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Parmi les Grecs qui abandonnerent leur patrie, & qui vinrent, pour ainsi - dire, transplanter les lettres en >alie, Theodore Gaza fut un des plus célebres; il étoit instruit de tous les sentimens des différentes sectes de philosophie; il étoit grand Medecin, profond Théologien, & surtout très - versé dans les Belles - lettres. Il étoit de Thessalonique: les armes victorieuses d'Amurat qui ravageoit tout l'orient, le firent refugier en Italie. Le cardinal Bessarion le reçût avec amitié, & l'ordonna prêtre. Il traduisit l'histoire des animaux d'Aristote, & les problèmes de Theophraste sur les plantes. Ses traductions lui plaisoient tant, qu'il prétendoit avoir rendu en aussi beau Latin Aristote, que ce philosophe avoit écrit lui - même en Grec. Quoiqu'il passe pour un des meilleurs traducteurs, il faut avoüer avec Erasme, qu'on remarque dans son latin un tour grec, & qu'il se montre un peu trop imbu des opinions de son siecle. Cosme de Médicis se joignit au cardinal Bessarion, pour lui faire du bien. Comblé de leurs bienfaits, il auroit pû mener une vie agréable & commode: mais l'oeconomie ne fut jamais son défaut; l'avidité de certains petits Grecs & des Brutiens ne lui laissa jamais dequoi parer aux coups de la fortune. Il fut réduit à une extrème pauvreté; & ce fut alors que pour soulager sa misere, il traduisit l'histoire des animaux, dont j'ai
George de Trebizonde s'adonna, ainsi que Gaza, à la Philosophie des Péripatéticiens. Il étoit Crétois de naissance, & ne se disoit de Trebizonde que parce que c'étoit la patrie de ses ancêtres paternels. Il passa en Italie pendant la tenue du concile de Florence, & lorsqu'on traitoit de la réunion des Grecs avec les Latins. Il fut d'abord à Venise, d'où il passa à Rome, & y enseigna la Rhétorique & la Philosophie. Ce fut un des plus zélés défenseurs de la Philosophie péripatéticienne; il ne pouvoit souffrir tout ce qui y donnoit la moindre atteinte. Il écrivit avec beaucoup d'aigreur & de fiel contre ceux de son tems qui suivoient la Philosophie de Platon. Il s'attira par - là beaucoup d'ennemis. Nicolas V. son protecteur, désapprouva sa conduite, malgré la pente qu'il avoit pour la Philosophie d'Aristote. Son plus redoutable adversaire fut le cardinal Bessarion, qui prit la plume contre lui, & le réfuta sous le nom de calomniateur de Platon. Il eut pourtant une ennemi encore plus à craindre que le cardinal Bessarion; ce fut la misere & la pauvreté: cette dispute, malheureusement pour lui, coupa tous les canaux par où lui venoient les vivres. La plume d'un savant, si elle ne doit point être dirigée par les gens riches, doit au moins ne pas leur être desagréable: il faut d'abord assûrer sa vie avant de philosopher; semblables en cela aux Astronomes, qui quand ils doivent extremement lever la tête pour observer les astres, assûrent auparavant leurs piés. Il mourut ainsi martyr du Péripatéticisme. La postérité lui pardonne plus aisément ses injures contre les Platoniciens de son tems, que son peu d'exactitude dans ses traductions. En effet, l'attention, l'érudition, & qui plus est, la bonne foi, manquent dans ses traductions des lois de Platon, & de l'histoire des animaux d'Aristote. Il prenoit même souvent la liberté d'ajoûter au texte, de le changer, ou d'omettre quelque chose d'intéressant, comme on peut s'en convaincre par la traduction qu'il nous a donnée d'Eusebe.
On a pû voir jusqu'ici que les savans étoient partagés à la renaissance des lettres entre Platon & Aristote. Les deux partis se firent une cruelle guerre. Les sectateurs de Platon ne pûrent souffrir que leur maître, le divin Platon, trouvât un rival dans Aristote: ils pensoient que la seule barbarie avoit pû donner l'empire à sa Philosophie, & que depuis qu'un nouveau jour luisoit sur le monde savant, le Péripatéticisme devoit disparoitre. Les Péripatéticiens de leur côté ne défendoient pas leur maître avec moins de zele: on fit des volumes de part & d'autre, où vous trouverez plus aisément des injures que de bonnes raisons; ensorte que si dans certains vous changiez le nom des personnes, au lieu d'être contre Arist>te, vous le trouveriez contre Platon; & cela parce que les injures sont communes à toutes les sectes, & que les défenseurs & les aggresseurs ne peuvent différer entr'eux, que lorsqu'ils donnent des raisons.
Des Philosophes récens Aristotélico - scholastiques. Les disputes de ces savans atrabilaires, dont nous venons de parler, n'apprenoient rien au monde> elles paroissoient au contraire devoir le replonger dans la barbarie d'où il étoit sorti depuis quelque tems. Plusieurs savans firent tous leurs efforts pour détourner [p. 663]
A la tête des scholastiques, nous devrions mettre sans doute S. Thomas & Pierre Lombard; mais nous parlons d'un tems beaucoup plus récent: nous parlons ici des scholastiques qui vivoient vers le tems de la célébration du concile de Trente.
Dominique Soto fut un des plus célebres; il naquit en Espagne de parens pauvres; sa pauvreté retarda le progrès de ses études; il fut étudier à Alcala de Naris; il eut pour maître le célebre Thomas de Villa - Nova; de - là il vint à Paris, où il prit le bonnet de Docteur; il repassa en Espagne & prit l'habit de S. Dominique à Burgos; peu de tems après, il succéda à Thomas de S. Victor dans une chaire de professeur à Salamanque: il s'acquit une si grande réputation, que Charles V. le députa au concile de Trente pour y assister en qualité de Théologien. La cour & la vûe des grands le fatiguerent; la chaire de professeur avoit beaucoup plus d'attraits pour lui; aussi revint - il en faire les fonctions, & il mourut peu de tems après. Outre les livres de Théologie qui le
François de S. Victor vivoit à peu près vers le tems de Dominique Soto; il naquit au pays des Cantabres; il fit ses études à Paris, où il prit aussi l'habit de S. Dominique; on l'envoya professer la Théologie à Salamanque, où il se rendit très - célebre; il y composa entre autres ouvrages, ses livres sur la puissance civile & ecclésiastique: plusieurs assûrent qu'ils ont beaucoup servi à Grotius pour faire son droit de la guerre & de la paix; le vengeur de Grotius paroît lui - même en convenir. On trouve en effet beaucoup de vûes dans ce traité, & beaucoup d'idées qui sont si analogues à certaines de Grotius, qu'il seroit difficile qu elles ne les eussent point occasionnées.
Bannés fut encore un des plus célebres Théologiens de l'université de Salamanque; il étoit subtil,
& ne trouvoit pour l'ordinaire dans les peres de l'Eglise, que ce qu'il avoit pensé auparavant; desorte
que tout paroissoit se plier à ses sentimens. Il soûtenoit
de nouvelles opinions, croyant n'avoir d'autre
mérite que de les avoir découvertes dans les Peres:
presque tout le monde le regarde comme le premier
inventeur de la prémotion physique, excepté l'école
de S. Thomas qui l'attribue à S. Thomas même: mais
en vérité, je voudrois bien savoir pourquoi les Dominiquains s'obstinent à refuser à Bannés le mérite
de les exercer depuis long - tems. Si S. Thomas est le
premier inventeur de la prémotion physique, elle
n'en acquerra pas plus de certitude que si c'étoit Bannés: ce ne sont pas les hommes qui rendent les opinions
bonnes. mais les rais>ns dont ils les défendent;
& quoi qu'en disent toutes les différentes écoles, les
opinions qu'elles céfendent ne doivent leur origine
ni à la tradition écrite ni à la tradition orale; il n'y
en a pas une qui ne porte le nom de son auteur, &
par consequent le caractere de nouveauté; tous pourtant
vont chercher des preuves dans l'Ecriture & dans
les Peres, qui n'ont jamais eu la premiere idée de leurs
sentimens. Ce n'est pas que je trouve mauvais qu'on
parle de l'Ecriture dans ces questions théologiques;
mais je voudrois seulement qu'on s'attachât à faire
voir que ce qui est dans l'Ecriture & dans les Peres
ne s'oppose nullement à la nouyelle opinion qu'on
veut défendre. Il est juste que ce qu'on défend ne
contredise point l'Ecriture & les Peres; & quand je
dis les Peres, je parle d'eux entant qu'ils constatent
la tradition, & non quant à leurs opinions particulieres;
parce qu'enfin je ne suis pas obligé d'être platonicien
avec les premiers peres de l'Eglise. Toutes
les écoles devroient dire: voici une nouvelle opinion
qui peut être défendue, parce qu'elle ne contredit
point l'Ecriture & les Peres; & non perdre le
tems à faire dire aux passages ce qu'ils ne peuvent
pas dire. Il seroit trop long de nommer ici tous les
théologiens que l'ordre de S. Dominique a produits:
tout le monde sait que de tout tems cet ordre a fait
de la Théologie sa principale étude; & en cela ils
suivent l'esprit de leur institution: car il est certain
que S. Dommique leur fondateur, étoit plus prédicateur
controversiste, que prédicateur de morale;
& il ne s'associa des compagnons que dans cette vûe.
L'ordre de S. François a eu des scholastiques fort
célebres; le premier de tous est le fameux Scot, surnommé
le docteur subtil. Il faisoit consister son mérite
à contredire en tout S. Thomas: on ne trouve chez
lui que de vaines subtilités, & une métaphysique
que tout homme de bon sens rejette; il est pourtant
à la tête de l'école de S. François: Scot chez les Cordeliers est une autorité respectable. Il y a plus: il
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