ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"586"> rare; & communément le froid a besoin d'être aidé pour nuire beaucoup. L'eau, & toute liqueur aqueuse, se raréfie en se gelant; s'il y en a qui soit contenue dans les pores intérieurs de l'arbre, elle s'étendra donc par un certain degré de froid, & mettra nécessairement les petites parties les plus délicates dans une distension forcée & très - considérable; car on sait que la force de l'extension de l'eau qui se gele est presque prodigieuse; que le soleil survienne, il fondra brusquement tous ces petits glaçons, qui reprendront leur volume naturel: mais les parties de l'arbre qu'ils avoient distendues violemment pourront ne pas reprendre de même leur premiere extension; & si elle leur étoit nécessaire pour les fonctions qu'elles doivent exercer, tout l'intérieur de l'arbre étant altéré, la végétation sera troublée, ou même détruite, du moins en quelque partie. Il auroit fallu que l'arbre eût été dégelé doucement & par degrés, comme on dégele des parties gelées d'animaux vivans. Ce système est très - applicable à l'effet du grand froid de 1709, dont nous avons parlé plus haut.

Les plantes résineuses seront moins sujettes à la gelée, ou en seront moins endommagées que les autres. L'huile ne s'étend pas par le froid comme l'eau; au contraire, elle se resserre.

Un grand froid agit par lui - même sur les arbres qui contiendront le moins de ces petits glaçons intérieurs, ou qui n'en contiendront point du tout, si lon veut; sur les arbres les plus exposés au soleil, & sur les parties les plus fortes, comme le tronc. On voit par - là quelles sont les circonstances dont un froid médiocre a besoin pour être nuisible: il y en a sur - tout deux fort à craindre; l'une, que les arbres ayent été imbibés d'eau ou d'humidité quand le froid est venu, & qu'ensuite le dégel soit brusque; l'autre, que cela arrive dans un tems où les parties les plus tendres & les plus précieuses de l'arbre, les rejettons, les bourgeons, les fruits, commencent à se former.

L'hyver de 1709 rassembla les circonstances les plus fâcheuses; aussi est - on bien sûr qu'un pareil hyver ne peut être que rare. Le froid fut par lui - même fort vif: mais la combinaison des gelées & des dégels fut singulierement funeste; après de grandes pluies, & immédiatement après, vint une gelée très forte dès son premier commencement; ensuite un dégel d'un jour ou deux, très - subit & très - court; & aussi - tôt une seconde gelée longue & forte.

MM. de Buffon & Duhamel ont vû beaucoup d'arbres qui se sentoient de l'hyver de 1709, & qui en avoient contracté des maladies ou des défauts sans remede. Un des plus remarquables est ce qu'ils ont appellé le faux aubier: on voit sous l'écorce de l'arbre le véritable aubier, ensuite une couche de bois parfait qui ne s'étend pas comme elle devroit jusqu'au contre du tronc, en devenant toûjours plus parfaite, mais qui est suivie par une nouvelle couche de bois imparfait, ou de faux aubier; après quoi revient le bois parfait qui va jusqu'au centre. On est sûr par les indices de l'âge de l'arbre & de leurs différentes couches, que le faux aubier est de 1709. Ce qui cette année - là étoit le véritable aubier ne put se convertir en bon bois, parce qu'il fut trop altéré par l'excès du froid, la végétation ordinaire fut comme arrêtée - là: mais elle reprit son cours dans les années suivantes, & passa par - dessus ce mauvais pas; de sorte que le nouvel aubier qui environna ce faux aubier, se convertit en bois de son tems, & qu'il resta à la circonférence du tronc celui qui devoit toûjours y être naturellement.

Le faux aubier est donc un bois plus mal conditionné & plus imparfait que l'aubier; c'est ce que la différence de pesanteur & la facilité à rompre ont en effet prouvé. Un arbre qui auroit un faux aubier seroit fort défectueu pour les grands ouvrages, & d'autant plus que ce vice est plus caché, & qu'on s'avise moins de le soupçonner.

Les gelées comme celle de 1709, & qui sont proprement des gelées d'hyver, ont rarement les conditions nécessaires pour faire tant de ravages, ou des ravages si marqués en grand: mais les gelées du printems, moins fortes en elles - mêmes, sont assez fréquentes, & assez souvent en état, par les circonstances, de faire beaucoup de mal. La théorie qui précede en rend raison: mais elle fournit en même tems dans la pratique de l'agriculture des regles pour y obvier, dont nous nous contenterons d'apporter quelques exemples.

Puisqu'il est si dangereux que les plantes soient attaquées par une gelée de printems, lorsqu'elles sont foit remplies d'humidité, il faut avoir attention, sur - tout pour les plantes délicates & précieuses, telles que la vigne, à ne les pas mettre dans un terrein naturellement humide, comme un sond, ni à l'abri d'un vent de nord qui auroit dissipé leur humidité, ni dans le voisinage d'autres plantes qui leur en auroient fourni de nouvelles par leur transpiration, ou de terres labourées nouvellement, qui feroient le même effet.

Les grands arbres mêmes, dès qu'ils sont tendres à la gelée, comme les chênes, doivent être compris dans cette regle: mais voyez dans le Mémoire même de MM. Duhamel & Buffon, année 1737, le détail des avantages qu'on peut retirer de leurs observations, & concluez avec l'Historien de l'Académie, 1°. que si la nécessité des expériences pouvoit être douteuse, rien ne la prouveroit mieux que les grands effets que de petites attentions peuvent avoir dans l'agriculture & dans le jardinage. On apperçoit à chaque moment des différences très sensibles, dans des cas où il ne paroît pas qu'il dût s'en trouver aucune; d'où naissent - elles? de quelques principes qui échappent par leur peu d'importance apparente: 2°. que si l'agriculture qui occupe la plus grande partie des hommes pendant toute leur vie, & pour leurs besoins les plus essentiels, n'a pourtant fait que des progrès fort lents, c'est que ceux qui exercent par état cet art important, n'ont presque jamais un certain esprit de recherche & de curiosité; ou que quand ils l'ont, le loisir leur manque; ou que si le loisir ne leur manque pas, ils ne sont pas en état de rien hasarder pour des épreuves. Ces gens ne voyent donc que ce qu'ils sont forcés de voir, & n'apprennent que ce qu'ils ne peuvent, pour ainsi dire, éviter d'apprendre. Les Académies modernes ont enfin senti combien il étoit utile de tourner ses vûes d'un côté si intéressant, quoique peut - être dépourvù d'un certain éclat: mais tout prend de l'étendue, de l'élévation & de la dignité dans certaines mains; le caractere de l'esprit de l'homme passe nécessairement dans la maniere dont il exécute sa tâche, & dans la maniere dont il l'expose. Il est des gens qui ne savent dire que de petites choses sur de grands sujets; il en est d'autres à qui les plus petits sujets en suggerent de grandes.

10. Des arbres dépouillés de leur écorce dans toute leur tige, & laissés sur pié en cet état jusqu'à ce qu'ils meurent, ce qui ne va qu'à trois ou quatre ans au plus, fournissent un bois plus pesant, plus serré, & plus uniformément serré que ne feroient d'autres arbres de même espece, de même âge, de même grosseur, semblables en tout, mais qui n'auroient pas été dépouillés de leur écorce, & qui n'auroient pas été traités de même: outre cela ils fournissent plus de bois bon à employer; car des autres arbres il en faut retrancher l'aubier, qui est trop tendre & trop différent du coeur; au lieu que dans ceux - ci tout est [p. 587] coeur; ou leur aubier, ou ce qui en tient la place, est aussi dur, ou même plus dur que le coeur des autres. On trouvera dans les remarques précédentes dequoi expliquer ce phénomene; on n'a qu'à voir comment l'aubier devient bois parfait à la longue, & l'on verra comment il doit se durcir tout en se formant, quand l'arbre est sans écorce.

La différence de poids entre deux morceaux de chêne, qui ne different que de ce que l'un vient d'un arbre écorcé & que l'autre vient d'un arbre non écorcé, & par conséquent la différence de solidité est d'un cinquieme, ce qui n'est pas peu considérable.

Malgré cet avantage de l'écorcement des arbres, les ordonnances le défendent séverement dans le royaume; & les deux Académiciens, à qui nous avons obligation de ces expériences utiles, ont eu besoin de permission pour oser les faire. Cette maniere de consolider les bois n'étoit entierement inconnue ni aux anciens ni aux modernes: Vitruve avoit dit que les arbres entaillés par le pié en acquéroient plus de qualité pour les bâtimens; & un auteur moderne Anglois, cité par M. de Buffon, avoit rapporté cette pratique comme usitée dans une province d'Angleterre.

Le tan nécessaire pour les cuirs se fait avec l'écorce de chêne; & on l'enlevoit dans le tems de la seve, parce qu'alors elle étoit plus aisée à enlever, & que l'opération coûtoit moins: mais ces arbres écorcés ayant été abbatus, leurs souches repoussoient moins, parce que les racines s'étoient trop épuisées de sucs; on croyoit d'ailleurs que ces souches ne repoussoient plus de collet, comme il le faut pour faire de nouveau bois; ce qui n'est vrai que des vieux arbres, ainsi que M. de Buffon s'en est assûré.

Ur. arbre écorcé produit encore au moins pendant une année des feuilles, des bourgeons, des fleurs, & des fruits; par conséquent il est monté des racines dans tout son bois, & dans celui - même qui étoit le mieux formé, une quantité de séve suffisante pour ces nouvelles productions. La seule séve propre à nourrir le bois, a formé aussi tout le reste donc il n'est pas vrai, comme quelques - uns le croyent, que la séve de l'écorce, celle de l'aubier, & celle du bois, nourrissent & forment chacune une certaine partie à l'exclusion des autres.

Pour comparer la transpiration des arbres écorcés & non écorcés, M. Duhamel fit passer dans de gros tuyaux de verre des tiges de jeunes arbres, toutes semblables; il les mastiqua bien haut & bas, & il observa que pendant le cours d'une journée d'été tous les tuyaux se remplissoient d'une espece de vapeur, de brouillard, qui se condensoient le soir en liqueur, & couloient en en - bas; c'étoit - là sans doute la matiere de la transpiration; elle étoit sensiblement plus abondante dans les arbres écorcés: de plus on voyoit sortir des pores de leur bois une séve épaisse & comme gommeuse.

De - là M. Duhamel conclut que l'écorce empêche l'excès de la transpiration, & la réduit à n'être que telle qu'il le faut pour la végétation de la plante; que puisqu'il s'échappe beaucoup plus de sucs des arbres écorcés, leurs couches extérieures doivent se dessécher plus aisément & plus promptement; que ce desséchement doit gagner les couches intérieures, &c. Ce raisonnement de M. Duhamel explique peut - être le durcissement prompt des couches extérieures: mais il ne s'accorde pas, ce me semble, aussi facilement avec l'accroissement de poids qui survient dans le bois des arbres écorcés.

Si l'écorcement d'un arbre contribue à le faire mourir, M. Duhamel conjecture que quelque enduit pourroit lui prolonger la vie, sans qu'il prît un nouvel accroissement: mais il ne pourroit vivre sans s'accroître, qu'il ne devînt plus dur & plus compact; & par conséquent plus propre encore aux usages qu'on en pourroit tirer: la conjecture de M. Duhamel mérite donc beaucoup d'attention.

Mais nous ne finïrons point cet article sans faire mention de quelques autres vûes de l'habile Académicien que nous venons de citer, & qui sont entierement de notre sujet.

La maniere de multiplier les arbres par bouture & par marcotte, est extrèmement ancienne & connue de tous ceux qui se sont mêlés d'agriculture. Une branche piquée en terre devient un arbre de la même espece que l'arbre dont elle a été séparée. Cette maniere de multiplier les arbres est beaucoup plus prompte que la voie de semence; & d'ailleurs elle est unique pour les arbres étrangers transportes dans ce paysci, & qui n'y produisent point de graine. C'est aussi ce qui a engagé M. Duhamel à examiner cette méthode avec plus de soin.

Faire des marcottes ou des boutures, c'est faire ensorte qu'une branche qui n'a point de racines s'en garnisse; avec cette différence que si la branche est séparée de l'arbre qui l'a produite, c'est une bouture; & que si elle y ient pendant le cours de l'opération, c'est une marcotte. Voyez Bouture & Marcotte. Il étoit donc nécessaire d'examiner avec attention comment se faisoit le développement des racines, si on vouloit parvenir à le faciliter.

Sans vouloir établir dans les arbres une circulation de séve analogue à la circulation de sang qui se fait dans le corps animal, M. Duhamel admet une séve montante qui sert à nourrir les branches, les feuilles & les bourgeons; & une descendante qui se porte vers les racines. L'existence de ces deux especes de séves est démontrée par plusieurs expériences. Celle - ci sur - tout la prouve avec la derniere évidence. Si on interrompt par un anneau circulaire enlevé à l'écorce, ou par une forte ligature le cours de la séve, il se forme aux extrémités de l'écorce coupée deux bourrelets: mais le plus haut, celui qui est au bas de l'écorce supérieure, est beaucoup plus fort que l'inférieur, que celui qui couronne la partie la plus basse de l'écorce. La même chose arrive à l'insertion des greffes; il s'y forme de même une grosseur; & si cette grosseur est à portée de la terre, elle ne manque pas de pousser des racines: alors si le sujet est plus foible que l'arbre qu'on a greffé dessus, il périt, & la greffe devient une véritable bouture.

I'analogie de ces bourrelets & de ces grosseurs dont nous venons de parler, a conduit M. Duhamel à penser que ceux - ci pourroient de même donner des racines; il les a enveloppés de terre ou de mousse humectée d'eau, & il a vû qu'en effet ils en produisoient en abondance.

Voilà donc déjà un moyen d'assûrer le succès des boutures. Ordinairement elles ne périssent que parce qu'il faut qu'elles vivent de la séve qu'elles contiennent, & de ce qu'elles peuvent tirer de l'air par leurs bourgeons, jusqu'à ce qu'elles aient formé des racines par le moyen que nous venons d'indiquer. En faisant sur la branche encore attachée à l'arbre la plus grande partie de ce qui se passeroit en terre, on les préservera de la pourriture & du dessechement, qui sont ce qu'elles ont le plus à craindre.

M. Duhameì ne s'est pas contenté de cette expérience, il a voulu connoître la cause qui faisoit descendre la séve en si grande abondance. On pouvoit soupçonner que c'étoit la pesanteur. Pour s'en éclaircir, après avoir fait des entailles & des ligatures à des branches, il les a pliées de façon qu'elles eussent la tête en bas; cette situation n'a point troublé l'opération de la nature, & les bourrelets se sont formés, comme si la branche eût été dans sa situation naturelle. Mais voici quelque chose de plus surprenant. M. Duhamel a planté des arbres dans une situa<pb->

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