ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"658"> cuse. En effet, au - travers de toutes les erreurs qui lui sont échappées faute d'expérience, & de quelquesunes des découvertes que le hasard a présentées aux modernes, on s'apperçoit qu'il suit assez le fil de la nature, & qu'il devine des choses qui certainement lui devoient être inconnues. Par exemple, il détaille avec beaucoup d'adresse tout ce qui regarde les météores aqueux, comme la pluie, la neige, la grêle, la rosée, &c. il donne une explication très - ingénieuse de l'arc - en - ciel, & qui au fond ne s'éloigne pas trop de celle de Descartes: il définit le vent un courant d'air, & il fait voir que sa direction dépend d'une infinité de causes étrangeres & peu connues; ce qui empêche, dit - il, d'en donner un système général.

On peut rapporter à la physique particuliere ce que ce philosophe a publié sur l'histoire des animaux. Voici le jugement avantageux qu'en a porté M. de Buffon dans son premier discours de l'Histoire naturelle: « L'histoire des animaux d'Aristote, est peut - être encore aujourd'hui ce que nous avons de mieux fait en ce genre; & il seroit à desirer qu'il nous eût laissé quelque chose d'aussi complet sur les végétaux & sur les minéraux: mais les deux livres de plantes que quelques - uns lui attribuent, ne ressemblent point à cet ouvrage, & ne sont pas en effet de lui. Voyez le comment. de Scaliger. Il est vrai que la Botanique n'étoit pas fort en honneur de son tems: les Grecs & les Romains mêmes ne la regardoient pas comme une science qui dût exister par elle - même, & qui dût faire un objet à part; ils ne la considéroient que relativement à l'Agriculture, au Jardinage, à la Medecine & aux Arts. Et quoique Théophraste, disciple d'Aristote, connût plus de cinq cens genres de plantes, & que Pline en cite plus de mille, ils n'en parlent que pour nous en apprendre la culture, ou pour nous dire que les unes entrent dans la composition des drogues; que les autres sont d'usage pour les Arts; que d'autres servent à orner nos jardins, &c. en un mot ils ne les considerent que par l'utilité qu'on en peut tirer, & ils ne se sont pas attachés à les décrire exactement.

L'histoire des animaux leur étoit mieux connue que celle des plantes. Alexandre donna des ordres, & fit des dépenses très - considérables pour rassembler des animaux & en faire venir de tous les pays, & il mit Aristote en état de les bien observer. Il paroît par son ouvrage, qu'il les connoissoit peut - être mieux, & sous des vûes plus générales, qu'on ne les connoît aujourd'hui. Enfin, quoique les modernes ayent ajoûté leurs découvertes à celles des anciens, je ne vois pas que nous ayons sur l'histoire naturelle beaucoup d'ouvrages modernes qu'on puisse mettre au - dessus de ceux d'Aristote & de Pline. Mais comme la prévention naturelle qu'on a pour son siecle, pourroit persuader que ce que je viens de dire est avancé témérairement, je vais faire en peu de mots l'exposition du plan de l'ouvrage d'Aristote.

Aristote commence son histoire des animaux par établir des différences & des ressemblances générales entre les différens genres d'animaux, au lieu de les diviser par de petits caracteres particuliers, comme l'ont fait les modernes. Il rapporte historiquement tous les faits & toutes les observations qui portent sur des rapports généraux, & sur des caracteres sensibles. Il tire ces caracteres de la forme, de la couleur, de la grandeur, & de toutes les qualités extérieures de l'animal entier, & aussi du nombre & de la position de ses parties, de la grandeur, du mouvement, de la forme de ses membres; des rapports semblables ou differens qui se trouvent dans ces mêmes parties comparées; & il donne par tout des exemples pour se faire mieux entendre. Il considere aussi les différences des animaux par leur façon de vivre, leurs actions, leurs moeurs, leurs habitations, &c. il parle des parties qui sont communes & essentielles aux animaux, & de celles qui peuvent manquer & qui manquent en effet à plusieurs especes d'animaux. Le sens du toucher, dit - il, est la seule chose qu'on doive regarder comme nécessaire, & qui ne doit manquer à aucun animal: & comme ce sens est commun à tous les animaux, il n'est pas possible de donner un nom à la partie de leur corps, dans laquelle réside la faculté de sentir. Les parties les plus essentielles sont celles par lesquelles l'animal prend sa nourriture; celles qui reçoivent & digerent cette nourriture, & celles par où il rend le superflu. Il examine ensuite les variétés de la génération des animaux; celles de leurs membres, & des différentes parties qui servent à leurs fonctions naturelles. Ces observations générales & préliminaires font un tableau dont toutes les parties sont intéressantes: & ce grand philosophe dit aussi, qu'il les a présentées sous cet aspect, pour donner un avant - goût de ce qui doit suivre, & faire naître l'attention qu'exige l'histoire particuliere de chaque animal, ou plûtôt de chaque chose.

Il commence par l'homme, & il le décrit le premier, plûtôt parce qu'il est l'animal le mieux connu, que parce qu'il est le plus parfait; & pour rendre sa description moins seche & plus piquante, il tâche de tirer des connoissances morales en parcourant les rapports physiques du corps humain, & il indique les caracteres des hommes par les traits de leur visage. Se bien connoître en physionomie, seroit en effet une science bien utile à celui qui l'auroit acquise: mais peut - on la tirer de l'histoire naturelle? Il décrit donc l'homme par toutes les parties extérieures & intérieures; & cette description est la seule qui soit entiere: au lieu de décrire chaque animal en particulier, il les fait connoitre tous par les rapports que toutes les parties de leur corps ont avec celles du corps de l'homme. Lorsqu'il décrit, par exemple, la tête humaine, il compare avec elle la tête de toutes les especes d'animaux. Il en est de même de toutes les autres parties. A la desciiption du poumon de l'homme, il rapporte historiquement tout ce qu'on savoit des poumons des animaux; & il fait l'histoire de ceux qui en manquent. A l'occasion des parties de la génération, il rappoite toutes les variétés des animaux dans la maniere de s'accoupler, d'engendrer, de porter, & d'accoucher. A l'occasion du sang, il fait l'histoire des animaux qui en sont prives; & suivant ainsi ce plan de comparaison dans lequel, comme l'on voit, l'homme sert de modele, & ne donnant que les différences qu'il y a des animaux à l'homme, & de chaque partie des animaux à chaque partie de l'homme, il retranche à dessein toute description particuliere; il évite par là toute répétition; il accumule les faits, & il n'écrit pas un mot qui soit inutile: aussi a - t - il compris dans un petit volume un nombre infini de différens faits; & je ne crois pas qu'il soit possible de réduire à de moindres termes tout ce qu'il avoit à dire sur cette matiere, qui paroît si peu susceptible de cette précision, qu'il falloit un génie comme le sien pour y conserver en même tems de l'ordre & de la netteté. Cet ouvrage d'Aristote s'est présenté à mes yeux comme une table de matieres qu'on auroit extraites avec le plus grand soin de plusieurs milliers de volumes remplis de descriptions & d'observations de toute espece: c'est l'abrégé le plus savant qui ait jamais été fait, si la science est en effet l'histoire des faits; & quand meme on supposeroit qu'Aristote auroit tiré de tous les livres de [p. 659] son tems ce qu'il a mis dans le sien, le plan de l'ouvrage, sa distribution, le choix des exemples, la justesse des comparaisons, une certaine tournure dans les idées, que j'appellerois volontiers le caractere philosophique, ne laissent pas douter un instant qu'il ne fût lui - même beaucoup plus riche que ceux dont il auroit emprunté ».

Voici de nouveaux dogmes: nous avons vû que la matiere qui compose tous les corps est foncierement la même, selon Aristote, & qu'elle ne doit toutes les formes qu'elle prend successivement, qu'à la différente combinaison de ses parties. Il s'est contenté d'en tirer quatre élémens, le feu, l'air, l'eau & la terre, quoiqu'il lui fût libre d'en tirer bien davantage. Il a crû apparemment qu'ils suffisoient pour former ce que nous voyons. La beauté des cieux lui fit pourtant soupçonner qu'ils pouvoient bien être composés de quelque chose de plus beau. Il en forma une quintessence pour en construire les cieux: c'est de tout tems que les Philosophes sont en possession de croire que quand ils ont inventé un nouveau mot, ils ont découvert une nouvelle chose, & que ce qu'ils arrangent nettement dans leur pensée, doit tout de suite se trouver tel dans la nature: mais ni l'autorité d'Aristote & des autres Philosophes, ni la netteté de leurs idées, ni la prétendue évidence de leurs raisonnemens, ne nous garantissent rien de réel. La nature peut être toute différente. Quoi qu'il en soit de cette réflexion, Aristote croyoit qu'il n'y avoit dans cet univers que cinq especes de corps: les premiers qui sont la matiere qui forme tous les corps célestes, se meuvent circulairement; & les quatre autres dont sont composés tous les corps sublunaires, ont un mouvement en ligne droite. La cinquieme essence n'a ni légereté, ni pesanteur; elle est incorruptible & éternelle, elle suit toûjours un mouvement égal & uniforme; au lieu que des quatre élémens les deux premiers sont pesans, & les deux autres légers. Les deux premiers descendent en - bas, & sont poussés vers le centre; les deux autres tendent en - haut, & vont se ranger à la circonférence. Quoique leurs places soient ainsi précises & marquées de droit, ils peuvent cependant en changer, & en changent effectivement; ce qui vient de l'extrème facilité qu'ils ont de se transformer les uns dans les autres, & de se communiquer leurs mouvemens.

Cela supposé, Aristote assûre que tout l'univers n'est point également gouverné par Dieu, quoiqu'il soit la cause générale de tout. Les corps célestes, ce qui est composé de la cinquieme essence, méritent ses soins & son attention: mais il ne se mêle point de ce qui est au - dessous de la lune, de ce qui a rapport aux quatre élémens. Toute la terre échappe à sa providence. Aristote, dit Diogene Laerce, croyoit que la puissance divine régloit les choses célestes, & que celles de la terre se gouvernoient par une espece de sympathie avec le ciel. En suivant le même raisonnement, on prouve d'après Aristote, que l'ame est mortelle. En effet, Dieu n'étant point témoin de sa conduite, ne peut ni la punir, ni la récompenser; s'il le faisoit, ce seroit par caprice & sans aucune connoissance. D'ailleurs Dieu ne veut point se mêler des actions des hommes: s'il s'n mêloit, il les prévoiroit; l'homme ne seroit point libre: si l'homme n'étoit point libre, tout seroit bien arrangé sur la terre. Or tout ce qui se fait ici bas est plein de changemens & de variations, de desastres & de maux; donc l'homme se détermine par lui - même, & Dieu n'a aucun pouvoir sur lui. Une autre raison qui faisoit nier à Aristote l'immortalité de l'ame, c'est l'opinion où il étoit avec tous les autres Philosophes, que notre ame étoit une portion de la divinité, dont elle avoit été détachée, & qu'après un certain nombre de révolutions dans différens corps, elle alloit s'y réjoindre & s'y abysmer, ainsi qu'une goutte d'eau va se réunir à l'Océan, quand le vase qui la contenoit vient à se briser. Cette éternité qu'ils attribuoient à l'ame, étoit précisément ce qui détruisoit son immortalité. Voyez l'article Ame, où nous avons développé plus au long cette idée des anciens philosophes Grecs.

Les fausses idées qu'Aristote s'étoit faites sur le mouvement, l'avoient conduit à croire l'éternité du monde. Le mouvement, disoit - il, doit être éternel: ainsi le ciel ou le monde dans lequel est le mouvement, doit être éternel. En voici la preuve: s'il y a eu un premier mouvement, comme tout mouvement suppose un mobile, il faut absolument que ce mobile soit engendré, ou éternel, mais pourtant en repos, à cause de quelque empêchement. Or de quelque façon que cela soit, il s'ensuit une absurdité; car si ce premier mobile est engendré, il l'est donc par le mouvement, lequel par conséquent sera antérieur au premier; & s'il a été en repos éternellement, l'obstacle n'a pû être ôté sans le mouvement, lequel de rechef aura été antérieur au premier. A cette raison Aristote en ajoûte plusieurs autres pour prouver l'éternité du monde. Il soûtenoit que Dieu & la nature ne seroient pas toûjours ce qu'il y a de meilleur, si l'univers n'étoit éternel, puisque Dieu ayant jugé de tout tems que l'arrangement du monde étoit un bien, il auroit différé de le produire pendant toute l'éternité antérieure. Voici encore un de ses argumens sur le même sujet: si le monde a été créé, il peut être détruit; car tout ce qui a eu un commencement, doit avoir une fin. Le monde est incorruptible & inaltérable; donc il est éternel. Voici la preuve que le monde est incorruptible: si le monde peut être détruit, ce doit être naturellement par celui qui l'a créé: mais il n'en a point le pouvoir; ce qu'Aristote prouve ainsi. Si l'on suppose que Dieu a la puissance de détruire le monde, il faut savoir alors si le monde étoit parfait: s'il ne l'étoit pas, Dieu n'avoit pû le créer, puisqu'une cause parfaite ne peut rien produire d'imparfait, & qu'il faudroit pour cela que Dieu fût defectueux; ce qui est absurde: si le monde au contraire est parfait, Dieu ne peut le détruire, parce que la méchancheté est contraire à son essence, & que c'est le propre de celle d'un être mauvais de vouloir nuire aux bonnes choses.

On peut juger maintenant de la doctrine d'Aristote sur la divinité; c'est à tort que quelques - uns l'ont accusé d'athéisme, pour avoir cru le monde éternel; car autrement il faudroit faire le même reproche à presque tous les anciens Philosophes, qui étoient infectés de la même erreur. Aristote étoit si éloigné de l'athéisme, qu'il nous représente Dieu comme un être intelligent & immatériel; le premier moteur de toutes choses, qui ne peut être mû lui - même. Il décide même en termes formels, que si dans l'univers, il n'y avoit que de la matiere, le monde se trouveroit sans cause premiere & originale, & que par conséquent il faudroit admettre un progrès de causes à l'infini; absurdité qu'il réfute lui - même. Si l'on me demande ce que je pense de la création d'Aristote, je répondrai qu'il en a admis une, même par rapport à la matiere, qu'il croyoit avoir été produite. Il différoit de Platon son maître, en ce qu'il croyoit le monde une émanation naturelle & impétueuse de la divinité, à peu près comme la lumiere est une émanation du soleil. Au lieu que, selon Platon, le monde étoit une émanation éternelle & nécessaire, mais volontaire & réfléchie d'une cause toute sage & toute puissante: l'une & l'autre création, comme on voit, emporte avec soi l'éternité du monde, & est bien différente de celle de Moyse, où Dieu est si libre par rapport à la production du monde, qu'il auroit pû le laisser éternellement dans le néant.

Mais si Aristote n'est pas athée en ce sens qu'il attaque directement & comme de front la divinité, & qu'il n'en reconnoisse point d'autre que cet univers,

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