ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"654"> âge, & au milieu des plus justes espérances de s'assujettir le monde entier.

Cependant Xénocrate qui avoit succédé à Speusippe, enseignoit dans l'académie la doctrine de Platon. Aristote qui avoit été son disciple pendant qu'il vivoit, en devint le rival après sa mort. Cet esprit d'émulation le porta à prendre une route différente vers la renommée, en s'emparant d'un district que personne encore n'avoit occupé. Quoiqu'il n'ait point prétendu au caractere de législateur, il écrivit cependant des livres de lois & de politique, par pure opposition à son maître. Il observa à la vérité l'ancienne méthode de la double doctrine, qui étoit si fort en vogue dans l'académie, mais avec moins de réserve & de discrétion que ceux qui l'avoient précédé. Les Pythagoriciens & les Platoniciens faisoient de cette méthode même, un secret de leurs écoles: mais il semble qu'Aristote ait eu envie de la faire connoître à tout le monde, en indiquant publiquement la distinction que l'on doit faire de ces deux genres de doctrines. Aussi s'explique - t - il sans détour & de la maniere la plus dogmatique contre les peines & les récompenses d'une autre vie. La mort, dit - il, dans son traité de la Morale, est de toutes les choses la plus terrible; c'est la fin de notre existence; & après elle l'homme n'a ni bien à espérer, ni mal à craindre.

Dans sa vieillesse, Aristote fut attaqué par un prêtre de Cerès qui l'accusa d'impiété & le traduisit devant les juges. Comme cette accusation pouvoit avoir des suites fâcheuses, le philosophe jugea à propos de se retirer secrettement à Chalcis. Envain ses amis voulurent - ils l'arrêter: Empêchons, leur criat - il en partant, empêchons qu'on ne fasse une seconde injure à la Philosophie. La premiere sans doute étoit le supplice de Socrate, qui pourroit être regardé comme un martyr de l'unité de Dieu dans la loi de nature, s'il n'avoit pas eu la foiblesse, pour complaire à ses concitoyens, d'ordonner en mourant qu'on sacrifiât un coq à Esculape. On raconte diversement la mort d'Aristote: les uns disent que desesperé de ne pouvoir deviner la cause du flux & reflux qui se fait sentir dans l'Euripe, il s'y précipita à la fin en disant ces mots: puisqu'Aristote n'a jamais pûcomprendre l'Euripe, que l'Euripe le comprenne donc lui - même. D'autres rapportent qu'après avoir quelque tems soûtenu son infortune, & lutté pour ainsi dire contre la calomnie, il s'empoisonna pour finir comme Socrate avoit fini. D'autres enfin veulent qu'il soit mort de sa mort naturelle, exténué par les trop grandes veilles, & consumé par un travail trop opiniâtre: tel est le sentiment d'Apollodore, de Denys d'Halicarnasse, de Censorin, de Laërce: ce dernier, pour prouver son infatigable activité dans le travail, rapporte que lorsqu'il se mettoit en devoir de reposer, il tenoit dans la main une sphere d'airain appuyée sur les bords d'un bassin, afin que le bruit qu'elle feroit en tombant dans le bassin pût le réveiller. Il rendit l'ame en invoquant la cause universelle, l'Être suprème à qui il alloit se rejoindre. Les Stagiriens devoient trop à Aristote, pour ne pas rendre à sa mémoire de grands honneurs. Ils transporterent son corps à Stagire, & sur son tombeau ils éleverent un autel & une espece de temple, qu'ils appellerent de son nom, afin qu'il fut un monument éternel de la liberté & des autres priviléges qu'Aristote leur avoit obtenus, soit de Philippe, soit d'Alexandre. Si l'on en croit Origene, Lib. I. contra Cels. Aristote avoit donné lieu aux reproches d'impiété qui lui firent abandonner Athenes pour s'exiler à Chalcis. Dans les conversations particulieres il ne se ménageoit pas assez: il osoit soûtenir que les offrandes & les sacrifices sont tout - à - fait inutiles; que les dieux font peu d'attention à la pompe extérieure qui brille dans leurs temples. C'étoit une suite de l'opinion où il étoit, que la providence ne s'étend point jusqu'aux choses sublunaires. Le principe sur lequel il s'appuyoit pour soùtenir un système si favorable à l'impiété, revient à ceci: Dieu ne voit & ne connoît que ce qu'il a toûjours vû & connu: les choses contingentes ne sont donc pas de son ressort: la terre est le pays des changemens, de la génération, & de la corruption; Dieu n'y a donc aucun pouvoir: il se borne au pays de l'immortalité, à ce qui est de sa nature incoruptible. Aristote, pour assûrer la liberté de l'homme, croyoit ne pouvoir mieux faire que de nier la providence: en falloit - il davantage pour armer contre lui les prêtres intéressés du Paganisme? Ils pardonnoient rarement, & sur - tout à ceux qui vouloient diminuer de leurs droits & de leurs prérogatives.

Quoique la vie d'Aristote ait toûjours été fort tumultueuse, soit au Lycée, soit à la cour de Philippe, le nombre de ses ouvrages est cependant prodigieux: on en peut voir les titres dans Diogene Laërce, & plus correctement encore dans Jérome Gémusaeus, medecin & professeur en philosophie à Bâle, qui a composé un écrit intitulé, de vita Aristotelis, & ejus operum censura; encore ne sommes - nous pas sûrs de les avoir tous: il est même probable que nous en avons perdu plusieurs, puisque Ciceron cite dans ses entretiens des passages qui ne se trouvent point aujourd'hui dans les ouvrages qui nous restent de lui. On auroit tort d'en conclurre, comme quelques - uns l'ont fait, que dans cette foule de livres qui portent le nom d'Aristote, & qui passent communément pour être de lui, il n'y en a peut - être aucun dont la supposition ne paroisse vraissemblable. En effet, il seroit aisé de prouver, si l'on vouloit s'en donner la peine, l'authenticité des ouvrages d'Aristote, par l'autorité des auteurs profanes, en descendant de siecle en siecle depuis Cicéron jusqu'au nôtre; contentons - nous de celle des auteurs ecclésiastiques. On ne niera pas sans doute que les ouvrages d'Aristote n'existassent du tems de Cicéron, puisque cet auteur parle de plusieurs de ces ouvrages, en nomme dans d'autres livres que ceux qu'il a écrits sur la nature des dieux, quelques - uns qui nous restent encore, ou du - moins que nous prétendons qui nous restent. Le Christianisme a commencé peu de tems après la mort de Cicéron. Suivons donc tous les Peres depuis Origene & Tertullien: consultons les auteurs ecclésiastiques les plus illustres dans tous les siecles, & voyons si les ouvrages d'Aristote leur ont été inconnus. Les écrits de ces deux premiers auteurs ecclésiastiques sont remplis de passages, de citations d'Aristote, soit pour les réfuter, soit pour les opposer à ceux de quelques autres philosophes. Ces passages se trouvent aujourd'hui, excepté quelques - uns, dans les ouvrages d'Aristote. N'est - il pas naturel d'en conclurre que ceux que nous n'y trouvons pas ont été pris dans quelques écrits qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous? Pourquoi, si les ouvrages d'Aristote étoient supposés, y verroit - on les uns & point les autres? Y auroit - on mis les premiers, pour empêcher qu'on ne connût la supposition? Cette même raison y eût dû faire mettre les autres. Il est visible que c'est ce manque & ce défaut de certains passages, qui prouve que les ouvrages d'Aristote sont véritablement de lui. Si parmi le grand nombre de passages d'Aristote qu'ont rapporté les premiers Peres, quelques - uns ont été extraits de quelques ouvrages qui sont perdus, quelle impossibilité y a - t - il que ceux que Cicéron a placés dans ses entretiens sur la nature des dieux, aient été pris dans les mêmes ouvrages? Il seroit impossible d'avoir la moindre preuve du contraire, puisque Cicéron n'a point cité les livres d'où il les tiroit. Saint Justin a écrit un ouvrage considérable sur la physique d'Aristote: on y retrouve exactement, non - seulement les principales opinions, mais même [p. 655] un nombre infini d'endroits des huit livres de ce philosophe. Dans presque tous les autres ouvrages de Saint Justin il est fait mention d'Aristote. Saint Ambroise & Saint Augustin nous assûrent dans vingt endroits de leurs ouvrages, qu'ils ont lû les livres d'Aristote; ils les réfutent; ils en rapportent des morceaux, & nous voyons que ces morceaux se trouvent dans les écrits qui nous restent, & que ces réfutations conviennent parfaitement aux opinions qu'ils contiennent. Allons maintenant plus avant, & passons au sixieme siecle: Boëce, qui vivoit au commencement, parle souvent des livres qui nous restent d'Aristote, & fait mention de ses principales opinions. Cassiodore, qui fut contemporain de Boëce, mais qui mourut beaucoup plus tard, ayant vécu jusque vers le septieme siecle, est encore un témoin irréprochable des ouvrages d'Aristote. Il nous fait connoître qu'il avoit écrit d'amples commentaires sur le livre d'Aristote de l'Interprétation, & composé un livre de la division, qu'on explique en Logique après la définition, & que son ami le Patrice Boëce, qu'il appelle homme magnifique, ce qui étoit un titre d'honneur en ce tems, avoit traduit l'introduction de Porphyre, les catégories d'Aristote, son livre de l'interprétation, & les huit livres des topiques. Si du septieme siecle, je passe au huitieme & au neuvieme, j'y trouve Photius, Patriarche de Constantinople, dont tous les savans anciens & modernes ont fait l'éloge à l'envi les uns des autres: cet homme dont l'érudition étoit profonde, & la connoissance de l'antiquité aussi vaste que sûre, ratifie le témoignage de saint Justin, & nous apprend que les livres qu'il avoit écrits sur la physique d'Aristote, existoient encore; que ceux du philosophe s'étoient aussi conservés, & il nous en dit mot à mot le précis. On sait que saint Bernard, dans le douzieme siecle, s'éleva si fort contre la philosophie d'Aristote, qu'il fit condamner sa métaphysique par un concile: cependant, peu de tems après, elle reprit le dessus; & Pierre Lombard, Albert le Grand, saint Thomas, la cultiverent avec soin, comme nous l'allons voir dans la suite de cet article. On la retrouve presque en entier dans leurs ouvrages. Mais quels sont ceux à qui la supposition des ouvrages d'Aristote a paru vraissemblable? Une foule de demi - savans hardis à décider de ce qu'ils n'entendent point, & qui ne sont connus que de ceux qui sont obligés par leur genre de travail, de parler des bons ainsi que des mauvais écrivains. L'auteur le plus considérable qui ait voulu rendre suspects quelques livres qui nous restent d'Aristote, c'est Jamblique qui a prétendu rejetter les catégories: mais les auteurs, ses contemporains, & les plus habiles critiques modernes, se sont moqués de lui. Un certain Andronicus, Rhodien, qui étoit apparemment l'Hardoüin de son siecle, avoit aussi rejetté, comme supposés, les livres de l'Interprétation: voilà quels sont ces savans sur l'autorité desquels on regarde comme apocryphes les livres d'Aristote. Mais un savant qui vaut mieux qu'eux tous, & qui est un juge bien compétent dans cette matiere, c'est M. Leibnitz; on voudra bien me permettre de le leur opposer. Voici comme il parle dans le second tome de ses Epîtres, page 115. de l'édition de Leipsic, 1738: « Il est tems de retourner aux erreurs de Nizolius; cet homme a prétendu que nous n'avions pas aujourd'hui les véritables ouvrages d'Aristote: mais je trouve pitoyable l'objection qu'il fonde sur les passages de Cicéron, & elle ne sauroit faire la moindre impression sur mon esprit. Est - il bien surprenant qu'un homme accablé de soins, chargé des affaires publiques, tel qu'étoit Cicéron, n'ait pas bien compris le véritable sens de certaines opinions d'un philosophe très - subtil, & qu'il ait pû se tromper en les parcourant très - légerement? Quel est l'homme qui puisse se figurer qu'Aristote ait appellé Dieu l'ardeur du ciel? Si l'on croit qu'Aristote a dit une pareille absurdité, on doit conclurre nécessairement qu'il étoit insensé: cependant nous voyons par les ouvrages qui nous restent, qu'Aristote étoit un grand génie; pourquoi donc veut - on substituer par force, & contre toute raison, un Aristote fou, à l'Aristote sage? C'est un genre de critique bien nouveau, & bien singulier, que celui de juger de la supposition des écrits d'un auteur généralement regardé de tous les grands hommes, comme un génie supérieur, par quelques absurdités qui ne s'y trouvent point; ensorte que pour que les ouvrages d'un philosophe aussi subtil que profond, ne passent point pour supposés, il faudra desormais qu'on y trouve toutes les fautes & toutes les impertinences qu'on lui aura prêtées, soit par inadvertance, soit par malice. Il est bon d'ailleurs de remarquer que Cicéron a été le seul que nous connoissions avoir attribué ces sentimens à Aristote: quant à moi, je suis très - persuadé que tous les ouvrages que nous avons d'Aristote, sont constamment de lui; & quoique quelques - uns ayent été regardés comme supposés, ou du moins comme suspects, par Jean - François Pic, par Pierre Ramus, par Patricius & par Naudé, je n'en suis pas moins convaincu que ces livres sont véritablement d'Aristote. Je rrouve dans tous une parfaite liaison, & une harmonie qui les unit: j'y découvre la même hypothese toûjours bien suivie, & toûjours bien soûtenue: j'y vois enfin la même méthode, la même sagacité & la même habileté ». Il n'est guere surprenant que dans le nombre de quatorze ou quinze mille commentateurs qui ont travaillé sur les ouvrages d'Aristote, il ne s'en soit trouvé quelques - uns qui, pour se donner un grand air de critique, & montrer qu'ils avoient le goût plus fin que les autres, ayent crû devoir regarder comme supposé quelque livre particulier parmi ceux de ce philosophe Grec: mais que peuvent dix ou douze personnes qui auront ainsi pensé, contre plus de quatorze mille dont le sentiment sur les ouvrages d'Aristote est bien différent? Au reste, aucun d'eux n'a jamais soûtenu qu'ils fussent tous supposés; chacun, selon son caprice & sa fantaisie, a adopté les uns, & rejetté les autres; preuve bien sensible que la seule fantaisie a dicté leur décision.

A la tête des ouvrages d'Aristote, sont ceux qui roulent sur l'art oratoire & sur la poëtique: il y a aparence que ce sont les premiers ouvrages qu'il ait composés; il les destina à l'éducation du prince qui lui avoit été confiée; on y trouve des choses excellentes, & on les regarde encore aujourd'hui comme des chefs - d'oeuvre de goût & de Philosophie. Une lecture assidue des ouvrages d'Homere lui avoit formé le jugement, & donné un goût exquis de la belle Littérature: jamais personne n'a pénétré plus avant dans le coeur humain, ni mieux connu les ressorts invisibles qui le font mouvoir: il s'étoit ouvert, par la force de son génie, une route sûre jusqu'aux sources du vrai beau; & si aujourd'hui l'on veut dire quelque chose de bon sur la Rhétorique & sur la Poëtique, on se voit obligé de le répéter. Nous ne craignons point de dire que ces deux ouvrages sont ceux qui font le plus d'honneur à sa mémoire; voyez - en un jugement plus détaillé aux deux articles qui portent leur nom. Ses traités de morale viennent ensuite; l'auteur y garde un caractere d'honnête - homme qui plaît infiniment: mais par malheur il attiédit au lieu d'échauffer; on ne lui donne qu'une admiration stérile; on ne revient point à ce qu on a lû. La morale est seche & infructueuse quand elle n'offre que des vûes générales & des propositions métaphysiques, plus propres à orner

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