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Si Aristote a eu des temples, il s'est trouvé bien des infideles qui se sont moqués de sa divinité: les uns l'ont regardé comme le génie de la nature, & presque comme un dieu: mais les autres ont daigné à peine lui donner le titre de physicien. Ni les panegyristes, ni les critiques, n'en ont parlé comme ils devoient, les premiers ayant trop exageré le mérite de ce philosophe, & les autres l'ayant blâmé sans aucun ménagement. Le mépris qu'on a eu pour lui dans ces derniers siecles, vient de ce qu'au lieu des originaux, que personne ne lisoit, parce qu'ils étoient en grec, on consultoit les commentateurs arabes & scholastiques, entre les mains desquels on ne peut douter que ce Philosophe n'ait beaucoup perdu de ses traits. En effet ils lui ont prêté les idées les plus monstrueuses, & lui ont fait parler un langage inintelligible. Mais quelque tort que lui ayent fait tous ces écarts & toutes ces chimeres, au fond il n'en est point responsable. Un maître doit - il souffrir de l'extravagance de ses disciples? Ceux qui ont lû ses ouvrages dans l'original, lui ont rendu plus de justice. Ils ont admiré en lui un esprit élevé, des connoissances variées, approfondies, & des vûes générales; & si sur la Physique il n'a pas poussé les recherches aussi loin qu'on l'a fait aujourd'hui, c'est que cette science ne peut se perfectionner que par le secours des expériences, ce qui depend, comme l'on voit, du tems. J'avouerai cependant d'après le fameux Chancelier Bacon, que le défaut essentiel de la philosophie d'Aristote, c'est qu'elle accoûtume peu à peu à se passer de l'évidence, & à mettre les mots à la place des choses. On peut lui reprocher encore cette obscurité qu'il affecte partout, & do> il envelope ses matieres. Je ne puis mieux finir, ni faire connoître ce qu'on doit penser du mérite d'Aristote, qu'en rapportant ici l'ingénieux parallele que le P. Rapin en fait avec Platon, qu'on a toûjours regardé comme un des plus grands Philosophes. Voici à peu près comme il s'exprime: les qualités de l'esprit étoient extraordinaires dans l'un & dans l'autre: ils avoient le génie élevé & propre aux grandes choses. Il est vrai que l'esprit de Platon est plus poli; & celui d'Aristote est plus vaste & plus profond. Platon a l'imagination vive, abondante, fertile en inventions, en idées, en expressions, en figures, donnant mille tours différens, mille couleurs nouvelles, & toutes agréables à chaque chose. Mais, après tout, ce n'est souvent que de l'imagination. Aristote est dur & sec en tout ce qu'il dit: mais ce sont des raisons que ce qu'il dit, quoiqu'il le dise sechement: sa diction, toute pure qu'elle est, a je ne sai quoi d'austere; & ses obscurités naturelles ou affectées, dégoûtent & fatiguent les lecteurs. Platon est délicat dans tout ce qu'il pense & dans tout ce qu'il dit: Aristote ne l'est point du tout, pour être plus naturel; son style est simple & uni, mais serré & nerveux. Celui de Platon est grand & élevé, mais lâche & diffus: celui - ci dit toûjours plus qu'il n'en faut dire; celui - là n'en dit jamais assez, & laisse à penser toûjours plus qu'il n'en dit: l'un surprend l'esprit, & l'ébloüit par un caractere éclatant & fleuri; l'autre l'éclaire & l'instruit par une méthode juste & solide; & comme les raisonnemens de celui - ci sont plus droits & plus simples, les raisonnemens de l'autre sont plus ingénieux & plus embarrassés. Platon donne de l'esprit par la fecondité du sien, & Aristote donne du jugement & de la raison par l'impression du bon sens qui paroît dans tout ce qu'il dit. Enfin Platon ne pense le plus souvent qu'à bien dire, & Aristote ne pense qu'à bien penser, à creuser les matieres, à en rechercher les principes, & des principes tirer des conséquences infaillibles; au lieu que Platon, en se donnant plus de liberté, embellit son discours & plaît d'avantage: mais par la trop grande envie qu'il a de plaire, il se laisse trop emporter à son éloquen<pb-> [p. 661]
Lorsque les injustes persécutions des prêtres de Cerès contraignirent Aristote de se retirer à Chalcis, il nomma Théophraste pour son successeur, & lui légua tous ses manuscrits. Ce philosophe joüit toute sa vie d'une très - grande réputation: on comparoit la douceur de son éloquence à celle du vin de Lesbos, qui étoit sa patrie. Né doux & obligeant, il parloit avantageusement de tout le monde; & les gens de lettres, surtout, trouvoient dans sa générosité un appui aussi sûr que prévenant. Il savoit faire valoir leur mérite lors même qu'ils l'oublioient, ou plûtôt qu'ils sembloient l'ignorer par un excès de modestie. Pendant que Théophraste se distinguoit ainsi à Athènes, Sophocle fils d'Amphictide porta un loi, par laquelle il étoit défendu à tous les philosophes d'enseigner publiquement sans une permission expresse du sénat & du peuple. La peine de mort étoit même décernée contre tous ceux qui n'obéiroient point à ce reglement. Les philosophes indignés d'un procédé si violent, se retirerent tous d'Athènes, & laisserent le champ libre à leurs rivaux & à leurs ennemis, je veux dire aux rhéteurs & aux autres savans d'imagination. Tandis que ces derniers joüissoient de leur triomphe, un certain Philon qui avoit été ami d'Aristote, & qui faisoit profession d'ignorer les beaux arts, composa une apologie en faveur des philosophes retirés. Cette apologie fut attaquée par Démocharès, homme accrédité, & fils d'une soeur de Démosthene. L'amere critique n'étoit point épargnée dans sa réfutation, & il faisoit surtout un portrait odieux de tous les philosophes qui vivoient alors; & d'autant plus odieux, qu'il étoit moins ressemblant. Ce qu'il croyoit devoir servir à sa cause, la gâta, & la perdit sans ressource: le peuple revenu de sa premiere chaleur, abolit l'indécente oi de Sophocle, & le condamna lui - même à une amende de cinq talens. Les jours tranquilles revinrent à Athenes, & avec eux la raison; les philosophes recommencerent leurs exercices.
Le Lycée perdit beaucoup par la mort de Théophraste: mais quoique déchu de son ancienne splendeur, on continua toûjours d'y enseigner. Les professeurs furent Démétrius de Phalere, Straton surnommé le Physicien, Lycon, Ariston de l'île de Cea, Critolaüs, & Diodore qui vécut sur la fin de la cent soixantieme olympiade. Mais de tous ces professeurs, il n'y eut que Straton qui donna quelque chose de nouveau, & qui attira sur lui les regards des autres philosophes; car pour ceux que je viens de nommer, on ne sait d'eux que leur nom, l'époque de leur naissance, celle de leur mort, & qu'ils ont été dans le Lycée les successeurs d'Aristote.
Straton ne se piqua point de suivre le pur péripatéticisme. Il y fit des innovations: il renversa le dogme de l'existence de Dieu. Il ne reconnut d'autre puissance divine que celle de la nature; & sans trop éclaircir ce que ce pouvoit être au fond que cette nature, il la regardoit comme une force répandue par - tout & essentielle à la matiere, une espece de sympathie qui lie tous les corps & les tient dans l'équilibre; comme une puissance, qui sans se décom<cb->
Des restaurateurs de la philosophie d'Aristote. Jamais
on n'a tant cu>tivé la philosophie que sous les empereurs
Romains: on la voyoit sur le throne comme
dans les chaires des sophistes. Ce goût femble d'abord
annoncer des progrès rapides: mais en lisant
l'histoire de ces tems - là, on est bientôt détrompé. Sa
décadence suivit celle de l'empire Romain, & les
barbares ne porterent pas moins le dernier coup à
celle - là qu'à celui - ci. Les peuples croupirent longtems
dans l'ignorance la plus crasse; une dialectique
dont la finesse consistoit dans l'équivoque des mots
& dans des distinctions qui ne signifioient rien, étoit
alors seule en honneur. Le vrai génie perce; & les
bons esprits, dès qu'ils se replient sur eux - mêmes,
apperçoivent bien - tôt si on les a mis dans le vrai chemin
qui conduit à la vérité. A la renaissance des
lettres quelques savans instruits de la langue Greque,
& connoissant la force du Latin, entreprirent de donner
une version exacte & correcte des ouvrages
d'Aristote, dont ses disciples même disoient beaucoup
de mal, n'ayant entre les mains que des traductions
barbares, & qui représentoient plûtôt l'esprit
tudesque des traducteurs, que le beau génie de ce
philosophe. Cela ne suffisoit point pourtant pour remédier
entierement au mal. Il falloit rendre communs
les ouvrages d'Aristote; c'étoit le devoir des
princes, puisqu'il ne s'agissoit plus que de faire certaines
dépenses. Leur empressement répondit à l'utilité: ils firent venir à grands frais de l'orient plusieurs
manuscrits, & les mirent entre les mains de
ceux qui étoient versés dans la langue Greque pour
les traduire. Paul V. s'acquit par - là beaucoug de gloire.
Personne n'ignore combien les lettres doivent à
ce pontife: il aimoit les savans, & la philosophie
d'Aristote surtout avoit beaucoup d'attraits pour
lui. Les savans se multiplierent, & avec eux les versions: on recouroit aux interpretes sur les endroits
difficiles à entendre. Jusques - là on n'avoit consulté
qu'Averroès; c'étoit - là qu'alloient se briser toutes
les disputes des savans. On le trouva dans la suite
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