la langue françoise.»
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