ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"662"> barbare; & le goût étant devenu plus pur, les gens d'esprit chercherent un interprete plus poli & plus élégant. Ils choisirent donc Alexandre, qui passoit dans le Lycée pour l'interprete le plus pur & le plus exact. Averroès & lui étoient sans difficulté les deux chefs du Péripatéticisme, & ils avoient contribué à jetter un grand éclat sur cette secte: mais leurs dogmes sur la nature de l'ame n'étoient pas orthodoxes; car Alexandre la croyoit mortelle; Averroès l'avoüoit à la vérité immortelle, mais il n'entendoit parler que d'une ame universelle, & à laquelle tous les hommes participent. Ces opinions étoient fort répandues du tems de S. Thomas, qui les réfuta avec force. La secte d'Averroès prit le dessus en Italie. Léon X. souverain pontife crut devoir arrêter le rs de ces deux opinions si contraires aux dogmes du christianisme. Il fit condamner comme impie la doctrine d'Averroès dans le concile de Latran, qu'il avoit assemblé. « Comme de nos jours, dit ce souverain pontife, ceux qui sement l'ivraie dans le champ du Seigneur, ont répandu beaucoup d'erreurs, & en particulier sur la nature de l'ame raisonnable, disant qu'elle est mortelle, ou qu'une seule & même ame anime les corps de tous les hommes; ou que d'autres, retenus un peu par l'Evangile, ont osé avancer qu'on pouvoit défendre ces sentimens dans la philosophie seulement, croyant pouvoir faire un partage entre la foi & la raison: Nous avons cru qu'il étoit de notre vigilance pastorale d'arrêter le progrès de ces erreurs. Nous les condamnons, le saint concile approuvant notre censure, & nous définissons que l'ame raisonnable est immortelle; & que chaque homme est animé par une ame qui lui est propre, distinguée individuellement des autres; & comme la vérité ne sauroit être opposée à elle - même, nous défendons d'enseigner quelque chose de contraire aux vérités de l'Evangile.» Les docteurs crurent que les foudres de l'église ne suffisoient pas pour faire abandonner aux savans ces opinions dangereuses. Ils leur opposerent donc la philosophie de Platon, comme très - propre à remédier au mal; d'autres pour qui la philosophie d'Aristote avoit beaucoup d'attraits, & qui pourtant respectoient l'Evangile, voulurent la concilier avec celle de Platon. D'autres enfin adoucissoient les paroles d'Aristote, & les plioient aux dogmes de la religion. Je crois qu'on ne sera pas fâché de trouver ici ceux qui se distinguerent le plus dans ces sortes de disputes.

Parmi les Grecs qui abandonnerent leur patrie, & qui vinrent, pour ainsi - dire, transplanter les lettres en alie, Theodore Gaza fut un des plus célebres; il étoit instruit de tous les sentimens des différentes sectes de philosophie; il étoit grand Medecin, profond Théologien, & surtout très - versé dans les Belles - lettres. Il étoit de Thessalonique: les armes victorieuses d'Amurat qui ravageoit tout l'orient, le firent refugier en Italie. Le cardinal Bessarion le reçût avec amitié, & l'ordonna prêtre. Il traduisit l'histoire des animaux d'Aristote, & les problèmes de Theophraste sur les plantes. Ses traductions lui plaisoient tant, qu'il prétendoit avoir rendu en aussi beau Latin Aristote, que ce philosophe avoit écrit lui - même en Grec. Quoiqu'il passe pour un des meilleurs traducteurs, il faut avoüer avec Erasme, qu'on remarque dans son latin un tour grec, & qu'il se montre un peu trop imbu des opinions de son siecle. Cosme de Médicis se joignit au cardinal Bessarion, pour lui faire du bien. Comblé de leurs bienfaits, il auroit pû mener une vie agréable & commode: mais l'oeconomie ne fut jamais son défaut; l'avidité de certains petits Grecs & des Brutiens ne lui laissa jamais dequoi parer aux coups de la fortune. Il fut réduit à une extrème pauvreté; & ce fut alors que pour soulager sa misere, il traduisit l'histoire des animaux, dont j'ai déja parlé. Il la dédia à Sixte IV. Toutes les espérances de sa fortune étoient fondées sur cette dédicace: mais il fut bien trompé; car il n'en eut qu'un présent d'environ cent pistoles. Il en conçût une si grande indignation, & fut si outré que de si pénibles & si utiles travaux fussent aussi mal payés, qu'il en jetta l'argent dans le Tibre. Il se retira chez les Brutiens, où il seroit mort de faim, si le duc de Ferrare ne lui avoit pas donné quelques secours. Il mourut peu de tems après dévoré par le chagrin, laissant un exemple mémorable des revers de la fortune.

George de Trebizonde s'adonna, ainsi que Gaza, à la Philosophie des Péripatéticiens. Il étoit Crétois de naissance, & ne se disoit de Trebizonde que parce que c'étoit la patrie de ses ancêtres paternels. Il passa en Italie pendant la tenue du concile de Florence, & lorsqu'on traitoit de la réunion des Grecs avec les Latins. Il fut d'abord à Venise, d'où il passa à Rome, & y enseigna la Rhétorique & la Philosophie. Ce fut un des plus zélés défenseurs de la Philosophie péripatéticienne; il ne pouvoit souffrir tout ce qui y donnoit la moindre atteinte. Il écrivit avec beaucoup d'aigreur & de fiel contre ceux de son tems qui suivoient la Philosophie de Platon. Il s'attira par - là beaucoup d'ennemis. Nicolas V. son protecteur, désapprouva sa conduite, malgré la pente qu'il avoit pour la Philosophie d'Aristote. Son plus redoutable adversaire fut le cardinal Bessarion, qui prit la plume contre lui, & le réfuta sous le nom de calomniateur de Platon. Il eut pourtant une ennemi encore plus à craindre que le cardinal Bessarion; ce fut la misere & la pauvreté: cette dispute, malheureusement pour lui, coupa tous les canaux par où lui venoient les vivres. La plume d'un savant, si elle ne doit point être dirigée par les gens riches, doit au moins ne pas leur être desagréable: il faut d'abord assûrer sa vie avant de philosopher; semblables en cela aux Astronomes, qui quand ils doivent extremement lever la tête pour observer les astres, assûrent auparavant leurs piés. Il mourut ainsi martyr du Péripatéticisme. La postérité lui pardonne plus aisément ses injures contre les Platoniciens de son tems, que son peu d'exactitude dans ses traductions. En effet, l'attention, l'érudition, & qui plus est, la bonne foi, manquent dans ses traductions des lois de Platon, & de l'histoire des animaux d'Aristote. Il prenoit même souvent la liberté d'ajoûter au texte, de le changer, ou d'omettre quelque chose d'intéressant, comme on peut s'en convaincre par la traduction qu'il nous a donnée d'Eusebe.

On a pû voir jusqu'ici que les savans étoient partagés à la renaissance des lettres entre Platon & Aristote. Les deux partis se firent une cruelle guerre. Les sectateurs de Platon ne pûrent souffrir que leur maître, le divin Platon, trouvât un rival dans Aristote: ils pensoient que la seule barbarie avoit pû donner l'empire à sa Philosophie, & que depuis qu'un nouveau jour luisoit sur le monde savant, le Péripatéticisme devoit disparoitre. Les Péripatéticiens de leur côté ne défendoient pas leur maître avec moins de zele: on fit des volumes de part & d'autre, où vous trouverez plus aisément des injures que de bonnes raisons; ensorte que si dans certains vous changiez le nom des personnes, au lieu d'être contre Aristte, vous le trouveriez contre Platon; & cela parce que les injures sont communes à toutes les sectes, & que les défenseurs & les aggresseurs ne peuvent différer entr'eux, que lorsqu'ils donnent des raisons.

Des Philosophes récens Aristotélico - scholastiques. Les disputes de ces savans atrabilaires, dont nous venons de parler, n'apprenoient rien au monde elles paroissoient au contraire devoir le replonger dans la barbarie d'où il étoit sorti depuis quelque tems. Plusieurs savans firent tous leurs efforts pour détourner [p. 663] ceux qui s'adonnoient à ces misérables subtilités scholastiques, qui consistent plus dans les mots que dans les choses. Ils développerent avec beaucoup d'art la vanité de cette méthode. Leurs leçons en corrigerent quelques - uns: mais il restoit un certain levain qui se fit sentir pendant long - tems. Quelques théologiens même gâterent leurs livres, en y mêlant de ces sortes de subtilités à des bons raisonnemens, qui font d'ailleurs connoître la solidité de leur esprit. Il arriva ce qui arrive toûjours; on passe d'une extrémité à une autre: on voulut se corriger de ne dire que des mots, & on voulut ne dire que des choses, comme si les choses pouvoient se dire clairement, sans suivre une certaine méthode. C'est l'extrémité où donna Luther; il voulut bannir toute scholastique de la Théologie. Jérome Angeste, docteur de Paris, s'éleva contre lui, & lui démontra que ce n'étoit pas les syllogismes qui par eux - mêmes étoient mauvais, mais l'usage qu'on en faisoit. Quelqu'un dira - t - il en effet que la méthode géométrique est vicieuse, & qu'il faut la bannir du monde, parce que Spinosa s'en est servi pour attaquer l'existence du Dieu que la raison avoüe? Faut - il, parce que quelques théologiens ont abusé de la scholastique, la bannir? L'expérience, depuis Luther, nous a appris qu'on pouvoit s'en servir utilement; il pouvoit lui - même s'en convaincre en lisant S. Thomas. La définition de l'Eglise a mis d'ailleurs cette question hors de dispute. Selon Bruker, cette définition de l'Eglise pour maintenir la Théologie scholastique, fit du tort à la bonne Philosophie; il se trouva par - là que tandis que dans toutes les universités qui n'obéissoient plus à la cour de Rome, on dictoit une Philosophie raisonnable, dans celles au contraire qui n'avoient osé secoüer le joug, la babarie y régnoit toûjours. Mais il faut être bien aveuglé par les préjugés pour penser pareille chose. Je croi que l'université de Paris a été la premiere à dicter la bonne Philosophie; & pour remonter à la source, n'est - ce pas notre Descartes qui le premier a marqué la route qui conduit à la bonne Philosophie? Quel changement fit donc Luther dans la Philosophie? il n'écrivit que sur des points de Théologie. Suffit - il d'être hérétique pour être bon philosophe? Ne trouvons - nous pas une bonne Philosophie dans les Mémoires de l'Académie? il n'y a pourtant rien que l'Eglise Romaine ne puisse avoüer. En un mot, les grands philosophes peuvent être très - bons catholiques. Descartes, Gassendi, Varignon, Malbranche, Arnaud, & le célebre Pascal, prouvent cette vérité mieux que toutes nos raisons. Si Luther & les Protestans n'en veulent précisément qu'à la Théologie scholastique, on va voir par ceux dont nous allons parler si leur opinion a le moindre fondement.

A la tête des scholastiques, nous devrions mettre sans doute S. Thomas & Pierre Lombard; mais nous parlons d'un tems beaucoup plus récent: nous parlons ici des scholastiques qui vivoient vers le tems de la célébration du concile de Trente.

Dominique Soto fut un des plus célebres; il naquit en Espagne de parens pauvres; sa pauvreté retarda le progrès de ses études; il fut étudier à Alcala de Naris; il eut pour maître le célebre Thomas de Villa - Nova; de - là il vint à Paris, où il prit le bonnet de Docteur; il repassa en Espagne & prit l'habit de S. Dominique à Burgos; peu de tems après, il succéda à Thomas de S. Victor dans une chaire de professeur à Salamanque: il s'acquit une si grande réputation, que Charles V. le députa au concile de Trente pour y assister en qualité de Théologien. La cour & la vûe des grands le fatiguerent; la chaire de professeur avoit beaucoup plus d'attraits pour lui; aussi revint - il en faire les fonctions, & il mourut peu de tems après. Outre les livres de Théologie qui le rendirent si fameux, il donna des commentaires sur Aristote & sur Porphyre: il donna aussi en 7 livres un traité du Droit & de la Justice, où on trouve d'excellentes choses & des raisonnemens qui marquent un esprit très - fin; il eut pour disciple François Folet, dont nous parlerons dans la fuite.

François de S. Victor vivoit à peu près vers le tems de Dominique Soto; il naquit au pays des Cantabres; il fit ses études à Paris, où il prit aussi l'habit de S. Dominique; on l'envoya professer la Théologie à Salamanque, où il se rendit très - célebre; il y composa entre autres ouvrages, ses livres sur la puissance civile & ecclésiastique: plusieurs assûrent qu'ils ont beaucoup servi à Grotius pour faire son droit de la guerre & de la paix; le vengeur de Grotius paroît lui - même en convenir. On trouve en effet beaucoup de vûes dans ce traité, & beaucoup d'idées qui sont si analogues à certaines de Grotius, qu'il seroit difficile qu elles ne les eussent point occasionnées.

Bannés fut encore un des plus célebres Théologiens de l'université de Salamanque; il étoit subtil, & ne trouvoit pour l'ordinaire dans les peres de l'Eglise, que ce qu'il avoit pensé auparavant; desorte que tout paroissoit se plier à ses sentimens. Il soûtenoit de nouvelles opinions, croyant n'avoir d'autre mérite que de les avoir découvertes dans les Peres: presque tout le monde le regarde comme le premier inventeur de la prémotion physique, excepté l'école de S. Thomas qui l'attribue à S. Thomas même: mais en vérité, je voudrois bien savoir pourquoi les Dominiquains s'obstinent à refuser à Bannés le mérite de les exercer depuis long - tems. Si S. Thomas est le premier inventeur de la prémotion physique, elle n'en acquerra pas plus de certitude que si c'étoit Bannés: ce ne sont pas les hommes qui rendent les opinions bonnes. mais les raisns dont ils les défendent; & quoi qu'en disent toutes les différentes écoles, les opinions qu'elles céfendent ne doivent leur origine ni à la tradition écrite ni à la tradition orale; il n'y en a pas une qui ne porte le nom de son auteur, & par consequent le caractere de nouveauté; tous pourtant vont chercher des preuves dans l'Ecriture & dans les Peres, qui n'ont jamais eu la premiere idée de leurs sentimens. Ce n'est pas que je trouve mauvais qu'on parle de l'Ecriture dans ces questions théologiques; mais je voudrois seulement qu'on s'attachât à faire voir que ce qui est dans l'Ecriture & dans les Peres ne s'oppose nullement à la nouyelle opinion qu'on veut défendre. Il est juste que ce qu'on défend ne contredise point l'Ecriture & les Peres; & quand je dis les Peres, je parle d'eux entant qu'ils constatent la tradition, & non quant à leurs opinions particulieres; parce qu'enfin je ne suis pas obligé d'être platonicien avec les premiers peres de l'Eglise. Toutes les écoles devroient dire: voici une nouvelle opinion qui peut être défendue, parce qu'elle ne contredit point l'Ecriture & les Peres; & non perdre le tems à faire dire aux passages ce qu'ils ne peuvent pas dire. Il seroit trop long de nommer ici tous les théologiens que l'ordre de S. Dominique a produits: tout le monde sait que de tout tems cet ordre a fait de la Théologie sa principale étude; & en cela ils suivent l'esprit de leur institution: car il est certain que S. Dommique leur fondateur, étoit plus prédicateur controversiste, que prédicateur de morale; & il ne s'associa des compagnons que dans cette vûe. L'ordre de S. François a eu des scholastiques fort célebres; le premier de tous est le fameux Scot, surnommé le docteur subtil. Il faisoit consister son mérite à contredire en tout S. Thomas: on ne trouve chez lui que de vaines subtilités, & une métaphysique que tout homme de bon sens rejette; il est pourtant à la tête de l'école de S. François: Scot chez les Cordeliers est une autorité respectable. Il y a plus: il

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