ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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HOSPITALITÉ (Page 8:314)

HOSPITALITÉ, s. f. (Hist. sacrée & profane, Droit naturel & Morale.) l'hospitalité est la vertu d'une grande ame, qui tient à tout l'univers par les liens de l'humanité. Les Stoïciens la regardoient comme un devoir inspiré par Dieu même. Il faut, disoient - ils, faire du bien aux personnes qui viennent dans nos pays, moins par rapport à elles que pour notre propre intérêt, pour celui de la vertu, & pour perfectionner dans notre ame les sentimens humains, qui ne doivent point se borner aux liaisons du sang & de l'amitié, mais s'étendre à tous les mortels.

Je définis cette vertu, une libéralité exercée envers les étrangers, sur - tout si on les reçoit dans sa maison: la juste mesure de cette espece de bénéfice dépend de ce qui contribue le plus à la grande fin que les hommes doivent avoir pour but, savoir aux secours réciproques, à la fidélité, au commerce dans les divers états, à la concorde & aux devoirs des membres d'une même société civile.

De tous tems les hommes ont eu dessein de voyager, de former des établissemens, de connoître les pays & les moeurs des autres peuples; mais comme les premiers voyageurs ne trouvoient point de lieu de retraite dans les endroits où ils arrivoient, ils étoient obligés de prier les habitans de les recevoir, & il s'en trouvoit d'assez charitables pour leur donner un domicile, les soulager dans leurs fatigues, & leur fournir les diverses choses dont ils avoient besoin.

Abraham, pour commencer mes exemples par l'histoire sacrée, a été du nombre de ces gens compâtissans qui pratiquerent la noble bénéficence envers les étrangers, goûterent le plaisir de les recevoir & de leur procurer tous les secours possibles. Nous lisons dans la Genese que ce digne patriarche [p. 315] rencontra, en sortant de sa tente, trois voyageurs, devant lesquels il se prosterna, leur offrit de l'eau pour laver leurs piés, & du pain pour rétablir leurs force. Il ordonna en même tems à Sara de pétrir trois mesures de farine, & de faire cuire des pains sous la cendre: il fit rôtir lui - même un veau qu'il servit à ses hôtes avec les pains de Sara, du beurre & du lait.

Je ne dissimulerai point que l'exercice de l'hospitalité se trouva resserré chez les Israélites dans des bornes beaucoup trop étroites, lorsqu'ils vinrent à rompre leur commerce avec les peuples voisins; cependant, sans parler des Iduméens & des Egyptiens qui n'étoient pas compris dans cette rupture, l'esprit de cette charité ne s'éteignit pas entierement dans leur coeur, du moins l'exercerent - ils pour leurs freres, sur - tout pendant les tristes tems des captivités, où nous voyons que Tobie étoit pénétré de ce devoir. Dans les louanges que l'écriture lui donne, elle met la distribution qu'il faisoit de trois en trois ans aux prosélytes & aux étrangers de sa part dans le dixmes. Job s'écrie au milieu de ses souffrances: « Je n'ai point laissé les étrangers dans la rue, & ma porte leur a toujours été ouverte ».

Les Egyptiens convaincus que les dieux mêmes prenoient souvent la forme de voyageurs, pour corriger l'injustice des hommes, reprimer leurs violences & leurs rapines, regarderent les devoirs de l'hospitalité comme étant les plus sacrés & les plus inviolables: les voyages fréquens des sages de la Grece en Egypte, l'accueil favorable qu'ils firent à Ménélas & à Helène du tems de la guerre de Troie, montrent assez combien ils s'occupoient de la pratique de cette vertu.

Les Ethyopiens n'étoient pas moins estimables à cet égard au rapport d'Héliodore: & c'est sans doute ce qu'Homere a voulu peindre, quand il nous dit que ce peuple recevoit les dieux, & les regaloit avec magnificence pendant plusieurs jours.

Ce grand poëte ayant une fois établi l'excellence de l'hospitalité sur l'opinion de ces prétendus voyages des dieux; & les autres poëtes de la Grece ayant à leur tour publié que Jupiter étoit venn sur la terre, pour punir Lycaon qui égorgeoit ses hôtes, il n'est pas étonnant que les Grecs regardassent l'hospitalite comme la vertu la plus agréable aux dieux. Aussi cette vertu étoit - elle poussée si loin dans la Grece qu'on fonda dans plusieurs endroits des édifices publics où tous les étrangers étoient admis. C'est un beau trait de la vie d'Alexandre, que l'édit par lequel il déclara que les gens de bien de tous les pays étoient parens les uns des autres, & qu'il n'y avoit que les méchans qui fussent exclus de cet honneur.

Les rois de Perse retirerent de grands avantages de la reception favorable qu'ils firent à divers peuples, & sur - tout aux Grecs qui vinrent chercher dans leur empire une retraite contre la persécution de leurs citoyens.

Malgré le caractere sauvage & la pauvreté des anciens peuples d'Italie, l'hospitalité y fut connue dès les premiers tems. L'asyle donné à Saturne par Janus, & à Enée par Latinus en sont des preuves suffisantes. Elien même rapporte qu'il y avoit une loi en Lucanie qui condamnoit à l'amende ceux qui auroient refusé de loger les étrangers qui arrivoient dans leur pays après le soleil couché.

Mais les Romains qui succederent surpasserent toutes les autres nations dans la pratique de cette vertu; ils établirent à l'imitation des Grecs des lieux exprès pour domicilier les étrangers; ils nommerent ces lieux hospitalia ou hospitia, parce qu'ils donnoient aux étrangers le nom de hospites. Pendant la solemnité des Lectisternes à Rome on étoit obligé d'exercer l'hospitalité envers toutes sortes de gens connus ou inconnus; les maisons des particuliers étoient ouvertes à tout le monde, & chacun avoit la liberté de se servir de tout ce qu'il y trouvoit. L'ordonnance des Achéens, par laquelle ils défendoient de recevoir dans leurs villes aucun Macédonien, est appellée dans Tite - Live une exécrable violation de; droits de l'humanité. Les plus grandes maisons tiroient leur principale gloire de ce que leurs palais étoient toûjours ouverts aux étrangers; la famille des Marciens étoit unie par droit d'hospitalité avec Persée, roi de Macédoine; & Jules - César, sans parler de tant d'autres Romains, étoit attaché par les mêmes noeuds à Nicomede, roi de Bithynie. « Rien n'est plus beau, disoit Cicéron, que de voir les maisons des persounes illustres ouvertes à d'illustres hôtes, & la république est intéressée à maintenir cette sorte de libéralité; rien même, ajoûte - t - il, n'est plus utile pour ceux qui veulent acquérir, par des voies légitimes, un grand crédit dans l'état, que d'en avoir beaucoup au - dehors ».

Il est aisé de s'imaginer comment les habitans des autres villes & colonies romaines, prévenus de ces sentimens, recevoient les étrangers à l'exemple de la capitale. Ils leur tendoient la main pour les conduire dans l'endroit qui leur étoit destiné; ils leur lavoient les piés, ils les menoient aux bains publics, aux jeux, aux spectacles, aux fêtes. En un mot, on n'oublioit rien de ce qui pouvoit plaire à l'hôte & adoucir sa lassitude.

Il n'étoit pas possible après cela que les Romains n'admissent les mêmes dieux que les Grecs pour protecteurs de l'hospitalité. Ils ne manquerent pas d'adjuger en cette qualité un des plus hauts rangs à Venus, déesse de la tendresse & de l'amitié. Minerve, Hercule, Castor & Pollux jouirent aussi du même honneur, & l'on n'eut garde d'en priver les dieux voyageurs, dii viales. Jupiter eut avec raison la premiere place; ils le déclarerent par excellence le dieu vengeur de l'hospitalité, & le surnommerent Jupiter hospitalier, Jupiter hospitalis. Cicéron, écrivant à son frere Quintius, appelle toûjours Jupiter de ce beau nom; mais il faut voir avec quel art Virgile annoblit cette épithete dans l'Enéide.

Jupiter, hospitibus nam te dare jura loquuntur, Hunc loetum, Tiriisque diem, Trojâque profectis Esse velis, nostrosque hujus meminisse minores. Notre poësie n'a point de telles ressources, ni de si belles images.

Les Germains, les Gaulois, les Celtibériens, les peuples Atlantiques, & presque toutes les nations du monde, observerent aussi régulierement les droits de l'hospitalité. C'étoit un sacrilége chez les Germains, dit Tacite, de fermer sa porte à quelque homme que ce fût, connu ou inconnu. Celui qui a exercé l'hospitalité envers un étranger, ajoûtet - il, va lui montrer une autre maison, où on l'exerce encore, & il y est reçu avec la même humanité. Les lois des Celtes punissoient beaucoup plus rigoureusement le meurtre d'un étranger, que celui d'un citoyen.

Les Indiens, ce peuple compatissant, qui traitoit les esclaves comme eux - mêmes, pouvoient - ils ne pas bien acueillir les voyageurs? ils allerent jusqu'à établir, & des hospices, & des magistrats particuliers, pour leur fournir les choses nécessaires à la vie, & prendre soin des funérailles de ceux qui mouroient dans leurs pays.

Je viens de prouver suffisamment, qu'autrefois l'hospitalité étoit exercée par presque tous les peuples du monde; mais le lecteur sera bien aise d'être instruit de quelques pratiques les plus universelles [p. 316] de cette vertu, & de l'étendue de ses droits: il faut tâcher de contenter sa curiosité.

Lorsqu'on étoit averti qu'un étranger arrivoit, celui qui devoit le recevoir, alloit au devant de lui, & après l'avoir salué, & lui avoir donné le nom de pere, de frere, & d'ami, plutôt selon son âge, que par rapport à sa qualité, il lui tendoit la main, le menoit dans sa maison, le faisoit asseoir, & lui présentoit du pain, du vin, & du sel. Cette cérémonie étoit une espece de sacrifice, que l'on offroit à Jupiter - Hospitalier.

Les Orientaux, avant le festin, lavoient les piés à leurs hôtes; cette pratique étoit encore en usage parmi les Juifs, & Notre - Seigneur reproche au phatisien qui le recevoit à sa table, de l'avoir négligée. Les dames même de la premiere distinction, parmi les anciens, prenoient ce soin à l'égard de leurs hôtes. Les filles de Cocalus roi de Sicile, conduisirent Dédale dans le bain, au rapport d'Athénée. Homere en fournit plusieurs autres exemples, en parlant de Nausicaa, de Polycaste, & d'Helene. Le bain étoit suivi de fêtes, où l'on n'épargnoit rien pour divertir les hôtes: les Perses, pour leur plaire encore davantage, admettoient dans ces fêtes & leurs femmes, & leurs filles.

La fête qui avoit commencé par des libations, finissoit de la même maniere, en invoquant les dieux protecteurs de l'hospitalité. Ce n'étoit ordinairement qu'après le repas, qu'on s'informoit du nom de ses hôtes, & du sujet de leur voyage, ensuite on les menoit dans l'appartement qu'on leur avoit préparé.

Il étoit de l'usage, & de la décence, de ne point laisser partir ses hôtes, sans leur faire des présens, qu'on appelloit xenia; ceux qui les recevoient les gardoient soigneusement, comme des gages d'une alliance consacrée par la religion.

Pour laisser à la posterité une marque de l'hospitalité, qu'on avoit contractée avec quelqu'un, des familles entieres, & des villes même, formoient ensemble ce contrat. On rompoit une piece de monnoie, ou plus communément l'on scioit en deux un morceau de bois ou d'ivoire, dont chacun des contractans gardoit la moitié; c'est ce qui est appellé par les anciens, tessera hospilitatatis, tessere d'hospitalité. Voyez Tessere de l'Hospitalité.

On en trouve encore de ces tesseres dans les cabinets des curieux, où les noms des deux amis sont écrits; & lorsque les villes accordoient l'hospitalité à quelqu'un, elles en faisoient expédier un decret en forme, dont on lui délivroit copie.

Les droits de l'hospitalité étoient si sacrés, qu'on regardoit le meurtre d'un hôte, comme le crime le plus irrémissible; & quoiqu'il fût quelquefois involontaire, on croyoit qu'il attiroit la vengeance de tous les dieux. Le droit de la guerre même ne détruisoit point celui de l'hospitalité, parce qu'il étoit censé éternel, à moins qu'on n'y renonçât d'une maniere authentique. Une des cérémonies qui se pratiquoit en cette rencontre, étoit de briser la marque, le tessere de l'hospitalité, & de dénoncer à un ami infidele, qu'on avoit rompu pour jamais avec lui.

Nous ne connoissons plus ce beau lien de l'hospitalité, & l'on doit convenir que les tems ont produit de si grands changemens parmi les peuples & surtout parmi nous, que nous sommes beaucoup moins obligés aux lois saintes & respectables de ce devoir, que ne l'étoient les anciens.

Il semble même, que pour être tenu par la loi naturelle, aux services de l'hospitalité, pris dans toute leur étendue, il faut 1°. que celui qui les demande soit hors de sa patrie, pour quelque raison valable, ou du moins innocente; 2°. qu'il y ait lieu de le présumer honnête homme, ou du moins qu'il n'a aucun dessein de nous porter préjudice; 3°. enfin, qu'il ne trouve pas ailleurs, ou que nous ne trouvions pas de notre côté à le loger pour de l'argent. Ainsi cet acte d'humanité étoit incomparablement plus indispensable, lorsque des maisons publiques, commodes, & à différens prix, n'existoient point encore parmi nous.

L'hospitalité s'est donc perdue naturellement dans toute l'Europe, parce que toute l'Europe est de venue voyageante & commerçante. La circulation des especes par les lettres de change, la sûreté des chemins, la facilité de se transporter en tous lieux sans danger, la commodité des vaisseaux, des postes, & autres voitures; les hôtelleries établies dans toutes les villes, & sur toutes les routes, pour héberger les voyageurs, ont suppléé aux secours généréux de l'hosp talité des anciens.

L'esprit de commerce, en unissant toutes les nations, a rompu les chaînons de bienfaisance des particuliers; il a fait beaucoup de bien & de mal; il a produit des commodités sans nombre, des connoissances plus étendues, un luxe facile, & l'amour de l'intérêt. Cet amour a pris la place des mouvemens secrets de la nature, qui lioient autrefois les hommes par des noeuds tendres & touchans. Les gens riches y ont gagné dans leurs voyages, la jouissance de tous les agrémens du pays où ils se rendent, jointe à l'accueil poli qu'on leur accorde à proportion de leur dépense. On les voit avec plaisir, & sans attachement, comme ces fleuves qui fertilisent plus ou moins les terres par lesquelles ils passent. (D. J.)

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