ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"606"> montagne de Nebo, fameuse par la mort & par la sépulture de Moyse; & qu'ayant fait retirer tous ceux qui l'accompagnoient, Dieu lui découvrit une caverne profonde, où il plaça l'arche & l'autel des parfums, & en ferma si bien l'entrée, que sans une révélation particuliere, il n'étoit pas possible de la connoître: que ses compagnons s'en étant approchés dans ce dessein, le prophete leur déclara que l'autel & l'arche demeureroient en dépôt dans cette caverne inconnue, jusqu'à ce qu'il plût au Seigneur de rassembler son peuple de tous les pays où ils étoient dispersés: qu'alors il leur rendroit l'un & l'autre avec une grande magnificence, & qu'on verroit alors se renouveller les merveilles opérées du tems de Moyse & de Salomon. Cet oracle n'étant point encore accompli, les interpretes pensent qu'il ne le sera qu'à l'entiere réunion des Juifs qui doit précéder le jugement dernier. (G)

Arche de Noé (Page 1:606)

Arche de Noé signifie, selon le langage de l'Ecriture, une sorte de batteau, ou de vaste bâtiment flotant qui fut construit par Noé, afin de préserver du déluge les diverses especes d'animaux que Dieu avoit ordonné à ce Patriarche d'y faire entrer. Voyez Déluge.

Les naturalistes & les critiques ont fait diverses recherches, & imaginé différens systèmes sur l'arche de Noé, sur sa forme, sa grandeur, sa capacité, sur les matériaux employés à sa construction, sur le tems qu'il a fallu pour la bâtir, & sur le lieu où elle s'arrêta quand les eaux du déluge se retirerent. Nous parcourrons tous ces points avec l'étendue que comportent les bornes de cet Ouvrage.

1°. On croit que Noé employa cent ans à bâtir l'arche; savoir, depuis l'an du monde 1555 jusqu'en 1656, qu'arriva le déluge. C'est l'opinion d'Origene, lib. IV. contra Cls. de S. Augustin, de civit. Dei, lib. XV. cap. xxvij. & contr. Faust. lib. XII. cap. xviij. & dans ses quest. 5. & 23. sur la Genese; & de Rupert, lib. IV. sur la Genese, chap. 22. en quoi ils ont été suivis par Salien, Sponde, le Pelletier, &c. D'autres interpretes prolongent ce terme jusqu'à six vingts ans. Berose assûre que Noé ne commença à bâtir l'arche que 78 ans avant le déluge: Tanchuma n'en compte que cinquante - deux, & les Mahométans ne donnent à ce Patriarche que deux ans pour la construire. Il est certain d'un côté par le texte de la Genese, que le déluge arriva l'an six cens de Noé; & d'un autre, que Noé étoit âgé de cinq cens ans, lorsqu'il eut Sem, Cham, & Japhet; d'où il s'ensuit que l'opinion de Berose paroît la plus probable; car selon le P. Fournier dans son Hydrographie, qui suit en cela le sentiment des Peres, Noé fut aidé dans son ouvrage par ses trois fils; & le même auteur ajoûte que ces quatre personnes suffirent pour le finir; ce qu'il prouve par l'exemple d'Archias le Corinthien, qui avec le secours de trois cens ouvriers, construisit en un an, le grand vaisseau d'Hieron roi de Syracuse. Quand on supposeroit l'arche beaucoup plus grande, & bâtie en 78 ans il faudroit faire attention aux forces des hommes des premiers tems, qu'on a toûjours regardées comme de beaucoup supérieures à celles des hommes qui vivoient long - tems après. Par ces considérations, on peut répondre aux objections de ceux qui prétendent que l'aîné des enfans de Noé ne naquit qu'environ dans le tems où l'arche fut commencée, & que le plus jeune ne vint au monde qu'après que l'ouvrage eut été mis en train; ensorte qu'il se passa un tems considérable avant qu'ils fussent en état de rendre service à leur pere. On détruit également ce que d'autres objectent, qu'il est impossible que trois ou quatre hommes ayent pû suffire à construire un bâtiment où il falloit employer une prodigieuse quantité d'arbres qui demandoient un nombre infini d'ouvriers pour les exploiter.

2°. Le bois qui servit à bâtir l'arche, est appellé dans l'Ecriture , & se gopher, bois de gopher, que les septante traduisent par CULON TETRAGWNON, bois equarri. Onkelos & Jonathan & quelques autres ont estimé que ce bois étoit le cedre. S. Jerôme dans la vulgate employe le mot ligna levigata, bois taillé ou poli; & ailleurs ligna bituminata, bois enduit de bitume ou gaudronné. Kimki dit que c'étoit du bois propre à aller sur l'eau: Vatable l'entend d'un bois léger, qui demeure dans l'eau sans se corrompre, ce qui n'explique pas de quelle espece étoit ce bois. Junius Tremellius & Buxtorf prétendent que c'étoit une espece de cedre, appellé par les Grecs XEDRELATH. M. Pelletier de Rouen, panche pour cette opinion, & en donne pour raison l'incorruptibilité de ce bois, & la grande quantité de son espece en Asie; puisque selon Herodote & Aristophane, les rois d'Egypte & de Syrie employoient le cedre, au lieu de sapin, à la construction de leurs flottes; & que c'est une tradition reçûe dans tout l'orient, que l'arche s'est conservée toute entiere jusqu'à présent sur le mont Ararath. Bochart au contraire, soûtient que gopher signifie le cyprès, parce que dans l'Arménie & dans l'Assyrie où l'on suppose avec raison que l'arche fut construite, il n'y a que le cyprès propre à faire un long vaisseau tel qu'étoit l'arche; ce qu'on prouve par l'autorité d'Arrien, liv. VII. & de Strabon, liv. XVI. qui racontent qu'Alexandre étant dans la Babylonie, & voulant faire construire une flotte, fut obligé de faire venir des cyprès d'Assyrie. Ce dernier sentiment paroît d'autant plus fondé, qu'il n'est pas vraissemblable que Noé avec l'aide de ses seuls enfans, & le peu de tems qu'il eut pour bâtir un vaisseau aussi vaste, dût encore tirer de loin les bois de construction. Enfin quelques auteurs croyent que l'hébreu gopher signifie en général des bois gras & résineux, comme le pin, le sapin, le terebinthe. Les Mahométans disent que c'étoit le sag ou le platane des Indes, que Dieu indiqua à Noé, qui le planta de sa main, & le vit croître si prodigieusement en vingt ans, qu'il en tira toute la charpente & les autres bois nécessaires à la construction de l'arche.

3°. Ce bâtiment, selon Moyse, avoit trois cens coudées de longueur, cinquante de largeur, & trente de hauteur, ce qui paroît d'abord insuffisant pour contenir toutes les choses dont l'arche à dû nécessairement être remplie; & c'est cette proportion inégale qui a fait révoquer en doute à quelques - uns l'autorité de cette relation de Moyse. Celse, entr'autres, s'en est moqué, & l'a nommée XI>BWO\N A'LLXOON, l'arche d'absurdité. Pour résoudre cette difficulté, les SS. Peres & les critiques modernes se sont efforcés de déterminer l'espece de coudée dont Moyse a voulu parler. Origene, S. Augustin, & d'autres, ont pense que par ces coudées il falloit entendre les coudées géométriques des Egyptiens, qui contenoient, selon eux, six coudées vulgaires ou neuf piés. Mais où trouve - t - on que ces coudées géométriques des Egyptiens fussent en usage parmi les Hébreux? D'ailleurs dans cette supposition, l'arche auroit eu 2700 piés de longueur; ce qui, joint aux autres dimensions, lui eût donné une capacité énorme & tout - à - fait superflue, tant pour les especes d'animaux qui devoient y être renfermées, que pour les provisions destinées à leur nourriture. D'autres disent que les hommes étant plus grands dans le premier âge qu'ils ne sont maintenant, la coudée qui est une mesure humaine, devoit être proportionément plus grande: mais cette raison est foible; car les animaux devoient être aussi plus grands & occuper plus de place. D'autres enfin supposent que Moyse parle de la coudée sacrée, qui étoit de la largeur de la main plus grande que la coudée ordinaire, opinion qui n'est pas encore solidement appuyée; car il ne paroît pas qu'on ait jamais employé [p. 607] cette mesure, si ce n'est dans les édifices sacrés, comme le temple & le tabernacle. Cette difficulté a été mieux résolue par Buteo & par Kircher, qui en supposant la coudée de la longueur d'un pié & demi, prouvent géométriquement que l'arche étoit très - suffisante pour contenir tous les animaux. On est encore moins gêné à cet égard dans le système de ceux qui, comme Messieurs le Pelletier, Graves, Cumberland & Newton, donnent à l'ancienne coudée Hébraïque la même longueur qu'a l'ancienne coudée de Memphis, c'est - à - dire, vingt pouces & demi environ mesure de Paris. Les dimensions de l'arche, prises suivant cette mesure, donnent une capacité suffisante pour loger commodément non - seulement les hommes & les animaux, mais aussi les provisions nécessaires, & l'eau douce pour les entretenir pendant un an & plus, comme on le verra ci - dessous par l'exposition des systèmes de M. le Pelletier, & du P. Buteo.

Snellius a prétendu que l'arche avoit plus d'un arpent & demi: Cuneus, Budée & d'autres ont aussi calculé la capacité de l'arche. Le docteur Arbuthnot compte qu'elle avoit quarante fois 81062 piés cubiques. Le P. Lami dit qu'elle étoit de cent dix piés plus longue que l'église de S. Merry à Paris, & de soixante - quatre piés plus étroite; à quoi son traducteur Anglois ajoûte qu'elle étoit plus longue que l'église de S. Paul à Londres ne l'est de l'est à l'ouest, & qu'elle avoit soixante - quatre piés de haut selon la mesure Angloise.

4°. L'arche contenoit, outre les huit personnes qui composoient la famille de Noé, une paire de chaque espece d'animaux impurs, & sept d'animaux purs avec leur provision d'alimens pour un an. Ce qui du premier coup d'oeil paroît impossible: mais si l'on descend au calcul, on trouve que le nombre des animaux n'est pas si grand qu'on se l'étoit d'abord imaginé. Nous ne connoissons gueres qu'environ cent, ou tout au plus cent trente especes de quadrupedes, environ autant des oiseaux, & quarante especes de ceux qui vivent dans l'eau. Les Zoologistes comptent ordinairement cent soixantc & dix especes d'oiseaux en tout. Wilkins évêque de Chester, prétend qu'il ny avoit que soixante & douze especes de quadrupedes qui fussent nécessairement dans l'arche.

5°. Selon la description que Moyse fait de l'arche, il semble qu'elle étoit divisée en trois étages qui avoient chacun dix coudées ou quinze piés de hauteur. On ajoûte que l'étage le plus bas étoit occupé par les quadrupedes & les reptiles, que celui du milieu renfermoit les provisions, & que celui d'en - haut contenoit les oiseaux avec Noé & sa famille; enfin que chaque étage étoit subdivisé en plusieurs loges. Mais Joseph, Philon, & d'autres commentateurs imaginent encore une espece de quatrieme étage qui étoit sous les autres, & qu'ils regardent comme le fond - de - cale du vaisseau, lequel contenoit le lest & les exerémens des animaux. Drexelius croit que l'arche contenoit trois cens loges ou appartemens; le P. Fournier en compte trois cens trente - trois; l'auteur anonyme des questions sur la Genese, en met jusqu'à quatre cens. Budée, Temporarius, Arias Montanus, Wilkins, le P. Lami, & quelques autres, supposent autant de loges qu'il y avoit d'especes d'animaux. M. le Pelletier & le P. Buteo en mettent beaucoup moins, comme on le verra: la raison qu'ils en apportent est que si l'on suppose un grand nombre de loges comme trois cens trente - trois ou quatre cens, chacune des huit personnes qui étoient dans l'arche, auroient eu 37 ou 41 ou 50 loges à pourvoir & à nettoyer par jour, ce qui est impossible. Peut - être y a - t - il autant de difficulté à diminuer le nombre des loges, à moins qu'on ne diminue le nombre des ani<cb-> maux; car il seroit peut - être plus difficile de prendre soin de 300 animaux en 72 loges, que s'ils occupoient chacun la leur. Budée a calculé que tous les animaux qui étoient contenus dans l'arche, ne devoient pas tenir plus de place que cinq cens chevaux, ce qu'il réduit à la dimension de cinquante - fix paires de boeufs. Le P. Lami augmente ce nombre jusqu'à soixante - quatre paires ou cent vingt - huit boeufs, de sorte qu'en supposant que deux chevaux tiennent autant de place qu'un boeuf, si l'arche a eu de l'espace pour 256 chevaux, elle a pu contenir tous les animaux; & le même auteur démontre qu'un seul étage pouvoit contenir 500 chevaux, en comptant neuf piés quarrés pour un cheval.

Pour ce qui regarde les alimens contenus dans le second étage, Budée a observé que 30 ou 40 livres de foin suffisent ordinairement à un boeuf pour sa nourriture journaliere, & qu'une coudée solide de foin pressée comme elle l'est dans les greniers ou magasins, pese environ 40 livres. De sorte qu'une coudée quarrée de foin est plus que suffisante pour la nourriture journaliere d'un boeuf: or il paroît que le second étage avoit 150000 coudées solides. Si on les divise entre 206 boeufs, il y aura deux tiers de foin plus qu'ils n'en pourront manger dans un an.

L'évêque Wilkins calcule tous les animaux carnaciers équivalens tant par rapport à leur volume, que par rapport à leur nourriture, à 27 loups, & tous les autres à 208 boeufs. Pour l'équivalant de la nourriture des premiers, il met celle 1825 brebis, & pour celle des seconds 109500 coudées de foin: or les deux premiers étages étoient plus que suffisans pour contenir ces choses. Quant au troisieme étage, il n'y a point de difficulté; tout le monde convient qu'il y avoit plus de place qu'il n'en falloit pour les oiseaux, pour Noé & pour sa famille.

Ensuite le savant évêque observe qu'il est infiniment plus difficile d'évaluer en nombre la capacité de l'arche, que de trouver une place suffisante pour les différentes especes d'animaux connus. Il attribue cette différence à l'imperfection de nos listes d'animaux, surtout des animaux des parties du monde que nous n'avons pas encore fréquentées: il ajoûte du reste que le plus habile Mathématicien de nos jours ne détermineroit pas mieux les dimensions d'un vaisseau, tel que celui dont il s'agit ici, qu'elles ne le sont dans l'Écriture, relativement à l'usage auquel il étoit destiné. D'où il conclut que l'arche dont on a prétendu faire une objection contre la vérité des Écritures divines, en devient une preuve; puisqu'il est à présumer que dans ces premiers âges du monde, les hommes moins versés dans les sciences & dans les arts, devoient être infiniment plus sujets à des erreurs, que nous ne le serions aujourd'hui: que cependant si l'on avoit aujourd'hui à proportionner la capacité d'un vaisseau à la masse des animaux & de leur nourriture, on ne s'en acquiteroit pas mieux; & que par conséquent l'arche ne peut être une invention humaine; car l'esprit humain étant exposé en pareil cas à se grossir prodigieusement les objets, il seroit arrivé indubitablement dans les dimensions de l'arche de Noé, ce qui arrive dans l'estimation du nombre des étoiles par la see vûe; c'est que de même qu'on en juge le nombre infini, on eût poussé les dimensions de l'arche à des grandeurs demesurées, & qu'on eût ainsi engendré un bâtiment infiniment plus grand qu'il ne le falloit; & péchant plus par son excès de capacité dans l'historien, que ceux qui attaquent l'histoire ne prétendent qu'il peche par défaut.

Mais pour donner au lecteur une idée plus juste des dimensions de l'arche, de sa capacité, de sa distribution intérieure, & autres proportions, nous allons lui faire part de l'extrait des systemes de M. le Pelletier de Rouen & du P. Buteo, sur cette matiere,

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