ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"656"> l'esprit & à charger la mémoire, qu'à toucher le coeur & à changer la volonté. Tel est en général l'esprit qui regne dans les livres de morale de ce philosophe. Voici quelques - uns de ses préceptes, avec le tour qu'il leur donne.

1°. Le bonheur de l'homme ne consiste ni dans les plaisirs, ni dans les richesses, ni dans les honneurs, ni dans la puissance, ni dans la noblesse, ni dans les spéculations de la Philosophie; mais bien plûtôt dans les habitudes de l'ame, qui la rendent plus ou moins parfaite. 2°. La vertu est pleine de charmes & d'attraits; ainsi une vie où les vertus s'enchaînent les unes avec les autres, ne sauroit être que très - heureuse. 3°. Quoique la vertu se suffise à elle - même, on ne peut nier cependant qu'elle ne trouve un puissant appui dans la faveur, les richesses, les honneurs, la noblesse du sang, la beauté du corps, & que toutes ces choses ne contribuent à lui faire prendre un plus grand essor, & n'augmentent par - là le bonheur de l'homme. 4°. Toute vertu se trouve placée dans le milieu entre un acte mauvais par excès, & entre un acte mauvais par défaut: ainsi le courage tient le milieu entre la crainte & l'audace; la libéralité, entre l'avarice & la prodigalité; la modestie, entre l'ambition & le mépris superbe des honneurs; la magnificence, entre le faste trop recherché & l'épargne sordide; la douceur, entre la colere & l'insensibilité; la popularité, entre la misantropie & la basse flaterie, &c. d'où l'on peut conclurre que le nombre des vices est double de celui des vertus, puisque toute vertu est toûjours voisine de deux vices qui lui sont contraires. 5°. Il distingue deux sortes de justice; l'une universelle, & l'autre particuliere: la justice universelle tend à conserver la société civile par le respect qu'elle inspire pour toutes les lois: la justice particuliere, qui consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû, est de deux sortes; la distributive & la commutative: la justice distributive dispense les charges & les récompenses, selon le mérite de chaque citoyen, & elle a pour regle la proportion géométrique: la justice commutative, qui consiste dans un échange de choses, donne à chacun ce qui lui est dû, & garde en tout une proportion arithmétique. 6°. On se lie d'amitié avec quelqu'un ou pour le plaisir qu'on retire de son commerce, ou pour l'utilité qui en revient, ou pour son mérite fondé sur la vertu ou d'excellentes qualités. La derniere est une amitié parfaite: la bienveillance n'est pas, à proprement parler, l'amitié; mais elle y conduit, & en quelque façon elle l'ébauche.

Aristote a beaucoup mieux réussi dans sa logique que dans sa morale. Il y découvre les principales sources de l'art de raisonner; il perce dans le fond inépuisable des pensées de l'homme; il démêle ses pensées; fait voir la liaison qu'elles ont entr'elles, les suit dans leurs écarts & dans leurs contrariétés, les ramene enfin à un point fixe. On peut assûrer que si l'on pouvoit atteindre le terme de l'esprit, Aristote l'auroit atteint. N'est - ce pas une chose admirable, que par différentes combinaisons qu'il a faites de toutes les formes que l'esprit peut prendre en raisonnant, il l'ait tellement enchaîné par les regles qu'il lui a tracées, qu'il ne puisse s'en écarter, qu'il ne raisonne inconséquemment? Mais sa méthode, quoique loüée par tous les Philosophes, n'est point exempte de défauts. 1°. Il s'étend trop, & par - là il rebute: on pourroit rappeller à peu de pages tout son Livre des catégories, & celui de l'interprétation; le sens y est noyé dans une trop grande abondance de paroles. 2°. Il est obscur & embarrassé; il veut qu'on le devine, & que son lecteur produise avec lui ses pensées. Quelque habile que l'on soit, on ne peut guere se flater de l'avoir totalement entendu; témoin ses analytiques, où tout l'art du syllogisme est enseigné. Tous les membres qui composent sa Logique se trouvent dispersés dans les différens articles de ce Dictionnaire; c'est pourquoi, pour ne pas ennuyer le lecteur par une répétition inutile des mêmes choses, on a jugé à propos de l'y renvoyer afin qu'il les consulte.

Passons maintenant à la physique d'Aristote; & dans l'examen que nous en allons faire, prenons pour guide le célebre Louis Visès, qui a disposé dans l'ordre le plus méthodique les différens ouvrages où elle est répandue. Il commence d'abord par les huit livres des principes naturels, qui paroissent plûtôt une compilation de différents mémoires, qu'un ouvrage arrangé sur un même plan; ces huit livres traitent en général du corps étendu, ce qui fait l'objet de la Physique, & en particulier des principes, & de tout ce qui est lié à ces principes, comme le mouvement, le lieu, le tems, &c. Rien n'est plus embrouillé que tout ce long détail; les définitions rendent moins intelligibles des choses qui par elles - mêmes auroient paru plus claires, plus évidentes. Aristote blâme d'abord les Philosophes qui l'ont précédé, & cela d'une maniere assez dure; les uns d'avoir admis trop de principes, les autres de n'en avoir admis qu'un seul: pour lui, il en établit trois, qui sont la matiere, la forme, la privation. La matiere est, selon lui, le sujet général sur lequel la nature travaille; sujet éternel en même tems, & qui ne cessera jamais d'exister; c'est la mere de toutes choses qui soûpire après le mouvement, & qui souhaite avec ardeur que la forme vienne s'unir à elle. On ne sait pas trop ce qu'Aristote a entendu par cette matiere premiere qu'il définit, ce qui n'est, ni qui, ni combien grand, ni quel, ni rien de ce par quoi l'étre est déterminé. N'a - t - il parlé ainsi de la matiere que parce qu'il étoit accoûtumé à mettre un certain ordre dans ses pensées, & qu'il commençoit par envisager les choses d'une vûe générale, avant de descendre au particulier? S'il n'a voulu dire que cela, c'est - à - dire, si dans son esprit la matiere premiere n'avoit d'autre fondement que cette méthode d'arranger des idées ou de concevoir les choses, il n'a rien dit qu'on ne puisse lui accorder: mais aussi cette matiere n'est plus qu'un être d'imagination, une idée purement abstraite; elle n'existe pas plus que la fleur en général, que l'homme en général, &c. Ce n'est pourtant pas qu'on ne voye des Philosophes aujourd'hui, qui, tenant d'Aristote la maniere de considérer les choses en général avant que de venir à leurs especes, & de passer de leurs especes à leurs individus, ne soûtiennent de sens froid, & même avec une espece d'opiniâtreté, que l'universel est dans chaque objet particulier; que la fleur en général, par exemple, est une réalité vraiment existante dans chaque jonquille & dans chaque violette. Il paroît à d'autres que, par matiere premiere, Aristote n'a pas entendu seulement le corps en général, mais une pâte uniforme dont tout devoit être construit; une cire obéissante qu'il regardoit comme le fond commun des corps, comme le dernier terme où revenoit chaque corps en se détruisant; c'étoit le magnifique bloc du Statuaire de la Fontaine:

Un bloc de marbre étoit si beau, Qu'un Statuaire en fit l'emplette: Qu'en fera, dit - il, mon ciseau? Sera - t - il dieu, table ou cuvette?

Brisez ce dieu de marbre, que vous reste - t - il en main? des morceaux de marbre. Cassez la table ou la cuvette, c'est encore du marbre; c'est le même fond partout; ces choses ne different que par une forme extérieure. Il en est de même de tous les corps; leur masse est essentiellement la même; ils ne different que par la figure, par la quantité, par le repos, [p. 657] ou par le mouvement, qui sont toutes choses accidentelles. Cette idée, qu'on doit à Aristote, a paru si spécieuse à tous les Philosophes, tant anciens que modernes, qu'ils l'ont généralement adoptée: mais cette idée d'une matiere générale dans laquelle s'en retournent tous les corps en derniere décomposition, est démentie par l'expérience: si elle étoit vraie, voici ce qui en devroit arriver. Comme le mouvement fait sortir de cette cire un animal, un morceau de bois, une masse d'or; le mouvement, en leur ôtant une forme passagere, devroit les ramener à leur cire primordiale. Empedocle, Platon, Aristote & les Scholastiques le disent: mais la chose n'arrive point. Le corps organisé se dissout en différentes masses de peaux, de poils, de chairs, d'os, & d'autres corps mêlangés. Le corps mixte se résout en eau, en sable, en sel, en terre: mais avec les dissolvans les plus forts, avec le feu le plus vif, vous n'obtiendrez point de ces corps simples de se changer. Le sable reste sable, le fer demeure fer, l'or épuré ne change plus; la térre morte sera toûjours terre; & après toutes les épreuves & tous les tourmens imaginables, vous les retrouverez encore les mêmes; l'expérience ne va pas plus loin: les élémens sont chacun à part des ouvrages admirables qui ne peuvent changer, afin que le monde, qui en est composé, puisse recevoir des changemens par leurs mêlanges, & soit cependant durable comme les principes qui en sont la base. Voyez l'article Chimie.

Pour la forme, qui est le second principe d'Aristote, il la regarde comme une substance, un principe actif qui constitue les corps, & assujettit pour ainsi dire la matiere. Il suit de là qu'il doit y avoir autant de formes naturelles qui naissent & meurent tour - à - tour, qu'il y a de corps primitifs & élémentaires. Pour la privation, dit Aristote, elle n'est point une substance; elle est même, à quelques égards, une sorte de néant. En effet, tout corps qui reçoit une telle forme, ne doit pas l'avoir auparavant; il doit même en avoir une qui soit absolument contraire. Ainsi les morts se font des vivans, & les vivans des morts.

Ces trois principes étant établis, Aristote passe à l'explication des causes, qu'il traite d'une maniere assez distincte, mais presque sans parler de la premiere cause qui est Dieu. Quelques - uns ont pris occasion, tant de la définition qu'il donne de la nature, que du pouvoir illimité qu'il lui attribue, de dire qu'il méconnoît cette premiere cause: mais nous le justifierons d'athéisme dans la suite de cet article. Selon lui la nature est un principe effectif, une cause pléniere, qui rend tous les corps où elle réside, capables par eux - mêmes de mouvement & de repos; ce qui ne peut point se dire des corps où elle ne réside que par accident, & qui appartiennent à l'art: ceuxlà n'ont rien que par emprunt, & si j'ose ainsi parler, que de la seconde main. Continuons: tous les corps ayant en eux cette force, qui dans un sens ne peut être anéantie, & cette tendance au mouvement qui est toûjours égale, sont des substances véritablement dignes de ce nom: la nature par conséquent est un autre principe d'Aristote; c'est elle qui produit les formes, ou plûtôt qui se divise & se subdivise en une infinité de formes, suivant que les besoins de la matiere le demandent. Ceci mérite une attention particuliere, & donne lieu à ce philosophe d'expliquer tous les changemens qui arrivent aux corps. Il n'y en a aucun qui soit parfaitement en repos, parce qu'il n'y en a aucun qui ne fasse effort pour se mouvoir. Il conclut de là que la nature inspire je ne sai quelle nécessité à la matiere. Effectivement il ne dépend point d'elle de recevoir telle ou telle forme: elle est assujettie à recevoir toutes celles qui se présentent & qui se succedent dans un certain ordre, & dans une certaine proportion. C'est là cette fameuse entéléchie qui a tant embarrassé les commentateurs, & qui a fait dire tant d'extravagances aux Scholastiques.

Après avoir expliqué quelle est la cause efficiente, quel est le principe de toute la force qui se trouve répandue dans l'univers, Aristote entre plus avant dans sa matiere, & tâche de développer ce que c'est que le mouvement. On voit bien qu'il fait là de grands efforts de génie: mais ses efforts aboutissent à une définition très - obscure, & devenue même fameuse par son obscurité. Plus Aristote s'avance, plus il embrasse de terrein: le fini & l'infini, le vuide & les atomes, l'espace & le tems, le lieu & les corps qui y sont contenus; tout se présente devant ses yeux: il ne confond rien, une proposition le mene à l'autre; & quoique ce soit d'une façon très - rapide. on y sent toûjours une sorte de liaison.

La doctrine qui est comprise dans les deux livres de la génération & de la corruption, tient nécessairement à ce que nous avons déjà développé de ses principes. Avant Socrate on croyoit que nul être ne périssoit, & qu'il ne s'en reproduisoit aucun; que tous les changemens qui arrivent aux corps ne sont que de nouveaux arrangemens, qu'une distribution différente des parties de matiere qui composent ces mêmes corps; on n'admettoit dans l'univers que des accroissemens & des diminutions, des réunions & des divisions, des mêlanges & des séparations: Aristote rejetta toutes ces idées, quoique simples, & par là assez vraissemblables; & il établit une génération & une corruption proprement dites. Il reconnut qu'il se formoit de nouveaux êtres dans le sein de la nature, & que ces êtres périssoient à leur tour. Deux choses le conduisirent à cette pensée: l'une qu'il s'imagina que dans tous les corps le sujet ou la matiere est quelque chose d'égal & de constant; & que ces corps, comme nous l'avons déjà observé, ne different que par la forme, qu'il regardoit comme leur essence: l'autre, qu'il prétendoit que les contraires naissent tous de leurs contraires, comme le blanc du noir; d'où il suit que la forme du blanc doit être anéantie avant que celle du noir s'etablisse. Pour achever d'éclaircir ce système, j'y ajoûterai encore deux remarques. La premiere, c'est que la génération & la corruption n'ont aucun rapport avec les autres modifications des corps, comme l'accroissement & le décroissement, la transparence, la dureté, la liquidité, &c. dans toutes ces modifications, la premiere forme ne s'éteint point, quoiqu'elle puisse se diversifier à l'infini. L'autre remarque suit de celle - là; comme tout le jeu de la nature consiste dans la génération & dans la corruption, il n'y a que les corps simples & primitifs qui y soient sujets, eux seuls reçoivent de nouvelles formes, & passent par des métamorphoses sans nombre; tous les autres corps ne sont que des mêlanges, & pour ainsi dire des entrelacemens de ces premiers. Quoique rien ne soit plus chimérique que ce côté du système d'Aristote, c'est cependant ce qui a le plus frappé les Scholastiques, & ce qui a donné lieu à leurs expressions barbares & inintelligibles: de là ont pris naissance les formes substantielles, les entités, les modalités, les intentions reexes, &c. tous termes qui ne réveillant aucune idée, perpétuent vainement les disputes & l'envie de disputer.

Aristote ne se renferme pas dans une théorie générale: mais il descend à un très - grand nombre d'explications de physique particuliere; & l'on peut dire qu'il s'y ménage, qu'il s'y observe plus que dans tout le reste; qu'il ne donne point tout l'essor à son imagination. Dans les quatre livres sur les météores il a, selon la réflexion judicieuse du pere Rapin, plus éclairci d'effets de la nature, que tous les philosophes modernes joints ensemble. Cette abondance lui doit tenir lieu de quelque mérite, & certainement d'ex<pb->

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